512 pages, 20 euros.
La question kabyle dans le nationalisme algérien 1949-1962,
un livre de Ali Guenoun
par Salem Remane, publié dans Liberté-Algérie le 20 janvier 2021.
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Ali Guenoun, docteur en histoire à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, vient d’éditer un livre intitulé La question kabyle dans le nationalisme algérien 1949-1962, aux éditions du Croquant. Avec une préface de Omar Carlier et une postface de Mohammed Harbi, le contenu de cet ouvrage traite de deux configurations et deux époques de la lutte des nationalistes algériens pour l’indépendance du pays.
L’auteur, historien de profession, a apporté dans ce livre certains éclaircissements à des évènements mal décortiqués ou jusque-là incompris. Il a mis en relief le passé historique de l’Algérie et les diverses manipulations politiques allant du climat « claniste » au sein du PPA, du MTLD et FLN, en passant par les « magouilles internes » qui ont caractérisé la lutte armée 1954-1962.
L’engagement national d’une génération
Le premier volet de ce livre retrace les événements de la fin de la Seconde Guerre mondiale, et la tragédie du 8 Mai 1945 qui avait permis l’émergence de nouvelles formes d’organisation au sein du PPA (avec sa tripartition en MTLD légal, PPA clandestin, et Organisation spéciale (paramilitaire). À cette époque où les plaies du 8 Mai 1945 sont encore ouvertes, de jeunes militants vont donner un nouveau souffle au PPA. Un certain nombre d’entre eux est issu de la Kabylie et a déjà une base politique dans les rangs de l’Étoile nord-africaine (ENA), du Parti communiste français (PCF) et de la Confédération générale du travail (CGT).
Ces jeunes sont lycéens ou étudiants, ouvriers, petits salariés, petits commerçants ou chômeurs. Lorsqu’ils sont promus aux niveaux supérieurs de la hiérarchie du parti, ils se trouvent prêts à assumer leurs missions, car préparés et munis de « bagages ». Mais malgré leurs compétences, ils butent sur une opposition inexpliquée de la direction du parti. Cette dernière se positionne contre l’unification de la petite Kabylie avec la grande Kabylie qu’ils dirigent depuis 1945, l’abandon du mode de cooptation des cadres aux postes de responsabilité, ou encore la question fondamentale de la définition de la nation algérienne.
La crise de 1949 dite « berbériste »
Autant d’aspects porteurs de clivages à l’origine des conflits politiques qui vont se muer en un antagonisme « identitaire ». Néanmoins, la crise de 1949, dite « berbériste », est au cœur de ce conflit. Une époque illustrée par le militantisme valeureux de deux monuments historiques, Bennai Ouali et Amar Ould Hamouda, guides clairvoyants, pétris de dignité et d’honneur, assassinés par leurs pairs pour avoir assidûment revendiqué leur Amazighité. Dans le second volet de son livre, l’auteur a mis en exergue la guerre de Libération nationale 1954-1962, en mettant en relief la mise à l’écart de la Kabylie dans les apprêts du déclenchement de la lutte armée, alors qu’elle finira par s’imposer pour être un pilier incontestable durant toute la révolution.
Ses cadres sont parvenus à s’assurer des postes importants, voire principaux, dans la direction du FLN/ALN, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Algérie. Une prédominance qui affûtera la position anti-Kabyle chez les cadres concurrents des autres régions convoitant le leadership dans la direction de la guerre. Sans omettre de citer la période intermédiaire (1950-1954), l’auteur a abordé la montée en puissance de la wilaya III et de son chef Krim Belkacem au sein du FLN et son aile armée, l’ALN, pendant la guerre de Libération.
Ali Guenoun est docteur en histoire de l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses travaux portent sur l’histoire de l’Algérie contemporaine. Il a notamment publié Chronologie du mouvement berbère. Un combat et des hommes (Alger, éditions Casbah, 1999). La collection « Sociétés et politique en Méditerranée » des éditions Le Croquant est dirigée par Aïssa Kadri, Hocine Zeghbib et Delphine Perrin.
Algérie : Quand les Kabyles relèvent la tête
par Olivier Doubre, publié dans Politis n° 1652 le 5 mai 2021.
