Une histoire de la doctrine de la « guerre révolutionnaire »
de Jérémy Rubenstein
Jérémy Rubenstein, docteur en histoire contemporaine de l’université Panthéon-Sorbonne, est un spécialiste de l’Argentine et de la violence politique.
Les techniques issues de la tradition militaire de « contre-insurrection » et d’action psychologique sont aujourd’hui largement banalisées, y compris dans le management d’entreprise, dans nombre de polices du monde, voire dans des groupes mafieux. Mais on ignore souvent ce qu’elles doivent à la doctrine française de la « guerre révolutionnaire » (DGR). D’où l’intérêt de cet ouvrage, qui retrace son histoire méconnue.
Sa genèse remonte aux armées coloniales du XIXe siècle – principalement française et britannique – qui ont constitué un savoir-faire répressif permettant l’émergence de la DGR au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle a été formalisée par des officiers français engagés dans la guerre d’Indochine, devenant hégémonique dans l’état-major durant celle d’Algérie. Elle se veut une réponse au mouvement de décolonisation, conçue comme une « guerre totale » impliquant l’ensemble de la société. Et elle vise son contrôle intégral par la propagande et la manipulation, la « conquête des cœurs et des esprits ». Mais aussi par la terreur, associée à la séduction propagandiste : torture, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées, déplacements de populations…
Malgré ses nombreux fiascos, on verra comment la DGR a essaimé depuis les colonies françaises vers bien d’autres terrains, de la guerre du Vietnam à celles d’Irak et d’Afghanistan, de l’Argentine des années 1970 à l’Afrique des années 1980 ou l’Algérie des années 1990. Et comment ses principes se retrouvent aujourd’hui au cœur des techniques violentes de maintien de l’ordre comme des outils de manipulation de l’information.
Table des matières
Introduction. Une doctrine pour la guerre moderne
1. Les origines : maintenir l’ordre colonial
Le parrainage ambigu du maréchal Lyautey – Terreur et politique : Bugeaud, Gallieni, Lyautey, trois phases combinées de la colonisation – Les bureaux arabes, une police politique – La Coloniale, une armée frondeuse – Les officiers de la Coloniale, théoriciens de la DGR – Les enseignements majeurs de la guerre du Rif
2. Seconde Guerre mondiale et guerre psychologique
Münzenberg, Goebbels, Bernays : trois maîtres de l’action psychologique dans les années 1920 et 1930 – Un savoir-faire global – La propagande d’État française en 1940 – Armée d’armistice et armée de la France libre : deux armées françaises, deux sources d’influence – 1944 : la « révélation de Casablanca » de Michel Frois
3. Seconde Guerre mondiale et commandos
Aux origines des forces spéciales « à la française » : le modèle britannique – L’expérience très politique de l’opération Jedburgh – À l’école du terrorisme – Les fortes têtes des commandos, méfiants des hiérarchies
4. La guerre d’Indochine, mythe fondateur de la DGR
La référence des éphémères maquis français d’Indochine en 1945 – 1951 : une nouvelle stratégie maquisarde, financée par le trafic d’opium – Derrière une insubordination surjouée, le triomphe progressif des officiers de la DGR – De nouvelles méthodes de maîtrise de l’image : la fabrication du mythe Bigeard – Une connaissance du communisme sous le prisme des camps viêtminh
5. 1954 : l’institutionnalisation de la doctrine de la guerre révolutionnaire
L’ascension éclair du colonel Charles Lacheroy – Les cinq phases de la guerre révolutionnaire, un état de guerre permanente – Les préconisations de la DGR : déportations, regroupement et îlotage
6. La « main gauche » de la DGR amputée en Algérie
Des élites civiles et militaires prises dans la grammaire « des cœurs et des esprits » – Les « pouvoirs spéciaux », entre gestion traditionnelle des colonies et DGR – La singulière expérience des « commandos noirs » de Bollardière et Servan-Schreiber – Le cas Argoud : séduction et terreur, un même objectif – À la croisée des chemins, entre Bollardière et Argoud
