Organisation Armée Secrète1
Ce sigle symbolise la folie meurtrière qui atteint l’Algérie dans les mois qui précèdent l’indépendance. Née au début de l’année 1961, l’OAS est d’emblée une réaction violente et clandestine au déroulement politique des événements d’Algérie. Elle est une structure complexe où se mêlent des Européens d’Algérie, parfois activistes de la première heure, des militaires nostalgiques d’une certaine grandeur impériale, des poujadistes, des monarchistes, etc. Les militaires y ont une place importante et leurs effectifs grandissent après l’échec du putsch d’avril 1961 et le passage des généraux Salan et Jouhaud dans la clandestinité. L’ancien commandant en chef en Algérie, Raoul Salan, est le chef de l’OAS, qualifié de « commandant supérieur » — ce qui explique l’équivalence, dans le slogan peint sur les murs d’Alger, entre l’OAS et Salan.
L’OAS reçoit, dans un premier temps, le soutien de la majeure partie de la population européenne d’Algérie, particulièrement à l’automne 1961. Mais son raidissement à la veille du cessez-le-feu lui aliène ce soutien, tandis qu’en métropole elle peine à trouver des relais. Le portrait d’une petite fille mutilée dans un attentat qui visait André Malraux fait le tour de la France et stigmatise durablement l’OAS.
L’organisation terroriste a deux tactiques : les explosions au plastic, qui devient sa marque, et les assassinats individuels appelés « opérations ponctuelles ». Ses commandos, appelés aussi Delta, sont les acteurs principaux de ces violences. Les plasticages ponctuent le quotidien des habitants des villes d’Algérie pendant un peu plus d’un an. L’OAS organise aussi des « nuits bleues », occasions d’explosions répétées. En métropole, le maximum des attentats se situe en janvier et février 1962, visant en premier lieu des personnalités ou des journaux communistes. En Algérie, à partir de mai 1961, c’est parfois jusqu’à 350 explosions mensuelles qui secouent la capitale. L’approche du cessez-le-feu est l’occasion d’une violence accrue. Le 25 février, le général Salan lance son instruction n°29 qui commence par ces mots : « L’irréversible est sur le point d’être commis… ». Une insurrection est souhaitée et la violence atteint un nouveau sommet ; les photographies de l’attentat et de l’affiche contre les barbouzes datent d’ailleurs de cette époque, témoignant du regain de tension qui caractérise le mois de mars 1962. Ces records sont encore dépassés entre le cessez-le-feu et l’indépendance : l’OAS se déchaîne et choisit une politique de la terre brûlée qui prétend rendre l’Algérie aux Algériens dans l’état de 1830.
Par-delà cette évolution, l’organisation secrète a toujours la même cible privilégiée : le général de Gaulle. Considéré comme le fossoyeur de l’Algérie française, le président de la République concentre la haine de ceux qui ont choisi de se lancer à corps perdu dans ce combat et se comparent volontiers aux résistants de 1940 en renvoyant au chef de l’État l’image de sa propre dissidence. Les agents secrets spécialement chargés de la répression de l’OAS, les « barbouzes », focalisent également cette hostilité qui aboutit à la mort de dix-neuf d’entre eux dans l’explosion d’une villa d’Alger en janvier 1962. Accréditant la vérité de son slogan « l’OAS frappe où elle veut, quand elle veut, comme elle veut », l’organisation s’attaque aussi à de nombreuses reprises au général de Gaulle lui-même (par exemple lors de l’attentat du Petit-
Clamart en août 1962). Mais le chef de l’État en réchappe toujours.
La politique de terreur ne se contente pas de s’en prendre à des cibles privilégiées. Malgré l’interdiction des généraux Salan et Jouhaud de recourir à des « ratonnades », c’est- à-dire à des brutalités collectives à l’encontre d’Algériens, ceux-ci deviennent les victimes habituelles de l’OAS. Ainsi l’attentat dont a été témoin un photographe a visé un magasin d’alimentation tenu par un Algérien dans un arrondissement du nord d’Alger habité surtout par des Européens, mais entouré de quartiers largement peuplés d’Algériens. En 1962, les extrémistes de l’OAS souhaitent mettre fin à toute mixité, expulser les Algériens des quartiers européens et inversement. La charge de plastic qui a soufflé le magasin du quartier de Belcourt n’a plus de quoi étonner les Algérois à cette date. L’événement y est presque banal. Il en aurait été de même à Oran dans les derniers mois de la guerre et jusqu’en juillet 1962. La grande ville de l’ouest algérien a en effet le triste privilège de détenir le record du nombre de victimes du terrorisme de l’OAS.
A L G É R I E2
Le nombre mensuel d’attentats à l’explosif passe de 277 en juin 1961 à près de 500 en juillet et août; il dépasse 1000 en octobre puis décroît à partir de novembre pour se situer entre 450 et 500 au début de l’année 1962 ; suit une recrudescence entre mars et mai (aux alentours de 700) et une chute très marquée en juin (337). Cette évolution illustre non seulement le décalage avec la métropole où les plasticages sont plus tardifs, mais aussi le changement de style opéré par l’OAS : à partir de novembre 1961, le 2e Bureau doit en effet ouvrir une rubrique «manifestations de masse » (grèves, agitation, ratonnades) qui concerne principalement Oran, et il commence à distinguer les attentats à l’explosif de ceux commis par d’autres moyens (armes à feu, grenades, armes blanches, voitures piégées…), lesquels finissent par égaler ou dépasser le nombre d’explosions. On voit donc que, de l’intimidation dangereuse, l’activisme passe à l’agression meurtrière, aux attentats aveugles, aux assassinats ciblés, à la chasse aux Arabes.
