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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024
Michèle Tabarot

Michèle Tabarot, chantre du “passé glorieux de la France en Algérie”

Le député Jean Leonetti raconte que, à l'occasion d'une réunion de rapatriés, une femme âgée lui a déclaré : « Nous voudrions que vous arriviez, un jour, à dire à l'Assemblée nationale que ce que nous avons fait collectivement, en Algérie, c'était bien1. » On comprend cette personne qui, comme beaucoup d'autres ayant vécu ce drame, n'a pas de responsabilité individuelle dans les inégalités du système colonial ni dans les atrocités commises à l'occasion de cette guerre. Mais ceux qui aujourd'hui détiennent un mandat politique ont le devoir, sinon de dire la vérité, du moins de ne pas énoncer des contre-vérités. En raison du rôle qu'elle a joué dans l'adoption de la loi du 23 février 2005, Michèle Tabarot porte une lourde responsabilité dans la réécriture mensongère de la période coloniale en Algérie.
Michèle Tabarot
Michèle Tabarot

« Certains veulent convertir leur mémoire en histoire officielle »

Éric Savarese1

Robert Tabarot, le père

Robert Tabarot dit “Rocher”, le père de Michèle Tabarot, est né à Paris en 1928. Il passe toute sa jeunesse à Oran dont ses parents sont originaires. Champion de boxe, il constitue avec Conessa et Villeneuve un des premiers groupes “contre-terroristes”2.

En 1960, il crée le noyau OAS d’Oran avec Athanase Georgopoulos, patron de bar dit “Tassou” et Georges Gonzales dit “Pancho”. L’organisation terroriste sème la terreur, et, comme à Alger, n’hésite pas à assassiner des soldats français
3.

« L’accord F.L.N. (ou Exécutif Provisoire)-O.A.S. du 17 juin 1962 à Alger n’a aucun effet sur Oran, pas plus que les premiers rapprochements organisés à Tlemcen et surtout à Sidi-Bel-Abbès. Bien au contraire. Vendredi 22, samedi 23 et surtout lundi 25 et mardi 26 juin tout brûle à Oran. On ne leur laissera rien. […] Les destructions continuent et sont imputées à Robert Tabarot et Charles Micheletti. » 4

Le 27 juin, Tabarot fuit l’Algérie et se réfugie à Alicante où il ouvre une pizzeria et devient « une sorte de maire occulte pour quelque trente mille exilés d’Algérie, surtout des oranais»5.
Athanase Georgopoulos est à Torremolinos … Ils rentreront s’installer en France en 1969, bénéficiant de l’amnistie de 1968.

Assemblée générale de la Maison du Pied Noir du Cannet

Le Cannois N° 0200 du jeudi 2 janvier 2003 (extraits)
A l'extrême droite : Robert Tabarot.
A l’extrême droite : Robert Tabarot.

En présence de Robert Tabarot, président national de “La Maison du pied-noir ”, Manuel Alenda, président de la section du Cannet, a déclaré : «Que notre passé aide notre avenir, que notre créance ne soit pas une dette d’honneur car, nous, nous n’en avons aucune envers qui que ce soit, sauf envers nos parents. Si cette mémoire n’est pas transmise aux générations futures, si elle ne rentre pas dans l’histoire officielle, alors les “pieds noirs” seront nés pour rien et disparaîtront définitivement. C’est pourquoi nous avons raison et devons revendiquer avec force et conviction nos droits à l’histoire avec un grand H.».

Thierry Ollive

Michèle Tabarot, la fille

Née à Alicante (Espagne), le 13 octobre 1962, Michèle Tabarot, qui se définit pourtant comme une « Française d’Algérie », n’avait toujours pas mis les pieds en Algérie en octobre 2004 ! 6 !

Maire du Cannet (Alpes-Maritimes) depuis 1995, elle est élue députée (UMP) de la 9ème circonscription des Alpes-Maritimes en juin 2002. Autant par fidélité familiale que par intérêt électoral — sa circonscription compte environ 10% de pieds-noirs — elle s’inscrit au Groupe d’étude sur les rapatriés, dont elle devient vice-présidente. Ce groupe de 57 députés agira comme un lobby. Comme tout groupe de pression, il transcende les clivages politiques : on y trouve six socialistes, à côté d’une forte majorité d’élus UMP et UDF.

Lors de l’élaboration du projet de loi en faveur des rapatriés, en 2004, Michèle Tabarot a défendu l’indemnisation des quelques centaines d’anciens membres civils de l’OAS qui avaient fui à l’étranger pour échapper à la justice française. L’article 13 de la loi du 23 février 2005 leur permettra de récupérer les points de retraite non acquis au cours des années 60. « En plus de l’effort d’indemnisation des harkis, il était normal de réparer cette injustice », estime Michèle Tabarot. Elle considère sans doute également comme “normal” le fait que l’ami Athanase Georgopoulos ait été nommé, le 30 décembre 2005, membre de la commission chargée de gérer cette indemnisation.