7. « Bataille d’Alger » et guerre secrète du Cameroun : le DGR en pratique
La « guerre militairement gagnée mais politiquement perdue » : la thèse absurde des tenants de la DGR – La torture, un thème d’action psychologique – Le scénario imaginaire de la bombe à retardement – Le cas d’école de la « guerre cachée » du Cameroun
8. Aux origines : une doctrine militaire devenue politique
Années 2000 : la nouvelle actualité d’un objet « aux contours flous » – Le régime idéal de la DGR : la dictature – Une conception élitiste de la politique – Intégrisme catholique et fanatisme sectaire, deux clés du succès de la DGR
9. 1960 : l’éradication officielle de la DGR en France
1958-1960 : l’ascension et la fin de la DGR comme doctrine officielle de l’armée française – Conseillers et mercenaires : le « recyclage » des officiers factieux – De l’OAS, armée subversive émanation de la DGR, aux barbouzes gaullistes – Livre, films, émissions : l’apogée paradoxal des produits culturels phares de la DGR en 1959-1961
10. Les États-Unis, courroie de diffusion industrielle de la contre-insurrection
Les polices, au cœur des dispositifs de guerre civile préventive – Fort Bragg, Fort Benning et la Escuela de las Americas –Think tanks et universités dans l’effort de guerre : école française et doctrine étatsunienne – Une industrie culturelle en guerre
11. La DGR en Argentine
Aux origines de la terreur « par le bas » de la dictature argentine – Le « plan Conintes » de 1960, transposition en Argentine des « pouvoirs spéciaux » français – 1965-1966 : l’action psychologique et la chute du président Illia – Disparitions forcées et viols : la DGR en pratique – 1976 : une armée DGR aux commandes
12. Les applications étatsuniennes de la contre-insurrection
Chiêu hôi, la « plus grande opération de guerre psychologique de l’histoire » – Le programme Phoenix au Vietnam, réactivation des « hameaux stratégiques » – Cointelpro, programme de lutte du FBI contre l’ennemi intérieur – La guerre de l’image des années 1960
13. Les utilisations actuelles de la contre-insurrection :
1) par les États
Nicaragua, la contre-insurrection dans la stratégie de guérilla – Les bons élèves de la DGR en Algérie : la grande terreur d’État des années 1990 – La contre-insurrection comme outil des coopérations policières – Terroriser par l’image à l’ère numérique – La justice comme arme centrale de la guerre psychologique
14. Les utilisations actuelles de la contre-insurrection :
2) par le privé
La contre-insurrection, une ressource prisée du mercenariat, militaire ou mafieux – Les vies ultérieures de la DGR dans le monde entrepreneurial – DGR et publicité – La symbiose entre le monde militaire et celui de l’entreprise
En guise d’épilogue : la dangereuse prolifération contemporaine des méthodes de la DGR
La banalisation de l’hyperviolence à moindre coût – Les ramifications du concept de « conquête des esprits » – L’étonnante réhabilitation des principes de la DGR au sein de l’armée française
Index
Notes
Une histoire de la doctrine de la « guerre révolutionnaire »
de Jérémy Rubenstein
Lieu-Dit
6 rue Sorbier
75020 Paris
avec
Jérémy Rubenstein
Denis Leroux
historien, auteur d’une thèse sur
Le 5e bureau et l’action psychologique pendant la guerre d’Algérie
François Gèze
éditeur aux Editions La Découverte
Pensée et mise en œuvre par des officiers français des années 1950 prêts à tout pour maintenir l’empire colonial, en Indochine puis en Algérie, la « doctrine de la guerre révolutionnaire » a depuis fait école, y compris au sein de l’armée américaine en Afghanistan ou en Irak. L’enquête de Jérémy Rubenstein retrace l’histoire méconnue de cette « DGR », combinant terreur et séduction par la « conquête des cœurs et des esprits ». Et il montre comment sa dimension « action psychologique » s’est installée aujourd’hui au cœur des techniques de répression policière comme de management des entreprises.
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