Recruté par Larbi Ben M’Hidi,
le docteur Georges Counillon, premier médecin au maquis des Aurès
Le jeune médecin algérien communiste, Georges Counillon, né en 1927, psychiatre à l’hôpital psychiatrique de Blida (HPB) depuis l’été 1954 dans l’équipe médicale du docteur Frantz Fanon, et qui était prêt, comme lui, à s’engager dès son déclenchement dans la lutte armée, fut recruté, au début de l’été 1955, par Larbi Ben M’Hidi, un des six premiers dirigeants du FLN-ALN, pour organiser un hôpital au maquis des Aurès pour soigner les moudjahidine blessés au combat.
Il a répondu à l’appel que le dirigeant du FLN-ALN avait adressé au parti communiste algérien (PCA) pour l’aider à trouver des médecins1, abandonnant le poste qu’il occupait depuis un an au service dirigé par Frantz Fanon.
1955-1957 : la participation du parti communiste algérien à la lutte armée d’indépendance et le rôle de Maurice Audin,
par Sadek Hadjerès
Un enfant de l’Algérie
Georges Counillon était d’une famille d’enseignants. Il est est né à Détrie (Sidi Lahssen), situé dans l’ouest de l’Algérie, à six kilomètres au sud-ouest de Sidi Bel Abbès, devenue ville de garnison2, un village de colonisation d’exploitation agricole où dominaient les immigrés européens. Son grand-père fut maire de ce village. Son père, Pierre Counillon, descendant d’immigrés venus d’Alsace-Lorraine à partir de 1872, né le 19 novembre 1896 à Détrie, était professeur d’arabe depuis l’âge de 27 ans, en 19233, à l’Ecole primaire supérieure (EPS) de Sidi Bel Abbès (actuel collège Larbi Ben M’hidi), dont les élèves étaient presque tous des enfants d’européens4. Sa mère était institutrice à Détrie.
En 1928, à la faveur d’un mouvement du personnel enseignant, son père est nommé professeur d’arabe à Alger, à l’EPS de Maison-Carrée (actuel lycée Abane Ramdane) et sa mère est nommée institutrice à l’école du Champ de manœuvres. Il suit des études primaires à l’école de la rue Daguerre (actuelle rue d’El Biar), au centre d’Alger, où sa mère a été mutée. Son père enseigne alors de 1933 à 1937 à l’EPS du Champ de manœuvres (actuel lycée El Idrissi). En 1937, Georges Counillon — qui a un frère aîné, Pierre-Frédérik, né le 6 juillet 1922 à Sidi Bel Abbès5 — entre en classe de sixième au Grand lycée d’Alger6 où son père commence une carrière de professeur agrégé d’arabe7. Suite au bombardement du lycée par les Allemands, en novembre 1942, il termine ses études secondaires au collège moderne de la rue Lazerges (actuel lycée Frantz Fanon), à Bab el Oued (quartier d’El Kettani).
Sa mère, devenue directrice d’école maternelle à Bab el Oued, où elle avait eu Josette Audin comme élève en 1936, s’occupe seule de l’éducation de ses fils après le départ du père, en 1941, pour la ville de Rabat, au Maroc, où il enseignera l’arabe à l’Institut des hautes études marocaines jusqu’en 1946, date de son retour en Algérie.
En 1944, Georges Counillon entre à la Faculté de médecine d’Alger. Il milite avec Maurice et Josette Audin, les frères Timsit, Yves Lacoste, Georges Hadjadj, Sadek Hadjerès, Salah Mohand Saïd, Hamid Gherab, à la cellule des étudiants communistes (cellule Paul Langevin, dont le local était situé à la rue Négrier, derrière la rue d’Isly). Il participe à la rédaction et à la diffusion du journal de la cellule, L’Etudiant communiste.
Il s’est rendu, pour une spécialité en psychiatrie, à la faculté de médecine de Lyon (ville où séjourne fréquemment son frère aîné, Pierre-Frédérik, romancier). A l’hôpital de cette ville universitaire, il rencontra Frantz Fanon (témoignage du docteur Alice Cherki) qui avait suivi l’enseignement du docteur François Tosquelles sur les méthodes de sociothérapie pratiquées à l’hôpital Saint Alban.
Il serait revenu à Alger en 1953 pour poursuivre ses études à la Faculté de médecine d’Alger. Il habite alors à Alger, près de l’Université, au 24 rue de Nîmes (m’a dit Josette Audin qui habitait l’immeuble d’à côté, au n° 22).