Cet ancien membre de l’OAS, élevé à la dignité de Commissaire aux gratifications, au côté d’un conseiller d’Etat, a ainsi portes ouvertes aux ors des ministères. Nul doute que, au moment de l’examen de sa propre demande, ses pairs apportent [aient apporté ?] une juste compensation financière à son « inactivité » exercée tant dans le cadre de l’OAS à Oran, que dans celui de sa florissante boite de nuit, l’Eldorado, à Torremolinos.

Michèle Tabarot a soutenu sans hésiter l’amendement de Christian Vanneste qui demandait aux programmes scolaires de souligner « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord »
« Il y en a marre de la repentance permanente ! dit-elle. Tant que nous ne serons pas fiers de notre histoire, nous ne pourrons pas favoriser l’intégration des jeunes générations. »

Adopté sans bruit dans la loi du 23 février 2005, cet amendement a fini par réveiller les consciences : une proposition de loi du PS visant à l’abroger est soumise à l’Assemblée nationale le 29 novembre 2005. Quelques extraits du discours prononcé par Michèle Tabarot à cette occasion méritent d’être repris.

Discours de Michèle TABAROT le 29 novembre 2005 à l’Assemblée Nationale pour la reconnaissance des aspects positifs de la colonisation7

Le 10 février dernier,

alors que notre Assemblée venait d’adopter la loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés,

mes collègues et moi-même quittions cet hémicycle avec la légitime fierté d’avoir oeuvré,

40 ans après, à la réhabilitation de la mémoire française en Algérie,

la légitime fierté de pouvoir dire à la communauté rapatriée,

qu’en dehors de toute considération matérielle,

la Nation avait tenu à lui rendre un hommage solennel et ô combien mérité. […]

Je ne peux m’expliquer qu’après plusieurs mois de silence,

l’opposition ait décidé de remettre en cause cette avancée,

si ce n’est pour satisfaire une partie de son électorat et une minorité d’enseignants signataires d’une pétition contre l’article 4 de la loi du 23 février 2005.

Pour ma part, je n’oublie pas que les enseignants qui aujourd’hui demandent l’abrogation de l’article 4, sous un prétexte d’objectivité et de neutralité,

sont les mêmes qui arrivaient avec des roses à la main dans l’enceinte de nos salles de classe le 11 mai 1981.

Les mêmes qui nous ont enseigné pendant toutes ces années que les modèles communistes,

de Moscou, Pékin ou Phnom Penh,

permettaient à l’être humain de s’épanouir dans une société juste, égalitaire,

et dans le respect des droits de l’homme.

Le bilan de ces régimes tyranniques est pourtant sans appel.

Les mêmes qui aujourd’hui, désemparés de ne plus pouvoir enseigner leur modèle de démocratie,

font quotidiennement à leurs élèves le procès de la colonisation.

Mes chers collègues,

Il est bien trop réducteur d’avoir de l’Histoire une vision manichéenne.

Notre passé se compose de multiples facettes, certaines sont glorieuses, d’autres moins.

Pour sa part, la France coloniale a permis d’éradiquer des épidémies dévastatrices, grâce aux traitements dispensés par les médecins militaires,

Les Français d’Outre-mer ont permis la fertilisation de terres incultes et marécageuses, la réalisation d’infrastructures que les Algériens utilisent encore aujourd’hui.

La France a posé les jalons de la modernité en Algérie, en lui donnant les moyens d’exploiter les richesses naturelles de son sous-sol. […]

Il ne s’agit pas, comme cela a pu être dit, de réécrire l’histoire officielle. […]

Il s’agit simplement, pour la représentation Nationale de donner son opinion sur un événement historique,

comme elle a pu le faire par le passé pour l’esclavage ou en reconnaissant le génocide arménien.

Au moment où l’on s’interroge sur ce qui compose l’identité nationale,

sur ce qui doit favoriser notre cohésion,

plus que jamais les jeunes Français doivent connaître l’histoire de leur pays, dans toute sa réalité et en être fiers.

Il faudra attendre le 15 février 2006, pour que, par le moyen d’une manœuvre procédurale, à l’initiative du président de la République, l’article 4 finisse par disparaître de la loi.

Un dernier baroud d’honneur devait rassembler, le 3 février 2006, à Saint-Laurent-du-Var, la classe politique locale qui ne voulait rien perdre de son électorat. Les écharpes tricolores étaient légion et tous les partis de Droite étaient représentés, de l’UDF au FN en passant par l’UMP, le MPF, et le MNR.

« Nous n’avons à nous excuser de rien ! »

Au premier rang, Michèle Tabarot.
Au premier rang, Michèle Tabarot.

La Députée, Michèle Tabarot, a défendu la cause des pieds-noirs, […] parlant de ses liens avec cette terre qui fut la sienne, «du passé glorieux de la France en Algérie qui a construit 123 hôpitaux, 56 000 kms de routes, des ports, des aéroports, des dispensaires, qui a éradiqué des maladies comme le paludisme»… Elle a dénoncé l’oubli de certains «qui sont toujours prêts à agiter le torchon de la haine pour des motifs électoraux».8

Ajoutons, pour être complet, que Michèle Tabarot a été réélue députée en juin 2007, qu’elle est membre de la CNIL, chargée du secteur immigration–intégration, et que son frère Philippe, conseiller général du canton de Cannes-centre, est candidat à la mairie de Cannes.

