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Édition du 1er au 15 octobre 2024

L’ex-appelé Jacques Inrep, qui avait transmis des documents sur la torture à Pierre Vidal-Naquet, témoigne d’un combat qui se poursuit

C'est grâce aux témoignages et aux documents qui lui ont été transmis que Pierre Vidal-Naquet a pu établir que la pratique de la torture durant la guerre d'Algérie a été institutionnalisée par l'armée française. L'une de ses principales sources fut l'appelé Jacques Inrep, qui, à la veille de sa démobilisation en août 1961, a photographié à la sauvette des documents tamponnés « secret » qui prescrivaient explicitement d'y recourir. Ci-dessous le récit de son acte courageux et de sa rencontre avec l'historien. Leur combat continue. Depuis peu, des instructions cherchent à entraver au mépris de la recherche historique la consultation de ce type de documents dans les archives publiques. La pétition lancée en février 2020 pour protester contre ce scandale réunit des milliers de signatures.

Pierre Vidal-Naquet : une rencontre improbable



par Jacques Inrep, écrit le 4 févtier 2020 pour le site histoirecoloniale.net

En septembre 1961, lorsque je rejoignis la France, après 29 mois d’armée comme appelé du contingent, dont 16 mois passés dans les Aurès, je trouvais mon pays au bord de la guerre civile. L’organisation terroriste d’extrême droite, l’OAS, essayait de semer la terreur parmi les Français républicains, en multipliant attentats et assassinats.

Plutôt que de rejoindre mon administration d’origine, je fis le choix d’aller travailler en usine. Mais la sale guerre n’était pas finie et la répression épouvantable de la manifestation pacifique des Algériens du 17 octobre 1961, me fit faire un choix dramatique : celui de la semi-clandestinité. J’allais constituer un réseau de résistance au fascisme et ensuite rejoindre l’ORC, qui était un réseau de résistance antifasciste à l’OAS.

Soldat rebelle, j’avais dérobé clandestinement, en les photographiant, juste avant ma démobilisation, un nombre important de documents secrets.

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Lors d’une rencontre avec Gilles Martinet, co-directeur de France-Observateur, je lui avais remis ces pellicules. Il m’avait alors dit qu’il allait remettre celles-ci à un de ses amis historiens qui préparait un livre sur la torture en Algérie. Aucun nom ne fut prononcé, l’époque étant à la discrétion, l’OAS assassinant à tout va les intellectuels et tous opposants à leur idéologie fascisante.

Après 18 mois de semi-clandestinité, je décidais de dissoudre le réseau ORC et j’adhérais au PSU. Conjointement, j’avais mis en place un syndicat CGT dans l’usine où je travaillais. Rapidement, j’allais avoir des responsabilités dans ces deux organisations.

Réédition du livre paru aux éditions de Minuit en avril 1962
Réédition du livre paru aux éditions de Minuit en avril 1962
C’est en lisant Tribune socialiste, l’hebdomadaire du PSU, que je découvris un article sur un livre, La raison d’état, qui traitait de la torture au cours de la guerre d’Algérie, je le commandais aussitôt1. Le nom de l’auteur : Pierre Vidal-Naquet, me disait vaguement quelque chose ; en me renseignant auprès de mes camarades du PSU, j’appris que celui-ci, historien, avait été un de ces intellectuels qui s’étaient fermement opposés à l’utilisation de la torture en Algérie.

La lecture de ce livre provoqua chez moi un énorme choc. Je lus d’une traite La raison d’état, jusqu’à trois heures du matin. Les documents que j’avais dérobés y figuraient (environ la moitié du livre). Noir sur blanc. Je n’avais pas pris d’énormes risques pour rien. Après ce trouble émotif, bien normal, j’entrepris une seconde lecture dès le lendemain. J’y admirais la clarté et la maestria de l’historien.