Il est ensuite interne à l’hôpital psychiatrique de Blida (HPB) où il retrouve le docteur Frantz Fanon comme chef de division qui applique les méthodes de sociothérapie contre la psychiatrie coloniale. A Blida, où il vécut une année, il milita au PCA (m’ont dit Bachir Korchi et Mohamed Kerrouche) et fit partie du réseau local des Combattants de la libération (CDL), la branche armée du PCA. Il était marié à une institutrice et père d’un enfant. A la fin de l’année 1955, il quitte l’hôpital pour le maquis des Aurès (m’a dit mon oncle Ali Longo, son camarade de Parti). Il était passé par Constantine puis par Batna pour rejoindre le maquis par la filière de l’ALN.
De l’Hôpital psychiatrique de Blida au maquis des Aurès
Malheureusement, le docteur Georges Counillon ne put accomplir sa mission. Il fut assassiné (égorgé) peu de temps après son arrivée au maquis.
Comme le souligne Mansour R. dans son ouvrage Les maquisards : pages du maquis des Aurès, la guerre de libération, la situation était confuse dans la Wilaya des Aurès : « Il [le docteur Mahmoud Atsaména qui avait rejoint le maquis en 1957] qualifie la Wilaya I de wilaya insupportable en raison du climat de confusion qui y régnait ».
Le docteur Georges Counillon, bien qu’envoyé par Larbi Ben M’Hidi, fut victime de ce climat, m’a dit l’écrivain Tahar Ouettar, auteur du roman L’As, au cours d’un entretien qu’il m’a accordé quelques mois avant sa mort. La situation de troubles tribaux qui régnait dans les Aurès a été décrite par Tahar Zbiri dans son livre autobiographique.
Georges Counillon, ne fut pas le seul à être assassiné par ses compagnons d’armes. Ses camarades du PCA-CDL, le bâtonnier Laïd Lamrani, Roland Siméon, Georges Raffini, Abdelkader Belkhodja, et André Martinez connurent la même mort atroce 8.
La mort des cinq patriotes, victimes de l’injustice d’un chef autoritaire
Il est mort en même temps que Maître Laïd Lamrani, bâtonnier de Batna, Georges Raffini, Abdelkader Belkhodja, André Martinez et Roland Siméon, tous assassinés (égorgés) pour avoir refusé d’abjurer leurs convictions communistes, comme il le refusa lui-même.
Dans Les Tamiseurs de sable, le docteur Mohamed-Larbi Madaci, qui a recueilli le témoignage d’Adjoul, chef, un temps, du maquis des Aurés, (« Adjoul m’a affirmé » écrit-il) donne des éléments d’information. Dans un entretien, il m’a confirmé ses propos.
« C’est vers la première semaine de novembre 1955 que Laïd Lamrani et un camarade européen quittent Batna. Grâce à la filière clandestine du FLN, ils sont dirigés vers le PC régional de Ouistili où ils s’arrêtent quelques jours. Ils y séjournent en compagnie de Lamouri, Omar Ben Boulaïd, un certain Amor le peintre. Ils mangent chez Salah Idara qui, un jour, revient tout joyeux de Batna, le journal du jour à la main : Mostefa s’est évadé !
[…] Les deux communistes sont ensuite conduits par Ali Benchaïba au mont Ahmar Khaddou, puis à S’Raa El-Hammam. […] A S’Raa El-Hammam, Adjoul les accueille en hôtes de marque. […] Mostefa Ben Boulaïd, (retourné au maquis après son évasion de la prison de Constantine) exige de Lamrani qu’il abjure formellement le Parti communiste … (« ”Communiste je suis, communiste je resterai jusqu’à la mort”, avait dit auparavant Laïd Lamrani ». C’est ce qu’aurait dit aussi leur camarade, le docteur Georges Counillon.
Mohamed-Larbi Madaci écrit plus loin : « Celui-ci (il s’agit de Mostefa Ben Boulaid) donne l’ordre à Adjoul de procéder à l’exécution. Bicha, qui a assisté à l’exécution, raconte : Les deux communistes ont été tués à Ksar Ouled Aïssa, tôt dans la matinée. »
Sur cet épisode, Mohamed-Larbi Madaci a ainsi recueilli les témoignages d’Adjoul et de Bicha.
Mostefa Ben Boulaid et Laïd Lamrani, tous deux originaires des Aurès, se connaissaient bien avant le déclenchement de l’insurrection. Le 4 novembre 1954, à Ouled Si Amrane, Mostefa Ben Boulaïd, accompagnés de deux autres chefs du FLN, avait rencontré Laïd Lamrani, dans la plus stricte clandestinité. L’échange fut amical entre les deux militants du mouvement national.