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L’historien Ali Guenoun retrace la place des contestations « berbéristes » dans le mouvement national algérien, depuis l’après-guerre jusqu’au récent mouvement du Hirak.
C’est peu de dire que l’ouvrage d’Ali Guenoun sur « la question kabyle dans le nationalisme algérien » est une recherche particulièrement fouillée. L’auteur mêle des sources – « exceptionnelles », selon son préfacier et directeur de thèse, l’anthropologue Omar Carlier – orales et écrites, aussi bien côté nationaliste que tirées des archives coloniales, renouvelant en profondeur la compréhension d’une thématique ancienne pour la nation algérienne. Non sans oublier ses conséquences contemporaines dans la contestation du pouvoir à Alger au sein du Hirak, où le drapeau amazigh fut, comme rarement, bien visible, suscitant un réflexe répressif chez les autorités.
Mais l’ouvrage d’Ali Guenoun vient surtout défricher un épisode important quoique mal connu de l’histoire du nationalisme algérien : celui de la crise dite « berbériste » en 1949 au sein de la principale organisation politique nationaliste à l’époque, le Parti du peuple algérien/Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA/MTLD), sous l’égide de Messali Hadj. Le qualificatif de « berbériste » se voulait dépréciatif dans l’esprit de la direction du mouvement, partisane d’une conception unitaire de la nation algérienne, marquée par son seul caractère « arabo- musulman » depuis le VIIe siècle, à la suite de la conquête musulmane par les disciples du prophète Mahomet.
La méfiance de la direction du FLN, de la guerre d’indépendance au Hirak
L’apport central de cet essai dense (parfois même touffu pour un lecteur peu au fait des soubresauts du mouvement national algérien et des spécificités identitaires au sein de l’importante population « indigène » de cette colonie française de peuplement de 1830 à 1962) est de documenter avec force détails cette crise largement partie de Kabylie. Contestation interne d’une direction centralisatrice se refusant à considérer les diversités régionales face à l’oppression coloniale, elle s’étend rapidement parmi les militants, surtout dans les zones où les Kabyles sont nombreux, dans leur région d’origine bien sûr, mais aussi à Alger, dans l’Oranais et jusqu’en France, où leur immigration était déjà importante. Mais c’est aussi une lutte pour les postes de décision au sein du parti, pourtant toujours fortement réprimé et semi-clandestin.
Mettant au jour le rôle de nombreux militants – dont certains, toujours vivants, craignent aujourd’hui encore de témoigner en raison de la répression de la Sécurité militaire –, l’auteur pointe la méfiance incessante de la direction du FLN, depuis la guerre d’indépendance jusqu’au tout récent Hirak, vis-à-vis de toute expression identitaire et linguistique des Kabyles. Mais aussi ses méthodes, pour le moins autoritaires, de gestion de l’« ethnicité » depuis 1962. Le livre d’Ali Guenoun fera certainement date.
Ali Guenoun. Historien, spécialiste du Mouvement national :
« La crise de 1949 a tué dans l’œuf le débat sur la démocratie en Algérie »
publié par El Watan le 21 avril 2021, propos recueillis par Samir G.
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Votre ouvrage pose le débat autour de la construction identitaire et la conception de la nation algérienne au sein du mouvement national dès la première de couverture. Pourquoi une telle formulation du titre ?
Certains auraient voulu que je donne le titre de « question berbère » puisque c’est comme crise « berbériste » que les leaders nationalistes, suivis par des auteurs, ont réussi à imposer la définition de la contestation qui a secoué le PPA-MTLD en 1949. Or, comme j’en détaille les développements dans ce livre, elle n’est pas apparue d’emblée, ni ne s’est donnée, comme crise « berbériste », même s’il est vrai que les militants en cause étaient soucieux d’intégrer la berbérité dans leur promotion de l’identité culturelle de la nation algérienne indépendante pour laquelle ils luttaient.
D’où le deuxième titre : Comment la crise de 1949 est devenue la crise berbériste. Il n’en reste pas moins que les acteurs de cette crise stigmatisés, et pour une grande part « liquidés », comme « berbéristes » venaient tous de Kabylie et d’aucune autre région berbérophone d’Algérie.