A L G E R3
Le 20 avril, et pour répliquer à l’arrestation de Salan, les Deltas assassinaient 24 musulmans, rien qu’à Alger. Le 2 mai, c’était un épouvantable massacre dans le port d’Alger : une voiture piégée explosait au milieu d’une foule de débardeurs en chômage, à la recherche d’un travail. […] Cette semaine qui avait coûté la vie à 250 musulmans, se terminait avec le meurtre de 7 [femmes de ménage algériennes], alors qu’elles se rendaient à leur travail chez des Européens. Cet acte particulièrement cruel et inutile choqua profondément l’opinion française.
O R A N
Le général Artus, commandant la Gendarmerie d’Oran, a fourni le 12 avril 1962 dans le cadre de sa déposition au procès du général Jouhaud, ces précisions sur les attentats de l’OAS : 1190 explosions de plastic et 109 attaques à main armée qui ont provoqué 137 morts et 385 blessés pendant les seuls quatre mois et demi de sa prise de fonction 4.
Après les accords d’Evian, le général Katz n’osait plus transmettre les chiffres des victimes de peur de provoquer la rupture du cessez-le-feu. Et ce n’est pas lui, mais le préfet de police qui communiqua plus tard le bilan total du 19 mars au 1er juillet 1962 on dénombra à Oran comme victimes de l’OAS : 66 Européens civils tués et 36 blessés ; 410 Algériens tués et 487 blessés 5.
F R A N C E6
L’Organisation secrète se livre à des démonstrations de masse, les « nuits bleues », dont celle du 17 au 18 janvier 1962, marquée par 18 plasticages à Paris. […]. En fait, aucune des villes de grande ou moyenne importance n’est épargnée, même si c’est à Paris qu’ont eu lieu plus de la moitié des plasticages métropolitains.
Le plastic a une fonction de menace et d’intimidation. Il sert à atteindre les immeubles et biens de l’administration, les domiciles, voitures ou permanences d’hommes politiques, les sièges de journaux réputés pour leur hostilité à l’OAS. Comme on pouvait le prévoir, avec 45% des hommes politiques et 27% des journaux concernés, le Parti communiste vient en tête des victimes. Il est suivi par les représentants de l’UNR (34%), puis le PSU (7%), pour ce qui est des personnalités politiques, et par Le Monde (14%), puis Le Figaro et France-Soir (environ 10% chaque), en ce qui concerne la presse ».
Frappant également des intellectuels ainsi que des militants politiques ou syndicaux de base, ces attentats soulèvent une indignation qui atteint un sommet lorsque, le 7 février 1962, un plasticage destiné à l’appartement d’André Malraux atteint par erreur une fillette, Deiphine Renard, gravement blessée aux yeux. […]
Le nombre total de victimes de l’OAS en métropole s’élève, selon Arnaud Déroulède, à 71 morts et 394 blessés. Le mois le plus meurtrier est celui de juin 1961, avec 24 morts et 132 blessés. L’explication de cette date surprenante par sa précocité tient à l’effet du déraillement d’un train Paris-Strasbourg, le 18 juin, accident dont l’attribution à l’OAS s’est faite d’autant plus tard que ses auteurs, très jeunes, n’ont pas tous été inculpés.
Ces chiffres sont sans commune mesure avec ceux que l’on peut avancer pour l’Algérie, en dépit de l’incertitude des sources. En effet, en croisant les statistiques de la Sûreté nationale avec celles du préfet de police d’Alger, Charles-Robert Ageron se rallie à l’estimation faite de bonne heure par le journaliste américain Paul Hénissart, soit au moins 2200 morts au total ; pour la seule période qui va jusqu’à l’arrestation de Salan, le 20 avril 1962, ce serait 1622 morts, dont 239 Européens, et 5148 blessés, dont 1062 Européens, attribuables à une série de 12 299 explosions au plastic, 2546 attentats individuels et 510 attentats collectifs. En se fondant sur des sources internes et tout en reconnaissant qu’aucune indication n’est vraiment fiable, Arnaud Déroulède propose une évaluation plus faible : 9 000 à 12 000 plasticages, 1 500 tués, 5 000 blessés.
Le 7 février 1962, dix charges de plastic explosent à la porte du domicile parisien d’hommes politiques, d’intellectuels, de journalistes. Sept blessés.
Parmi ces blessés une petite fille. Elle s’appelle Delphine Renard, elle a quatre ans et demi. En attendant de retourner a l’école, elle jouait dans sa chambre après le déjeuner quand une charge de plastic destinée à André Malraux, qui habitait le même immeuble de Boulogne-sur-Seine, explose devant ses fenêtres. Delphine sera gravement atteinte et y perdra un œil.
Le lendemain 8 février se déroule une importante manifestation anti-OAS qui verra manifestants et forces de l’ordre s’affronter avec 5 morts au métro Charonne et 3 morts Place Voltaire.
- Source : Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault, La guerre d’Algérie, éd. La documentation française, Documentation photographique, N° 8022, août 2001.
- Anne-Marie Duranton-Crabol, Le temps de l’OAS, éditions Complexe, 1995, page 145.
- Alistair Horne, Histoire de la guerre d’Algérie, Albin Michel 1980, page 548
- Georges Fleury, L’OAS, éd. Grasset, janvier 2003, p. 689
- Charles-Robert Ageron, in préface : Joseph Katz, L’honneur d’un général, Oran 1962, éd. L’Harmattan, 1993.
- Anne-Marie Duranton-Crabol, Le temps de l’OAS, éditions Complexe, 1995, page 142, puis 144.