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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Le Royaume-Uni sommé d’indemniser les États des Caraïbes victimes de l’esclavage

Comme le rapporte Antoine Perraud dans Mediapart, le récent sommet du Commonwealth a mis en avant la question de la réparation du crime de l’esclavage. La BBC a révélé peu avant cette réunion un plan de justice réparatrice conçu par 14 États des Caraïbes réclamant notamment le paiement de 18 000 milliards de livres sterling, ce que le premier ministre travailliste Keir Starmer a immédiatement refusé. Une affaire qui évoque nécessairement celle de la dette française à l’égard d’Haïti.


Au Royaume-Uni, la question de l’esclavage fait tanguer Keir Starmer

Le roi Charles III aux Samoa avant le sommet du Commonwealth

Le premier ministre travailliste britannique est sommé d’envisager une indemnisation de l’esclavage par les pays des Caraïbes appartenant au Commonwealth. Mais Keir Starmer fait la sourde oreille, se mettant à dos à la fois les pays du Sud et sa gauche.

Par Antoine Perraud. Publié par Mediapart le 24 octobre 2024.

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Comment le gouvernement travailliste britannique peut-il encore échapper aux conséquences financières du travail de mémoire touchant à l’esclavage ? Tel est l’enjeu du sommet du Commonwealth qui s’ouvre vendredi 25 octobre aux îles Samoa, en Polynésie.

À la veille de cette réunion intergouvernementale impliquant 56 États, dont la plupart sont d’anciennes possessions du Royaume-Uni, la BBC a dévoilé un plan en faveur d’une « justice réparatrice » qu’entendent imposer les nations du Sud à l’ancienne métropole coloniale et concernant une indemnisation chiffrée de la traite : 18 000 milliards de livres sterling (21 500 milliards d’euros) , à verser à quatorze pays des Caraïbes.

Londres freine des quatre fers, n’ayant pu empêcher que le sujet soit évoqué. Le premier ministre de Sa Majesté, sir Keir Starmer, a d’ores et déjà signifié qu’aucune compensation n’était envisageable et que son gouvernement se voulait résolument « tourné vers l’avenir », citant la question du changement climatique, prioritaire à ses yeux.

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Le premier ministre britannique Keir Starmer lors du banquet d’État pendant la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth à Apia (Samoa), le 24 octobre 2024. © Photo Stefan Rousseau / Pool / AFP

Le projet de document rendu public par la BBC coupe l’herbe sous le pied d’un tel refus en soulignant la nécessité d’un « avenir commun fondé sur l’équité », grâce à des échanges « lucides, sincères et respectueux » au sujet de la justice réparatrice invoquée.

Le communiqué commun devrait mentionner « les expériences historiques partagées liées à ce commerce effroyable que fut l’esclavage et à la dépossession des populations autochtones ». Interrogé par la BBC, le ministre des affaires étrangères des Bahamas, Frederick Mitchell, a signifié que les mots ne suffisent plus. Tony Blair avait bien présenté des excuses en 2006, mais de telle façon que son propos eût valeur de solde de tout compte. Les paroles volent, reste l’argent à débourser, font valoir les pays du Commonwealth…

Le délitement annoncé du Commonwealth

« Ce n’est qu’une question de temps », a ainsi déclaré Frederick Mitchell, sûr de l’inéluctabilité d’un tel mouvement. Le ministre bahamien a rappelé que Keir Starmer était favorable au versement de compensations financières, lorsqu’il campait dans l’opposition. C’était un partisan de la justice réparatrice ; tout comme l’actuel responsable du Foreign Office, David Lammy, de parents venus du Guyana.

Dans une tribune publiée jeudi 24 octobre par le Guardian de Londres, l’historien barbadien Hilary Beckles, qui préside la Commission des réparations liées aux exactions de l’esclavage mise en place par les pays des Caraïbes, affirme avec force : « Corriger le monde au XXIe siècle est un impératif qui s’oppose à la promotion de la peur et des attitudes racistes persistantes. Il n’y a pas d’ennemis dans l’entreprise des réparations, seulement des partenaires en quête de développement mutuel et de justice pour tous. »

L’épineuse question intervient alors que se précise le délitement annoncé du Commonwealth, dont il se disait qu’il ne survivrait guère au décès de la souveraine Élisabeth II (1926-2022). L’héritage colonial dont entendent se délivrer une majorité de pays n’est-il pas lié à la couronne britannique ? C’est l’avis de la Barbade. Elle a entamé, dès 2021, une mue institutionnelle qui pourrait en faire une République. D’autres pays, comme la Jamaïque, connaissent un tel tropisme.

