Bugeaud et la colonisation militaire de l’Algérie
Le maréchal Bugeaud fut gouverneur général de l’Algérie de 1840 à 1847. L’une de ses préoccupation constante fut d’associer l’armée à la colonisation : » L’armée est tout en Afrique, disait-il; elle seule a détruit, elle seule peut édifier. Elle seule a conquis le sol, elle seule le fécondera par la culture et pourra par les grands travaux publics le préparer à recevoir une nombreuse population civile. » 1
« L’armée doit être appelée à prendre une grande part à l’œuvre de la colonisation. Les routes qu’elle ouvre, les camps qu’elle bâtit, les défrichements et les cultures qu’elle opère, en justifiant complètement l’emploi des troupes aux travaux publics, signalent l’armée comme un des agents les plus énergiques de la colonisation. Ce labeur lui-même, loin de nuire au soldat, lui est favorable tant au physique qu’au moral. Il entretient sa santé et sa vigueur, le préserve de la nostalgie, de l’ennui que produit le désœuvrement. »
2Pour Bugeaud, le meilleur moyen de réaliser la colonisation de l’Algérie était la fondation de colonies militaires. Il avait préconisé cette méthode dès 1838 3 : » De tous les moyens de faire marcher vite et bien la colonisation, le meilleur, j’en ai la conviction, c’est la colonie militaire. « 2
Le 10 juillet 1842, il s’adresse au ministre de la guerre
4
Jusqu’à présent, la population du village militaire de Fouka se compose de 60 colons tous célibataires.
Dans la vue de les attacher au sol, en les y retenant par des liens de famille, de manière à les y implanter d’une manière permanente, il m’est paru tout à fait indispensable de favoriser le mariage d’un certain nombre d’entre eux. Des ouvertures, leur ayant été faites à cet effet, le Commandant supérieur de Coléah, m’a transmis l’état nominatif des vingt plus méritants et plus persévérants à poursuivre les travaux de colonisation. J’ai pris l’engagement envers eux de les faciliter dans leurs projets de mariage, et, convaincu que Votre Excellence approuvera cette disposition, je leur ai promis de leur faire attribuer à cette occasion, à chacun une somme de 500f.[…]
M. le Maire de la ville de Toulon avec lequel je me suis mis en rapport pour cet objet a fait rechercher des filles modestes, laborieuses, à choisir soit parmi les jeunes personnes élevées à l’hospice, soit dans des familles honnêtes d’artisans et de cultivateurs. J’ai lieu d’espérer que le Conseil Municipal de Toulon accueillera favorablement l’appel que je lui ai fait pour l’engager à voter de son côté une certaine somme pour la dot des jeunes filles, afin de concourir à placer les nouveaux ménages dans une situation prospère.
Dès que ces arrangements pécuniaires seront terminés, je ferai donner successivement des permissions aux colons militaires pour aller contracter mariage, et chercher leurs femmes à Toulon.
Mariages au tambour à Toulon 5
Effectivement, en août 1842, Bugeaud expédie à Toulon les vingt sujets qui paraissaient « les plus sérieux et les plus méritants ».
Le lendemain même de leur arrivée, ces heureux élus sont mis en présence, par les soins de la municipalité, de vingt jeunes filles pour la plupart orphelines, choisies parmi les domestiques de la bourgeoisie et les employées de magasin.
La ville de Toulon accorde à chacune d’entre elles une petite dot de 200 F., et elles reçoivent en outre de nombreux cadeaux.Après maintes péripéties, échange de fiancées entre camarades, ruptures et raccommodements, on finit par s’entendre, et, au bout de 3 mois – délai maximum fixé par Bugeaud – les mariages sont célébrés en grande pompe, avec accompagnement de tambours, clairons, musique, discours et sermons. Les vingt nouveaux couples précédés d’une fanfare défilent sous une pluie de fleurs devant le Conseil Municipal assemblé, puis joyeux et fiers, ils s’embarquent pour l’Afrique !
Ces « mariages au tambour » furent pendant quelques semaines l’objet de gloses de la presse française, et pourtant ils n’ont pas été en général plus malheureux que d’autres.
Si quelques-unes des Toulonnaises, transplantées dans un milieu peu policé, où elles furent en butte aux trivialités de la soldatesque, prirent le parti de fuir le domicile conjugal, les trois-quarts de leurs compagnes s’enracinèrent, et, comme l’avait prévu Bugeaud, firent de beaux rejetons !
Le projet fait long feu
En 1844, Bugeaud proposa de réserver aux colons militaires la majeure partie des terres vacantes en Algérie; ils seraient organisés en une sorte de légion, recrutée parmi les anciens sous-officiers et soldats encore sous les drapeaux; ils obtiendraient d’abord une permission pour se marier en France; puis, revenus en Algérie avec leur femme, ils recevraient un petit domaine où l’État construirait une maison, des instruments aratoires et du bétail, enfin l’habillement et la solde pendant trois ans. Bugeaud comptait trouver 100 000 colons de ce genre. Mais les crédits lui furent refusés par la Chambre.2
Bugeaud revint à la charge en 1847 ; il adressa aux Chambres une brochure dans laquelle il exposait ses vues sur la colonisation. Tocqueville fit un rapport défavorable, dans lequel il condamnait en bloc la colonisation officielle et déclarait que l’État n’avait pas à intervenir dans l’établissement des colons, oeuvre onéreuse et stérile. Le gouvernement retira le projet, qu’il n’avait soutenu que mollement … et Bugeaud donna sa démission.2
Comme l’écrivit benoîtement Augustin Bernard en 1930 2, « cette conception à la fois militariste et communiste ne résista pas à l’épreuve des faits ».
- L’Algérie, Augustin Bernard, chapitre III : La conquête intégrale – Bugeaud et Abd-el-Kader (1840-1848).
Tome 2 de l’Histoire des colonies françaises et l’expansion de la France dans le monde par Gabriel Hanotaux et Alfred Martineau, éd. Plon, 1930. - Dans sa brochure intitulée De l’établissement de légions de colons militaires dans les possessions françaises du Nord de l’Afrique.
- Les Foukassiens, archives et documents rassemblés par Roger Leuwers.
- Les villages d’Algérie par Emile Violard.