Une restitution des trésors coloniaux en trompe-l’œil
par Louis-Georges Tin, président d’honneur du Conseil représentatif des associations noires (Cran), Lova Rinel, présidente du Cran et Laurent Tonegnikes, président du Cran-Bénin, publié le 5 octobre 2020 dans Libération.
Tribune.
Le texte de loi en débat à l’Assemblée nationale constitue une mise en œuvre minimaliste des engagements pris par le président. La France possède des objets venant de plus de trente pays d’Afrique qui doivent être restitués même s’ils ne sont pas encore réclamés par leurs propriétaires légitimes.
Le débat arrive enfin à l’Assemblée nationale. C’est une bonne nouvelle. Car depuis 2013, le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) a beaucoup œuvré pour la restitution des trésors coloniaux. Or cette campagne a porté ses fruits : François Hollande s’y était opposé, mais Emmanuel Macron s’y est engagé. Le 28 novembre 2017, lors de son discours à Ouagadougou, il a indiqué qu’il ferait en sorte que les trésors africains puissent retourner en Afrique. Rappelons à cette occasion que plus de 90% du patrimoine africain classique se trouve en dehors du continent.
au Burkina Faso, le 28 novembre 2017.
Le texte de loi qui a été présenté en Conseil des ministres, et qui est maintenant débattu à l’Assemblée, pose cependant problème. Il constitue une mise en œuvre ultraminimaliste des engagements pris par le Président. En effet, la France possède des objets venant de plus de 30 pays d’Afrique. Nos musées détiennent non seulement des artefacts des anciennes colonies, mais également des œuvres de pays qui n’ont jamais été occupés par la France, comme l’Ethiopie (3 081 pièces), le Ghana (1 656), le Nigeria (1 148), la république démocratique du Congo (1 428), selon les chiffres du rapport Sarr-Savoy. En effet, les œuvres volées ont souvent été revendues à des collectionneurs ou à des directeurs d’institutions culturelles, coupables de trafic et de recel, et se sont ainsi retrouvées en France.
Biens mal acquis
Or seuls deux pays sont concernés par ce projet de loi, le Bénin et le Sénégal. Nous sommes fondés à nous demander pourquoi les autres pays n’ont pas eu droit eux aussi à la restitution. On nous dira peut-être que leurs dirigeants n’ont pas réclamé leur patrimoine. Mais ont-ils été approchés ? Ont-ils été informés ? Leur a-t-on communiqué l’inventaire des biens volés à leurs pays ? Etaient-ils en mesure de formuler une requête précise, alors que les données nécessaires n’étaient pas disponibles ? Bien sûr que non. Bref, cette restitution restreinte constitue une discrimination dans l’accès aux droits, et donne l’impression d’une justice à deux vitesses. La colonisation a été un crime contre l’humanité, comme l’avait déclaré Emmanuel Macron pendant la campagne pour l’élection présidentielle. Dans ce contexte, rendre justice aux uns et pas aux autres est évidemment insupportable.
Par ailleurs, même pour les deux pays concernés, c’est une restitution tronquée. Vingt-six objets seront rendus au Bénin, alors que 3 157 artefacts béninois se trouvent au musée du Quai-Branly, sans parler de tous ceux qui sont dans les musées locaux, notamment dans les villes portuaires comme Nantes ou Bordeaux. En d’autres termes, la France restitue tout au plus 0,8% du patrimoine béninois. Pour ce qui est du Sénégal, c’est pire encore : un objet seulement sur 2 281 doit être restitué, soit 0,008% de l’ensemble du patrimoine sénégalais détenu en France. A l’aune de ces chiffres dérisoires, voire insultants, il apparaît que le projet de loi n’est pas seulement minimaliste, il s’agit véritablement d’une restitution en trompe-l’œil.
Toujours selon le rapport Sarr-Savoy, sur les 70 000 pièces du musée du Quai-Branly, 46 000 ont été « acquises » durant la période 1885-1960, et sont donc susceptibles d’être restituées, car il s’agit en effet de biens mal acquis, prélevés dans des colonies qui, par définition, n’étaient pas en état d’exprimer à l’époque une quelconque souveraineté en matière de patrimoine. Ces biens doivent donc être restitués.
