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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Le rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie et la question de l’accès aux archives

Benjamin Stora a remis le 20 janvier au président de la République le rapport que celui-ci lui avait demandé « sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Il propose que la France fasse en faveur de la réconciliation des « gestes » dont nous reprenons la liste ci-dessous, d'après un article du Huffingtonpost. Nous publions aussi le lien pour lire le rapport. Celui-ci aborde aussi les questions liées à l'accès aux archives. Nous reproduisons à ce sujet les articles parus dans Le Monde et l'Humanité, ainsi que la chronique de Jean Lebrun sur France inter. Tous relèvent que les promesses faites par Emmanuel Macron en septembre 2018 sur l'ouverture des archives ont été contredites dans les faits. Et que le recours déposé au Conseil d'Etat lui demande de rétablir leur accès de plein droit conformément à la loi.

Les propositions du rapport de Benjamin Stora sur l’Algérie

par Romain Herreros, publié dans le Huffingtonpost le 20 janvier 2021 Source L’historien remet à Emmanuel Macron son rapport visant une « possible réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie ». Ce mercredi 20 janvier, l’historien Benjamin Stora remet à Emmanuel Macron son rapport « sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Un long document dans lequel le spécialiste explore les impasses qui ont mené à l’incompréhension de part et d’autre, et qui ont contribué à faire de cette période historique, un sujet particulièrement sensible en France comme en Algérie. « Pour les grands groupes porteurs de cette mémoire, comme les soldats, les pieds-noirs, les harkis ou les immigrés algériens en France, l’enjeu quelquefois n’est pas de comprendre ce qui s’est passé, “mais d’avoir eu raison dans le passé” », explique l’universitaire à qui le chef de l’État avait confié cette « mission de réflexion ».

« Passer à une mémoire commune »

Au-delà des constats expliquant les causes des nombreuses incompréhensions qui accompagnent cette période historique, Benjamin Stora propose une série de préconisations pouvant permettre « le passage d’une mémoire communautarisée à une mémoire commune ». Et parmi celles-ci, le refus de tomber dans l’excuse, comme l’attendent pourtant les autorités algériennes. « Plutôt que de “repentance”, la France devrait donc reconnaître les discriminations et exactions dont ont été victimes les populations algériennes : mettre en avant des faits précis. Car les excès d’une culture de repentance, ou les visions lénifiantes d’une histoire prisonnière des lobbys mémoriels, ne contribuent pas à apaiser la relation à notre passé », estime le spécialiste. Outre cet état d’esprit général, Benjamin Stora liste des « gestes » que la France pourrait mettre en place en faveur de la réconciliation. Panthéonisation de Gisèle Halimi (avocate de militants du FLN), programmes scolaires, reconnaissance d’assassinat… Voici ci-dessous, et en version simplifiée, les recommandations que l’historien a remises à Emmanuel Macron :