Que le lecteur ne se méprenne donc pas en interprétant mon choix de kabyle en lieu et place de berbère, ou d’amazigh, comme un parti pris dans les luttes politiques actuelles. Le titre de mon livre est uniquement motivé par un souci de rigueur analytique.
Le fait de nommer cette crise, crise « berbériste », arrange ceux qui ont réprimé les contestataires en 1949 et ceux qui se revendiquent comme les héritiers de ces mêmes « berbéristes » en la considérant comme leur moment fondateur. Il n’y a que ses victimes qui ne cessent de dire qu’ils n’étaient en rien des « berbéristes ».
Vous démontrez en effet que le « berbérisme » a été perçu par la majorité des acteurs de la crise de 1949, y compris ceux taxés d’être des « berbéristes », comme une accusation fallacieuse visant à disqualifier des adversaires politiques. D’où vient la perception péjorative de ces notions ?
Cette accusation n’avait aucun fondement. En 1949, le berbérisme signifiait pour les nationalistes un courant et une idéologie produits par le colonialisme, qui défendait la spécificité berbère pour diviser les Algériens et détourner les Kabyles de l’islam.
Il faut se rappeler de l’épisode du Dahir berbère au Maroc, durant les années 1930, lorsque le protectorat français avait permis aux Amazighs marocains de continuer à être régis par leurs lois coutumières alors que d’autres Marocains étaient soumis aux lois coraniques.
Cela a poussé des nationalistes marocains ainsi que des intellectuels et religieux de plusieurs pays musulmans à accuser le protectorat d’avoir voulu soustraire les Amazighs marocains de l’Oumma. Et les nationalistes algériens ont été traumatisés par cet épisode.
Cela dit, il existait bien en Algérie le courant des « évolués », originaires de Kabylie et d’autres régions d’Algérie. Lettrés en français, se réclamant francophiles et laïcs, ils considéraient la colonisation comme une bénédiction et l’islam comme un frein à l’émancipation et à la naissance d’idées rationnelles. Ceux issus de Kabylie se définissaient berbères plus proches de l’Occident que de l’Orient. On les appelait aussi les « m’tournis ».
Ils étaient la cible à la fois des nationalistes et des Oulémas. Or, en 1949, ceux qu’on a taxés de « berbéristes » étaient des nationalistes radicaux qui ont joué un rôle précurseur dans la propagation de l’idée nationale et du nationalisme le plus radical en Kabylie, à Alger, en Oranie, dans le Constantinois et même dans le Sud algérien, comme Béchar et Ghardaïa, où ils ont créé des sections et encadré des militants du PPA depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce sont les mêmes militants qui ont imposé, au congrès du PPA-MTLD de 1947, la création de l’Organisation spéciale (OS). Cette organisation paramilitaire était chargée de préparer la lutte armée contre le colonialisme.
Dès 1948, le parti traversait une crise de leadership, durant laquelle Lamine Debaghine disputait à Messali Hadj la direction du parti. C’est pourquoi, plus tard, il sera associé faussement aux contestataires taxés de « berbéristes ». En réalité, le Dr Debaghine s’opposait, comme la majorité de la direction du parti, à une Algérie plurielle. Il soutenait plutôt l’idée d’une « Algérie arabe » contre l’« Algérie algérienne » des contestataires de 1949, accusés à tort de berbérisme et de travail fractionnel.
Ceux-là posaient des questions politiques : le devenir du parti, le manque de démocratie, le devenir de l’Algérie indépendante, la définition de la nation. Ils ont, comme les autres nationalistes, combattu les « m’tournis » et les autres Algériens qui n’étaient pas favorables à l’indépendance de leur pays. La réponse à leurs questions a été la répression, l’exclusion et la naissance d’un discours haineux. Ils sont traités de « berbéristes », d’antinationalistes et d’alliés objectifs du colonialisme.
La crise de 1949 a tué dans l’œuf le débat sur la démocratie et la définition plurielle de la nation algérienne. Mais, malgré la répression dont ils ont été l’objet, ces militants ont rejoint le FLN/ALN. Aucun n’a rejoint le MNA de Messali ou le colonialisme.
