Thuram : « le Noir est suspect »
Lilian Thuram livre son témoignage dans le premier épisode de la nouvelle saison de la web-série « Mon premier contrôle d’identité ».
Des personnalités, dont l’ex-footballeur, dénoncent les contrôles au faciès dans une web-série.
« Depuis 2011, on a propulsé le débat sur la scène nationale ». Le collectif contre le contrôle au faciès lance lundi soir sa nouvelle campagne avec, en point d’orgue, une web-série d’une vingtaine d’épisodes où des personnalités de la société civile racontent leur premier contrôle d’identité. Parmi elles, des noms connus comme l’ex-footballeur Lilian Thuram, le chanteur Ridan ou la sénatrice écologiste Esther Benbassa. Avec un objectif : mettre un terme aux contrôles d’identité abusifs.
Le collectif relève en effet que, selon une étude du CNRS, les contrôles d’identité sont principalement subis par ceux qui sont perçus comme « jeunes », « noirs » ou « arabes ». Pour les personnes noires, les contrôles d’identités sont six fois plus nombreux que pour les blancs. Ce taux est encore plus élevé pour les gens de type maghrébin, qui sont eux huit fois plus contrôlés que les blancs.
Le teaser de la nouvelle saison de Mon 1er contrôle d’identité :
Lilian Thuram contrôlé en gare du Nord
C’est l’ancien champion du monde 98 Lilian Thuram qui livre son témoignage dans le premier épisode de la série. Il évoque un contrôle d’identité survenu à la gare de Lyon, à Paris, il y a une dizaine d’années. Le défenseur, qui joue alors sous les couleurs de la Juventus de Turin, se souvient avoir interpellé le policier en lui lançant : « pourquoi vous n’arrêtez que des personnes noires? ».
Lilian Thuram va même jusqu’à suggérer au policier qui le contrôle de créer une file spécialement pour les Noirs, « comme ça on saura et on passera là avec nos papiers d’identité, ce sera plus simple », ironise-t-il. Quand le policier s’aperçoit qu’il a affaire à l’ancien champion du monde de football, il écourte le contrôle. Le joueur fait alors cette réponse à la personne qui l’accompagne : « Pourquoi ils nous contrôlent, parce que le noir est suspect, voilà ».
Regardez l’intégralité du témoignage de Lilian Thuram :
« C’est quelque chose qui blesse »
« Si je n’avais pas été Lilian Thuram, ça aurait été plus difficile de discuter avec le policier », assure l’ancien joueur, à l’origine de la fondation Education contre le racisme. « J’aurais peut-être eu peur que cela se finisse mal », ajoute-t-il. « C’est quelque chose qui interpelle et qui blesse parce qu’on a toujours l’impression d’être suspect de quelque chose », déplore Lilian Thuram, « il faut dénoncer cela ».
L’an dernier, le concept avait connu un véritable succès avec plus de 2 millions de visites sur Internet pour regarder les vidéos. A l’époque, des chanteurs de rap s’étaient prêtés au jeu de ces confidences. Parmi eux, La Fouine, Rim-K Sefyu ou Youssoupha. L’épisode avec le témoignage de Soprano, qui évoque un contrôle de police dans une rue de Marseille, a par exemple été vu plus de 100.000 fois.
Un numéro pour recenser les victimes
Pour faire cesser les contrôles abusifs, le collectif contre les contrôles au faciès incite donc les victimes à se faire connaître. Un numéro de téléphone est ainsi affiché à la fin de chaque épisode. Mis en place l’an dernier, il a déjà permis de recueillir près de 700 témoignages, qui ont conduit en avril dernier à une plainte collective de quinze personnes contre l’Etat.
« Cette deuxième saison reflète l’avancement de notre démarche », explique une membre du collectif à Europe1.fr. On vise désormais à interpeller les décideurs publics ». Avec la volonté affichée de parvenir à une modification de la loi pour mieux encadrer les contrôles d’identité, en imposant le reçu après chaque contrôle.
« Lors de la campagne présidentielle, François Hollande s’était engagé à lutter contre les contrôles au faciès », rappelle Sihame Assbague, porte-parole du collectif, interrogé par Europe1.fr. « Il va falloir assumer », ajoute-t-elle. Avant de conclure : « c’est inadmissible, en France, en 2012, de persévérer sur la voie de la discrimination ».
Contrôles d’identité :
le Défenseur des droits prône un cadre plus strict1
Le Défenseur des droits a rendu son rapport « relatif aux relations police-population et aux contrôles d’identité », mardi 16 octobre. Le texte, qui se penche sur l’épineux problème des contrôles dits « au faciès », conclut que la solution du récépissé de contrôle d’identité « apparaît, par ses seuls effets mécaniques, comme une source de réduction du nombre des contrôles et, par suite, du nombre de contrôles abusifs », même si elle ne règle pas « au fond le problème des contrôles discriminatoires lorsqu’ils se produisent ». Le 19 septembre, le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, a rejeté cette solution. Réclamée par des associations et le Mouvement des jeunes socialistes, elle faisait partie du programme du PS.