Le roi Charles III tente d’endiguer cette tendance centrifuge, comme l’illustre son récent voyage en Australie, juste avant sa venue aux îles Samoa. Néanmoins, reflet des sondages d’opinion (un tiers de la population australienne est favorable à la royauté, un tiers n’en a cure et un tiers préfère la République), le souverain eut à subir une désaffection doublée d’une contestation – incarnée en particulier par la sénatrice Lidia Thorpe, qui défend les droits des peuples aborigènes.

Toutefois, l’arbre de Buckingham ne saurait cacher la forêt travailliste. Keir Starmer s’ingénie en effet à se vouloir gardien quasiment néo-thatchérien de l’orthodoxie financière, quoi qu’il en coûte politiquement. À peine arrivé au pouvoir, le gouvernement travailliste mettait fin à une subvention énergétique capitale pour les retraités du royaume, dont certains ne pourront se chauffer cet hiver. La gauche anglaise se montrait ainsi d’une férocité sociale donnant aux conservateurs l’occasion de se montrer soudainement compassionnels, après quatorze ans de pouvoir sans pitié pour les plus pauvres…

Keir Starmer ne manque pas une occasion de manquer une occasion d’être de gauche. L’ancien chancelier de l’Échiquier du cabinet fantôme de Jeremy Corbyn, John McDonnell, qui incarne l’opposition progressiste et qui fut mis sur la touche du parti après avoir voté contre « le discours du Trône » en juillet, s’est à nouveau élevé contre le cours politique des choses.

Il a ainsi déclaré au quotidien The Independent : « Se pencher sur le passé esclavagiste n’est en rien une distraction qui nous éloigne de l’avenir mais au contraire la meilleure façon d’y faire face. Il est décevant au possible de voir un premier ministre et un ministre des affaires étrangères travaillistes se contenter de répéter, mot pour mot, les arguments politiques des conservateurs. »

Le fossé entre le Nord et le Sud

Non seulement le 10 Downing Street ne cesse de désespérer le peuple britannique alors qu’est embusquée l’extrême droite europhobe du royaume, avec à sa tête le démagogue Nigel Farage, mais encore ce gouvernement travailliste britannique élargit le fossé entre le Nord et le Sud, que la guerre à Gaza rend béant.

Refuser par avance que ce sommet du Commonwealth soit une société d’égaux, récuser la demande de justice réparatrice d’anciennes nations victimes de la traite transatlantique, voilà qui offre une occasion en or à la propagande du Kremlin sur « l’Occident collectif » versus « le Sud global ».

Et ce, alors que deux perles du Commonwealth, l’Inde et l’Afrique du Sud, ont choisi de s’afficher avec Vladimir Poutine qui accueillait à Kazan un sommet de 32 pays liés aux Brics, avec pour but avoué de structurer un nouvel ordre mondial « post-occidental ».

Les anciennes puissances coloniales européennes, qui traînent de surcroît le boulet de l’esclavagisme, font penser à ces émigrés de la noblesse française revenus après la Révolution, tels que les fustigea Talleyrand : « Ils n’ont rien appris, ni rien oublié ! »


Le cas de la France et d’Haïti

En 1825, le président d’Haïti Jean-Pierre Boyer acceptait, sous la menace d’une canonnière en rade de Port-au-Prince, que fût reconnue l’indépendance de son pays (proclamée en 1804), à condition de contracter une double dette, cumulant indemnisation des colons et remboursement des prêts – dont Haïti ne devait s’acquitter définitivement qu’au milieu du XXe siècle.

Dans un livre publié en 2022, Les Chaînes de la dette, Thomas Piketty rappelait en préface que les îles où la France a pratiqué l’esclavagisme – Haïti, la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion – se distinguent par la plus forte concentration d’esclaves connue de l’histoire humaine. Ils y formaient 90 % de la population, alors que dans le Nordeste brésilien, dans le sud des États-Unis, ou encore dans l’Antiquité (à Rome ou à Athènes), le chiffre ne montait pas au-delà de 40 %.

L’économiste s’appliquait de surcroît à calculer l’effet de la dette gigantesque imposée en 1825 à Haïti, correspondant à trois années de production (soit 300 % du PIB dirait-on ajourd’hui), à la suite du New York Times, selon lequel « les paiements à la France ont coûté à Haïti entre 21 et 115 milliards de dollars en perte de croissance économique ».

Rappelons que le projet de loi de Christiane Taubira de 1998, reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité, dans sa première mouture, recélait un article 5 qui prévoyait une commission de réparation ; avant que la majorité socialiste de l’époque s’y opposât…


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