Le prolétaire et l’intellectuel…

C’est par l’intermédiaire d’Edouard Depreux que j’obtins les coordonnées de Pierre Vidal-Naquet. Nous étions en 1963 et une fois le rendez-vous fixé, je me rendis compte de l’incongruité de ma demande. Moi, petit prolétaire, engagé sur un plan syndical et politique, j’allais rencontrer un intellectuel de haut vol. Ma première impression lorsque je fus reçu par Pierre : « était-ce cela le bureau d’un historien engagé ? ». Il y avait des livres partout, posés sur le sol, sur des chaises, sur son bureau, etc.

J’étais très impressionné, mais Pierre, avec chaleur, me mit rapidement à l’aise. Je lui racontais mes mésaventures soldatesques. Il m’écouta avec beaucoup d’attention, posant parfois quelques questions pour me faire préciser mon point de vue. Il s’intéressait en particulier au moral des appelés et à leurs réactions face à la hiérarchie. Le putsch n’était pas loin. Bien sûr, il m’interrogea longuement sur ce vol de documents secrets et sur la manière dont je m’y étais pris. Il avait reçu les deux pellicules des mains de Gilles Martinet et les avait fait développer par un photographe de l’Humanité. S’ensuivit une longue séquence sur mes motivations. Je tentais de lui expliquer que j’avais fait cela dans le simple but de témoigner. Avec le recul, je pense que je ne suis pas parvenu à le convaincre de ma détermination à devenir un témoin de cette saloperie de guerre. Je me demande même s’il ne m’a pas cru un peu « fêlé » à l’époque.

Extrait de la préface de Pierre Vidal-Naquet à La raison d’état


(pour la réédition en 2002 aux éditions La Découverte de ce livre
publié aux éditions de Minuit en 1962)


[…] A la fin de 1961, le journaliste Gilles Martinet, alors directeur de France-Observateur, me remit quelques rouleaux de pellicule photographique non développés. Il s’agissait, me dit-il, de documents sur la répression. Je les fis discrètement tirer, et ce que je pus lire était effectivement exceptionnel. On y trouvait notamment une circulaire du colonel Renoult, commandant le secteur de Batna dans les Aurès, invitant ses subordonnés à liquider sur place les membres de l’organisation civile du FLN qui viendraient à être capturés. Nous sommes le 14 août 1959, un mois et deux jours avant le discours du 16 septembre 1959 sur le droit à l’autodétermination des Algériens.

Mais, dans cet ensemble, le texte le plus étonnant, issu des mêmes archives, était le rapport rédigé en juin 1961 par le lieutenant Chesnais, chef d’une harka. L’interruption des opérations offensives décidée unilatéralement par le pouvoir français au moment où s’engageaient les négociations d’Evian (20 mai 1961) avait semé la panique dans la harka que commandait cet officier. Les harkis se demandaient s’ils avaient fait le bon choix. Ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres de la tragédie que vécurent ces supplétifs. Le lieutenant Chesnais avait rétabli la confiance en autorisant ses harkis à tuer six combattants prisonniers.

D’où venaient ces documents ? Je ne le sus que plusieurs mois après la fin de la guerre. Un jeune soldat, Jacques Inrep, les avait photographiés clandestinement dans les archives du secteur de Batna, courant ainsi les plus grands risques. Il est, fort heureusement, bien vivant, et exerce le métier de psychanalyste dans une petite ville proche de Montpellier. Qu’il soit aujourd’hui solennellement remercié de son courage et de son aide. […]

