Colloque international
Le massacre du camp de Thiaroye en 1944 : enjeux historiographiques, fictions et imaginaires politiques
Résumé des communications des membres de l’association Histoire coloniale et postcoloniale
Résumé de la communication de Gilles Manceron au Colloque des 2-3/12/2024 à Dakar (UCAD)
Titre : En 1944 comme en 2024 la politique coloniale de la France à la croisée des chemins
par Gilles Manceron, co-délégué Mémoires, histoire, archives de la Ligue des droits de l’Homme (France).
Au sortir de la Seconde guerre mondiale, la France s’est trouvée confrontée à une question majeure : devait-elle reconstituer son empire colonial édifié sous la IIIème République (1870-1940) ou bien reconnaître pour les peuples coloniaux le même droit à l’indépendance qu’entre 1940 et 1944 la France Libre et la Résistance intérieure avaient revendiqués pour elles-mêmes ?
Dans son combat pour rétablir son indépendance, la France avait reçu le soutien de nombreux citoyens originaires de ses différentes colonies – depuis celles des Antilles jusqu’à celles du Pacifique, en passant bien sûr par celles d’Afrique – qui ont combattu et parfois sont morts pour la libérer.
La question se posait donc à elle : quelle politique devait-elle adopter par rapport à son empire colonial. D’autant que dans la réflexion des puissances alliées et les prémices de l’Organisation des Nations Unies se trouvait posé le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Un débat a eu lieu au sein de la France Libre et de la Résistance intérieure, qui a opposé les partisans du rétablissement de l’empire à quelques personnalités qui défendaient un véritable universalisme des droits, le même droit à l’indépendance pour les habitants des pays qui avaient été colonisés que pour les autres.
On donnera pour exemples de cette seconde position les points de vue au sein de la France Libre de la philosophe Simone Weil ou de l’homme politique engagé avant-guerre dans la Ligue des droits de l’Homme, André Philip.
Mais cette position est restée très minoritaire, le rétablissement de l’autorité de la France sur son empire étant posée très majoritairement comme un objectif pour les autorités de la France après sa libération. Quitte à ce que cet objectif s’accompagne de promesses concernant la réforme de sa gouvernance (voir la Conférence de Brazzaville, janvier-février 1944, ou le Programme du Conseil national de la Résistance, mars 1944).
Thiaroye 1944, le début d’un moment clé pour la politique extérieure de la France
De ce point de vue, le moment entre la fin 1944 et mars 1947 a constitué un moment clé pour la France et sa politique coloniale. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer le retour des tirailleurs africains de Morlaix en Bretagne jusqu’à Dakar et le massacre de Thiaroye, qui en marque le début.
Suivi immédiatement d’événements postérieurs : le bombardement de Damas (mai 1945), les massacres du Constantinois (mai-juin 1945), le bombardement de Haïphong (novembre 1946) et la répression aveugle de Madagascar (mars 1947).
2024, un nouveau moment clé pour la politique africaine de la France
En 2024, le rejet de la présence de l’armée française par des pays africains qui avaient fait partie de son empire, comme la révolution démocratique et pacifique au Sénégal qui a conduit à l’établissement d’un nouveau pouvoir, placent de nouveau la France à un tournant de son histoire.
2024 va-t-il marquer l’arrêt de sa domination coloniale puis de la Françafrique ? La Ligue des droits de l’Homme, qui n’est pas un parti politique mais une association fondée en 1898 pour imposer le respect de la justice, et qui a combattu, dès avant 1914, les injustices de la situation coloniale, lance un appel à l’opinion internationale et aux autorités françaises pour qu’elles fassent en la matière les choix décisifs qui s’imposent.
Résumé de la communication de Cheikh Sakho au Colloque des 2-3/12/2024 à Dakar (UCAD)
Titre : Les deux guerres mondiales et la mémoire des troupes noires : glorification, infamie, retour en grâce
par Cheikh Sakho, docteur en histoire contemporaine.