Les recommandations remises à Emmanuel Macron


1. La constitution d’une Commission « Mémoires et vérité » chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires (commémorations, recueil de témoignages, etc.) 2. Ajout d’un paragraphe dans le décret 2003-925 du 26 septembre 2003, spécialement dédié au souvenir et à l’œuvre des femmes et des hommes qui ont vécu dans des territoires autrefois français et qui ont cru devoir les quitter à la suite de leur accession à la souveraineté. 3. La construction d’une stèle, à Amboise, montrant le portrait de l’Emir Abdelkader, au moment du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022. Restitution de l’épée d’Abdelkader à l’Algérie. 4. La reconnaissance par la France de l’assassinat de Ali Boumendjel, avocat, ami de René Capitant, dirigeant politique du nationalisme algérien, assassiné pendant la « Bataille d’Alger » de 1957. 5. La publication d’un « Guide des disparus » de la guerre d’Algérie, disparus algériens et européens. 6. Identification des emplacements où furent inhumés les condamnés à mort exécutés pendant la guerre. 7. Poursuite du travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences ainsi que la pause des mines aux frontières. 8. Achèvement des travaux du comité mixte d’experts scientifiques algériens et français chargés d’étudier les restes humains de combattants algériens du XIXème siècle conservés au Muséum national d’Histoire naturelle. 9. Voir avec les autorités algériennes la possibilité de facilité de déplacement des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie. 10. Mise en place d’une commission mixte d’historiens français, et algériens, pour faire la lumière sur les enlèvements et assassinats d’Européens à Oran en juillet 1962. 11. Faire des quatre camps d’internement situés sur le territoire français des lieux de mémoire. 12. Encourager la préservation des cimetières européens en Algérie ainsi que les cimetières juifs. Financer l’entretien des tombes des soldats algériens musulmans « morts pour la France » entre 1954 et 1962 et enterrés en Algérie. 13. Reprise des travaux du groupe de travail conjoint sur les archives, constitué en 2013 à la suite de la visite du Président de la République en 2012. 14. Accès réciproque aux archives algériennes et françaises pour les historiens des deux pays afin de montrer la volonté de transparence du passé commun. 15. Augmentation de la durée du visa pour les chercheurs et facilitation des allers-retours entre les deux pays. 16. Favoriser la diffusion des travaux des historiens par la création d’une collection « franco-algérienne » dans une grande maison d’édition. 17. Création d’un fonds permettant la traduction du français vers l’arabe, et de l’arabe vers le français, d’œuvres littéraires, et à caractère historique. 18. Accorder, dans les programmes scolaires, plus de place à l’histoire de la France en Algérie. À côté d’une avancée récente – ne plus traiter de la guerre sans parler de la colonisation -, il convient de généraliser cet enseignement à l’ensemble des élèves (y compris dans les lycées professionnels). 19. Mise en place d’un Office Franco-Algérien de la Jeunesse, chargé principalement d’impulser les œuvres de jeunes créateurs. 20. Réactivation du projet de Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, prévu à Montpellier et abandonné en 2014. 21. Donner à des rues des noms de Français particulièrement méritants issus de territoires antérieurement placés sous la souveraineté de la France. 22. L’organisation, en 2021, d’un colloque international dédié au refus de la guerre d’Algérie par certaines grandes personnalités comme François Mauriac, Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, André Mandouze, Paul Ricoeur. 23. L’organisation en 2021 d’une exposition au Musée national de l’histoire de l’immigration, ou d’un colloque, sur les indépendances africaines. 24. L’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, grande figure féminine d’opposition à la guerre d’Algérie. 25. Création d’une commission franco-algérienne d’historiens chargée d’établir l’historique du canon « Bab Merzoug » ou « La Consulaire », et de formuler des propositions partagées quant à son avenir.

Lire le rapport de Benjamin Stora

Le rapport de Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie
À voir également sur le Huffingtonpost :
Macron et Castex n’ont pas la même approche
sur les causes du « séparatisme »





Mémoire franco-algérienne :
les deux fronts de la bataille des archives

par Yves Bordenave et Frédéric Bobin, publié dans Le Monde le 21 janvier 2021 Alors qu’Alger réclame la « restitution intégrale » des documents rapatriés dans l’Hexagone en 1962, Paris est en butte à la grogne des historiens se plaignant d’entraves grandissantes au nom du secret-défense. Les archives, dossier miné. Immanquablement, la mémoire franco-algérienne bute sur cet obstacle, source de toutes les crispations. Le contentieux englobe deux litiges de nature différente – diplomatique et scientifique –, qui se croisent sans se recouper. Le premier, qui touche à la propriété des archives, n’a cessé de s’inviter dans la relation bilatérale avec une Algérie réclamant la « restitution » de documents qu’elle estime siens. Le second, qui renvoie à l’accessibilité de ces archives, nourrit des tensions récurrentes entre chaque Etat et les historiens, entravés dans leurs recherches par de pesants impératifs de confidentialité. Dans le cas français, la polémique fait rage, alors qu’une application de plus en plus sourcilleuse du secret-défense contredit les déclarations officielles sur une plus ample « ouverture » des archives de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Quand la France quitte l’Algérie, en 1962, elle rapatrie en métropole environ 10 kilomètres linéaires de documents, pour l’essentiel entreposés aux Archives nationales d’outre-mer (Anom), à Aix-en-Provence, en vertu d’une partition s’inspirant du précédent de la fin de l’Indochine française. Selon cette règle, Paris conserve en sa possession les archives dites de « souveraineté » (politiques et régaliennes), tandis que sont laissées au nouvel Etat les archives dites de « gestion » (cadastre, fiscalité, informations relatives à l’économie, aux infrastructures, à l’urbanisme, à la santé, à l’éducation, etc.). Des restitutions à Alger ont été opérées dans un second temps. Ainsi des archives dites « ottomanes » (datant d’avant la conquête de 1830) que la France avait récupérées « par mesure de sécurité » et pour leur « grand intérêt historique », mais en violation de l’esprit de la partition dont elle se réclamait. Ces fonds seront remis aux Algériens en plusieurs vagues (1967, 1975, 1981 et 2001). En outre, Paris a rétrocédé en 1981 et en 1985 des segments d’archives de « gestion » (travaux hydrauliques, travaux publics), rapatriées par erreur dans la confusion entourant son départ d’Algérie.

