Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Un film sur le rôle méconnu des femmes algériennes immigrées dans la lutte pour l’indépendance

"Aucune rue ne portera ton nom" : un film de Nadia Salem sur le rôle méconnu des femmes algériennes immigrées dans la lutte pour l'indépendance

On sait le rôle important joué par des femmes dans la guerre de libération algérienne. Elles firent partie des maquis de l’ALN ou furent agents de liaison ou encore poseuses de bombes. Selon les chiffres du ministère des Moudjahidinne (anciens combattants), au début des années 1990, 10 949 femmes recevaient une pension en reconnaissance de leur rôle dans la lutte entre 1954 et 1962, sur 336 784 anciens combattants officiellement reconnus. Djamila Amrane, Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouhired, Djamila Boupacha, Zohra Drif Baya Hocine, Louisette Ighilarziz sont parmi les plus connues. Des rues en Algérie portent aujourd’hui très souvent leurs noms.

La réalisatrice Nadia Salem (photo Miguel Antunes, Républicain Lorrain)

Le beau film documentaire de Nadia Salem, intitulé Aucune rue ne portera ton nom (2024), produit en partenariat avec Rapsode Production, porte sur les femmes algériennes immigrées en France, plus précisément dans la région de Metz, qui participèrent à la lutte pour l’indépendance dans ce qu’on appelait parfois « la 7eme wilaya », au sein de la Fédération de France du FLN, mais aussi de son rival du MNA. Comme elles le racontent dans le film, Yamina, Houria, Nouara, Louisa furent agent de liaison, collectèrent des fonds, recelèrent des armes, nourrirent et cachèrent des militants recherchés, prenant le risque d’une arrestation, de la torture et d’un emprisonnement. Ces militantes de l’indépendance sont quant à elles restées anonymes et bien peu d’entre-elles ont été reconnues moudjahidate (anciennes-combattantes), comme certaines le disent devant la caméra. Le grand mérite du film de Nadia Salem est de leur donner la parole et de leur rendre justice. On lira ci-dessous sa recension dans La Semaine.

Ce film émouvant évoque aussi brièvement un événement particulièrement marquant dans l’histoire messine durant la guerre d’Algérie et très peu connu en France, sur lequel il faut donner quelques précisions : la « ratonnade » géante perpétrée dans la nuit du 23 juillet au 24 juillet 1961 par le 1er RCP, régiment parachutiste muté à Metz en guise de sanction pour sa participation en Algérie au « putsch des généraux » d’avril 1961. Ces parachutistes étaient arrivés à Metz aux cris d' »Algérie française », selon la presse de l’époque. A la suite d’une rixe opposant des Algériens et des parachutistes ayant fait un mort militaire et le barman de l’établissement, pendant toute une nuit et une journée, 400 paras parachutistes menèrent une véritable « chasse à l’homme », depuis la gare SNCF jusqu’au quartier du Pontiffroy, où vivaient dans des conditions misérables 2000 Algériens et Algériennes. Lynchages au faciès, meurtre par balles ou par noyade dans la Moselle furent documentés par la presse. Officiellement, le bilan est de quatre morts et 27 blessés. Les victimes seraient bien plus nombreuses selon les multiples témoins de l’époque. Si trois Algériens furent condamnés par la justice, les parachutistes restèrent impunis. Ils furent sanctionnés par une consignation dans leur caserne de 48 heures. Le parachutiste tué lors de la rixe fut déclaré « mort pour la France ». A Metz, un collectif juillet 1961 entretient la mémoire de cette sanglante « Nuit des paras » survenue moins de 3 mois avant celle du 17 octobre 1961 à Paris. En juillet 2021, le maire de Metz, François Grosdidier, a refusé la pose d’une plaque commémorative. Pour aller plus loin sur cet événement, lire sur notre site Il y a soixante ans, la « nuit des paras » à Metz et Metz : hommage aux victimes de la « nuit des paras » et conférence de Raphaëlle Branche.

Fabrice Riceputi



Guerre d’Algérie : ces héroïnes de l’ombre

Par Marine Prodhon. Publié par La Semaine le 20 mars 2024.

Source

« Aucune rue ne portera ton nom », c’est le titre du premier documentaire réalisé par Nadia Salem. Originaire de Metz, la journaliste aujourd’hui parisienne s’est replongée dans son passé en revenant sur les traces de sa mère et des autres femmes qui ont contribué depuis la France à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Une parole rare et précieuse qui témoigne d’un combat dont on ne sait encore que trop peu de choses.

Elle l’a d’abord fait pour elle. Pour cette femme qui lui a donné la vie et l’a tant aimée. Son nom : Fifi Salem. Une mère, une héroïne. Originaire d’Alger, elle est arrivée à Metz en 1959. Pas par envie, mais par amour. Elle a suivi son époux installé depuis près d’une dizaine d’années en Lorraine.