Aussi bien au Sénégal qu’en France, les questions liées à l’histoire et à la mémoire des tirailleurs reviennent régulièrement dans l’actualité et les débats historiographiques à l’occasion des anniversaires historiques et commémorations. Le coup de projecteur qu’offre le 80ème anniversaire du massacre de Thiaroye nous donne l’opportunité de retracer les transformations d’une mémoire qui émerge au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Alors que la mémoire des soldats noirs de la Grande Guerre s’inscrit dans un récit global dont la nation française peut s’enorgueillir parce qu’elle reste relativement glorieuse et consensuelle, il en va tout autrement pour la Seconde Guerre mondiale. L’histoire et la mémoire de ce conflit apparaissent souvent comme encombrantes et sources de controverses historiographiques et politiques.
On pense, notamment, au sort fait aux prisonniers coloniaux dans une France occupée après la débâcle de 1940 et l’avènement du régime de Vichy, à la perception des soldats noirs comme indisciplinés et fauteurs de troubles, au blanchiment des troupes coloniales ou au rôle crucial, mais mésestimé, de l’empire colonial africain dans l’issue de cette guerre. Les questions que soulève le massacre de Thiaroye, à travers le foisonnement des travaux et débats sur la qualification des faits du 1er décembre 1944 (mutinerie ou massacre), les difficultés d’accès aux archives, le chiffrage des victimes, illustrent quelques épisodes troubles de cette période. De telles questions continuent de nourrir la réflexion sur ces événements qui produisent encore leurs effets tant dans la mémoire collective que dans les champs politique et culturel. De nombreux travaux ont montré l’importance du moment Thiaroye dès les années 1970. Pourtant, au Sénégal, ce n’est qu’au début des années 2000 que la répression de Thiaroye est pleinement intégrée à la commémoration officielle.
Le propos de cette communication est de nous interroger d’abord sur la disjonction entre les deux mémoires liées aux deux sorties de guerre, rechercher les origines d’une mémoire empêchée autour du second conflit mondial, enfin envisager l’avenir à partir des relectures actuelles de l’événement Thiaroye. En effet, le souvenir de Thiaroye semble s’orienter vers une sorte de retour en grâce mémoriel, si l’on juge par la récente décision du gouvernement français attribuant la mention « morts pour la France » à six tirailleurs exécutés en 1944.
Alors que la mémoire de Thiaroye, jusqu’aux années 2000, était un marqueur idéologique des mouvances politiques contestant un pouvoir perçu comme inféodé à l’ancienne puissance colonisatrice, on peut mesurer les avancées effectuées aussi bien au Sénégal qu’en France. On pourra également s’interroger sur l’avenir des politiques mémorielles pour la génération politique sénégalaise nouvellement élue. Se dirige-t-on vers des avancées plus concrètes sur la question des archives, seule condition pour des avancées encore plus audacieuses en termes de mémorialisation ou patrimonialisation alors que subsistent des monuments coloniaux dans l’espace public sénégalais. Verra-t-on par exemple un hommage monumental d’envergure à Thiaroye ou Dakar, à l’instar du monument aux martyrs du camp de Thiaroye à Bamako ?
• Programme du colloque de Thiaroye à Dakar – 2 et 3 décembre
• Tribune : « Il est temps que le massacre de Thiaroye soit officiellement reconnu par la France »
• Revue de presse du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye
45 ans avant Thiaroye, des tirailleurs se rebellaient déjà pour percevoir leur dû
• Morlaix-Thiaroye 1944 – 2024, agenda des commémorations du 80e anniversaire
• Les initiatives en 2024 du Réseau Mémoires & Partages
• 11 Novembre : ne pas oublier les fusillés pour l’exemple et les soldats coloniaux
• Nos publications depuis 2004 sur les tirailleurs et sur Thiaroye