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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

vers une reconnaissance et une indemnisation des travailleurs forcés indochinois en France ?

Après 70 ans de silence, l’État français pourrait enfin reconnaitre le sort subi par les 20 000 paysans vietnamiens qui ont été envoyés en France en 1939. Ils furent emmenés, le plus souvent de force, en fond de cales de bateaux, parqués dans des camps, utilisés comme main d’œuvre dans des ateliers d’armement, puis dans tous les secteurs de l’économie française, sans que jamais aucun salaire ne leur soit versé. Ce scandale a duré jusqu’en 1948, et même au-delà pour certains. Les derniers d’entre eux ne purent revoir leur pays qu’en 1952, après 13 années d’exil forcé. Un millier restèrent en France, et y fondèrent une famille. La publication en 2009 du livre Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952) de Pierre Daum5 a provoqué une prise de conscience, notamment dans le midi méditerranéen, devant le sort de ces anciennes victimes du colonialisme. Des parlementaires de tout l'éventail politique ont déposé des questions écrites au gouvernement « lui demandant quelles mesures il compte prendre afin que la France reconnaisse officiellement sa responsabilité dans ce drame inhumain enduré par les travailleurs forcés d’Indochine et s’il compte procéder à une juste indemnisation des familles. »

Une main-d’oeuvre coloniale mobilisée de force
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Dès 1939, l’Etat français a usé de son droit d’opérer, en temps de guerre, une levée de main-d’oeuvre dans ses colonies. L’histoire de ces travailleurs reste peu connue. Pourtant, en Indochine, pour ne citer que cet exemple, près de vingt mille jeunes hommes, essentiellement des paysans, sont mobilisés de force.

L’administration coloniale se charge du recrutement. Chaque famille regroupant au moins deux hommes âgés de plus de dix-huit ans devait fournir l’un d’entre eux à la Patrie. Cette mesure arbitraire touche sans distinction les célibataires, les hommes mariés et les pères de famille. Seul un groupe
restreint d’individus, principalement des fils de bonnes familles diplômés et parlant français, s’engage volontairement. Ceux-ci ont des fonctions d’interprètes ou de surveillants et sont chacun à la tête de vingt-quatre de leurs compatriotes, issus de milieux plus modestes, employés comme ONS (Ouvriers Non Spécialisés). Ces travailleurs indochinois qui dépendent du service de la M.O.I. (Main-d’OEuvre Indigène Nord-Africaine et Coloniale) sont
des civils régis par une discipline et un encadrement militaires.

Après une traversée longue et pénible où ils sont obligés de vivre reclus dans les cales des navires réquisitionnés des Messageries Maritimes, ils arrivent en métropole en 1940 dans les murs de la future prison des Beaumettes.

Ils sont ensuite rapidement transférés dans les usines d’armement (Poudreries
Nationales, etc.) afin de remplacer les hommes partis au front. Ils sont répartis en compagnies, groupes d’environ deux cent cinquante hommes, regroupées elles-mêmes en cinq légions (Agde, Sorgues, Toulouse, Bordeaux et Marseille). En fonction du lieu de leurs activités, ces dernières ont été amenées à déplacer leur siège.

A l’annonce de l’Armistice, les compagnies qui se trouvent en zone occupée sont contraintes de se rendre en zone sud par leurs propres moyens. A partir de cette période, la plupart des travailleurs sont « loués » par l’État français et l’intermédiaire de la M.O.I. à des entreprises privées ou publiques. Ils sont ainsi affectés aux travaux agricoles, forestiers, salicoles et rizicoles. Par ailleurs, le rôle et le savoir-faire de ces requis dans le développement
florissant de la riziculture en Camargue n’ont été reconnus que récemment.

A l’installation en zone sud des Allemands, les poudreries reprennent peu à peu leur activité et certains Indochinois y travaillent. D’autres sont recrutés pour des travaux divers : usines textiles, coupes de bois, organisation Todt (Marseille), etc.

Après la Libération de la France, nombre d’entre eux se retrouvent au chômage et sont embauchés ponctuellement dans des entreprises proches de leur camp de base. Entre 1946 et 1952, plus de quatre-vingts pour cent d’entre eux sont rapatriés dans leur pays d’origine. D’autres restent en France pour raisons soit salariales soit familiales.


