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Un recours a été déposé au Conseil d’Etat
pour demander l’ouverture des archives

Depuis de longs mois, des archivistes, des juristes, des historiennes et des historiens, relayés par une pétition signée par plus de 15 000 personnes, dénoncent une restriction inadmissible dans l’accès aux archives contemporaines de la Nation. Le 23 septembre 2020, l’Association des archivistes français, l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’Association Josette et Maurice Audin, ainsi qu’un collectif d’historiennes et historiens, d’archivistes et de juristes, ont saisi le Conseil d’État pour obtenir l’abrogation de l’article 63 de l’Instruction générale interministérielle n° 1300, une mesure réglementaire qui entrave l’accès aux archives contemporaines de la Nation. Une visio-conférence de presse a lieu le 1er octobre comme indiqué ci-dessous.

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Communiqué de presse



« Comment faire confiance à un document qui ne cesse d’être en mouvement » ?

Accès aux archives classifiées « secret-défense ». Un collectif d’associations et de personnalités saisissent le Conseil d’Etat

Paris, le 23 septembre 2020. L’Association des archivistes français, l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’Association Josette et Maurice Audin, ainsi qu’un collectif d’historiennes et historiens, d’archivistes et de juristes, saisissent le Conseil d’État pour obtenir l’abrogation de l’article 63 de l’Instruction générale interministérielle n° 1300, une mesure réglementaire qui entrave l’accès aux archives contemporaines de la Nation.

Depuis de longs mois, des archivistes, des juristes, des historiennes et des historiens, relayés par une pétition signée par plus de 15 000 personnes, dénoncent une restriction inadmissible dans l’accès aux archives contemporaines de la Nation.

L’application systématique d’un texte de valeur réglementaire, l’article 63 de l’instruction générale interministérielle n°1300 (IGI 1300), conduit en effet à subordonner à une procédure administrative dite de « déclassification » toute communication de documents antérieurs à 1970 qui portent un tampon « secret ».

L’application d’une telle procédure à des archives publiques de plus de cinquante ans est doublement critiquée.

Elle est critiquée dans ses modalités, d’abord, car sa mise en œuvre se révèle extrêmement lourde : elle conduit à bloquer pendant des mois, et parfois des années, l’accès aux documents, entravant des travaux qui portent sur certains des épisodes les plus controversés de notre passé récent, qu’il s’agisse des périodes de l’Occupation, des guerres coloniales, ou de l’histoire de la Quatrième République et des débuts de la Cinquième République. Elle crée, en outre, des situations ubuesques, puisque des historiennes et des historiens se voient refuser l’accès à des documents qu’ils avaient déjà consultés il y a quelques années, et dont certains ont même été reproduits et publiés

Mais cette procédure est aussi critiquée dans son principe même, car la loi prévoit, au contraire, que les archives publiques dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale deviennent « communicables de plein droit » à l’expiration d’un délai de cinquante ans, sans qu’aucune autre condition particulière ne puisse être exigée.

Face à cette situation intenable, l’Association des archivistes français (AAF), l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche (AHCESR) et l’Association Josette et Maurice Audin, accompagnées d’un collectif de personnalités du monde des archives, de l’histoire et du droit, ont écrit le 21 juin dernier au Premier ministre pour obtenir l’abrogation de l’article 63 de l’IGI 1300.

Aucune réponse ne leur ayant été apportée, ces trois associations et vingt-huit archivistes, juristes, historiennes et historiens ont saisi, le 23 septembre 2020, le Conseil d’État, pour voir constater l’illégalité de cette disposition réglementaire.

Elles rappellent à cette occasion que seul l’accès aux archives, dans le respect de la loi, peut garantir un examen informé et contradictoire de notre histoire récente. C’est aussi une condition indispensable pour répondre à l’appel du président de la République, répété à plusieurs reprises, d’un débat sur le passé colonial de notre pays.