Mais, peu à peu, notre conversation prit un tour plus intime. Comme il me traitait d’égal à égal, j’oubliais mes craintes et j’arrivais à exprimer, d’une manière parfois confuse, mes choix politiques d’homme de gauche. C’est ainsi qu’il m’interrogea sur le conflit au Moyen Orient et me demanda ce que j’en pensais. J’ignorais à l’époque qu’il fut juif. Surpris par sa question, je lui répondis en quatre ou cinq points : 1) deux Etats avec des frontières reconnues de part et d’autre (ce qui était reconnu à l’époque par la communauté internationale). 2) Jérusalem devenant la capitales de ces deux Etats. 3) le retour des palestiniens exilés. 4) l’arrêt des hostilités. 5) l’ONU entérinant la présence d’un Etat palestinien à côté d’un Etat israélien. Pierre approuva mes réponses en me disant qu’il était d’accord avec mes propositions. Mais étant surpris par cette demande, je lui demandais le pourquoi de celle-ci. Alors, il me répondit, qu’il était juif et approuvait une démarche qui envisageait le retour à la paix entre Israël et les pays arabes. Puis, j’appris l’histoire tragique de sa famille, et comment, par miracle, il avait échappé à la Gestapo.

De mon côté, j’ai dû lui dire combien mon absence de diplôme me barrait tout projet d’ascension sociale. Aujourd’hui, je pense que c’est lorsque deux personnes échangent des confidences de l’ordre de l’intime, qu’ils deviennent amis. La distance entre ce célèbre historien et le petit prolétaire engagé dans la lutte des classes, s’était évaporée. Je me souviens avec une grande exactitude de ce premier entretien. Je découvrais un homme d’une grande humanité, d’une faculté d’analyse fabuleuse… et surtout cette chaleur qu’il me témoigna, moi le petit militant de base.

S’ensuivit une amitié de 43 ans, faite de rencontres, de coups de téléphone, de lettres et de mille autres petites choses, notamment de conseils de lecture. Il y eut quelques sommets lors de toutes ces décennies ; ainsi, ayant réussi mon admission à la faculté de Censier (Paris 7), je fus très fier de lui faire parvenir mon mémoire de DESS de psychologie clinique, qui traitait d’une forme particulière, et très sophistiquée, de torture mentale : l’isolement et la privation sensoriels.

De son côté, Pierre me fit parvenir certains de ses livres, je fus enthousiasmé par la lecture du Chasseur noir2. Apprenant qu’il allait écrire ses mémoires, je profitais d’un colloque de psychanalystes qui devait se tenir à Paris, pour lui rendre visite dans une clinique où il était hospitalisé. Je lui demandais alors de ne pas me citer dans son ouvrage, il arriva à me convaincre du contraire, arguant que mon attitude, lors de mon service militaire, était tout à fait honorable.

En mai de l’an 2000, je fus opéré d’une tumeur au cerveau à Marseille. Pierre fut très présent, téléphonant à mon épouse, puis à moi-même, lorsque je fus en capacité de l’écouter. C’est ainsi qu’il m’apprit qu’une journaliste du Monde, Florence Beaugé, dans un article qui fit sensation, relançait le débat sur les tortures exercées par l’armée française en Algérie.

Lors d'une émission à France culture en novembre 2000
Lors d’une émission à France culture en novembre 2000

Gigantesque retour du refoulé. Je me doutais bien que je risquais d’être appelé à témoigner. France Culture préparant une émission sur la question, bien qu’ayant de fortes réticentes à « causer dans le poste », sous la pression de Pierre et de Madeleine Rebérioux, finalement, j’acceptais en novembre 2000 de participer à cette émission. La suite est connue, France Culture fut suivie d’autres interventions dans la presse écrite ou radiophonique, ensuite mon témoignage sur Arte, invitations à divers débats ou colloques, etc.