Revendication de principe

Pour le gouvernement algérien, ces restitutions demeurent très insuffisantes. Car il récuse le bien-fondé du diptyque souveraineté-gestion imposé par les Français, qui ne revêt à ses yeux aucune valeur juridique. Alger se réclame en effet de la convention de Genève de 1983, qui stipule en substance que les archives nées sur un territoire doivent rester sur place après l’indépendance. En conséquence, les Algériens réclament la « restitution intégrale des originaux » des documents continuant de leur échapper, à savoir les archives de « souveraineté » rapatriées en France. Le directeur des archives algériennes, Abdelmadjid Chikhi, a admis dans un entretien au Monde que des documents relevant de la « sécurité de la France dans le monde » pouvaient éventuellement faire l’objet d’une discussion « au cas par cas », mais sans transiger pour le reste des archives. A la revendication de principe d’Alger, Paris objecte que la convention de Genève de 1983 ne peut être appliquée, car elle n’a pas été à ce jour ratifiée par le nombre requis de quinze Etats. Et que ces archives liées à la « souveraineté » française en Algérie ont été versées au « domaine public mobilier de l’Etat » et sont à ce titre « inaliénables », donc incessibles. Seul un vote du Parlement validant leur déclassement rendrait possible une restitution, ainsi que cela a été fait en 2010 pour des têtes maories au profit de la Nouvelle-Zélande et, plus récemment, pour des biens culturels au profit du Bénin et du Sénégal. Paris ne semble toutefois guère prêt à faire ce geste en matière d’archives au profit d’Alger – et ce, d’autant que nombre de chercheurs craignent que ces fonds ne basculent dans l’opacité d’un régime autoritaire où la liberté académique n’est pas spécialement florissante. Une solution de compromis consisterait dès lors à organiser le partage de documents numérisés, mais Alger s’accroche à l’exigence de principe d’une récupération des originaux. Le dialogue de sourds se poursuit depuis des années. En sus de cette pression diplomatique algérienne, Paris doit affronter la grogne des milieux de la recherche en France même. En septembre 2018, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), lors de sa visite chez Josette Audin, veuve du mathématicien Maurice Audin, disparu en 1957 à Alger après avoir été torturé par les parachutistes du général Massu, Emmanuel Macron avait formulé une promesse : l’ouverture des archives au grand jour, notamment celles concernant la guerre d’Algérie.
Dans les sous-sols du Centre de consultation des Archives Nationales à Paris en 1989 © Getty / Jérôme CHATIN
Dans les sous-sols du Centre de consultation des Archives Nationales à Paris en 1989 © Getty / Jérôme CHATIN
Deux ans après cette annonce, archivistes, historiens et associations ne dissimulent pas leur déception. Contrairement aux engagements du chef de l’Etat, l’accès à ces documents est devenu plus difficile qu’il ne l’était auparavant.

Libre consultation après cinquante ans

En cause, une circulaire émise début 2020 par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) – un organisme dépendant de Matignon –, exigeant des différents services d’archives une application pointilleuse d’une instruction générale interministérielle (IGI) datant de 2011. Celle-ci vise à interdire l’examen de documents frappés du tampon secret-défense, quelle que soit leur ancienneté. Jusqu’au début de 2020, les services d’archives faisaient peu de cas de cet arrêté, s’appuyant sur la loi de juillet 2008 – inscrite dans le code du patrimoine –, qui permet la libre consultation des archives dès lors que celles-ci concernent des faits vieux de plus de cinquante ans. Selon le SGDSN, ces pièces doivent désormais être « déclassifiées » une à une par l’organisme administratif (police, armée…) qui y a limité l’accès avant que leur libre consultation ne soit autorisée. Une procédure particulièrement lourde, qui provoque une embolie du système, tant les demandes de déclassification affluent dans les services d’archives. Le litige avec les services de Matignon est tel que, le 23 septembre 2020, un collectif a déposé une première requête auprès du Conseil d’Etat contre l’IGI de 2011. Suivie d’une autre, déposée le 15 janvier, après que, le 15 novembre 2020, un nouvel arrêté publié au Journal officiel a prévu la possibilité que les archives soient classifiées « secret défense » a posteriori sans aucune limite temporelle. Disposition qui pourrait entrer en vigueur le 1er juillet. Pour ce collectif, constitué d’archivistes, d’historiens et d’associations, cet arrêté s’oppose à la loi du 15 juillet 2008. « L’instruction générale est-elle plus forte que la loi ? », interroge Noé Wagener, professeur de droit public, auteur du recours. Selon les requérants, le code du patrimoine défini par la loi de 2008 dispose que, « passé le délai de cinquante années, les documents susceptibles de porter atteinte au secret de la défense nationale deviennent communicables “de plein droit” » et que l’administration « ne peut intercaler aucune formalité ou procédure qui ajouterait une condition non prévue par le texte ».