Le 10 décembre 2009, le maire communiste d’Arles, Hervé Schiavetti, avait organisé une cérémonie d’hommage aux travailleurs indochinois, dont 1500 avaient été envoyés en Camargue, certains dans les salines, d’autres pour la relance de la riziculture.

Le 16 octobre 2011, lors d’une cérémonie en hommage aux travailleurs indochinois, Frédéric Vigouroux maire socialiste de Miramas (Bouches-du-Rhône) s’était publiquement engagé à « saisir tous les parlementaires de notre Département, députés et sénateurs, du sort injuste de ces travailleurs pour que leur dignité leur soit rendue et pour qu’une juste indemnisation soit apportée à leurs familles »

Le 30 novembre 2011, la mairie de Toulouse a remis la médaille de la ville à deux des tout derniers travailleurs indochinois internés dans des camps situés sur sa commune, entre 1939 et 1945.

Début décembre 2011 des parlementaires ont interrogé le gouvernement.
Voici quelques extraits des “questions écrites” qui ont été posées – et auxquelles le gouvernement n’a pas encore répondu.

Michel Vauzelle, député socialiste (Bouches-du-Rhône), président de la région PACA
2

M. Michel Vauzelle attire l’attention de M. le ministre de la défense et des anciens combattants sur la question des travailleurs indochinois envoyés en métropole dès septembre 1939 afin de soutenir l’effort de guerre. Désignés souvent contre leur volonté, ces derniers quittèrent leurs villages sous peine de voir leurs pères emprisonnés.

Après un voyage éprouvant, ils furent répartis de Marseille sur l’ensemble du territoire français, notamment dans des lieux de productions d’armement et au sein d’exploitations agricoles. […]

Roland Povinelli sénateur socialiste (Bouches-du-Rhône), Maire d’Allauch 3

[…] C’est à partir de 1939 que la France a déporté brutalement plus de 20 000 jeunes paysans indochinois conduits par les forces armées dans notre pays où ils sont devenus travailleurs forcés dans des conditions indignes.

Pour la plupart, ils ont été contraints, arrachés sans ménagement à leurs familles, jetés dans des bateaux dans des conditions inhumaines, convoyés jusqu’à Marseille où ils ont été « parqués » à la prison des Baumettes.

Ils ont ensuite été répartis entre plusieurs sites civils ou militaires : usines d’armement, campagnes de Camargue où ils créeront des rizières […]

Maryse Joissains-Masini, députée UMP (Bouches-du-Rhône), maire d’Aix-en-Provence
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[…]
À la frontière entre Miramas et Saint-Chamas, plus de 1 000 hommes vont ainsi venir travailler à la Poudrerie nationale, sans salaire et dans des conditions très pénibles et dangereuses. À quelques pas de leur lieu de travail, ils vont être logés dans un camp à la discipline sévère où régnaient la maladie et la malnutrition. L’administration poussera le cynisme jusqu’à dénommer ce camp Gia Dinh (« mon foyer, ma famille » en vietnamien). Sur les 20 000 travailleurs, plus de 1 000 ne rentreront jamais chez eux, morts de fatigue, de maladie ou par suicide.

Jean-Jacques Candelier, député communiste du Nord

[…] La fin de la guerre ne marqua pas la fin de cet exil forcé et abominable pour nombre d’entre eux qui ne purent rejoindre l’Indochine qu’en 1952.

Il n’y a jamais eu de reconnaissance officielle du sort atroce fait à ces hommes et les Gouvernements successifs sont surtout désireux d’oublier cette sombre page de l’histoire de France. […]

  1. Source : http://www.travailleurs-indochinois.org/images/indochine_de_provence_2012.pdf.
  2. Question écrite N° 123375, publiée au JO le 6/12/2011, de Michel Vauzelle : http://michel-vauzelle.fr/question-au-gouvernement/travailleurs-indochinois.
  3. Question écrite N° 21284, publiée dans le JO Sénat du 08/12/2011, de Roland Povinelli :
    http://www.senat.fr/questions/base/2011/qSEQ111221284.html.
  4. Question écrite N° : 123376, publiée au JO le 6/12/2011, de Maryse Joissains-Masini : http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-123376QE.htm.
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