La police mise en cause pour ses contrôles au faciès
La police française pratique à grande échelle des «contrôles au faciès». Une étude scientifique, conduite dans la plus grande confidentialité, montre que les forces de l’ordre effectuent des contrôles d’identité discriminatoires vis-à-vis des Arabes et des Noirs : pour les premiers, la probabilité d’être contrôlé est globalement 7,8 fois plus élevée que pour les Blancs; pour les seconds, elle est six fois plus importante. Ces résultats, publiés mardi 30 juin, ont été obtenus par l’observation du travail policier à Paris (gare du Nord et Châtelet-les Halles) entre octobre 2007 et mai 2008.
Financés par une fondation américaine créée par le milliardaire Georges Soros, l’Open society institute – imperméable aux débats actuels sur la pertinence des statistiques ethniques dans le modèle français – les enquêteurs ont ainsi secrètement décrypté 525 opérations de police, relevant notamment l’âge, le sexe, la tenue et le profil ethnique des individus contrôlés pour les comparer avec ceux des personnes (37 000 au total) passant à proximité. Sans tabou : contrairement aux traditions françaises, ces individus, qui restent anonymes, sont désignés par la couleur de leur peau («Blanc», «Noir», «Arabe», etc.).
L’étude confirme, en lui donnant un caractère scientifique, ce qu’expriment, depuis des années, les minorités visibles en France. Jusqu’à présent, en effet, les enquêtes réalisées s’appuyaient uniquement sur des sondages déclaratifs, sans vérification possible et avec des échantillons réduits. «L’étude a confirmé que les contrôles d’identité effectués par les policiers se fondent principalement sur l’apparence : non pas sur ce que les gens font, mais sur ce qu’ils sont, ou paraissent être», indique le rapport, rédigé par deux chercheurs du CNRS, Fabien Jobard et René Lévy.
Les chercheurs constatent que les tenues portées sont aussi des critères décisifs dans les choix policiers. «Bien que les personnes portant des vêtements aujourd’hui associés à différentes “cultures jeunes” françaises (“hip hop”, “tecktonic”, “punk” ou “gothique”, etc.) ne forment que 10 % de la population disponible, elles constituent jusqu’à 47 % de ceux qui ont effectivement été contrôlés». Comme deux personnes sur trois arborant ce type de tenues (capuches, etc) font partie des minorités visibles, les auteurs retiennent l’hypothèse que les vêtements sont aussi, indirectement, des marqueurs ethniques.
La plupart des quelque 500 contrôles observés se sont déroulés sans incident. Dans la moitié des cas, les contrôles ont toutefois débouché sur une fouille ou une palpation de sécurité – sans que les pratiques soient significativement différentes entre Arabes, Noirs et Blancs. Ce que confirment les personnes contrôlées, interrogées ensuite, discrètement, par les scientifiques : seules 3 % ont déclaré avoir perçu un traitement raciste ou insultant; 76 % ont émis un jugement neutre sur l’attitude des fonctionnaires; 6 % ont souligné que la police s’était comportée de manière respectueuse et polie. Mais le bon déroulement des contrôles n’empêche pas les populations ciblées d’exprimer leur colère, surtout face à leur caractère répétitif.
Les auteurs parlent d’«« effets délétères» pour les rapports entre la population et les policiers, citant les nombreuses émeutes intervenues en France depuis 2005. «Les contrôles sont en effet fréquemment au cœur de l’antagonisme entre les policiers et les jeunes, plus particulièrement vivant dans les zones urbaines reléguées. Ces derniers se plaignent depuis longtemps d’être la cible de contrôles d’identité répétés, dépourvus de nécessité et relevant du harcèlement». Ils soulignent que le cadre juridique «permissif» laisse aux policiers «un large pouvoir discrétionnaire».
L’Open society institute émet une série de recommandations. D’abord en suggérant l’enregistrement par les patrouilles du profil ethnique des personnes contrôlées pour vérifier, a posteriori, l’impartialité des opérations – une démarche interdite en l’état du droit. Ensuite en modifiant le code de procédure pénale pour limiter les risques de discriminations. Enfin, en exigeant des policiers qu’ils expliquent systématiquement les motifs du contrôle aux citoyens concernés.
Contactée, la préfecture de police de Paris a fait part de son «intérêt» pour ces résultats. «L’étude peut apporter des enseignements, explique la commissaire Marie Lajus, porte-parole de la préfecture. Mais n’oublions pas que la pratique policière se fonde sur des paramètres empiriques incontournables, notamment l’apparence, l’âge, le sexe ou l’origine géographique. Le travail policier ne peut pas s’apparenter à un sondage où on chercherait à être représentatif de la population. Notre mission, c’est de prévenir des délits et des crimes, pas de représenter la société».
Communiqué de presse du Syndicat de la Magistrature :
« Les contrôles d’identité au faciès sont non seulement monnaie courante, mais se multiplient »…
Pour avoir écrit en 2001 cette évidence dans un ouvrage consacré aux contrôles d’identité, un représentant du Syndicat de la magistrature a subi sept ans de procédure tatillonne à l’initiative du ministère de l’Intérieur.1
A la lumière de la décision de relaxe rendue en avril dernier par la Cour d’appel de Rouen, il n’est finalement pas improbable que cet acharnement du plaignant visait à dissuader, voire à interdire, toute réflexion critique sur l’action quotidienne de la police.