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CONTACTS

Raphaëlle Branche :

Association des archivistes français : l’AAF regroupe près de 2500 membres, professionnels des archives du secteur public comme du secteur privé. Elle est un organe permanent de réflexions, de formations et d’initiatives mis au service des sources de notre histoire, celles d’hier comme celles de demain.
Contact : Anne Clerc, déléguée générale / / 01 46 06 40 12

Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement Supérieur et de la recherche : créée en 1969, l’AHCESR est une association professionnelle qui regroupe les enseignants-chercheurs et les chercheurs en histoire contemporaine en poste dans les institutions de recherche et d’enseignement supérieur français. Elle défend leurs intérêts collectifs et constitue un lieu de réflexion et d’échanges sur les mutations du métier d’historien et la formation des étudiants. En tant que société savante, l’AHCESR anime la discussion scientifique sur l’évolution des manières d’écrire l’histoire contemporaine (1789 à nos jours).
Contact : Clément Thibaud, président / ; Nicolas Patin, secrétaire général de l’AHCESR /

Association Josette et Maurice Audin : L’Association Josette et Maurice Audin (AJMA) a pour objet d’agir pour faire la clarté sur les circonstances de la mort de Maurice Audin, assassiné par l’armée française dans le cadre d’un système de tortures et de disparitions forcées ; d’agir pour l’ouverture des archives ayant trait à la guerre d’Algérie et pour la vérité sur les disparus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre françaises ; de faire vivre la mémoire de Josette et Maurice Audin et de leurs combats.
Contact : Pierre Mansat, président /


INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES

1. Tribune au journal Le Monde du 14 février 2020.
2. Tribune de l’Association des archivistes français du 19 février 2020.
3. Tribune au Journal du Dimanche du 21 juin 2020.
4. Pétition « Nous dénonçons une restriction sans précédent de l’accès aux archives contemporaines de la nation » (14 150 signatures)
5. Comptes Twitter : @ArchiCaDebloque ; @Archivistes_AAF


SIGNATAIRES DE LA REQUETE

Association des archivistes français
Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement Supérieur et de la recherche
Association Josette et Maurice Audin
Marc Olivier Baruch
Jean-Marc Berlière
Emmanuel Blanchard
Helga E. Bories-Sawala
Raphaëlle Branche
Marie Cornu
Hanna Diamond
Valeria Galimi
Robert Gildea
Arlette Heymann-Doat
James House
Julian Jackson
Eric Jennings
Harry Roderick Kedward
Julie Le Gac
Chantal Metzger
Gilles Morin
Isabelle Neuschwander
Denis Peschanski
Frédéric Rolin
Anne Simonin
Catherine Teitgen-Colly
Martin Thomas
Fabrice Virgili
Noé Wagener
Bertrand Warusfel
Annette Wieviorka
Olivier Wieviorka


DERNIERE MINUTE
UNE VISIO-CONFERENCE DE PRESSE
a lieu jeudi 1er octobre à 16h
inscriptions


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[POUR SOUTENIR CE RECOURS
SIGNER ET FAIRE CIRCULER LA PETITION
qui a dépassé en quelques mois plus de quinze mille signatures/rouge]



Archives de la guerre d’Algérie : un double discours français ?

par Nadia Henni-Moulaï, publié par Middle East Eye le 20 septembre 2020
© Middle East Eye.

Source

Nadia Henni-Moulaï
Nadia Henni-Moulaï
Nadia Henni-Moulaï est une journaliste et autrice vivant à in Paris, spécialisée sur les questions politiques relatives à l’islam en France.

Son second livre, Little Manual About Islamophobia (2012), décrit avec humour l’islamophobie au quotidien.

Elle collabore aussi au Huffington Post.

mee_logo.jpgLa question des archives de la guerre d’Algérie reste un sujet sensible pour l’État français. Du haut de sa posture de nation éclairée, la France peine à assumer le passé colonial, éclaboussure tenace sur le récit républicain.

C’est un arrêté du 12 avril 2020, signé par Édouard Philippe, alors Premier ministre, et par son représentant, Marc Guillaume, secrétaire général du gouvernement. Le texte ouvre l’accès aux archives des disparus de la guerre d’Algérie. La centaine de documents provient de la Commission de sauvegarde des droits et des libertés individuels, une instance fondée au cœur de la guerre, en 1957, par Guy Mollet, alors président du Conseil (chef du gouvernement). Avec un délai de sûreté de 75 ans, cette décision marque une certaine avancée.

En réalité, il s’agit d’assouplir par dérogation « l’accès aux archives publiques relatives aux disparus de la guerre d’Algérie conservées aux Archives nationales ». Une dérogation qui reste discrétionnaire et ne garantit pas l’accès à ces documents dont certains portent le sceau du « secret défense ». Cela reste tout de même une avancée qui témoigne du volontarisme macronien en ce qui concerne la guerre d’Algérie.

