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Édition du 1er au 15 octobre 2024

En septembre prochain, l’indépendance enfin déclarée ? par Anne Tristan

En 1853, l’amiral Despointes, plante sur Grande terre le drapeau impérial au nom de Napoléon III. En 2024 le Président Macron cherche à maintenir à tout prix la Kanaky/Nouvelle Calédonie dans la France

En mai 2024, Daniel Goa président de l’Union calédonienne a déclaré : « la proclamation de l’indépendance se fera le 24 septembre prochain ».

Pourquoi cette date ? Parce que ce sera le 171e anniversaire de la colonisation française. Ce jour-là de 1853, l’amiral Despointes, plante sur Grande terre le drapeau impérial au nom de Napoléon III. La Nouvelle-Calédonie devient une colonie de peuplement : les terres des clans kanak sont accaparées par l’administration française qui les fait exploiter par les prisonniers politiques ou de droit commun déportés de métropole. La résistance des clans kanak ne commence pas dès l’arrivée des nouveaux venus, mais quand le colonisateur impose l’introduction d’un système marchand, et du travail forcé. La rébellion touche en premier ceux des chefs kanak qui pactisent avec les colons. Les révoltes locales se multiplient dans la deuxième moitié des années 1850. En 1857 un vieil homme de Païta disait déjà : « Bientôt c’en sera fini de notre race, car ces hommes pauvres volent notre patrimoine ils prennent nos terres, ils prennent nos femmes. Mieux vaux résister tant qu’il est en encore temps ». Ainsi l’angoisse de l’effacement hante les clans du peuple kanak, dès la seconde moitié du 19e siècle, la lutte démarre en même temps. 1878, Ataï, un chef de Grande Terre lance une grande insurrection… violemment réprimée. Ataï est tué, sa dépouille décapitée et sa tête emportée à Paris, où elle est restée conservée au Museum d’histoire naturelle jusqu’en 2014 quand un gouvernement a enfin accédé à la demande de retour maintes fois présentée ! Une deuxième grande révolte se produit en 1917, au même moment des Kanak sont envoyés dans les tranchées européennes. L’après Première Guerre mondiale ne modifie pas l’ordre colonial : certes, des Kanak anciens combattants accèdent à la citoyenneté française en 1932, mais tous les hommes valides continuent de devoir fournir 12 jours de corvées obligatoire par an. Enfin ignominie supplémentaire : des Kanak sont envoyés à Paris pour être « montrés» lors de l’exposition coloniale à la porte dorée. Le seul point de lumière de cette période est un renouveau démographique kanak… Des avancées démocratiques surviennent après la Seconde guerre mondiale. La Nouvelle-Calédonie est libérée de l’occupation japonaise en partie par les Américains ; la France change de Constitution. Conséquence : le statut de l’indigénat est aboli, les Kanak accèdent aux droits démocratiques … sur le papier. La croissance économique liée à la reconstruction de l’Europe relance l’exploitation du Nickel. Des Kanak sont embauchés. L’expérience de la condition ouvrière, des luttes syndicales entraînent une génération nouvelle de militants… Le premier parti créé est communiste. D’autres suivent, issus des milieux protestants et catholiques : ils sont aux origines de l’Union Calédonienne créé en 1951. D’autres partis apparaissent suite à des scissions de l’UC : l’UPM, le FULK. De leur côté, les Foulards rouges (dont est issu le PALIKA) voient le jour dans le contexte international de l’année 1968.… De cette vitalité politique sort en 1979 un Front indépendantiste, augmenté par la suite d’un syndicat l’USTKE et débouchant finalement sur la création en 1984 du FLNKS. Ce dernier déclenche aussitôt une nouvelle insurrection par refus du dernier aménagement du statut colonial ; il exige la reconnaissance de la souveraineté kanak. Le contexte semblait propice. Dans l’arc mélanésien, le Vanuatu venait d’obtenir son indépendance en 1980.

Le 24 septembre 2024 , évoqué par Daniel Goa, marquera donc également le 40e anniversaire d’une lutte de libération toujours en cours. Déclenchée en 1984, à l’occasion d’une modification du statut du territoire, elle reste en mémoire grâce à l’image d’Eloi Machoro, militant du FLNKS fracassant une urne à la hache pour signifier le refus de toute consultation autre qu’un référendum d’autodétermination.
Elle reste aussi en mémoire du fait du déchaînement meurtrier qui s’ensuit : le 5 décembre 1984 à Hienghène, dans la région du leader du FLNKS, Jean Marie Tjibaou. Des loyalistes massacrent dix indépendantistes, dont 2 frères du président du FLNKS. Puis, le 12 janvier 1985 Eloi Machoro et Marcel Nonnaro sont abattus par le GIGN le 12 janvier 1985.

