Présentation de l’éditeur
Alain Ruscio
QUAND LES CIVILISATEURS CROQUAIENT LES INDIGÈNES
DESSINS ET CARICATURES AU TEMPS DES COLONIES
L’homme d’Occident s’est autoproclamé blanc.
Certaines des œuvres ici réunies, spécifiquement centrées sur le dessin et la caricature,
nous paraissent aujourd’hui dramatiquement dégradantes pour tous les autres habitants de la planète. Leurs décryptages par l’auteur témoignent que les contemporains ne les concevaient ni ne les percevaient pas comme tels.
Parachevant ce panorama des regards et des pensées contradictoires de l’époque
coloniale, sont également présents dans le livre ceux qui, beaucoup plus rares, se sont élevés par les mêmes moyens artistiques contre le racisme dominant et envahissant.
La période étudiée dans cet ouvrage – centré sur les espaces coloniaux français,
du Maghreb à l’Afrique noire et Madagascar, et de « l’Indochine » aux îles du Pacifique – s’étend du début du XIXe siècle jusqu’aux Indépendances des années 1950-1960.
Sommaire
Introduction :
Naissance des stéréotypes
par Marcel Dorigny
Si la pratique de la traite négrière et de l’esclavage des Noirs n’a pas « inventé » les stéréotypes raciaux, elle a très fortement contribué à les construire, à les répandre et à les implanter dans les mentalités des populations initiatrices de la colonisation.
Le soleil ne se couche jamais sur notre empire
Les hommes et femmes de couleur de cet Empire de plus de vingt fois la superficie de la métropole connaissent – subissent ? – la loi française. Le Parti colonial qui devait s’attacher l’approbation de l’opinion publique a méticuleusement échafaudé une politique concertée, cohérente, de conquête des esprits. D’où la propagande aux multiples facettes du Parti colonial.
Civilisateurs et indigènes
L’attachement à la Mission civilisatrice ne fut pas seulement un voile hypocrite jeté sur des pratiques inavouables. Une étonnante (?) similitude a uni les projets des Républicains qui pour la plupart se réclamaient de la gauche, et ceux des milieux catholiques, à l’époque souvent réactionnaires, en quête permanente d’évangélisation des âmes.
Des voix qui crient dans le désert
Tout au long de l’histoire de l’implantation française outre-mer, des voix protestèrent en effet, mais en adoptant des raisonnements bien différents (anticolonialisme à l’état pur, attitudes internationaliste, humaniste, nationaliste, etc.). Trop divisés, trop accaparés par ailleurs, les anticolonialistes n’ayant pu rivaliser avec le Parti colonial ont été, tout au plus, des forces d’appoint dans les luttes des peuples colonisés.
Postface :
La décolonisation tragique
Décolonisation… Lorsque l’Européen décolonise, c’est parce que sa politique, son intérêt, ont changé. Mais comme en témoigne une simple lecture des faits (Algérie, Indochine, Cameroun…) en tout cas pour la France les peuples conquis et longtemps dominés ont bien joué leur rôle.
Légendes, transcriptions et commentaires
Alain Ruscio éclaire de ses commentaires explicatifs les transcriptions issues
des documents (presse, livres, etc.) et remet l’ensemble en perspective.
Les auteurs
Alain Ruscio est historien, docteur en histoire, chercheur indépendant. Il a consacré l’essentiel de son travail de recherche à l’Indochine coloniale et à la phase finale de cette histoire, la guerre dite française d’Indochine (1945-1954).
Marcel Dorigny a enseigné au département d’histoire de l’Université
Paris 8. Spécialiste du XIXe siècle et de la Révolution française, principalement
dans les domaines coloniaux, il a traité notamment la place de l’esclavage dans les doctrines libérales du XVIIIe siècle, les courants anti-esclavagistes et abolitionnistes.
Le livre
L’impression de qualité confère épaisseur et tenue à ce beau livre. La couverture est dissimulée par un demi-étui. 264 pages, 21 x 27 cm. 39 €.