C’est à l’occasion de la sortie de mon livre sur la guerre d’Algérie, Soldat, peut-être… tortionnaire, jamais ! (éditions Scripta) qu’il y eut un accrochage sévère avec Pierre. Je lui avais demandé une préface pour celui-ci, et, à la réception de celle-ci, je découvris avec effarement, qu’il avait cru pendant des décennies que j’avais dérobé ces documents secrets pour me « venger « d’un de mes supérieurs : le lieutenant Chesnais. Dans un coup de téléphone colérique, je lui demandais de rectifier cette grossière erreur. Le lieutenant Chesnais n’avait jamais été mon supérieur, nous avions cohabité dans le même bureau pendant environ un mois, lui préparant sa défense car il devait passer en justice3 et moi faisant mon boulot de secrétariat. Lors de cet entretien téléphonique, avec fermeté, je clamais, que mon unique préoccupation avait été de témoigner pour le futur. D’ailleurs une lettre adressée à mon frère cadet (déposée aux Archives départementales de l’Orne), prouvait mon projet de témoigner, avant même mon départ en Algérie. Pierre Vidal-Naquet, gêné, approuva mes dires et ce passage fut supprimé de sa préface, qui par ailleurs, était très chaleureuse à mon égard.

Je comprends la réticence de ceux qui ont du mal à admettre qu’un gosse de 20 ans, ait eu la « folie » de dérober des documents secrets, juste pour témoigner. Désolé, mais c’est pourtant l’exacte et stricte vérité.

Mon livre eut un succès relatif — plusieurs milliers de lecteurs/trices —, et il fut même, à la base, avec deux autres appelés, de la thèse d’une doctorante : Corinne Chaput-Le Bars, à Nantes, en 2006.

Trois hommes émergent en ce qui concerne la conduite de ma vie : 1) mon père, ce communiste au grand cœur. 2) un médecin, François Grisoni, qui m’apprit mon métier de thérapeute. 3) Pierre Vidal-Naquet qui fut ma boussole en ce qui concerne les Droits de l’homme. Lors de l’hommage qui lui fut rendu à la BNF le 10 novembre 2006, je pus rencontrer son épouse Geneviève, et lors de notre conversation, elle me confia : « Il parlait souvent de vous ».


Préface de Pierre Vidal-Naquet au livre de Jacques Inrep,
Soldat, peut-être… tortionnaire jamais !


(éditions Scripta, 2003)

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Comment Jacques Inrep a eu le courage de témoigner pour l’histoire


(extraits de son livre, Soldat, peut-être… tortionnaire jamais !)

[bleu marine]Au début, j’avais cru à des « bavures ». Des interrogatoires musclés qui auraient dérapé. Autre hypothèse : il s’agissait de pervers — les bourreaux — assouvissant à travers la torture leurs pulsions sadiques. Malheureusement, peu à peu, la vérité allait émerger. […] La torture en Algérie était programmée. Tout un système — une organisation, des hommes, du matériel — avait été mis en place dans ce but. La torture découlait d’un système. Elle était le système. Elle était le système de là-bas, le système de la sale guerre coloniale. Honte sur ce pays. Pourtant je l’aimais ce pays, cette patrie. Ma patrie. La Patrie des Droits de l’Homme. Comment envisager que ce noble et vieux pays, qui avait combattu courageusement l’hydre nazie, puisse se livrer à de telles infamies ? J’étais en pleine schizophrénie intellectuelle. D’un côté une nation, phare des libertés. De l’autre, la réalité de la soldatesque torturant à tour de bras. […]

