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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Contrôle d’identité au faciès : une pratique discriminatoire

Les contrôles d’identité sont encadrés par l’article 78-2 du code de procédure pénale. Ils sont le plus souvent motivés par un comportement éveillant la suspicion. Or une enquête réalisée à Paris, par deux chercheurs du CNRS, il y a quelques années, mettait en évidence que, statistiquement, le risque d'être contrôlé est au moins six fois plus élevé pour un Noir ou un Arabe que pour un Blanc. Comment mettre fin à ces comportements discriminatoires ? François Hollande s'était engagé à lutter «contre le délit de faciès», mais Manuel Valls a refusé le principe du récépissé.
Certains ont porté plainte contre l'État : treize personnes s’estimant victimes de « contrôle au faciès » avaient assigné l’Etat en justice en 2012. Après avoir été déboutés en octobre 2013, ils ont fait appel. Le 25 février 2015, devant la cour d’appel de Paris, ils ont bénéficié du soutien du Défenseur des droits.
Le jugement sera prononcé le 24 juin prochain.

Procès en appel du contrôle au faciès : la décision attendue le 24 juin

par Imane Youssfi, BondyBlog le 25 février 2015

Ce mercredi 25 février a eu lieu le procès en appel des treize appelants qui ont assigné l’Etat et le ministère de l’Intérieur pour faute lourde. Ces personnes ont estimé être victimes de contrôles au faciès. La décision sera rendue le 24 juin prochain.

14 heures. La première chambre de la Cour d’appel de Paris est remplie : journalistes, associations, public… Des chaises supplémentaires ont été ajoutées derrière les bancs pour permettre aux personnes de s’asseoir. Déboutés il y a deux ans, treize citoyens âgés de 18 à 35 ans, casiers judiciaires vierges, attaquaient l’Etat et le ministère de l’Intérieur en justice pour faute lourde. Les plaignants estiment avoir été victimes de discriminations lors d’un contrôle d’identité. Le tribunal avait estimé que le caractère discriminatoire des policiers n’avait pas été prouvé.

Aujourd’hui, c’est devant le tribunal de grande instance de Paris qu’ils se sont retrouvés pour faire appel de la décision rendue en première instance.

« Ils ont un seul point commun, c’est d’être noir ou arabe »

« Il est vraisemblable que mes clients ont été contrôlés en raison de leur faciès » explique maître Ben Achour. « Il n’y a pas intérêt à prouver que mes clients sont des criminels » dit-il. Plus en profondeur, il revient sur l’ambiance pesante dans notre société : « notre espace culturel et politique est saturé de propos discriminatoires ».

Pour appuyer son argumentaire, l’avocat cite lors de l’audience, des propos que les policiers auraient tenu face à ses clients : « quand vous êtes quinze vous portez vos couilles et quand vous êtes deux y’a plus personne ». Espérant que la justice donne satisfaction aux treize plaignants, il conclut : « vive la République pour tous, vive la fraternité dans la République et vive la France ».

Il est suivi par son confrère maître Belloy, qui revient sur les circonstances des contrôles d’identité et la position de ses clients « ils ont un seul point commun, c’est d’être noir ou arabe ». « L’État a été incapable de donner les motifs dès lors qu’ils ignoraient les circonstances du contrôle » poursuit-il. Il se dit également « stupéfait » que le juge, en première instance, déclarait que les « règles de discriminations n’ont vocation à s’appliquer que dans le cas d’employeur à employé. C’est un non-sens ! »

« L’article 78-2 n’est pas appliqué en France parce qu’on ne demande pas de compte à la police » argumente maître Belloy qui défend ses clients de vouloir faire de la politique et changer la loi. « On vous demande de faire appliquer la loi, l’article 78-2, et d’ajouter, on demande à ce que la loi soit effective et elle ne peut l’être tant qu’il n’y a pas de procès verbal [ndlr lors d’un contrôle d’identité] ».