Même s’ils ne sont pas encore réclamés par leurs propriétaires légitimes, l’Etat français doit cependant acter dès maintenant la restitution de façon générale. Tout en demeurant dans les musées, les objets concernés pourraient être restitués d’ores et déjà, placés sur une sorte de compte séquestre, en attendant d’être physiquement retournés à leur pays d’origine. Ainsi, il ne sera pas nécessaire de repasser par l’Assemblée chaque fois qu’un gouvernement viendra réclamer tel ou tel artefact, le calendrier parlementaire étant déjà surchargé. Les objets acquis pendant la colonisation seraient tous restitués maintenant, et retournés ultérieurement, au fur et à mesure des requêtes exprimées. Cela implique de distinguer la restitution, qui est un acte juridique (lequel doit être effectué au plus tôt), du retour, qui est un acte physique (lequel peut être différé).
Au demeurant, un pays qui voudrait récupérer ses trésors, mais ne serait pas encore prêt à les conserver dans les conditions adéquates, pourrait dès lors les louer à la France, moyennant finances, ou les faire circuler à l’international, dans une exposition itinérante, pour faire rayonner sa culture. Pendant deux, trois, cinq ans ou plus, ce dispositif permettrait d’engranger des fonds, qui pourraient servir aux financements des musées dans le pays d’origine. Et une fois les sommes nécessaires réunies, les artefacts pourraient alors être rapatriés.
Cycle de contentieux inextricable
A tort ou à raison, la France ne cesse d’accuser certains présidents africains de détenir sur son territoire des biens mal acquis. Elle n’hésite pas à confisquer ces biens, le cas échéant. Comment pourrait-elle dans le même temps conserver sur son territoire des biens encore plus mal acquis, car obtenus le plus souvent après des massacres et des pillages ? Si ces objets sont conservés en France, le Parlement doit clairement adopter un amendement essentiel pour indiquer que ces objets ne sont plus propriété française, et qu’ils sont simplement en attente de leur légitime propriétaire. Si un pareil mécanisme n’est pas adopté par le Parlement, la loi sera non seulement, insultante, discriminatoire, mais elle pourrait en outre ouvrir un cycle de contentieux tout à fait inextricable.
En mars 2019, travaillant avec l’European Network Against Racism (Enar) et l’Etat de la diaspora africaine, le Cran avait obtenu que le Parlement européen adopte une résolution invitant les Etats membres à mettre en place des « réparations sous la forme d’excuses publiques ou d’une restitution d’objets volés à leurs pays d’origine ». Telle qu’elle apparaît dans le projet de loi, la restitution risque de créer des tensions, notamment auprès des peuples d’Afrique et de la diaspora, qui suivent tout cela avec beaucoup d’attention. Une restitution à 0,00 et quelques pour cent n’est pas une vraie restitution. La France s’honorerait de respecter le droit européen, le droit africain, le droit international, et ce qui est en définitive le droit naturel.
« Il faut enseigner aux Français d’où viennent ces œuvres et
pourquoi elles ne leur appartiennent pas »
par Mame-Fatou Niang, interrogée par Marie Sorbier dans l’émission « Affaire en cours », publié le 9 octobre 2020 sur France culture. Source
Un projet de loi pour un pan d’art et d’histoire à l’Assemblée. Le texte sur la restitution de biens culturels au Sénégal et au Bénin a obtenu l’unanimité des 49 suffrages exprimés ce mardi 6 octobre en première lecture (voir ici la vidéo des débats).
RESTITUTION DE BIENS CULTURELS À LA RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
ET À LA RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL
Un texte composé de deux articles seulement : un pour chaque pays et les œuvres concernées. 26 pièces du « Trésor de Béhanzin » pillées au palais d’Abomey en 1892 quitteront ainsi le musée du quai Branly pour le Bénin. Et le Sénégal doit définitivement récupérer un sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall, grande figure militaire et religieuse ouest-africaine du XIXe siècle. Des pièces considérées jusqu’ici inaliénables que détenait le Musée de l’Armée à Paris et en prêt de longue durée au Musée des Civilisations Noires de Dakar depuis fin 2019.
