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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Valérie Pécresse contre Angela Davis :
la politicaillerie contre l’Histoire
par Alain Ruscio

La région Île-de-France, dirigée par Valérie Pécresse, a décidé à l’occasion d’un vote en commission permanente, le 5 juillet, de refuser le nom d'Angela Davis au lycée de Saint-Denis qui l'avait choisi. Avec pour motif qu'elle avait publié en 2021 une tribune dans laquelle elle fustigeait la « mentalité coloniale [qui] se manifeste dans les structures de gouvernance de la France, en particulier vis-à-vis des citoyens et des immigrés racisés ». Il y a presque cinq ans, le conseil d’administration de l’établissement a voté cette dénomination à une très large majorité et le nom d’Angela-Davis figure sur tous les documents du lycée, de la Région et de l’Éducation nationale. L’indignation est grande parmi les enseignant·es, un communiqué cosigné par les sections Snes-FSU, Sud Éducation et CGT dénonce cette décision. C’est maintenant à Pap Ndiaye, ministre de l’Education nationale, de se prononcer.

Valérie Pécresse contre Angela Davis :
la politicaillerie contre l’Histoire



par Alain Ruscio, pour histoirecoloniale.net

Le 5 juillet 2023, la majorité du conseil régional de l’Ile-de-France, conduite avec le courage qu’on lui connaît par Mme Valérie Pécresse, a décidé de débaptiser le lycée de Saint-Denis Angela Davis pour lui substituer le nom de Rosa Parks. Outre le calcul misérable consistant à opposer deux militantes antiracistes – l’une dérangeante, l’autre consensuelle ? –, il s’agit là d’un affront fait, pesons nos mots, à l’Histoire.

Rappelons-la, donc. En 1970, Angela Davis – âgée aujourd’hui de 79 ans –, membre du Parti communiste américain, militante antiraciste et féministe, a été accusée d’avoir participé à l’enlèvement d’un juge, par la suite assassiné. Elle fut placée par le FBI sur la liste des dix personnes les plus recherchées du pays. S’ensuivit une campagne de haine en ce pays toujours marqué par le racisme antinoir systémique, accompagnée d’une « chasse à la femme ». Arrêtée en octobre 1970, elle passera deux années en prison, avant d’être acquittée devant l’absence totale de preuves.

Mille neuf-cent soixante-dix… Les États-Unis connaissent – non : subissent – alors la présidence de Richard Nixon, accompagné par l’inévitable Henry Kissinger. Ce tandem, l’un des plus redoutables – et des plus réactionnaires, malgré une forte concurrence en ce domaine – de l’histoire du pays, est celui qui au même moment napalmise massivement le Viet Nam et le Laos, fait entrer dans la valse meurtrière de la guerre le Cambodge, poursuit et élimine méthodiquement les guérilleros d’Amérique latine, en attendant de préparer l’assassinat de Salvador Allende. Et, accessoirement, espionne l’opposition, « watergatise » la vie politique du pays.

L’emprisonnement arbitraire d’Angela Davis, les menaces sur sa vie même qui vont un temps peser sur elle ont suscité une vague de protestation dans le monde entier. Un temps, les paroles de la chanson de Joan Baez sur Sacco et Vanzetti vont être détournées et les rues entendront « Libérez Angela Davis ». La « Lily » de Pierre Perret se révoltera contre le racisme en voyant Angela. Ses portraits vont côtoyer, dans ce monde dans lequel brûle encore, et pas seulement en France, la flamme soixante-huitarde, ceux de Marx, Engels, Lénine, Ho Chi Minh et, pour certains, de Trotsky et de Mao. Les Français qui ont vu la grande manifestation menée, bras dessus, bras dessous, par un Aragon rajeuni et la sœur d’Angela, n’ont pu oublier cette image. Ni les engagements de Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre, de Jean Genet, etc.

Et c’est cette icône, chère aujourd’hui encore au cœur de millions de gens – et pas seulement par nostalgie de la jeunesse – que quelques élus mesquins osent insulter.

On pense immanquablement à un autre chanteur français, Jean Ferrat, apostrophant naguère Jean d’Ormesson : « Quand le canon se tait, vous vous continuez. » On pourrait le paraphraser : « Quand les réactionnaires américains se sont tus, vous vous continuez. » Ferrat a aussi écrit : « Les maîtres ont encore une âme de valets. »

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