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Édition du 15 décembre 2024 au 1er janvier 2025

Des images inédites de la commémoration de Thiaroye 1944 et du colloque de l’université de Dakar

Une commémoration du massacre des tirailleurs africains qui a eu lieu en 1944 s'est tenue le 1er décembre 2024 à Thiaroye, près de Dakar, suivie d'un colloque à l'université de Dakar et d'un Appel sur la nécessité d'établir la vérité sur ce drame.

Une commémoration officielle du massacre des tirailleurs africains qui a eu lieu il y a 80 ans, en 1944, s’est tenue le 1er décembre 2024 à Thiaroye, près de Dakar. Ci-dessous l’enregistrement de la partie du discours qu’y a prononcé le président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, consacrée à la nécessité de l’établissement de la vérité sur ce drame et à la demande à la France d’ouvrir toutes les archives. Ce discours faisait suite à la lettre que lui a adressée, pour les 80 ans de l’événement, le président de la République française, Emmanuel Macron.

Ci-dessous le film de l’intervention de l’artiste franco-sénégalaise Aïcha Euzet qui a grandi à Thiaroye, au colloque qui s’est tenu les 2 et 3 décembre à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), suivie de la conférence inaugurale de l’universitaire sénégalais, le professeur Ibrahima Thioub.

A cette commémoration, comme au colloque qui a suivi, ont participé plusieurs membres de l’Association Histoire coloniale et postcoloniale qui anime ce site. Parmi eux, l’universitaire franco-sénégalais Cheikh Sakho, dont nous reproduisons un entretien où il explique comment, au Sénégal, la mémoire de ce massacre de Thiaroye a émergé dans les années 1960 et 1970, en liaison avec les manifestations de rejet du néocolonialisme français et de l’autoritarisme du régime de Léopold Sedar Senghor. Et l’historien Gilles Manceron, co-délégué Mémoires, histoire, archives de la Ligue française des droits de l’Homme (LDH) et président de l’Association Histoire coloniale et postcoloniale, dont nous reproduisons l’intervention au colloque de l’université, intitulée « En 1944 comme en 2024, la politique coloniale française à la croisée des chemins ».


L’Appel de Thiaroye

A la fin du colloque, l’ensemble des intervenants et des participants ont entouré le professeur Serigne Seye, universitaire de Dakar spécialiste des littératures orales et des cultures urbaines, qui a lu en leur nom à tous l’« Appel de Thiaroye pour l’accès aux archives, pour une justice mémorielle », dont nous reproduisons aussi ci-dessous le texte écrit.


APPEL DE THIAROYE POUR L’ACCES AUX ARCHIVES :

POUR UNE JUSTICE MEMORIELLE

Nous, participants du colloque international intitulé « Le massacre de Thiaroye en 1944 : enjeux historiographiques, fictions et imaginaires politiques », tenu à l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar et au Camp lieutenant Amadou Lindor Fall de Thiaroye, les 2 et 3 décembre 2024. Nous historiens, chercheurs en littérature, archivistes et citoyens impliqués depuis plusieurs années dans la connaissance et la compréhension d’un des événements les plus douloureux de l’histoire coloniale franco-africaine, lançons un appel pour un accès intégral aux archives du massacre de Thiaroye, du 1er décembre 1944. Si le cas de Thiaroye est exemplaire de la violence coloniale, son traitement dans les documents d’archives est également exceptionnel.  

Rappelons que le Sénégal, avec Belize, a été à l’origine d’une initiative majeure en faveur du patrimoine mondial en soutenant la Déclaration universelle des Archives portée par l’UNESCO, un texte fondateur qui reconnait le droit inaliénable de chaque nation à préserver, valoriser et accéder à ses archives où qu’elles se trouvent.

Cela est encore plus décisif lorsqu’il s’agit du drame de Thiaroye.

Aujourd’hui, le travail historique a pu établir le caractère falsifié de beaucoup de rapports traitant du massacre de Thiaroye écrits par des officiers français dans les années 1940. Des informations cruciales sur la compréhension de ce drame restent, de ce fait, manquantes : calcul du rappel de solde auquel avaient droit ces hommes ; nombre et liste nominative des tirailleurs présents au camp de Thiaroye à partir de leur arrivée en fin novembre, nombre et liste nominative des tirailleurs tués le matin du 1er décembre et cartographie des fosses communes.

Il est également temps d’accentuer le travail pour recueillir des témoignages de leurs enfants, pour qu’aussi cette histoire ne soit pas qu’une histoire de chiffres, mais une histoire incarnée. Car, il s’agit avant tout d’une histoire d’hommes, celle de leurs familles et de leurs communautés respectives. Ces sujets sont importants pour les historiens qui travaillent sur cet événement et sont décisifs pour les communautés qui, de près ou de loin, sont concernés par la recherche de vérité sur ce massacre. Ce travail de vérité est un préalable au deuil, au recueillement, à la justice et à la dignité auxquelles ont droit ces tirailleurs morts en décembre 1944.

Fort de ces constats, nous participants du colloque international, lançons un appel pour :

  • Réclamer le droit de mettre les archives à la disposition de la communauté scientifique

Les archives coloniales déplacées dans les anciennes puissances coloniales doivent être libres d’accès et ne doivent être soumises à aucune restriction administrative. En effet, l’accès aux archives en France, notamment liées à la période coloniale, a été particulièrement restreint ces dernières années. Au regard de l’enjeu social, culturel et politique que constitue la compréhension du passé colonial, il est nécessaire d’y remédier et de procéder à une profonde refonte de l’accès à ces documents.

  • Exiger le droit des communautés à disposer des documents d’archives les concernant où qu’elles se trouvent dans le monde pour l’équité mémorielle.

Ces documents ne sont pas uniquement la matière première du travail historique, ils concernent aussi, et probablement avant tout, les acteurs, les populations, les communautés qui souhaitent se saisir de leur passé. Plus encore, dans le cas de passés violents, il s’agit d’un moyen de réparer les traumatismes vécus.   

  • Introduire le massacre de Thiaroye et les tirailleurs dans les programmes et manuels d’histoire

Au Sénégal, la question des Tirailleurs et du massacre de Thiaroye occupe une portion congrue dans les programmes et manuels d’histoire. Or, enseigner cet épisode douloureux de notre histoire, c’est favoriser une conscience africaine et sénégalaise, en conformité avec la loi d’orientation de l’Education nationale. C’est inscrire en définitive nos apprenants dans le temps-monde de l’histoire et de la prise de conscience libératrice.

  • Elaborer un programme national et international de collecte et de sauvegarde d’archives concernant Thiaroye

Le 1er décembre 2024, lors de la commémoration du massacre de Thiaroye, le président de la République Bassirou Diomaye Faye a, entre autres décisions, annoncé qu’un centre de documentation et de recherche dédié aux Tirailleurs sera mis en place. Ce centre devra mettre en place des programmes de recherche ambitieux, notamment de collecte, de numérisation et de valorisation d’archives à Thiaroye même, au Sénégal, dans l’ensemble des pays africains concernés, en France et sans doute ailleurs.

Une véritable réflexion devra être entamée pour la restitution des archives africaines et pour la collecte impliquant des archives citoyennes et populaires. Ces archives constituent une part importante de la mémoire collective des populations concernées. Combler les trous béants de la mémoire, écrire et transmettre l’histoire, c’est donc nécessairement rendre justice tant aux générations passées qu’à celles à venir.

Thiaroye, le 3 décembre 2024.


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