Actes répréhensibles

Faut-il voir, dans l’instruction de 2011 et dans la circulaire de début 2020, la volonté de contourner la loi afin de contrôler l’accès à des archives susceptibles de mettre au jour des actes répréhensibles commis par certaines institutions ? Le collectif le suspecte fortement, qui dénonce le comportement de l’armée. Laquelle, selon de nombreux spécialistes de la guerre d’Algérie, redoute que soient dévoilés des documents révélateurs de pratiques illégales, voire criminelles, dont elle se serait rendue coupable entre 1954 et 1962. Depuis plusieurs mois, les responsables du service des Archives nationales, qui dépend du ministère de la culture, cherchent un compromis. Plutôt que de déclassifier les documents pièce par pièce, comme cela se fait depuis janvier, une déclassification carton par carton pourrait être mise en œuvre, afin d’accélérer le processus. Une solution que rejettent archivistes et historiens, qui réclament la libre consultation des archives de plus de cinquante ans.



La chronique de Jean Lebrun « Archives sensibles »
sur France inter le 19 janvier 2021

Ecouter ou lire la chronique




Dessin de Dilem dans le quotidien algérien
Dessin de Dilem dans le quotidien algérien
Ce dessin de Dilem montre un Emmanuel Macron effrayé par les conséquences de sa propre demande. Que va-t-il retenir du rapport ? Le Tweet envoyé par l’AFP le 20 janvier se faisant écho des premières réactions de la présidence de la République — « Des “actes symboliques” sont prévus mais “ni repentance, ni excuses” à la suite de la remise d’un rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie par l’historien Benjamin Stora à Emmanuel Macron, a indiqué l’Elysée » — laisse présager une reprise très partielle du rapport, accompagnée… — « en même temps… » — de propos qui donneraient des gages aux nostalgiques de la colonisation. A suivre de près…
A lire, par ailleurs, sur Mediapart, l’article de Rachida El Azzouzi, « France-Algérie : le rapport Stora privilégie une commission “Mémoire et vérité” à des excuses officielles ». [/histoirecoloniale.net/]


À vif

par Maud Vergnol, éditorial de l’Humanité du 20 Janvier 2021 Le temps a beau faire son œuvre, les plaies restent ouvertes. Prononcez « guerre d’Algérie » dans le débat public, débarquera sans tarder l’armada des nostalgériques vantant les « bienfaits de la colonisation », aveugles au racisme systémique qui y a puisé ses racines. En 2017, Emmanuel Macron affirme que « la colonisation est un crime contre l’humanité », déclenchant l’ire de ses complices d’aujourd’hui. «  Honte à Macron, qui insulte la France à l’étranger ! » s’insurge alors un certain… Gérald Darmanin. Oui, la colonisation est une « négation de la civilisation », comme l’affirmait Césaire. « On me lance à la tête des statistiques, des kilométrages de routes…, écrivait-il. Moi, je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. » Alors comment ne pas saluer le rapport commandé par l’Élysée à l’historien Benjamin Stora, qui sera remis officiellement aujourd’hui et s’inscrit « dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien » ? Trop longtemps l’État a cherché à enfouir la vérité sur les crimes perpétrés par l’armée française. Des milliers de familles algériennes ne retrouveront jamais les corps de leurs « disparus ». Toute une génération d’appelés s’est murée dans le silence et la honte avant que les langues ne se délient et que la vérité finisse par s’imposer. C’est le sens du combat pour Maurice Audin mené pendant plus de soixante ans dans nos colonnes. La reconnaissance, enfin, en septembre 2018, de ce crime d’État et de l’usage institutionnalisé de la torture a nourri des espoirs, vite refroidis. En effet, loin des projecteurs, une récente instruction interministérielle entrave l’accès aux documents « secret-défense ». Dans la plus grande indifférence, les travaux universitaires sur certaines périodes sensibles sont à l’arrêt. Alors, Monsieur le Président, si vous voulez vraiment « apaiser » les mémoires, laissez les historiens travailler ! C’est la condition indispensable pour que la France examine sereinement son passé.