L’historienne Ouarda Ouanassa Siari Tengour m’a confirmé qu’il n’y avait pas de médecin au maquis des Aurès avant l’arrivée du docteur Georges Counillon en 1955. Le docteur Mahmoud Atsamena est arrivé au maquis en 1957, après la disparition tragique de son confrère.
Le docteur Georges Counillon et ses cinq compagnons sont morts sans sépulture.
Laïd Lamrani
par René Gallissot, dans Le Maitron, Algérie.
Né le 3 novembre 1914 à Batna, probablement exécuté au maquis à la fin de 1955 ; avocat à Batna ; membre du comité central du PCA en 1949 ; candidat du PCA aux diverses élections jusqu’en avril 1955 ; en liaison avec les maquisards de l’Aurès organisés par Mostefa Ben Boulaïd, rejoignant l’ALN en juillet 1955.
La mère, Aicha Sisbane, de famille notable de la région des oasis et de Biskra, a pour frère, Me Sisbane, lui aussi avocat à Batna, délégué financier et personnalité importante de la Fédération des élus. Du côté paternel, une certaine aisance de bourgeoisie commerçante musulmane permet au fils aîné d’aller au lycée de Constantine et de s’inscrire à la faculté de droit d’Alger, puis de Toulouse, pour obtenir la licence en droit qui ouvre la profession d’avocat. Étudiant en France, Laïd Lamrani aurait rejoint les Jeunesses communistes dans l’après Front populaire.
Il est mobilisé à deux reprises en 1939-1940 et, après le débarquement allié à Alger de novembre 1942, dans l’armée française d’Afrique du Nord qui participe aux campagnes de la libération de la France. Il revient à Batna, décoré de la Croix de guerre, pour ouvrir un cabinet d’avocat en 1945. Il prend pour clerc, Kaddour Belkhoja9, un militant communiste très actif.
Dans ce moment d’exaltation de La France combattante qui fait taire la droite coloniale qui avait collaboré avec le régime de Vichy, il est élu bâtonnier de l’ordre des avocats de Batna. Il est soutenu par son collègue avocat, membre de la SFIO, qui vient d’une famille juive locale, les Guedj. Tous les autres avocats sont « européens ». Il est certes respecté comme avocat ; surtout il acquiert la réputation d’être « l’avocat des pauvres ».
Membre du PCA et rapidement promu secrétaire de la section de la ville, il se consacre à la défense des paysans, métayers et ouvriers agricoles en compagnie des frères Debabèche et de Maurice Laban qui conduisent les luttes sur les oasis autour de Biskra, et quand sévit la revanche coloniale, contre le tout puissant bachaga Bengana, homme lige de l’administration coloniale. L’avocat intervient dans les affaires de concussion de caïds et de colons.
Il est aussi le candidat communiste prenant la parole dans toute la région, du massif des Aurès aux Territoires du Sud encore sous administration militaire. Avec Mohammed Guerrouf, Maurice Laban et le vétéran Mekki Chebbah, agitateur, bête noire des autorités, il prend part très activement, aidé par son prestige, au développement des groupes communistes de paysans, en particulier dans les vallées de l’Aurès où ils vont dépasser le millier d’adhérents.
Au congrès de 1949 du PCA, il est porté au comité central alors que Maurice Laban, élu forcé depuis la salle en 1947, n’est pas reconduit. Certes Laban est communément jugé insupportable par ses apostrophes contre les dirigeants, tandis que l’avocat Laïd Lamrani fait honneur au parti. Cependant, l’étiquette de « déviation nationaliste » qui s’attache à Maurice Laban depuis le temps du Manifeste d’appel à l’indépendance du PCA clandestin en 1940-1941 et ressort périodiquement, s’étend au groupe des communistes des oasis et de l’Aurès, comprenant donc Laïd Lamrani et Mekki Chebbah. Tous deux sont cités par la Commission d’enquête qui conclut à un blâme prononcé par la direction du PCA en juillet 1953 pour « esprit de groupe », mais leur nom n’apparaît pas dans la presse du PCA. C’est Maurice Laban qui en est à son deuxième blâme, qui est vilipendé et mis à l’écart.
