Le 11 avril 2011, l’historien Alain Ruscio publiait l’article suivant dans le journal L’Humanité :
Algérie 1955 : un drame et son exploitation
Claire Mauss-Copeaux restitue la dimension réelle de l’insurrection du Constantinois et de la répression sanglante qu’exerça le pouvoir colonial sur la population algérienne.
Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, de Claire Mauss-Copeaux. Éditions Payot, 2011, 280 pages, 23 euros.
Le 20 août 1955, des soldats de l’armée de libération nationale algérienne, appuyés par des éléments plus ou moins contrôlés de la population, procèdent à une offensive dans un quadrilatère Collo-Philippeville-Constantine-Guelma et se livrent à des exactions et exécutions contre des Européens. Dans l’historiographie de la guerre d’Algérie, il existe quelques moments privilégiés : l’insurrection, la bataille d’Alger, les accords d’Évian et les premiers temps de l’indépendance. Ce n’est pas ainsi que l’on peut parler de ces « événements » d’août 1955 : les historiens de sensibilité anticolonialiste se sentaient en général gênés ; quelques autres se réfugiaient derrière un prudent « toute guerre secrète ses excès, des deux côtés » ; enfin, des thuriféraires de l’Algérie française en profitaient pour dénoncer la « cruauté naturelle » des « Arabes ».
Il ne sera désormais plus possible d’évoquer ce drame sans citer le livre de Claire Mauss-Copeaux, qui a alterné le travail sur les sources écrites, dans les archives, et l’enquête de terrain. Il en résulte un tableau beaucoup plus nuancé que celui qui dominait jusqu’ici. Dans un premier temps, l’auteure rappelle le terreau sur lequel s’est peu à peu ancrée la haine : outre l’exploitation économique dont étaient victimes les « indigènes », il y avait cet incommensurable mépris, ce racisme « de base » professé par la grande majorité des Européens d’Algérie. En retour, dans la population « musulmane », naît un sentiment de révolte, qui s’exprimera le moment venu. Et ce moment vient, justement, à l’été 1955.
Claire Mauss-Copeaux ne cache rien de certains crimes commis, mais ramène, en historienne, le fait à ses proportions réelles : une brève flambée, plus spontanée qu’encadrée, de haine, laissant à terre cent vingt-trois cadavres, dont soixante et onze civils français – et parmi ceux-ci des enfants. Une horreur. Mais rien à voir avec l’« Oradour algérien », la « tentative de massacre généralisé des Européens » que certains sites négationnistes présentent aujourd’hui encore. L’historienne n’arrête pas là son étude, contrairement à beaucoup d’autres : elle évoque les représailles. Et, comme toujours au long de l’histoire coloniale, elles ont été disproportionnées : alors que la révolte avait été circonscrite à quelques cités, c’est tout le Constantinois qui a été ensuite ratissé, tant par les militaires que par des miliciens armés, ces derniers se montrant particulièrement féroces. Combien de morts dus à la répression ? Claire Mauss-Copeaux avance le chiffre de 7 500. Au passage, signalons que c’est une règle quasi mathématique dans l’histoire coloniale : 100 « Arabes » pour 1 Français. C’est donc à une entreprise de salubrité historique publique que s’est livrée Claire Mauss-Copeaux.
Cet article était accompagné de la photo reproduite ci-dessous avec sa légende erronée :
_________________________
Le 24 août 1955, le journal L’Humanité avait consacré sa “Une“ aux drames du Maroc et du Constantinois. Le Maroc était cité en premier. Les événements du Constantinois venaient en sous-titre : « En Algérie, les hameaux rasés par l’artillerie étaient encore habités ».
Immédiatement en dessous figurait la photo, avec la légende : « Les cadavres d’Algériens jonchent le terrain du Stade municipal de Philippeville », suivie d’un article de Robert Lambotte – l’article est repris dans cette page.
Ce numéro de L’Humanité a été immédiatement saisi, remplacé par un numéro spécial de protestation qui sera également saisi1. Ce second tirage ne comporte plus la photo du stade, mais il reprend l’article de Robert Lambotte
Robert Lambotte, envoyé spécial du journal, a été expulsé d’Algérie, manu militari, le 25 août. Il a publié dans L’Humanité-Dimanche du 28 août 1955, un article intitulé « Voici pourquoi j’ai été expulsé d’Algérie » dans lequel il a écrit :
« Ce qu’il ne faut pas voir et ne pas dire, ce sont les longues colonnes d’Algériens ramassés samedi, dimanche et lundi dans les quartiers arabes de Philippeville et systématiquement mis à mort sur le stade ou dans les campagnes environnantes. »