Pour nous éclairer sur les enjeux de la restitution d’œuvres d’art depuis la France vers les pays africains, nous interrogeons Mame-Fatou Niang, maîtresse de conférence en littérature française à l’Université de Pittsburgh Carnegie-Mellon, aux Etats-Unis.
Avant tout, quel est l’aspect symbolique de ce geste, dont Roselyne Bachelot dit qu’il « contribue à donner à la jeunesse africaine l’accès à des éléments majeurs de son patrimoine » ?
Mame-Fatou Niang : La question symbolique relie trois objets. Le premier est celui du nécessaire décentrement de point de vue, aujourd’hui extrêmement franco- et euro-centrés, sur la définition et la fonction d’un musée. Le deuxième est l’intégration de la question de la restitution dans le climat actuel d’interrogation autour du passé de la France et des effets de ce passé là sur notre monde actuel. Le troisième est celui de la nécessaire pédagogie de masse qui devra accompagner ces restitutions : il faudra enseigner aux Français d’où viennent ces œuvres et pourquoi elles ne leur appartiennent pas.
On voit avec ces trois objets qu’on est au-delà de l’aspect purement symbolique d’un geste résultant du fait du prince, d’un geste offert à la jeunesse africaine. On est dans un rééquilibrage d’une histoire longuement occultée et ignorée, et qui devra être écrite.
La question de la restitution rentre dans un courant plus large qu’on a pu voir se développer ces derniers temps autour de l’histoire coloniale de la France, de la République et des concepts comme l’universalisme. Ces questions touchent à l’histoire de ce patrimoine, de la manière dont il a été constitué et de celle dont l’histoire de ces objets d’art va rencontrer la grande histoire coloniale. C’est une constitution faite à la faveur de dons, d’achats, mais vraiment plus de conquêtes et de razzias qui étaient légales jusqu’au début du 20ème siècle. Il s’agit non seulement de la collecte, mais de la centralisation de l’exposition dans les musées français. Les objets deviennent alors la propriété de tous les Français tout en montrant au monde la puissance de la France.
Mardi 6 octobre, Mame-Fatou Niang a assisté à l’approbation unanime à l’Assemblée nationale, où l’intervention de la députée Agnès Thill l’a particulièrement marquée.
La présentation de cette députée, les peurs et l’incompréhension qui nimbaient ses questions posées dans l’Hémicycle me semblent significatives de l’ignorance qui entoure les questions de la restitution. Il y a aujourd’hui une volonté de la France de rendre les œuvres d’art, mais il reste une pédagogie à faire sur la population française. Avec les propos de la députée Thill, on sent une peur de la perte, de l’autorité qui part. Lorsqu’elle compare une restitution d’objets au Bénin et au Sénégal à une restitution du Pont du Gard aux Romains, on voit une confusion totale entre ce qui nous appartient, ce qui ne nous appartient pas et ce qui est un butin de guerre. D’où la nécessité d’expliquer aux Français comment ces objets ont été acquis et posés dans nos musées, et que leur restitution n’est ni un acte de bonté, ni un fait du prince, ni une repentance qui donnerait raison aux « indigénistes déboulonneurs de statues ». Il y a une très longue histoire de ces demandes de restitution.
Ces objets, à l’origine destinés à des usages rituels ou usuels plutôt qu’à une vie muséale, que deviendront-ils après leur restitution ?
C’est la question de la réimplantation des œuvres dans leur culture d’origine. On nous dit qu’elles sont inaliénables parce que d’intérêt public. Mais d’un intérêt public pour qui ? Les jeunes Africains grandissent aujourd’hui sans leur histoire sous les yeux, amputés d’une partie de leur mémoire. L’intensité de la spoliation des œuvres en Afrique subsaharienne était telle qu’elle a été considérée comme un cas d’école : 90 000 objets du patrimoine africain sont en France, dont 70 000 au Musée du Quai Branly, alors que les musées des pays africains tournent entre 3 000 et 5 000 objets. Imaginez si aujourd’hui la couronne de Louis XV, le sceptre de Charles V, l’épée de Charlemagne, ne se trouvaient pas à la basilique de Saint-Denis et au Louvre, mais au Musée des civilisations de Dakar.
