Du 8 octobre 2024 au 16 février 2025, le musée du Quai Branly à Paris présente une exposition bien plus riche que son titre accrocheur ne le laisse a priori supposer. Une scénographie d’une grande qualité tant esthétique que pédagogique permet, en effet, pour ceux et celles qui ne connaissent le vaudou qu’à travers la figure du zombi mondialisée par le cinéma, de prendre connaissance de la richesse, de la vivacité et de la complexité d’une religion née d’un syncrétisme marqué par la traite et l’esclavage.
L’exposition est organisée en trois sections (1) :
- La première est consacrée à la présentation du panthéon et des rituels du vaudou haïtien grâce, notamment à la reconstitution du péristyle d’un temple où se déroulent les cérémonies. C’est un espace ouvert dont le toit est soutenu par des poteaux dont le plus important, le poteau-mitan situé au centre du péristyle, relie le monde des divinités (lwas ou mystères ) à celui des humains.
Au début de chaque cérémonie, des vévés , dessins rituels, sont tracés à la lueur d’une bougie, avec de la cendre, de la farine et d’autres ingrédients pour symboliser un ou plusieurs lwas. Le prêtre (houngan) ou la prêtresse (mambo) qui dirige la cérémonie a recours avec l’aide d’initiés à divers objets rituels dont les tambours pour « appeler » les lwas à prendre possession des participants. Il ou elle est l’interprète du langage des lwas. Dans de petites pièces attenantes au péristyle, les « chambres des mystères », réservées aux initiés, se trouvent divers objets rituels et des images de saints et de saintes catholiques qui correspondent à tel ou à telle lwa.
Pierre Verger, Prêtre vaudou devant son autel, tirage papier, 29×35 cm, 1948, musée du Quai Branly.
- La deuxième section décrit le processus de « zombification » dans un décor de cimetière haïtien sur lequel règnent Baron Samedi et Grande Brigitte, deux figures majeures du panthéon vaudou. Dans l’imaginaire occidental, la figure du zombi est inhérente au vaudou haïtien. « A l’origine, le mot zombi est employé à la confluence du Gabon, de l’Angola et de la République démocratique du Congo, et signifie « revenant », « fantôme », « esprit », « démon », notamment, celui d’un enfant mort. C’est dans tous les cas une entité néfaste … De l’autre côté de l’Atlantique, le mot zombi change entièrement de sens. De la même façon que le mot vaudou en Haïti, ne correspond pas à sa signification première au Bénin …(2) »
Hector Hyppolite, Les Zombis, peinture sur aggloméré, 63 x 76 cm, 1946, musée d’Art haïtien, Port-au-Prince.
Le peintre et grand initié vaudou présente deux zombis tirés de leur tombe et conduits par le houngan vers le champ où ils seront mis au travail. « La zombification est la punition suprême, car elle ramène l’individu à la condition d’esclave, contre laquelle, précisément, le vaudou s’est élaboré(3).»
- La troisième partie de l’exposition est consacrée à la mondialisation de la figure du zombi dont s’est emparée l’industrie cinématographique, comme le montrent affiches et extraits de films. A Hollywood dés les années 1930, puis dans le monde entier des centaines de films, mais aussi des séries télévisées, des bandes dessinée, des jeux vidéo ont fait du zombi un mort-vivant généralement contagieux, agressif et mangeur de chair humaine. Hors de contrôle, ce prédateur est à l’opposé des croyances le concernant à Haïti, où, mort seulement en apparence, ce pauvre hère est soumis à celui qui l’a drogué, inhumé puis exhumé et réduit en esclavage.
Jusqu’aux années 1940, le vaudou a été longuement méprisé par les élites intellectuelles et persécuté par les autorités religieuses et politiques, à tel point que l’ethnologue Alfred Métraux décida lorsqu’il arriva sur l’île d’en entreprendre l’étude « avant qu’il ne soit trop tard ». En 1941, un Bureau d’ethnologie, avec à sa tête l’écrivain Jacques Roumain fut créé pour sauver les objets vaudous.
Un des apports majeurs de cette exposition est, me semble-t-il, de montrer la vitalité du vaudou et son rôle majeur dans la vie culturelle et artistique haïtienne : nombre de peintres et d’écrivains se sont appropriés les rites et les symboles du vaudou, mais il faut, toutefois, distinguer la création artistique qui s’inspire du vaudou et les arts sacrés du vaudou, comme les vévés, les étendards en soie dédiés aux lwas ou les figures peintes dans les cimetières(4).