Un lieutenant-colonel de la Légion étrangère vint pour prendre le commandement de notre petit groupe. Il n’avait jamais commandé des appelés, malgré quoi il s’avéra juste et correct avec le contingent, si bien que nous l’affublâmes du surnom affectueux du « vieux ». Dès son arrivée, notre travail se réorienta vers de nouvelles tâches, ainsi de nouveaux tampons « confidentiel », « secret » et « très secret » firent leur apparition sur nos bureaux. Avec le recul, je pense qu’il a essayé de mettre en place une meilleure coordination entre les différents services de renseignement : 2e bureau, sécurité militaire, renseignements généraux, DST, DOP, CRA, etc. Je devins rapidement son secrétaire particulier. […] Au bureau, je tapais les rapports, des synthèses en trois exemplaires. J’expédiais l’original à son destinataire après l’avoir fait signer. Les deux autres exemplaires, appelés minutes, étaient ensuite classés. Le classement était d’une grande simplicité, les archives suivaient une logique hiérarchique. Ainsi, en partant du régiment, nous passions successivement à la subdivision de Batna, puis à la région des Aurès, ensuite au corps d’armée de Constantine et pour finir au commandement général en Algérie. Je rangeais ces minutes dans les classeurs correspondants. Par distraction, je jetais un coup d’œil sur des archives vieilles parfois de plusieurs années. C’est ainsi que je tombai, « tout à fait par hasard », sur le premier document. Je ne me souviens absolument pas du signataire de celui-ci, par contre je me souviens parfaitement de ma sidération de jeune appelé du contingent. Il était écrit noir sur blanc que la torture était un moyen normal, légal, de lutter contre les nationalistes algériens. Faisant partie de notre arsenal militaire, il fallait absolument l’utiliser. J’étais atterré. Ma consternation était grande, mon désarroi immense. Depuis mon incorporation dans l’armée, j’avais vécu sur l’illusion que la torture ne pouvait être qu’affaire de bavures ! En découvrant ces notes de service, j’étais effaré, accablé par ce que je venais de lire. […]

En suivant les numéros de référence des diverses notes de service, je pus ainsi remonter toute la filière jusqu’au quartier général d’Alger, avec notamment une note du général Massu extrêmement violente, expliquant avec force détails comment et pourquoi torturer. Les ordres venaient d’un échelon supérieur, puis descendaient en cascade jusqu’au dernier niveau, le régiment. C’était proprement stupéfiant. Sûre de son impunité, l’armée se sentait suffisamment puissante pour écrire sur des notes de service internes qu’il était nécessaire de torturer sur une grande échelle les Algériens. […] Je me suis senti, en quelque sorte, investi d’une mission de lutte contre l’oubli. Je me devais de témoigner devant l’histoire. Le hasard m’avait mis à ce poste… et je devais assumer ce rôle. Mon père ne me disait-il pas : « Reste un homme droit mon fils ! ». […]

J’envisageais de photographier les documents […]. Mon choix se porta sur l’achat d’un Foca-Sport II. […] Fin juillet, après avoir acheté plusieurs pellicules noir et blanc, j’étais prêt. […] Je pris la décision d’opérer un dimanche après-midi, seul moment de la semaine où je pensais pouvoir rester seul dans le baraquement sans éveiller l’attention. […] En choisissant de commencer par le secteur de Batna, je comptais remonter les diverses notes de service pour terminer sur celles du général déjà citée, extrêmement violente. […] Il ne me restait plus que deux notes de service à photographier, celle du général Massu et celle du général Salan lorsqu’on frappa trois coups à la porte du secrétariat. […] Avant de photographier les documents secrets, j’avais prévu l’endroit où je camouflerais les pellicules. […]

[bleu marine]Le mardi, mes soupçons se renforcèrent. Je voulus ranger un double dans le classeur Commandement général en Algérie… et je m’aperçus alors que la note du général, celle que je n’avais pas eu le temps de photographier, avait tout simplement disparu ! Le colonel était présent et, je cachais mon émotion. Lorsqu’il eut tourné les talons, je me précipitais sur les autres classeurs : tous les documents secrets ayant trait à la torture en Algérie avaient disparu ! Le vieux se doutait de quelque chose et l’armée française faisait dans son pantalon à l’idée que d’être accusée de « crimes de guerre ». […]

Mon ordre de mission me parvint. Je devais embarquer le 15 août 1961 à Philippeville, je quitterai donc Batna le 14 août. L’annonce de ce prochain départ me rasséréna et je décidai de récupérer mes pellicules au dernier moment. […] Dans la soirée du 15 août 1961, j’embarquais à bord du Ville de Tunis. Les pellicules in the pocket. Il n’y eut aucune fouille lors de l’embarquement. […] [/bleu marine]

Quelques uns des documents photographiés

Note suite à l'interrogatoire du prisonnier « Mohamed le Fidaye », âgé de 20 ans.
Note suite à l’interrogatoire du prisonnier « Mohamed le Fidaye », âgé de 20 ans.