De cette épine dans le récit français, Emmanuel Macron, « l’homme du nouveau monde », en a fait un enjeu implicite du quinquennat. Sinon, comment lire son approche presque iconoclaste du sujet ? En visite à Alger en février 2017, le candidat Macron avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité », provoquant la colère des « nostalgériques » (nom donné aux nostalgiques de l’Algérie française).

L’année suivante, en 2018, Emmanuel Macron, alors élu, admettait le rôle de l’État français dans la disparition de Maurice Audin, universitaire pro-indépendantiste enlevé à Alger en juin 1957. Dans le sillage de cette reconnaissance, les archives liées à cette disparition avaient été ouvertes, par décret.

Or, l’impulsion indéniable d’Emmanuel Macron reste mineure face à la quantité d’archives restant à explorer. D’ailleurs, comme le rappelle le chercheur Fabrice Riceputi, les Maurice Audin « sont des milliers ». Quelques jours après le discours du président français, il publiait sur 1000autres.org, un site dédié aux disparus de la guerre d’Algérie, un document confidentiel et inédit, produit par la préfecture d’Alger. Le fichier recense un millier de cas d’Algériens interpellés par l’armée coloniale durant la Bataille d’Alger. 1000autres.org fonctionne grâce à des appels à témoins. Depuis son lancement, le site a permis d’identifier plus de 330 Algériens. Si tous n’ont pas trouvé la mort, leur récit raconte le triptyque longtemps inassumé, voire manipulé, de l’État français : enlèvement, torture, assassinat.

En palliant l’absence de données officielles accessibles sur le sujet, par le biais des récits familiaux ou anonymes, la démarche de Fabrice Riceputi met en évidence le déni de la France face à la question des archives de la guerre d’Algérie. Comme Jean-Luc Einaudi, historien, à l’origine de la reconnaissance du 17 octobre 1961. Un rapport sensible tant, on le perçoit très bien, l’État français se mure davantage dans le silence qu’il ne concède.

À tel point qu’une certaine confusion règne sitôt que le sujet des archives de la guerre d’Algérie surgit dans le débat public. Car si Emmanuel Macron représente l’État français, son action semble, aussi, diluée dans ce que beaucoup nomment l’« État profond ». La haute fonction publique, en d’autres termes. Et sur le sujet des archives de la guerre, la valse des autorités comporte au moins deux temps. Emmanuel Macron s’est fait le porte-voix (apparent) d’une ouverture des archives mais le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), lui, en a décidé autrement.

Désaveu

Fin 2019, en contradiction avec la promesse présidentielle formulée un an plus tôt d’ouvrir pleinement les archives de la guerre d’Algérie, une instance administrative, peu connue du grand public et rattachée aux services du Premier ministre, le Secrétariat général à la défense et sécurité nationale, demande aux Archives nationales et aux autres centres détenteurs d’archives publiques de limiter l’accès à certaines sources au nom de la « protection du secret de la défense nationale ». En exigeant une application nouvelle et plus stricte de l’accès aux archives, le SGDSN désavoue la loi en vigueur, celle de l’instruction générale interministérielle dite IGI 1300, datée du 30 novembre 2011.

Gilles Manceron, historien spécialiste du colonialisme français, co-animateur avec Fabrice Riceputi du site histoirescoloniale.net, pointe auprès de MEE le rôle de « cette institution au sein de l’État qui contredit la loi du 15 juillet 2008, laquelle prescrit la libre consultation des archives datant de plus de 50 ans ». Selon cette loi, « les documents d’archives publiques sont par principe librement communicables à toute personne qui en fait la demande [art. L. 213-1 du code du patrimoine] » à l’issue de ce délai, à l’exception des archives pouvant participer à la fabrication d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques.

Selon Gilles Manceron, « Emmanuel Macron est allé loin en demandant la pleine ouverture des archives de la guerre d’Algérie dans sa déclaration publiée en septembre 2018 lors de sa visite à Josette Audin, la veuve de Maurice Audin », mais il déplore sur ce sujet « le poids de ‘’l’État profond’’ qui contredit, dans les faits, la loi et les annonces publiques des plus hautes autorités de la République ». D’où le recours qui sera déposé en septembre 2020 devant le Conseil d’État par des historiens et archivistes pour réclamer que soient levées ces entraves à la libre communication des archives conformément à la loi.