Toutefois, même si la question est évoquée, il me semble que la place du vaudou dans l’histoire des résistances des captifs africains et de leurs descendants n’a pas été suffisamment mise en valeur par les ethnologues qui ont conçu cette exposition. Souvent réprimé tout au long du XIXe siècle et malgré son utilisation par la dictature des Duvalier (1957-1986), le vaudou demeure un symbole de la résistance de la société haïtienne née d’une histoire violente, ponctuée de crises allant du traumatisme de la traite atlantique au catastrophique séisme de janvier 2010 (5).
Face au système esclavagiste, les Africains déportés ont recréé leurs croyances et pratiques dans les colonies américaines sous diverses formes et appellations : candomblé au Brésil, santeria à Cuba, obeayisne à la Jamaïque, shango cult à Trinidad, quimbois dans les petites Antilles et en Guyane, vaudou sur l’île d’Hispaniola. L’interdit jeté sur les pratiques religieuses venues d’Afrique fut déjoué par la pratique même du catholicisme : les esclaves ont investi le culte des saints, les sacrements et les fêtes liturgiques. Ils ont créé des religions qui amalgamaient des éléments venus de différentes régions d’Afrique (6), des éléments empruntés au christianisme (signes de croix, images des saints) et des superstitions venues d’Europe comme les envoûtements à l’aide de poupées à l’effigie de la victime choisie. Les pratiques religieuses africaines qui exigeaient une mutilation (excision, circoncision, scarifications) ou un cérémonial élaboré ont disparu avec la déportation, mais celles qui étaient transmises oralement ont pu être adaptées aux nouvelles conditions de vie.
Les missionnaires ont constaté, malgré l’apparente christianisation des esclaves, la survivance de pratiques religieuses venues d’Afrique. Moreau de Saint-Méry (7) fut le premier à affirmer que les esclaves de Saint-Domingue avaient élaboré un véritable rituel. Il aurait assisté à une cérémonie qu’il décrivit assez précisément. La cérémonie était secrète et nocturne. Les initiés, le corps entouré de tissus rouges, présentaient des offrandes à un serpent enfermé dans une boîte déposée sur un autel. Après les salutations au prêtre, une chèvre fut immolée et son sang répandu sur les fidèles qui entrèrent en transes. En l’absence de témoignages systématiques sur la question, il reste impossible de connaître avec précision l’origine et le développement de ce que nous appelons aujourd’hui le vaudou (8).
Cependant, dès le XVIIIe siècle les colons et les administrateurs coloniaux comprirent le danger de ces pratiques religieuses pour le système esclavagiste. Ces craintes furent confirmées par la cérémonie du Bois-Caïman qui eut lieu dans la nuit du 14 août 1791 au cours de laquelle Cécile Fatiman, une prêtresse mambo, sacrifia un cochon noir tandis que Boukman appelait à l’insurrection au nom des dieux et des ancêtres africains. Cette cérémonie est devenue dans la mémoire nationale haïtienne, l’acte fondateur de la révolution et de la guerre qui déboucha en 1804 sur l’indépendance…
André Normil, Cérémonie du Bois-Caïman, 1990.
[1] Zombis La mort n’est pas une fin ? Catalogue de l’exposition dirigé par Ph. Charlier, Gallimard, oct. 24.
[2] Entretien avec Philippe Chartier, commissaire de l’exposition, Connaissance des Arts, hors série n°1090, (pp. 4-9).
[3] Laënnec Hurbon, Les Mystères du vaudou, Découvertes Gallimard, 1993.
[4] Jean-Michel Charbonnier, « Vaudou et création artistique », Connaissance des Arts, hors série n°1090 (pp. 18-21).
[5] Laënnec Hurbon, Esclavage, religions et politique en Haïti, Presses universitaires de Lyon, 2023.
[7] Médéric Louis Elie Moreau de Saint-Méry (1750-1819), fils d’un notable de la Martinique, épousa la fille d’un négociant de Saint-Domingue. Il fut le principal acteur de la création du Club Massiac. Auteur de nombreux ouvrages sur les colonies, il publia en 1797 une Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de Saint-Domingue, S.F.H.O.-M., 2004.
[8] A Saint-Domingue, l’influence des Fon du Bénin, jointe à celle des Yoruba du Niger, fut prépondérante et servit de base unificatrice aux pratiques culturelles transplantées par les esclaves. Dans la langue fon, « vodun » désigne une puissance redoutable pouvant intervenir dans la vie des humains. Chaque groupe dispose de ses propres divinités tutélaires et participe à des cérémonies (danses et sacrifices d’animaux) organisées dans des temples par des prêtres qui se chargent d’interpréter les messages des « esprits » lorsqu’ils prennent possession d’un initié.