10 000 euros de dommages et intérêts par demandeur (comme en première instance) ont été demandés dans cette affaire.

Le défenseur des droits soutient les demandeurs

Le procès se poursuit avec le défenseur des droits. L’avocat n’a pas souhaité se prononcer sur les treize cas individuels présentés aujourd’hui mais sur la réalité des contrôles au faciès. « Il n’existe aujourd’hui aucune traçabilité, aucune donnée objective sur les contrôles d’identité sans suite » explique-t-il. « Dans bien des cas, la CNDS a pu constater que, faute de trace, il était difficile de retrouver les agents commettant des abus » a-t-il entre autres ajouté. Dans sa plaidoirie, le défenseur des droits exprime clairement le problème de délit de faciès lors des contrôles d’identité.

C’est au tour de l’avocate de l’État. « Ce n’est pas ici que ces questions doivent être débattues. Nous ne sommes pas sur les bancs de l’Assemblée Nationale ». Cependant, elle reconnaît que le contrôle au faciès existe « c’est une pratique condamnable », mais, « ce n’est pas l’objet du débat ». Elle reproche à l’accusation de vouloir modifier la loi et que seul le législateur peut intervenir dans ce sujet.

« Il appartient aux appelants de prouver que l’État a commis une faute lourde pour engager sa responsabilité » et plaide son dossier en argumentant que les preuves n’ont pas été fournies.

« Dans ces dossiers-là, la preuve de la faute lourde de l’État n’est pas démontrée ». Et la procureure de conclure « il n’y a aucune faute lourde de l’État ». Le tribunal rendra sa décision le 24 juin 2015.

« On est en France, il y a des discriminations, elles sont avérées »

« Je suis partagée » affirme Sihame Assbague, porte parole du collectif Stop le contrôle au faciès. Elle se réjouit d’une part, que le défenseur des droits ait apporté son soutien au treize appelants. D’autre part, elle estime que « pour la procureure il n’y a aucune faute lourde de l’État, c’est du mépris. On assiste à des contrôles au faciès sur le terrain et à une justice au faciès quand des citoyens portent plainte » s’inquiète la jeune femme.

« Une chose significative, c’est l’intervention du défenseur des droits qui intervenait aux côtés des demandeurs » explique Lanna Hollo représentante à Paris d’Open Society Justice Initiative. « Jusque là, toutes les instances ont traité ce dossier avec mépris ». Elle déplore qu’il n’y ait « pas de nouveau dans l’argumentaire de l’État ». Les questions de discriminations lors des contrôles d’identité, elle connaît bien. « Est-ce que l’État va prendre des mesures et légiférer ou va-t-il attendre ? » se demande-t-elle.

Bocar a 35 ans. Il fait parti des treize appelants. « On est en attente de la décision du mois de juin. Nos avocats ont été bons, le défenseur des droits aussi. On est en France, il y a des discriminations, elles sont avérées » explique le jeune trentenaire, serein à la sortie de l’audience.

Maître Slim Ben Achour, est serein lui aussi « on nous a laissé développer notre argumentaire. Et surtout, notre argumentaire prenait une autre dimension en raison de la présence du défenseur des droits ».

Si la décision leur était défavorable le 24 juin, l’avocat ne compte pas en rester là « si ce n’est pas maintenant ce sera à la cour de cassation sinon ce sera à la Cour européenne des droits de l’Homme ».

Pendant sa campagne en 2012, François Hollande s’était engagé à lutter contre le « délit de faciès ». Il s’agissait du 30ème engagement sur les 60 écrits noir sur blanc il y a trois ans. Dans le concret, l’ancien candidat proposait que les policiers fournissent un récépissé après chaque contrôle d’identité. Une fois élu, cet engagement est passé aux oubliettes. S’agissait-il d’un étendard qu’on brandit pendant les élections pour s’attirer les votes des quartiers populaires ? Les promesses n’engagent que ceux y croient…

Imane Youssfi

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Lilian Thuram témoigne

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