Un double discours manifeste qui confine selon lui à « une désinformation évidente ». Et qui devrait continuer. À la tête du SGDSN depuis le 5 mars 2018, Claire Landais vient de prendre la tête du secrétariat général du gouvernement, dont le poids silencieux sur l’action de l’exécutif français alimente bien des rumeurs. Notamment au sujet du partage tacite du pouvoir entre Matignon et le secrétariat général du gouvernement. La nomination de Claire Landais à la tête de ce dernier pourrait-elle desserrer cette main de fer posée sur l’accès aux archives de la guerre d’Algérie ? Rien n’est moins sûr.

Depuis deux ans, Claire Landais a, semble-t-il, stoppé les velléités d’Emmanuel Macron d’ouvrir les archives. La République française s’appuie, aussi, sur des gardiens d’une histoire officielle implicite dont les hauts fonctionnaires seraient les garants.

Dans la pratique, Linda Amiri, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Cayenne, en sait quelque chose. Auteure d’une thèse consacrée à la fédération de France du Front de libération nationale (FLN, 2013), l’historienne se replonge, actuellement, dans ses travaux en vue d’une publication prochaine. Laquelle suppose un recours aux sources. Or, « je ne suis pas sûre de pouvoir accéder aux archives de l’époque », redoute-t-elle. Compte tenu des soubresauts administratifs, l’accès aux sources qu’elle a pourtant pu consulter ne lui est plus du tout garanti. « Quand j’ai commencé mes recherches en 2000, j’ai eu accès aux documents du cabinet Papon tout comme à ceux du 17 octobre 1961 », confie-t-elle à Middle East Eye.

À observer le rapport aux archives de la guerre d’Algérie mais aussi de la colonisation depuis les années 2000, difficile d’ignorer la crispation des autorités sur le sujet. « Ce mouvement va totalement à rebours du travail mémoriel et scientifique », ajoute Linda Amiri. Les convulsions françaises racontent aussi, à leur manière, le décalage entre la démarche des historiens et celle des politiques.

« Beaucoup de fantasmes »

« Je pense qu’il y a beaucoup de fantasmes sur ce que peuvent livrer ces documents d’État », note-t-elle. Faut-il y voir les tentatives ultimes d’une classe politique française soucieuse de placer le fameux récit républicain au-dessus du verdict de l’histoire ? Possible. Toujours est-il que l’enjeu des archives de la guerre d’Algérie et de l’ère coloniale reste vivace.

En confiant une mission sur la « mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » à l’historien Benjamin Stora, Emmanuel Macron espère bien s’imposer en artisan de la réconciliation franco-algérienne. Dans la lettre de mission, le président insiste sur « ce travail de vérité » nécessaire « pour notre pays en premier lieu ». Un « travail de vérité » dont on imagine mal qu’il puisse s’effectuer sans sources historiques et scientifiques.

Même s’il connaît la complexité du sujet, Benjamin Stora émet une nuance. « Les archives ont été en partie ouvertes. Moi qui travaille sur cette matière depuis 45 ans, j’ai pu consulter une variété d’archives, celles sur la police, les renseignements généraux, par exemple. Mais, à l’époque, il y avait très peu de chercheurs qui s’intéressaient à ces sujets », explique-t-il à Middle East Eye. Un déficit d’intérêt qui, mécaniquement, explique la mise en sommeil – certes commode pour l’État – de cette matière.

Benjamin Stora le confirme. « Plus la demande est forte, plus il y a de chances de voir ces sources s’ouvrir. En fonction du nombre de chercheurs qui demandent à les consulter, les archives s’ouvrent ou se ferment. Enfin, quand on se plonge dans ces sources, il est impératif de savoir ce que l’on cherche ». Ainsi, les vérités sur le massacre du 17 octobre 1961 en plein Paris n’auraient pu éclater au grand jour sans le travail colossal et l’activisme de Jean-Luc Einaudi, historien et militant communiste. Benjamin Stora, chargé de formuler « librement » des recommandations pour apaiser les mémoires, le rappelle : « L’ouverture des archives est le fruit de batailles citoyennes. »

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