Il est primordial de réfléchir au processus qui permettront à ces objets de retrouver leur fonction dans leur culture d’origine, ou d’en retrouver des nouvelles. Beaucoup de ces œuvres n’auraient jamais été muséifiées dans leur pays d’origine, si elles y étaient restées. C’étaient des objets de culte, des objets du quotidien qui avaient des gardiens naturels. Ils ont une importance mémorielle et des fonctions dans le quotidien. La question de leur réimplantation nous pousse à revoir cette idée extrêmement eurocentrée de la muséification. Et puis, le Sénégal de 2020, ce n’est pas le Sénégal de 1960. Il y a un imaginaire qui s’enveloppe autour de l’Afrique mais il faut voir aujourd’hui : si on ne parle que des musées, il y a des choses extraordinaires faites par les musées africains, qui prouvent leur capacité à s’occuper de ces objets.
En Belgique, le musée d’Anvers lance sa décolonisation
par Ludovic Lamant, publié le 10 octobre 2020 sur Mediapart. Source
Alors que des députés belges enquêtent sur la colonisation du Congo, une exposition du musée de la ville d’Anvers revient sur les origines coloniales de sa collection d’art congolais. Manière de préparer le terrain aux restitutions ?
Anvers (Belgique).– Le bras est ciselé dans l’ivoire. Droit comme un I, le poing fermé, sauf le pouce, dressé. Le pendentif, minuscule, est orné dans sa partie inférieure de motifs floraux. La date de fabrication est incertaine : XIXe siècle, peut-être XXe. Des cent objets congolais sortis des collections du MAS, le musée de la ville d’Anvers, pour cette exposition inédite, c’est ce poing levé que Nadia Nsayi préfère : « La première fois que je l’ai vu, j’ai fait le lien, tout de suite, avec Black Lives Matter, et le Black Power. J’y vois le symbole de la résistance des peuples Kongo », avance à Mediapart l’une des deux commissaires de l’exposition.
La manifestation « 100 x Congo » s’est ouverte début octobre, à l’occasion d’un double anniversaire : les soixante ans de l’indépendance du Congo, après 75 ans de colonisation belge (1885-1960), mais surtout le centenaire de l’acquisition des tout premiers objets congolais par la ville d’Anvers. L’exposition se trouve aujourd’hui prise dans une actualité saisissante, que les commissaires n’avaient pas anticipée.
Des défilés massifs en soutien à Black Lives Matter ont éclaté en Belgique au printemps, dans le sillage de la mort de George Floyd, à tel point qu’une commission parlementaire s’est formée pour enquêter, pendant un an, sur le legs empoisonné des aventures coloniales du royaume. Ce panel doit, d’ici l’été 2021, livrer ses conclusions, notamment sur le retour d’œuvres d’art spoliées.
« Il ne faut pas cacher cette collection mais, au contraire, l’exposer au grand jour, et lancer le débat, y compris sur les restitutions », avance Nadia Nsayi. Des 5 000 objets et œuvres d’art d’origine congolaise qu’il détient, le Museum aan de Stroom (MAS, « musée sur le cours d’eau »), une imposante tour à la façade de grès rouge, posée sur un bassin non loin du port d’Anvers, en a donc retenu cent : des masques, bijoux, figurines, chaises et autres gobelets, exposés derrière des vitrines placées au centre d’une vaste salle.
Sur les murs tout autour, l’histoire des relations entre Anvers et le Congo défile, du XVIe siècle à nos jours, et permet de reconstituer l’itinéraire de ces pièces. Aux travaux des grands maîtres (d’Albrecht Dürer, de passage en 1520, à Rubens, qui représentèrent tous deux dans leurs œuvres des Noirs arrivés à Anvers), succèdent les archives des deux expositions universelles qui se sont tenues dans la ville, et leurs zoos humains, de sinistre mémoire (1885 et 1894). Plus loin, le visiteur découvre le rôle de l’Anversois Louis Franck, ministre des colonies, parti en « tournée » au Congo de février à octobre 1920, ou du marchand d’art Henri Pareyn, dans la constitution de cette collection hors-norme.