Lire la présentation de l’éditeur et feuilleter le livre
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Les Français sont moins racistes qu’autrefois
par Joëlle Stolz, publié le 16 octobre 2020 par
Mediapart, sur le blog de Joëlle Stolz.
Source
Le livre abondamment illustré qu’Alain Ruscio consacre à l’imagerie colonialiste le montre : alors qu’il était jadis la norme, le racisme ouvertement assumé nous est devenu étranger. Moins grâce aux lois et à l’éducation que parce que l’image des « inférieurs » d’hier a profondément changé en un siècle. Français, encore un effort !
C’est un ouvrage qui sort à point avant les fêtes de fin d’année, mais n’a rien d’un « beau livre », du genre de ceux que l’on laisse en évidence sur la table basse du séjour.
Quand les civilisateurs croquaient les indigènes, signé d’Alain Ruscio et publié aux Editions du Cercle d’art, est choquant, effarant, voire effrayant pour le lecteur d’aujourd’hui, parce qu’il montre en détail comment la grande majorité des Français voyaient ceux que leur pays avait colonisés – à travers d’innombrables réclames, dessins humoristiques, affiches, livres d’enfants, publications largement diffusées à leur époque et aussi diverses que
Le Pèlerin,
Le journal des voyages,
La presse coloniale illustrée,
L’oeil de la police ou
La semaine illustrée.
L’une des grandes qualités de ce recueil – au prix modique : 39 euros, ce qui n’est pas énorme vu l’abondance des reproductions – est qu’il ne se limite pas à l’Afrique noire ou au Maghreb, puisqu’il englobe aussi les « territoires d’outre-mer », aussi bien aux Antilles que dans le Pacifique, et les régions asiatiques qui furent occupées et exploitées par la France, notamment en Indochine. Cet élargissement de la focale enrichit notre regard : j’expliquerai pourquoi.
Qui est Alain Ruscio ? Historien peu connu du grand public, âgé de 73 ans, il a publié des dizaines d’ouvrages et d’articles, en particulier sur la guerre d’Indochine à laquelle il a consacré sa thèse et où il fut le correspondant de
L’Humanité après la victoire des Vietnamiens contre les Etats-Unis. Membre du Parti communiste français de 1963 à 1991, il s’est également intéressé à l’Algérie : citons entre autres l’essai qu’il a publié sur l’OAS chez La Découverte,
Nostalgérie (2015). Il a soutenu la France insoumise, même s’il n’approuve pas sa récente évolution (nous apprend Wikipedia). Bref un militant de gauche, autant qu’un expert qui a fréquenté les archives.
Reproduire ces vignettes outrageusement racistes, est-ce insulter une seconde fois ceux qui en étaient la cible ? On se souvient des polémiques suscitées il y a deux ans par l’ouvrage coordonné par Pascal Blanchard,
Sexe, race et colonies. Journaliste en Algérie au début des années 1980, je n’ai pas oublié non plus les réactions suscitées là-bas par le photographe Marc Garanger lorsque celui-ci, qui avait commencé sa carrière comme appelé et photographe de l’armée française durant la guerre que celle-ci a mené contre les indépendantistes algériens, a publié sous forme de livre les clichés qu’il avait réalisés à l’époque de femmes, surtout des paysannes, contraintes d’enlever leur voile et d’exposer leur visage, leur regard plein d’un reproche silencieux devant son objectif : c’était, de fait, une forme de viol, et une psychiatre de l’Hôpital Frantz Fanon de Blida se demandait s’il était possible d’interdire pareilles photos
A mon avis le filtre opéré ici par un dessin plus ou moins stylisé – ce qui ne signifie pas que ces images ne soient pas brutales, elles le sont -, atténue les problèmes éthiques que peut soulever la photographie : même mise en scène, celle-ci capte toujours une part d’un être humain, comme ces tristes reliques (on se souvient de Sarah Bartman, la « Vénus hottentote ») qui furent longtemps conservées par les musées occidentaux d’histoire naturelle.