Edgard Pisani, émissaire spécial du président est dépêché sur le territoire pour organiser le dialogue entre indépendantistes et loyalistes. Il débouche sur la signature des « Accords Matignon » et la perspective d’« une indépendance association » assortie de droits pour les Non-Kanak ainsi que d’un nouveau statut du territoire permettant l’élection d’assemblée régionales. Ce statut est balayé un an plus tard, du fait du retour de la droite au pouvoir, après les législatives de 1986. Un nouveau statut est mis en place par Bernard Bons, ministre de l’Outre mer. L’armée « nomadise » dans les tribus, le droit commun français s’impose, le droit coutumier est méprisé. En 1988, à la veille de l’élection présidentielle, une nouvelle insurrection est déclenchée : barrages et attaques de gendarmeries ont lieu en plusieurs endroits comme Canala, et Ouvéa. Dans cette île, la prise en otage des gendarmes déclenche la plus violente des ripostes militaires françaises opérées en Kanaky dans les années 1980 : 19 morts parmi les preneurs d’otages ; emprisonnement et déportation des survivants en « métropole ».

Les obsèques des 19 victimes du massacre d’Ouvéa (1988)


Ce déchaînement de violences déclenche un nouveau cycle de négociations conduit par le premier ministre, Michel Rocard. Alternant menaces et promesses, il obtient la signature conjointe des indépendantistes, des loyalistes et de Etat. Les Accords de Matignon puis ceux d’Oudinot permettent la libération des prisonniers, mettent en place un nouvelle organisation du territoire et valident l’organisation d’un scrutin d’autodétermination dans les dix ans suivants scrutin qui ne sera ouvert qu’aux populations Kanak, et aux « victimes de l’histoire » .

36 ans après, l’indépendance et les conditions d’un référendum d’autodétermination restent l’objet de la lutte du FLNKS. Le 13 mai dernier la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) a engagé une nouvelle phase. Ses militants refusent l’élargissement de la liste électorale spéciale réclamée par les loyalistes depuis des années, et particulièrement ces derniers temps par la députée Sonia Backès, membre du parti présidentiel. Un élargissement qui favoriserait la mise en minorité politique de la population Kanak, le maintien du territoire dans la France, et donc l’effacement de la Kanaky.

Soumise au code de l’indigénat code d’indigénat à l’appui, la Kanaky est devenue en 1946 un Territoire d’outre mer (TOM).

Le 18 juin le président de la République a adressé une lettre aux Calédoniens qui semble une rupture par rapport à la période où il voulait imposer – à marche forcée – le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France.

Cette lettre commence par une contre-vérité : « le 13 mai dernier, écrit-il un fil a été rompu ». Ces trois dernières années ont été marquées par un État affichant sa partialité et son engagement à conserver la Nouvelle Calédonie dans la France. Comment ? En adoptant des mesures visant à minoriser le peuple kanak sur son propre territoire ?

C’est Sonia Backès, députée néo calédonienne « Les Républicains » qui a été désignée comme rapporteur du projet de loi sur le dégel du corps électoral, ce qui de fait rendait minoritaire la population kanak en âge de voter.
Mais, en avril 2024, c’est l’Etat tout entier qui est resté sourd aux revendications des Kanak hostiles à ce dégel du corps réclamant des dizaines de milliers de personnes en avril demandant le dégel

Dans son courrier, alors qu’il considérait que la page des Accords de Matignon de 1988 était tournée, il affirme maintenant que l’accord de Nouméa de 1998 est le socle pour envisager l’avenir, ce qui ne l’empêche pas dans la foulée d’affirmer que les consultations qui se sont tenues depuis 1988 n’ont pas permis «  de trouver un accord » sur « l’avenir commun qui demeure à construire pour tous ceux qui font la Nouvelle Calédonie » « C’est aussi un choix qui nous engage collectivement ».

Comment interpréter ces phrases pour celui qui juste après le 3 e référendum disait « la page est tournée » et qui aujourd’hui revient sur les processus ouverts par les accords de Matignon puis de Nouméa.

Quand c’est flou, il y a un loup dit la sagesse populaire.
Les Kanak, eux, ne sont pas dans le flou : ils sont contre la décision de dégeler le corps électoral, parce qu’elle minorisera leur voix lors d’un referendum d’autodétermination. La Kanaky doit être indépendante.

Anne Tristan

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