Très vite, les perspectives se multiplient. D’autres voix sont convoquées, pour complexifier les partis pris de l’équipe du musée. Sur les vitrines sont projetées de manière intermittente des poèmes de l’écrivain congolais Patrick Mudekereza, qui plaide pour « désapprendre » le musée. Plus loin, un film réalisé par le collectif belgo-congolais Faire-Part donne la parole à des habitants d’Anvers et Kinshasa : face caméra, ils donnent leur avis, un à un, sur des pièces de la collection.
On y voit un artisan de Kinshasa, à qui l’on vient de présenter la reproduction d’un masque d’Anvers, s’empresser d’en réaliser une copie, pour conserver une trace de ce passé inconnu. Un commerçant, lui, s’emporte : faire payer les visiteurs d’un musée, en 2020, pour voir ces objets, relève du néocolonialisme. Une femme formule une interrogation au cœur de l’exposition : « Est-ce que je juge les statues en tant qu’Occidentale, avec mes goûts esthétiques, ou en tant que descendante d’origine congolaise ? C’est une question de perspective. » Autant d’interventions qui bousculent le visiteur, presque à chaque pas, dans ses certitudes.
« En tant qu’institution, nous nous sommes placés dans une situation vulnérable, reconnaît Nadia Nsayi. Nous posons la question de notre légitimité en tant que musée. Ce n’est pas un travail confortable. » Dans le catalogue de l’exposition dirigée par l’autre commissaire de l’exposition, Els De Palmenaer, les notices des objets ont toutes été confiées à des universitaires congolais. Elle insiste : « La colonisation a brisé la confiance et l’identité des peuples occupés. Il faut se réapproprier son histoire, si l’on veut construire quelque chose de neuf au Congo. Les références y sont encore souvent coloniales. Comme si l’histoire du Congo commençait avec la colonisation. Mais ces objets nous rappellent qu’il y a quelque chose avant. »
Nadia Nsayi, née à Kinshasa en 1984, n’est pas historienne de l’art. Débarquée en Belgique à l’âge de cinq ans, formée aux sciences politiques, passée par le monde des ONG, elle a rejoint l’an dernier l’équipe du MAS. En Flandre belge, Nadia Nsayi est surtout connue pour son livre, dont on peut traduire le titre par Fille de la décolonisation (EPO, 2020), qui mêle son histoire d’intégration en Belgique et celle de son grand-père paternel, un Belge parti travailler au Congo.
Cet été, elle a refusé d’intégrer le groupe d’experts qui chapeaute la commission parlementaire sur le Burundi, le Congo et le Rwanda. Comme d’autres universitaires, elle a tiqué sur le manque de concertation avec les associations de la diaspora, mais aussi sur la précipitation soudaine avec laquelle l’expérience a été lancée, en quelques semaines. À sa manière, l’exposition du MAS est sa contribution aux travaux de la commission.
Deux objets montrés à Anvers sont des pièces très sensibles, dans le débat sur les restitutions. L’une a été prêtée par le musée royal de Tervuren, près de Bruxelles, qui peine, lui, à se décoloniser malgré sa réouverture en 2018. Constituée de lamelles de bois, de bandes métalliques ou encore de bouts de tissu, cette « statue de pouvoir », pillée en 1878, fut une pièce phare de l’Exposition universelle de 1885 à Anvers. Depuis, elle a fait l’objet de réclamations de la RDC à plusieurs reprises.
Plus loin, un autre fétiche surprend par sa monumentalité : une statue flanquée d’une corne sur la tête, d’innombrables colliers au cou et d’une peau de reptile qui termine ses cheveux. Censée servir d’intermédiaire avec le monde des esprits, la pièce fut volée par les Belges, après la capture de son chef et propriétaire, un farouche opposant à la présence des Belges, Nkolomonyi.
Là encore, l’itinéraire de cet objet semble suffisamment documenté, aujourd’hui, pour ouvrir le chemin à son retour au Congo. Il n’y a aucune trace d’un « consentement explicite ou très vraisemblable » de son propriétaire de l’époque, pour reprendre les mots du rapport rédigé en 2018 par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, sur la restitution du patrimoine culturel africain.