Beaucoup de spéculations perdurent, 72 ans après, concernant la date exacte du début de la « crise berbériste ». Or, vous situez son origine et ses causes bien avant 1949. Pouvez-vous nous éclairer brièvement sur ce point ?
Les causes profondes de cette crise remontent au moins au lendemain des événements de mai 1945 lorsque des cadres du PPA, principalement de Kabylie, posaient des questions sur la nécessité de changer la stratégie de lutte contre le colonialisme.
La crise de 1949 est une superposition de décisions autoritaires au moment où le parti connaissait sa mutation en mouvement plus large et révolutionnaire. Les cadres de Kabylie voulaient forcer la main à la direction du parti pour précipiter le passage à la lutte armée. Ils s’insurgeaient contre le manque de pratiques démocratiques dans leur parti plébéien et cherchaient à replacer l’Algérie dans sa profondeur historique et dans sa diversité culturelle.
Ce sont justement ces éléments qui ont été discutés lors de la rencontre qui s’est tenue à Arous (Aït Oumalou à Tizi-Ouzou, ndlr), en juillet 1948, et qui a regroupé une quinzaine de militants autour de Ouali Bennaï. Cette réunion informelle a donné naissance à un groupe de réflexion, le Mouvement de rénovation berbère (MRB), dont le but était de rénover le PPA-MTLD.
Ce mouvement dans le parti n’a pas connu une longue vie. Bennaï a été arrêté en septembre 1948. D’autres cadres de la Kabylie seront arrêtés à leur tour quelques mois plus tard. Ce qui faisait dire aux militants qu’ils ont été « donnés » par la direction du parti.
C’est aussi pendant cette conjoncture que la direction de l’OS a arraché, au congrès de Zeddine de décembre 1948, le feu vert de la direction pour hâter les préparatifs du déclenchement de la lutte armée. C’est à ce moment-là, février-mars 1949, qu’éclate la crise dite « berbériste ». D’ailleurs, les membres de l’OS ont vu dans son déclenchement une volonté de la direction de saboter et d’enterrer leur projet insurrectionnel.
Contrairement à ce qu’on peut penser, la crise a dépassé largement le cadre géographique de la Kabylie pour atteindre, selon vous, des régions arabophones, notamment l’Oranie. Comment l’expliquez-vous ?
Le parti et la mémoire militante de tout bord ont tout fait pour dire que la crise a été brève et limitée géographiquement à la Kabylie et à l’émigration en France. Or, je l’explique longuement dans mon livre, la crise a été longue, une année au moins, et a touché une bonne partie de l’Oranie, Alger et sa région, l’émigration en France et la Kabylie.
Cette étendue peut s’expliquer d’abord par la présence de militants kabyles, commerçants ou fonctionnaires, installés dans ces régions où ils ont créé des sections du parti et ont formé son encadrement. Ces militants de l’Oranie ou de l’Algérois ont compris que la crise n’était pas «berbériste», comme le soutenait la propagande, mais bien politique.
Dans un document, que je cite dans le livre, les cadres de l’Oranie ont même signé une motion où ils demandaient plus de démocratie, la tenue d’un congrès national et s’élevaient contre la gestion autoritaire de la crise. La direction du parti y a déployé une propagande anti-berbériste des plus virulentes. Sans succès.
Le contact entre Algériens a certainement facilité la compréhension mutuelle et a fait disparaître les préjugés anti-kabyles.
Justement, le livre déconstruit méthodiquement plusieurs éléments du discours propagandiste autour de Ouali Bennaï et ses compagnons, utilisé par leurs adversaires de l’époque, et ensuite, depuis l’indépendance, par le régime et une certaine mouvance politique qui s’est approprié leur mémoire. Qu’en est-il par exemple de la création du fameux PPK ?
Le Parti populaire kabyle (PPK) n’a jamais existé. C’est une création de la presse colonialiste et particulièrement du journal L’Echo d’Alger. Son but était de brouiller les pistes au moment où la crise de 1949 a pris un virage important, celui de l’utilisation de la violence contre les contestataires de la direction du parti.
Ceux qu’on a accusés d’avoir créé le PPK ont publié une mise au point très claire où ils niaient totalement l’existence d’une telle initiative. Dans cette déclaration, ils soutenaient que « le PPK n’a jamais existé et n’existera jamais parce qu’il n’y a qu’un peuple algérien dont les éléments, quoique d’origine ou de langues différentes, vivent fraternellement unis dans une même volonté de libération nationale ».
