La France va-t-elle assumer sa responsabilité coloniale envers Haïti ?
La Fondation pour la mémoire de l’esclavage et vingt ONG demandent à la France d’assumer sa responsabilité historique dans le drame que vit la population haïtienne.
La Fondation pour la mémoire de l’esclavage et vingt ONG demandent à la France d’assumer sa responsabilité historique dans le drame que vit la population haïtienne.
La loi Taubira reconnaissant en 2001 l’esclavage entrepris par la France comme un crime contre l’humanité a écarté la mise en œuvre par elle de réparations matérielles, pourtant envisagée dans le projet initial et réclamée notamment en Martinique et en Guyane et par le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) et plusieurs personnalités. La reconnaissance du crime suffit-elle à le « réparer » ? Ci-dessous l’article très bien documenté du Monde, par Julien Vincent, qui présente un état mondial de la réflexion sur la problématique du dédommagement de l’esclavage et de la colonisation. Il s’appuie sur de nombreux livres dont la plupart ne sont pas traduits en français. Nous publions également une tribune de l’économiste Thomas Piketty, publié au lendemain du mouvement Black Lives Matter, dans laquelle il appelait à « ne plus éluder » la question des réparations.
L’historienne de l’art Bénédicte Savoy a rendu en 2018 au président Macron, avec l’économiste Felwine Sarr, un rapport remarqué « sur la restitution du patrimoine culturel africain ». Elle publie en 2023 au Seuil Le long combat de l’Afrique pour son art, dans lequel elle montre que la revendication africaine de restitution, loin d’être récente, remonte aux années 1960 et a suscité immédiatement des résistances fortes en Europe qui sont loin d’être dissipées aujourd’hui. Selon elle, la restitution est essentielle à toute relation future entre les pays africains et les anciennes métropoles coloniales. Nous publions ici la présentation de l’éditeur, une vidéo dans laquelle Bénédicte Savoy expose cette problématique, un entretien dans Le Monde, ainsi qu’une des leçons filmées qu’elle a donné au Collège de France en 2017.
Le mouvement Black Lives Matter a imposé depuis 2020 dans toutes les anciennes puissances esclavagistes et colonialistes européennes la problématique de la reconnaissance des crimes commis et celle des excuses et des réparations. Les réactions des Etats sont variables, les résistances souvent fortes. « Je ne demanderai pas pardon », a par exemple déclaré récemment le président français à propos de la colonisation de l’Algérie. En Belgique, le travail en ce sens d’une commission officielle qui permettait d’espérer une avancée majeure, déjà évoqué sur notre site, vient d’échouer, comme le raconte un article ci-dessous. Un dossier du site Justiceinfo.net et une série de vidéos diffusée par Arte permettent de faire un tour d’horizon européen. Nous renvoyons également à un article de fond du sociologue Renaud Hourcade sur « la politique des excuses » et ses ambiguïtés.
La création d’une commission mixte d’historiens chargée de travailler « sur la colonisation et la guerre d’Indépendance », avait été annoncée à Alger en août 2022 par les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune. Des membres algériens ont été annoncés en novembre 2022 – Mohamed El Korso, Idir Hachi, Abdelaziz Fillali, Mohamed Lahcen Zighidi et Djamel Yahiaoui -, les nominations françaises ont été publiées par Le Monde le 26 janvier 2023. Benjamin Stora la coprésidera avec Mohamed Lahcen Zeghidi, ex-directeur du Musée national du moudjahid. Il n’est plus question dans cet article de celui qui était présenté au départ par Abdelmadjid Tebboune comme l’équivalent algérien de Benjamin Stora, Abdelmadjid Chikhi, que nombre d’historiens algériens considèrent comme le « verrouilleur » des archives algériennes. Les autres membres français sont les historiens Jacques Frémeaux, Jean-Jacques Jordi, Tramor Quemeneur et la conservatrice en chef du patrimoine Florence Hudowicz.
En sus d’innombrables objets pillés, la France conserve de son ère coloniale des milliers de restes humains dont elle n’a à ce jour restitué qu’un très faible nombre à ses anciennes colonies. Une enquête du New York Times indique que le Musée de l’Homme conserve ainsi dans ses réserves « 18 000 crânes » – comprenant aussi des restes de victimes du génocide arménien – et pointe une forte résistance française à les restituer. Une polémique a par ailleurs éclaté à propos des crânes rendus à l’été 2020 à l’Algérie : certains ne sont pas, selon plusieurs journaux dont Le Monde, ceux de résistants algériens, mais de supplétifs de l’armée française, ce dont le gouvernement algérien aurait été informé. Ce dernier l’a démenti.