Très tôt, Laïd Lamrani pense que l’impasse de politique coloniale française, verrouillée par les fraudes électorales et la répression accablante, ne laissera d’autre choix que la lutte armée. Des anciens de l’OS (organisation spéciale du MTLD), organisée dans l’Aurès par Mostafa Ben Boulaïd, se retrouvent dans les groupes paysans et repartent au maquis. Laïd Lamrani se montre loyal vis à vis de la direction du PCA à Alger en participant encore à la campagne des élections cantonales en avril 1955. Dans un meeting, il fait applaudir le nouveau secrétaire du PCA, Ahmed Akkache qui en appelle à la lutte armée. Le bureau politique ne cesse ses discussions internes sur la place du PCA qui ne saurait se dissoudre et sur le ralliement à l’ALN et au FLN qui ne peut se faire qu’en tant que parti.
Son camarade Mohammed Guerrouf, également membre du comité central et qui a les contacts avec les paysans maquisards, est arrêté en février 1955. Interdit de séjour dans le Constantinois après la campagne électorale, Laïd Lamrani passe à la clandestinité. Son jeune frère, Abdelhamid Lamrani, est le secrétaire et l’adjoint immédiat du chef militaire de l’ALN dans l’Aurès qui est Mostafa Ben Boulaïd. Laïd Lamrani entre en relations directes.
Il fait rapport de ces contacts à une réunion du comité central à Alger. Les dirigeants du PCA se prononcent contre la montée au maquis de Maurice Laban, laissant, semble-t-il, aux décisions individuelles, des ralliements qui n’impliquent donc pas le parti. En juillet, Laïd Lamrani gagne le maquis, rejoint notamment depuis Constantine par Georges Raffini, cet autre ancien des Brigades internationales. Mostafa Ben Boulaïd a été capturé au printemps 1955. Il s’évade le 10 novembre pour revenir reprendre le commandement des maquisards de l’Aurès partagés en son absence par des querelles de chefs et peut-être embrigadés par des chefs de bande manipulés.
Dénonçant « la collusion du Parti communiste et du terrorisme », La Dépêche de Constantine du 24 décembre 1955 annonce à grand fracas la mort de Me Lamrani et de « l’ancien instituteur Maurice Laban », « tombés » au cours d’un combat dit de Bouyakadane ; ils avaient ralliés « les hors-la-loi » ; ils auraient été abattus par « le chef de bande Kerbaddou », désigné par ailleurs comme « européen », qui, lui, blessé et fait prisonnier, aurait fait le récit de l’accrochage.
On sait que Maurice Laban n’était pas là, mais est tué plus tard au maquis des Combattants de la libération. Laïd Lamrani et Georges Raffini ont bien disparu depuis cette fin d’année 1955. Ont-ils été exécutés au maquis ou entre bandes mal contrôlées, et comme communistes ? Pour contredire cette version, continuateur du PCA, le PAGS ne cessera de répéter, comme encore le numéro du 15 octobre 1979 dans son journal Saout el Chaab (La voix du peuple), pour faire de Laïd Lamrani son héros : « Dans l’ALN, il se bat les armes à la main et tombera en martyr de l’indépendance et du socialisme ».
Ci-contre Georges Counillon (à gauche) et Frantz Fanon (à droite). Entre eux, deux membres de l’équipe de l’hôpital psychiatrique de Blida.
- Source : Socialgérie, témoignage de Sadek Hadjerès : « Il (Georges Counillon) était monté au maquis des Aurès dés l’été 1955 parce que l’ALN, Larbi Ben M’Hidi me l’avait dit et demandé, avait un besoin pressant en médecins. » (« Frantz Fanon international. La pensée de Frantz Fanon »).
- Source : Site Gallica.
- Source site Gallica.
- Source : site Les Arabisants et la France coloniale. Annexes 2. Partie Algérie-Sidi Bel Abbès.
- Source Wikipédia
- Le Grand lycée d’Alger fut baptisé en 1941 du nom du maréchal Bugeaud. Il a pris le nom d’Emir Abdelkader à l’indépendance.
- L’arabe était considéré comme langue étrangère. Comme première langue, les élèves avaient le choix entre l’arabe et les autres langues étrangères telles que l’anglais. Les élèves européens qui portaient leur choix sur la langue arabe étaient très peu nombreux.
- Sur la « purge anticommuniste dans les maquis de l’Aurès » de l’été 1955, voir notamment le livre de référence d’Alain Ruscio, Les Communistes et l’Algérie. Des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962, La Découverte, Paris, 2019, chapitre 15 : « Le PCA en 1956 : les grands engagements ».
- Voir la notice dans le Maitron. Algérie.