Le couple a emménagé dans le quartier du Pontiffroy à Metz qui n’avait alors rien à voir avec celui que l’on connaît aujourd’hui. Il s’y mélangeait les langues et les cultures des populations immigrées. Petits et insalubres, les appartements n’avaient rien de confortable. Les premiers temps se sont avérés très compliqués pour Fifi Salem. Jugée comme une Européenne par les autres femmes du quartier, elle se sentait isolée. Et son regard était porté ailleurs. Bien plus au sud. « Ça a été un véritable traumatisme pour elle. C’était une fille de la ville, elle habitait Alger que l’on appelle aussi la ville lumineuse alors quand elle est arrivée en Lorraine et qu’elle a vu ce théâtre de désolation qu’offrait Metz, en partie détruite par la guerre et la grisaille qui s’en dégageait, du fait du temps… Une grisaille accentuée par sa situation d’isolement. Elle n’avait qu’une envie : repartir en Algérie », raconte Nadia Salem.

Nadia a réalisé ce documentaire en hommage à Fifi Salem, sa mère. Ce pays et la guerre qui l’a meurtrie, Fifi l’a souvent racontée à ses enfants. Elle parlait le cœur empli d’amertume de ce cousin abattu en pleine rue par l’armée française, puis décrivait la lutte acharnée et la peur au ventre que lui a valu cette quête d’indépendance. Car, en France, elle a vite rejoint les rangs du Front de libération nationale (FLN) en tant qu’agent de liaison et fait partie des rares femmes algériennes à avoir été reconnues comme mudjahida [combattante en arabe]. « Environ 10 000 femmes l’ont été sur plusieurs dizaines de milliers en France et en Algérie. » Malheureusement, Fifi Salem n’est aujourd’hui plus là pour raconter cette résistance. « C’est l’un de mes gros regrets de ne pas avoir enregistré son témoignage », confie Nadia. Pour autant, cette dernière n’a pas voulu laisser s’éteindre cette parole et a décidé de faire témoigner d’autres femmes. Elles aussi habitaient le quartier du Pontiffroy, elles connaissaient sa mère et ont accepté de confier leur combat à Nadia, qu’elles ont vu grandir.

Yamina, Houria, Nouara, Louisa

Ce documentaire est un film intime. À la fois un hommage à ces femmes, mais aussi une manière de faire revivre sa mère à travers le combat qu’elles ont mené ensemble. Une mobilisation portée dans le secret et qui reste encore une histoire méconnue du plus grand nombre aujourd’hui. Ce film est donc aussi une manière de leur rendre justice. « Non, la guerre d’Algérie ne sait pas seulement jouer en Algérie. En France aussi. » Dans le quartier du Pontiffroy comme dans d’autres de la France métropolitaine. Yamina, Houria, Nouara et Louisa en témoignent.

En 2022, Nadia Salem est venue deux fois à leur rencontre pour tourner ce documentaire. Derrière la caméra, elle a vu des femmes très différentes unies par ce même combat : leur participation à la « guerre de libération nationale algérienne ». Elles le racontent à leur manière. Yamina, la doyenne du groupe parle de façon très concrète du jour où un militant FLN a toqué à sa porte alors que son mari n’était pas présent au domicile. « Elle l’a fait entrer mais tremblait de peur et l’homme lui a confié qu’elle devait remettre le colis à une personne qui se présenterait avec une broche en forme de cerise. Elle raconte qu’elle craignait la réaction de son mari et se souvient du moment où la personne destinataire est arrivée, elle était en train de faire des nattes à sa fille. »

Nouara est l’une de celles qui ont pris le plus de risques. Sa mission ? Récolter de l’argent pour le FLN. « Elle avait une liste d’adresse chez qui, elle devait toquer pour récolter des fonds qui serviraient ensuite à acheter des armes. » Repérée, elle sera arrêtée et restera quatre mois en prison. La seule à affirmer qu’elle n’avait pas peur. « C’était comme si j’allais à l’école », confiera-t-elle à Nadia Salem dans une forme d’insouciance. Pour l’accompagner dans sa mission, elle était épaulée par Louisa, âgée de 15 ans à l’époque. Quand elle se replonge dans cette période, plus de soixante ans plus tard, Louisa affiche une fierté et se dit satisfaite qu’il y ait ce documentaire. « C’est presque un cadeau car quand je le raconte à mes enfants, ils ne veulent pas me croire », glissera-t-elle à la réalisatrice. Nouara apparaît elle plus abimée par cette quête de liberté et « est assez amer de ce qu’est devenue l’Algérie aujourd’hui et du fait qu’on ne l’ait jamais reconnue comme une combattante. »

Le tabou du viol des femmes pendant la guerre d’Algérie commence à être levé

Facebook
Twitter
Email