« Derrière les objets issus des guerres coloniales que nous admirons dans les musées se trouve une histoire violente, il est temps de l’écouter. » Dans Les otages, contre-histoire d’un butin colonial, publié en août 2022 par les éditions Marchialy, la journaliste franco-finlandaise née au Sénégal Taina Tervonen raconte, à la première personne, une passionnante enquête menée en France, au Sénégal et au Mali pour reconstituer l’histoire d’objets pillés par l’armée française lors de la prise de Ségou en 1890, au « Soudan français », aujourd’hui le Mali. Nous publions une recension de ce livre par Le Monde Afrique, ainsi qu’un entretien avec l’autrice publié dans Streetpress.
Dans une série de six articles traduits notamment en français et en kreyol haïtien, le New York Times revient sur la « double dette » qui fut durant des décennies le prix imposé par la France à Haïti pour lui avoir arraché son indépendance et avoir aboli l’esclavage, véritable extorsion dont l’effet désastreux se fait encore sentir dans l’économie haïtienne. Le journal états-unien révèle aussi que, selon un ancien ambassadeur de France, France et États-Unis s’entendirent pour chasser du pouvoir en Haïti le président élu Aristide. Nous reproduisons un article, publié en 2021 par Mediapart, qui synthétise les travaux d’historiennes sur cette question, ainsi que le lien vers l’article de Mediapart du 23 mai 2022 qui annonce le dossier du New York Times et les liens vers ses six articles.
Quelle justice et quelles réparations pour les descendants de victimes des crimes coloniaux ? C’est l’importante question abordée ici par les documentaristes Rob Lemkin et Femi Nylander. Auteurs du film African Apocalypse (BBC, 2020), ils y ont mis en lumière l’héritage de la violence coloniale et ses conséquences pour les descendants des victimes des effroyables massacres perpétrés en 1899 par la mission militaire française « Afrique Centrale-Tchad », dite Voulet-Chanoine, au Mali et au Niger. Ils s’appuient sur un récent rapport de l’ONU, passé largement inaperçu en France, prônant la mise en place d’une justice transitionnelle et de mécanismes de réparation. Ci-dessous leur article dans la revue Afrique XXI, ainsi que des liens relatifs à l’histoire de la « colonne infernale » Voulet- Chanoine et de la conquête du Sahel.
Depuis quelques années, la question des réparations a été posée dans les organisations internationales par des associations françaises, caribéennes, américaines, brésiliennes, anglaises au titre de l’esclavage pratiqué entre le XIXe et le XXIe siècle. Notamment à travers les demandes de remboursement de l’indemnité versée en 1849 aux propriétaires d’esclaves, après l’abolition de l’esclavage en 1848 dans les colonies françaises. Ainsi que de la dette imposée à Haïti en 1825 pour prix de la reconnaissance de son indépendance et de son droit de commercer avec d’autres territoires. Pour Myriam Cottias, la réparation est une sorte de remise à niveau d’un fait historique qui vise à produire de l’égalité. Les réparations symboliques sont importantes pour une reconnaissance sereine, pleine et entière, de l’histoire de l’esclavage, qui ne doit pas produire de mise en accusation.
Le Prix Audin de mathématiques a été remis le 16 décembre 2020 en France et en Algérie à quatre jeunes chercheurs des deux pays. Diffusée en visioconférence en raison du contexte sanitaire, la cérémonie a été animée par la directrice de l’Institut Henri Poincaré de mathématiques et présidente du jury, Sylvie Benzoni. Ci-dessous le communiqué commun de l’Association Josette et Maurice Audin, de la Société mathématique de France et de la Société des mathématiques appliquées et industrielles, ainsi que les interventions lors de cette remise de Cédric Villani, ancien directeur de l’Institut Henri Poincaré, ancien président du jury du Prix Audin et député, et de Pierre Audin, fils de Josette et Maurice Audin. Nous y ajoutons le texte où l’écrivaine algérienne de France Leila Sebbar a rendu hommage à Josette Audin, qu’elle a eu comme professeure de mathématiques au lycée du quartier de Kouba à Alger durant la guerre d’indépendance.
Un rapport a été remis en 2018 par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy sur la restitution des œuvres du patrimoine culturel africain entrées de force dans les musées français. Le 6 octobre 2020, un projet de loi instaurant une dérogation exceptionnelle à l’inaliénabilité des collections a été adopté par l’Assemblée nationale, par 49 voix pour et aucune contre, permettant la restitution de quelques unes au Sénégal et au Bénin. Il doit être examiné au Sénat. Ci-dessous l’interview par France culture de Mame-Fatou Niang, maîtresse de conférence en littérature française à l’Université Carnegie-Mellon (Pittsburgh, USA), qui a assisté au débat, et la tribune publiée dans Libération par Louis-Georges Tin, Lova Rinel et Laurent Tonegnikes pour lesquels il s’agit d’« une restitution en trompe-l’œil ». En Belgique, le musée d’Anvers, qui détient 5 000 objets et œuvres d’origine congolaise, a organisé une exposition d’une centaine d’entre elles. Si le livret qui l’accompagne ne va pas jusqu’à proposer leur restitution, il indique que le musée est ouvert à cette question.