De ses huit mois de travaux, le Défenseur Dominique Baudis retient trois axes : les policiers et les gendarmes doivent être identifiables par un numéro de matricule, la pratique des palpations de sécurité doit être encadrée juridiquement dans le code de procédure pénale, et tout nouveau « dispositif de régulation des contrôles » doit être préparé minutieusement et expérimenté avant sa généralisation.
M. Baudis jette un regard sévère sur l’état des relations police-population : « La thématique des contrôles d’identité apparaît comme l’expression la plus vive d’une défiance qui, dans certains territoires, s’est installée. » Le Défenseur propose d’« organiser, au plan national, le cadre d’un dialogue permanent entre forces de sécurité et acteurs de la société civile (associations et élus en particulier) qui permettrait de recenser les bonnes pratiques et d’expérimenter de nouvelles pistes » et critique la passivité des gouvernements successifs sur ce sujet : « Aucun travail d’envergure n’a jamais été initié. »
Au Royaume Uni, l’accroissement de l’efficacité des contrôles
Dans la mesure de ses moyens, le Défenseur des droits s’est donc attelé à cette tâche, d’abord en évaluant les expériences menées à l’étranger. A Leicester (Royaume-Uni), la mise en place d’un formulaire simplifié en 2011 a entraîné une baisse de 28 000 à 7 500 des contrôles en deux ans (2010-2012). L’efficacité des contrôles – la part qui aboutit à la constatation d’une infraction ou d’un délit – est passée de 4% à 10%. A Londres, elle atteint même 16,5%. Même constat à Fuenlabrada (Espagne).
Pour autant, une personne « noire » continue d’avoir 4,5 fois plus de chances d’être contrôlée par un policier londonien. « En dépit de l’existence de ces dispositifs, les associations de défense des droits de l’homme, la presse et les organismes de contrôle mis en place affirment que la police continue de pratiquer des contrôles plus fréquents envers les populations “minoritaires” », observe le Défenseur.
Il reconnaît que « les modèles de référence de Londres et de Fuenlabrada ne sont pas transposables à l’identique ». En France, « les collectes de données à caractère ethnique ou racial contreviendraient aux principes constitutionnels ». Ces précautions ne l’empêchent pas d’ouvrir plusieurs portes.
D’abord, le simple ticket de contrôle anonyme, sur lequel le policier ou le gendarme inscrirait son matricule. Il permettrait de « formaliser » le contrôle mais pas de mener des recours. Ensuite, l’attestation nominative, sur laquelle figurerait « le nom de la personne contrôlée ainsi que le motif, le lieu, la date et l’heure du contrôle ». Elle serait « plus probante que le ticket anonyme à l’appui d’un recours » et « réduirait encore le nombre de contrôles ». Mais « sa mise en œuvre obligerait les forces de sécurité à prendre le temps de la remplir ».
Reste, enfin, l’attestation « enregistrée », avec un fichier à la clé. C’est l’hypothèse utilisée comme un épouvantail par Manuel Valls. Elle aurait pour conséquence quasi certaine la création d’un méga-fichier, qui contiendrait « des millions de données extrêmement précises » sur les allers et venues des Français, rappelle le rapport. Et les barrières seraient fragiles : « On a peine à imaginer que le juge judiciaire, dans le cadre d’une enquête pénale, renonce à utiliser un instrument aussi bien renseigné. » Le Défenseur s’interroge sur la « proportionnalité » d’un tel fichier face à l’objectif recherché.
Mais le rapport rappelle qu’un système où le policier ne conserverait qu’un double « anonymisé » de récépissé est envisageable. « La conservation des souches permettrait de comptabiliser de manière précise le nombre des contrôles, première information susceptible de constituer un indicateur exploitable. Par ailleurs, ces données offriraient l’opportunité d’avoir une approche géographique de la question. Enfin, l’analyse des motifs d’intervention et de contrôle pourrait également révéler des indices qualitatifs intéressants », juge-t-il.
Place Beauvau, on ne souhaite pas bouger sur la question des reçus, mais il est déjà entendu que le matricule va faire son retour sur les uniformes. La refonte du code de déontologie des policiers, qui est inchangé depuis 1986, devrait aboutir avant la fin de l’année. Un chapitre entier doit être consacré à la question des rapports avec la population et du discernement concernant les contrôles et les palpations. Le ministère travaille également à la révision des instructions générales d’emploi des brigades anticriminalité (BAC), des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie et des CRS. Elles devraient rappeler que le contrôle, bien qu’« utile », ne doit pas être « banalisé ».
- Lire également le communiqué commun des 8 organisations qui militent Pour la fin des contrôles d’identité illégitimes, publié en réaction au rapport du Défenseur des droits.