Pouvons-nous être fiers de notre passé colonial en Algérie ?

Au cours du meeting précédent, Jean Léonetti s’est évertué à défendre l’Article 1 «qui reconnaît le rôle positif de la présence française Outre-Mer».

Un texte écrit par Andrée Pierre-Viénot en 1961 permet de contester cet Article 1 sur de nombreux points. Mais nous nous limiterons ici au domaine de l’enseignement.

En 1943, seuls 70 000 élèves musulmans étaient scolarisés sur plus d’un million d’enfants d’âge scolaire. Plus d’un siècle après le début de la conquête le nombre des Musulmans issus du système scolaire et de l’université était dérisoire : un millier d’ouvriers spécialisés, 41 médecins, 22 pharmaciens, 9 chirurgiens dentistes, 3 ingénieurs, 70 avocats, 10 professeurs de l’enseignement secondaire et 500 instituteurs.

En 1954-55, d’après les chiffres du Commissariat général au Plan, «la population musulmane d’âge scolaire est évaluée, pour le terme de la période de 20 ans, à 2 500 000 enfants de 6 à 14 ans. Déjà, en 1954-55, cette population s’élève effectivement à 1 990 000 enfants. Avec 307 000 élèves inscrits dans le écoles du premier degré, le taux de scolarisation atteint 15,4 % à la veille de la guerre d’indépendance.»9

Dans l’enseignement supérieur, en 1954, « il n’y avait que 1 200 étudiants musulmans algériens dont un peu plus de la moitié à Alger, qui suivaient surtout des études formant à des professions libérales comme médecins ou avocats, qui les mettraient dans une situation de relative indépendance par rapport à l’administration. En 1954 donc, on comptait seulement quelque 600 Algériens musulmans pour 5 000 étudiants en Algérie, les universités françaises n’ayant formé à cette date qu’un seul architecte et un seul ingénieur algérien des travaux publics.»10

Pouvons-nous en être fiers ?

L’histoire apprend, au premier chef, que le système colonial, en contradiction avec les principes fondateurs de la République française, a entraîné des massacres de centaines de milliers d’Algériens ; et qu’il les a dépossédés, « clochardisés » – pour reprendre le terme de Germaine Tillion – à une grande échelle, exclus de la citoyenneté, soumis au Code de l’indigénat, et sous-éduqués, au déni des lois en vigueur. Mais, aussi, qu’il y eut de multiples souffrances de Français, parfois déportés en Algérie pour raisons politiques, ou embrigadés dans les guerres coloniales, ou encore pris dans un système dont ils sont devenus, à son effondrement, les victimes expiatoires – comme l’ont été les harkis,
enrôlés dans un guêpier qu’ils ne maîtrisaient pas, puis abandonnés, relégués en France et discriminés en Algérie.

  1. L’Humanité, du 23 novembre 2007 (la citation a été ajoutée à cette page le 24 nov. 07).
  2. D’après Rémi Kauffer, OAS, Seuil, 2002 p.64. Pour cet auteur, Tabarot serait «à l’origine des contacts entre le général Jouhaud et la communauté juive de la ville».

    Les groupes “contre-terroristes” seront responsables des premiers meurtres extra-judiciaires d’Algériens.
  3. Chef de bataillon Bardy, Commandant de gendarmerie Boulle, Lieutenant Ferrer, Général de corps d’armée Ginestet, Médecin-colonel Mabille, Lieutenant-colonel Mariot, Chef de bataillon Maurin, Sous-lieutenant Moutardier, Lieutenant-colonel Rançon.
  4. Fouad Soufi , « Ils sont partis ! Oran 1962, le grand départ des Européens », inRené Gallissot (éd.), Les Accords d’Evian, en conjoncture et en longue durée – actes du colloque qui s’est tenu à l’Université de Paris 8, à Saint-Denis, les 19/20 et 21 mars 1992 – éd. Karthala 1997.
  5. Georges Fleury, O.A.S., Grasset éd., 2002, p. 1042.
  6. C’est ce qu’écrit Yves Bordenave dans un article du Monde du 31 octobre 2004.
  7. Le CR de la séance http://www.assemblee-nationale.fr/12/cra/2005-2006/081.asp#P37_399.
  8. Extraits d’un article de Pascal Gaymard paru dans l’édition du jeudi 16 Février 2006 (N°0363) du Cannois avec l’intitulé : “Etre fier de l’Histoire de la France !”
  9. Rapport général concernant l’Algérie, juillet 1955, 88p, « Statistiques scolaires concernant l’année 1954-55», cité dans Antoine Léon, Colonisation, enseignement et éducation, éd. L’Harmattan 1991, p.224. Une note en bas de page 224 précise que «le calcul de ce taux prend à la fois en compte les élèves scolarisés à plein temps et ceux qui suivent un enseignement à mi-temps.»
  10. Gilles Manceron et Hassan Remaoun, D’une rive à l’autre, Syros éd., 1993.
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