Néanmoins, cette rumeur a été utilisée par la propagande de la direction pour réduire au silence les contestataires et montrer aux militants la « dérive » des « déviants berbéristes » qui voulaient, selon elle, créer un parti kabyle pour diviser les Algériens.
On a érigé à dessein un mensonge selon lequel le Kabyle est synonyme de diviseur. Cette infamante accusation a servi à éliminer de la course pour le pouvoir des Kabyles, à combattre tout regroupement kabyle, toute initiative venant de militants kabyles.
Il est amusant de voir dans certaines publications, sur les réseaux sociaux, des gens qui reprennent à leur compte, par ignorance ou par calcul, cette propagande en désignant Si Ouali Bennaï et ses camarades comme les précurseurs de l’idée de l’indépendance de la Kabylie en lui imputant injustement l’initiative de la création du PPK.
Dans quelle mesure cette crise a-t-elle façonné le destin de la nation algérienne puisque, dans votre travail, vous soulignez ses ramifications et effets sur le mouvement nationaliste indépendantiste, la guerre de libération nationale et l’issue de la lutte pour le pouvoir durant l’été 1962 ?
La crise de 1949 a été révélatrice des limites de certaines pratiques des nationalistes algériens dans leur gestion des questions politiques. Ils ont institué la violence, verbale et physique, comme mode de gestion des crises. Ils se sont éloignés du politique pour privilégier l’autoritarisme. La réponse aux questions politiques que posaient les contestataires à leur direction était, d’abord, l’usage de l’anathème et du langage inquisiteur, religieux, puis, la violence physique avec la constitution par le parti, comme je le détaille dans le livre, de commandos pour réduire au silence les « déviants ».
On est allé jusqu’à tenter d’assassiner un militant, Ali Ferhat, en Kabylie, en août 1949, parce qu’il refusait d’admettre son exclusion et celle de ses camarades. Ces exclusions étaient vécues par les victimes comme une mort politique.
À partir de 1949, il était très difficile de se revendiquer Kabyle de peur d’être taxé de « berbérisme ». Le sort de Bennaï et de certains de ses camarades, qui gênaient les cadres de la wilaya 3 dans leur ascension, a été la liquidation physique comme « traîtres » de la nation. Ceux qui ont échappé à la mort ont fait profil bas durant toute la révolution. Ils n’ont eu droit qu’à des strapontins au moment de l’indépendance.
Quelle est votre analyse de la recrudescence du débat ethniciste et identitaire, frôlant souvent avec les limites du racisme, dans le paysage politico-médiatique algérien ces dernières années, singulièrement depuis le début du Hirak ?
Si la crise de 1949 a mis à nu les pratiques et les limites du nationalisme algérien, le Hirak a mis à nu le système politique et dévoilé des réalités de la société algérienne. Une bonne partie des manifestants du mouvement populaire refusent d’être manipulés, une énième fois, par les décideurs sur le « danger kabyle ».
Plusieurs Algériens ont manifesté leur appartenance à l’Algérie plurielle et même à se revendiquer Amazighs dans plusieurs villes et villages non-amazighophones d’Algérie. L’ethnicisation du débat a été lancé en 1949.
La propagande anti-kabyle est depuis ressassée à chaque crise politique majeure, au moment de lutte pour le pouvoir ou de contestation du pouvoir : la guerre d’indépendance, la révolte du FFS de 1963, la création de l’Académie berbère, le Printemps berbère de 1980, l’assassinat de Lounès Matoub en 1998 et, plus proche de nous, le Printemps noir de 2001 durant lequel le régime a activé ses relais et sa presse pour fustiger « le danger » kabyle et montrer du doigt « l’ennemi intérieur ».
Il a utilisé les mêmes procédés dans la Vallée du M’zab et chez les Touaregs. Comme il l’a fait, dans d’autres régions, en réactivant des rivalités ancestrales entre tribus. Le pouvoir algérien est expert dans ce jeu dangereux de la manipulation. Il a réussi là où le colonialisme a échoué : diviser les Algériens !