Lire aussi sur Mediapart :
• La Belgique enquête sur son passé colonial, par Ludovic Lamant.
• La Belgique décolonise à tout petits pas son grand musée de l’Afrique, par François Bonnet.
• Restitution du patrimoine : « Il s’agit de rendre au continent africain une partie de son histoire », par Joseph Confavreux.
• L’Europe traversée par les débats postcoloniaux, par la rédaction de Mediapart.
Le MAS ne va pas jusqu’à proposer la restitution de certaines de ses pièces. Mais le livret qui accompagne l’exposition précise que le musée est « ouvert » à la question. « Oui, ces objets sont arrivés à Anvers dans un contexte colonial, d’occupation du Congo, intervient Nadia Nsayi. Mais ce n’est pas uniquement au niveau d’un musée, ou même d’une ville, que l’on décide des restitutions. Ce sont les Congolais qui doivent mettre la question sur la table. Ils doivent définir la manière dont les choses pourraient se passer. Qu’en pensent-ils ? Et de quels Congolais parle-t-on ? S’agit-il seulement du président, du gouvernement ? Ou des communautés qui ont créé ces objets et les ont perdus ? Et les associations de la diaspora ? »
Et d’ajouter : « Tant que les autorités congolaises ne seront pas préoccupées par ce patrimoine culturel, ne feront pas de revendications, la Belgique sera à l’aise. » Signe révélateur de ce manque d’intérêt relatif, aucun responsable politique congolais ne s’est déplacé au vernissage de l’exposition flamande. Pourtant, des solutions sont sur la table. Certains plaident pour le retour de la collection au Congo, accompagnée de la réalisation de copies pour le musée d’Anvers. Dans son texte biographique, Nadia Nsayi trace, elle, une autre piste : « Nous pourrions dans un premier temps changer la propriété juridique de la collection, qui ne soit plus une propriété de la ville d’Anvers, mais de l’État congolais. »
De manière plus émouvante, l’exposition du MAS vient aussi combler des lacunes sur l’histoire de la présence congolaise à Anvers. En épluchant des archives locales, l’équipe a mis au jour une comptabilité macabre : sur les cent quarante-quatre Congolais dépêchés à Anvers pour participer au village de l’Exposition universelle de 1894, au moins quarante-quatre ont été admis dans les hôpitaux, et huit d’entre eux sont décédés – de froid. Cet épisode était jusqu’à présent inconnu. On connaissait uniquement les sept Congolais morts, pour les mêmes raisons, lors de l’exposition internationale de Bruxelles, en 1897 – et dont on peut encore voir les cercueils, posés le long d’une paroi de l’église de Tervuren.
Les corps des huit Congolais morts à Anvers ont d’abord été enterrés au cimetière de Kiel, avant d’être exhumés quelques années plus tard pour rejoindre une fosse commune, non loin de là. « Tout être humain est touché par cette découverte, commente Nadia Nsayi. Mais quand on est d’origine congolaise, cela prend encore une autre dimension : huit morts, des jeunes âgés de 17 à 25 ans… Je suis arrivée ici en 1989, et les premiers Congolais venus ici des années plus tôt sont morts de froid ! C’est extrêmement violent. »
Interpelée par le parti écologiste lors d’un débat récent au conseil municipal, l’adjointe à la culture s’est engagée à ériger un monument, en souvenir de ces huit Congolais, à proximité de la fosse commune. Une avancée manifeste, à l’heure où nombre de statues de l’espace public belge, à commencer par celles de Léopold II, sont prises pour cible de manifestants. Il reste à voir si cette promesse se concrétisera, alors que l’actuelle mairie d’Anvers est la place forte de la N-VA. La formation indépendantiste flamande de Bart de Wever s’était montrée, en juin, très réservée sur la nécessité d’une commission parlementaire sur l’expérience coloniale belge.
Le président sénégalais Macky Sall (à droite) reçoit le sabre d’El Hadj Oumar Tall lors d’une cérémonie au palais de la République du Sénégal, le 17 novembre 2019, dans le cadre d’un prêt de longue durée au Musée des civilisations noires à Dakar.