Aujourd’hui, le minutieux travail d’enquête réalisé à Paris, entre les mois d’octobre 2007 et mai 2008, par une équipe de recherche du CNRS, apporte la preuve scientifique d’un « profilage racial » au cours des contrôles d’identité.
Il est ainsi démontré que « les contrôles d’identité effectués par les policiers se fondent principalement sur l’apparence ». En particulier, « les personnes perçues comme Noires (d’origine subsaharienne ou antillaise) et les personnes perçues comme Arabes (originaires du Maghreb ou du Machrek) ont été contrôlées de manière disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme Blanches ».
Au terme de cette enquête accablante, les chercheurs rappellent que ces « contrôles au faciès violent la législation française qui garantit l’égalité de tous, indépendamment de l’origine ethnique, raciale ou nationale », de même que « les normes européennes sur les droits de l’Homme ».
Face à un tel diagnostic, le silence du ministère de l’Intérieur est confondant. A peine, la préfecture de police de Paris s’est-elle hasardée à expliquer[*] que « les contrôles reposent sur l’expérience empirique des policiers » ou que « la présence policière a d’abord un rôle dissuasif »…
A l’instar des recommandations formulées par les auteurs du rapport, le Syndicat de la magistrature exige un véritable réveil des pouvoirs publics et de l’institution policière sur cette grave question.
A cet égard, le Syndicat National des Officiers de Police (SNOP) serait bien avisé de s’interroger sur les causes de la distance qui semble chaque année se creuser entre la police et la population, plutôt que de produire des communiqués à la limite de la légalité sur des décisions de justice (dernier exemple en date du 10 juin 2009: « Semi-liberté pour un tueur de flics »)…
Paris, le 1er juillet 2009.
[*] Source : journal Libération du 1er juillet 2009
Des chercheurs s’alarment du “retour de la race”
La «racialisation de la société française» est-elle en marche ? Convaincus que les travaux du Comité pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations (Comedd) mis en place en mars sous l’égide du gouvernement par le commissaire à la diversité, Yazid Sabeg, portent en germe ce risque, 22 chercheurs et universitaires de disciplines diverses se sont réunis pendant deux mois au sein d’une contre-commission : la Commission alternative de réflexions sur les « statistiques ethniques » et les discriminations (Carsed). Le fruit de ses travaux, un ouvrage collectif titré Le Retour de la race (éd. de L’Aube), a été présenté lundi 29 juin.
C’est la composition même du Comedd, partiale selon eux, qui a poussé ces universitaires à se réunir. «Le choix des membres du Comedd semble avoir été motivé par le seul critère d’une position ouvertement favorable aux statistiques ethniques», assurent-ils.
Une affirmation à nuancer : chargé d’«évaluer les dispositifs et outils nécessaires à l’observation et à la connaissance de la diversité et des discriminations en France», le Comedd réunit des personnalités de sensibilités différentes sur le sujet. La CGT ou la Ligue des droits de l’homme (LDH), pour ne citer qu’elles, ont des positions prudentes sur la question de la mesure de la diversité. Et c’est pour réussir à produire un rapport solide, mais aussi «le plus consensuel possible», que François Héran, le président du Comedd, a décidé de remettre son travail mi-septembre et non fin juin comme prévu initialement.
Avant d’être un support de propositions alternatives, le « contre-rapport » cherche à dénoncer le «leurre» de la réflexion engagée au Comedd. «La mesure statistique de la “diversité” [est] un euphémisme derrière lequel se cache désormais l’intention de produire des statistiques de l’ethnicité», affirment dans leur introduction les chercheurs parmi lesquels figurent la philosophe Elisabeth Badinter, les démographes Hervé Le Bras et Alain Blum, le sociologue Jean-François Amadieu.
Communautarisation
Or soutiennent-ils, «en développant une vision de la société durablement fragmentée selon les critères d’origine, donc figés», une telle classification ethnique, «aboutit à terme à la fragmentation et à la concurrence entre “communautés” avec chacune ses lobbies, ses victimes, ses exclusions, son entre-soi, sa solidarité limitée aux membres du groupe alors que l’Etat républicain a la mission de l’assurer pour tous». Ils insistent sur un fait : si, «dans certaines discriminations, une composante raciste est présente, dans la plupart, l’influence des inégalités est déterminante».
Selon eux, «au lieu de s’acharner ou de fantasmer sur la construction d’une mesure illusoire», le gouvernement devrait se saisir de la question des moyens existants pour réduire les discriminations, tel le CV anonyme, dont les décrets d’application ne sont toujours pas sortis.
De même, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) devrait, selon la contre-commission, voir ses pouvoirs renforcés, «pour pouvoir par exemple mener des opérations de testing à assez grande échelle».
En somme, ce qui manque aujourd’hui, assurent ces chercheurs, c’est avant tout «une volonté gouvernementale».
- Clément Schouler, vice-président du SM, a été poursuivi pour avoir réalisé l’ouvrage Vos papiers ! Que faire face à la police ?
publié à L’Esprit frappeur.