Sans doute fallait-il être pied-noir et avoir souffert dans sa chair la séparation avec l’Algérie pour entreprendre ce travail d’historien exceptionnel qui interroge les causes de la violence de la décolonisation algérienne.
Jean-Louis Marçot, pour ce faire, remonte au « pourquoi » et au « comment » la France a colonisé l’Algérie. Il reconstitue le contexte dans lequel le projet colonial s’inscrit, sa généalogie, ainsi que le débat politique et idéologique de l’époque. Il s’attache à comprendre les racines du choix qui ont fait de l’Algérie une colonie de peuplement et comment celles-ci plongent dans la question sociale dont la Révolution française a été la première tribune et qu’ont pensée dans des directions divergentes les fondateurs du socialisme moderne : Saint-Simon, Fourier, Owen et Buonarroti.
Il étudie aussi les raisons qui ont poussé le socialisme à s’impliquer dans le projet colonial alors qu’en héritier des Lumières, il n’était pas destiné à le cautionner. L’analyse des deux écoles qui se sont le plus intéressées à l’Algérie – la saint-simonienne et la fouriériste – est, de ce point de vue, éclairante de même que l’engagement singulier de quelques socialistes notoires, Lamennais, Cabet, Proudhon et Cavaignac, à l’exception d’Auguste Comte.
Il nous retrace enfin l’histoire de la conquête et de la colonisation d’un territoire que le colonisateur a nommé Algérie avant de montrer comment les socialistes sont devenus les prosélytes de la colonisation peuplante et ont élaboré cette utopie de l’Algérie française, qui apparaissait dans l’immédiat comme un remède à la crise de l’emploi et à long terme comme le tremplin d’un nouveau modèle social.
Cet essai ébranle les catégories qui établissent que colonialisme et anticolonialisme sont l’apanage, pour le premier, de la droite et de l’extrême droite et, pour le second, du socialisme. La question est douloureuse et la simplification a toujours pour but d’instrumentaliser les faits. L’auteur, résolument de gauche, ne prétend pas disqualifier le socialisme mais montrer qu’à faire fi des contradictions intrinsèques à une question – quelle qu’elle soit – on bascule très vite dans l’aveuglement.