Signalement d'une infirmière algérienne « suspecte » âgée de 17 ans, Saliha Ouari.
Signalement d’une infirmière algérienne « suspecte » âgée de 17 ans, Saliha Ouari.


Et aujourd’hui ?



Près de soixante ans après les faits, alors que la loi française prescrit que les archives conservées dans les institutions publiques sont consultables au terme d’un délai de cinquante ans, une même volonté de dissimulation que celle qui était de mise lors de la guerre d’Algérie se manifeste encore aujourd’hui du côté de certaines instances au sein de l’Etat. Certains ne semblent ne pas vouloir que les faits sur lesquels se fondait le président de la République dans sa déclaration du 13 septembre 2018 — une déclaration précédée d’une citation en exergue de Pierre Vidal-Naquet4 — soient pleinement établis et documentés. Le président de la République a parlé d’« un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le système appelé “arrestation-détention” à l’époque même, qui autorise les forces de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout ”suspect” dans l’objectif d’une lutte plus efficace contre l’adversaire ». Il a affirmé qu’« il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité », et il a annoncé « la libre consultation tous les fonds d’archives de l’Etat qui concernent ce sujet ».

C’est au contraire à une fermeture dans l’accès aux archives qu’on a pu constater à la fin de 2019 avec un décret « relatif aux modalités de classification et de protection du secret de la défense nationale ». Plusieurs pages de notre site décrivent ces entraves dressées récemment à l’encontre de la recherche historique et donnent écho aux nombreuses protestations qu’elles ont suscitées de la part d’historiens, d’archivistes et de diverses associations. Il est inadmissible que se perpétuent en France ces restrictions sans précédent de l’accès aux archives contemporaines.

[SIGNER ET DIFFUSER LA PETITION/rouge]



  1. Pierre Vidal-Naquet, La raison d’état, éditions de Minuit, 1962.
  2. Pierre Vidal-Naquet, Le chasseur noir. Formes de pensée et formes de société dans le monde grec, La Découverte, 2005.
  3. Le « rapport du lieutenant Chesnais, commandant la harka n°63 de Mérabtine au sujet de la punition de quinze jours d’arrêts de rigueur » qui lui a été infligée est reproduit par Pierre-Vidal Naquet dans La raison d’état (pages 296-298). Le 20 mai 1961, à l’annonce de l’ouverture des négociations d’Evian et de l’arrêt par la France des opérations offensives, ces harkis (onze anciens maquisards recrutés de force comme harkis en octobre 1959) se demandaient si cela signifiait que la France allait accepter l’indépendance de l’Algérie et menaçaient dans ce cas de déserter pour « gagner le djebel », ce qui supposait « l’enlèvement du poste et de son armement ». Chesnais écrit qu’il a « craint pour la vie de [s]es hommes et de la [s]ienne » et il a réussi à les persuader que « le FLN n’avait pas gagné » et qu’il « ne les abandonnait pas » en les autorisant à assassiner une dizaine de prisonniers « membre de l’OPA de Djzega » détenus par son unité, et qu’il n’avait pas déclarés comme des instructions récentes, destinées à mettre fin aux exécutions sommaires, lui en faisaient obligation. Pierre Vidal-Naquet a d’abord publié ce rapport du lieutenant Chesnais dans Vérité-Liberté, n°15, en janvier 1962.
  4. « Ce système s’était installé sans qu’aucune modification n’ait été apportée au Code pénal, sans que les principes de 1789 aient cessé d’être proclamés comme les bases de l’État et sans que les gouvernements aient cessé de dire officiellement que la torture était condamnable, même s’ils s’en prenaient plus volontiers à ceux qui la dénonçaient qu’à ceux qui la pratiquaient. » (Pierre Vidal-Naquet). Voir le texte sur le site de l’Elysée.
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