L’autre filtre est celui qu’a opéré le temps. En 2020, l’immense majorité des lecteurs ne peut plus décemment s’identifier au regard dépréciatif que supposent de telles images. Gageons que même des militants d’extrême droite, à part quelques suprémacistes fanatiques, ne s’y retrouveraient plus. Du coup, nous pouvons mesurer tout ce qui a changé. Car j’appartiens en gros à la même génération que Ruscio et j’ai connu dans mon enfance – certes pas cette publicité pour une eau de Javel permettant de « blanchir un nègre », qui date de 1910 – mais les volumes édifiants de la Bibliothèque Rouge et Or racontant L’histoire merveilleuse d’Albert Schweitzer, le Noir hilare de
Ya bon, Banania à l’heure du goûter, les albums colorés sur « le petit Marocain » ou « la petite Annamite », les dialogues en « petit-nègre » ou en « sabir » qui faisaient rire la plupart des gens : c’était normal, et il fallait être grincheux pour s’en offusquer.
C’est parce que nous sommes devenus moins racistes, parce que ces représentations ne sont plus acceptables, que nous pouvons les voir pour ce qu’elles ont toujours été : un matraquage permanent en faveur de la domination d’autres peuples. Mais qu’est-ce qui a causé en nous un changement aussi net ? Il y a certes l’expérience désastreuse du nazisme, qui a porté à l’extrême la vision d’une hiérarchie des races et l’a définitivement décrédibilisée. Il y a les lois en vigueur, qui empêchent ce type de représentation ou permettent à des associations de porter plainte en justice. Il y a l’éducation à l’école, où les enseignants sont tenus de combattre le racisme quel qu’il soit, et de fournir à leurs élèves les armes intellectuelles pour le faire.
L’élément déterminant a cependant été l’action des « racisés » eux-mêmes, leur capacité à ne plus apparaître seulement comme des victimes mais comme des acteurs de leur propre histoire. C’est parce que le Viet-Minh a battu l’armée française à Dien Bien-Phu que les Algériens ont lancé leur lutte pour l’indépendance. C’est parce que les Noirs américains ont réclamé leurs droits civiques que l’establishment blanc a été contraint de les leur accorder. Etc.
Plus important encore – et c’est là que le tropisme indochinois de Ruscio s’avère utile -, il y a le fait que l’Occident, qui gouvernait le monde depuis quatre siècles, se voit défié par d’autres régions du globe, à commencer par l’Asie et plus particulièrement par la Chine. Il n’y a pas lieu ici de s’interroger sur le sens profond d’une telle opposition. Constatons seulement que cette déstabilisation majeure du système de domination occidental remet aussi en cause des hiérarchies que nous avions intériorisées.
A quel point notre vision des choses s’est modifiée, une anecdote le révèle : on a publié il y a quelques années le journal d’Albert Einstein, physicien universellement connu pour sa formule E = MC2 et ses vues progressistes, scientifique juif qui avait dû fuir les lois antisémites du Troisième Reich. Dans les années 1920, le jeune savant a fait un voyage en Chine. Il en a retenu, notamment après des contacts avec des Jésuites qui tenaient des écoles là-bas, que les Chinois n’étaient vraiment pas doués pour les sciences, en particulier mathématiques. On sourit aujourd’hui en lisant pareilles affirmations (qui ont fait débat en Allemagne : Einstein était-il donc raciste ?). Nombre d’universités en Amérique du Nord ne sont-elles pas obligées d’employer (officieusement du moins) des quotas pour limiter le nombre d’étudiants asiatiques inscrits dans leurs cursus, surtout de sciences ? Les Occidentaux ne sont-ils pas inquiets de l’offensive des chercheurs chinois, des brevets qu’ils déposent en masse, de leurs progrès spectaculaires dans certains domaines ?
Vieilles de moins d’un siècle, les notes d’Einstein dans son journal nous paraissent dérisoires, terriblement datées. Proprement incroyables. Comme les images du livre de Ruscio. Français, encore un effort pour être moins racistes !
Documents joints