[POUR SOUTENIR LE RECOURS DEPOSE
SIGNER ET FAIRE CIRCULER LA PETITION
qui a dépassé en quelques mois plus de dix-huit mille signatures/rouge]




L’ouverture des archives,
un engagement renié d’Emmanuel Macron

par Jérôme Skalski, dans l’Humanité du 20 Janvier 2021

Loin des souhaits exprimés par le président en 2018, une nouvelle instruction interministérielle, l’IGI 1300, publiée en catimini, entrave un peu plus la consultation des documents estampillés « secret-défense ». L’association Josette-et-Maurice-Audin, des collectifs d’archivistes et des historiens saisissent à nouveau le Conseil d’État pour obtenir son annulation. La déclaration d’Emmanuel Macron en septembre 2018 reconnaissant la responsabilité de l’État dans la disparition et la mort de Maurice Audin, jeune mathématicien communiste, torturé et assassiné par l’armée française pendant la bataille d’Alger, avait été accueillie avec de fortes attentes par les citoyens impliqués depuis des décennies pour la levée de la chape de plomb qui recouvrait sa disparition ainsi que celles de milliers d’autres militants indépendantistes pendant la guerre d’Algérie. Ils avaient été d’autant plus encouragés en ce sens que le président de la République, par cet acte historique qui reconnaissait en outre l’existence d’un « système » légalement institué pour organiser torture, enlèvements et disparitions, avait tenu à remettre cette déclaration en main propre à Josette Audin, veuve du membre du Parti communiste algérien et militant en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Une page de plus de soixante ans de silence semblait avoir été tournée, qui devait ouvrir une nouvelle ère de « vérité » sur cette période, la déclaration présidentielle stipulant explicitement le souhait « que toutes les archives de l’État qui concernent les disparus de la guerre d’Algérie puissent être librement consultées et qu’une dérogation générale soit instituée en ce sens ».

Une classification « fixée de manière arbitraire »

Trois ans plus tard et deux ans après la disparition de Josette Audin, c’est un nouveau mur qui est érigé autour des archives concernant la guerre d’Algérie, mais aussi sur d’autres sujets sensibles comme l’Occupation. Depuis le mois de janvier 2020, l’instruction générale interministérielle n° 1300 – IGI 1300 – rend quasi inaccessibles, totalement ou partiellement, des fonds d’archives essentiels pour les historiens. Un recours devant le Conseil d’État avait été déposé, en septembre dernier, par l’Association des archivistes français, l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’Association Josette-et-Maurice-Audin, ainsi qu’un collectif d’archivistes, de juristes et d’historiens en vue de constater l’illégalité de cette disposition. Un nouveau recours vient d’être engagé le 15 janvier par les mêmes protagonistes pour dénoncer la nouvelle version de l’IGI 1300 publiée mi-novembre, qui, loin de répondre à leurs inquiétudes, empire la situation. Elle fixe en effet « de manière arbitraire le périmètre du secret-défense en imposant la date de mars 1934 » et « produit une catégorie d’archives non communicables, au mépris de la loi », selon les termes employés par leur communiqué de presse du 17 janvier. « Cette instruction produit une situation aberrante et vient entraver toujours plus l’accès aux archives », explique l’historienne Raphaëlle Branche. « La nouvelle version de l’IGI 1300 prévoit dorénavant la possibilité que des archives soient classifiées “secret-défense” a posteriori sans limite temporelle ni justification », précise la professeure d’histoire contemporaine à l’université de Paris-Nanterre. « Concrètement mes élèves, mes doctorants ne peuvent plus travailler depuis un an. Mes projets de recherche, je suis obligée de les suspendre. J’ai travaillé très longtemps sous système dérogatoire, aujourd’hui, c’est pire encore. » La loi prévoit pourtant que les archives publiques dont la communication porterait atteinte au secret de la Défense nationale deviennent communicables après un délai de cinquante ans.

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