A l’occasion du 81eme anniversaire du massacre par l’armée française de tirailleurs africains au camp militaire de Thiaroye, près de Dakar, le 1er décembre 1944, le président sénégalais Bassirou Diomaye Diakhar Faye a déclaré que « la commémoration de l’anniversaire du Massacre de Thiaroye et la célébration de la Journée des Tirailleurs sénégalais [fixée au 1er décembre] sont des activités phares de l’agenda national ». Il a également annoncé notamment la création d’un musée, la « réhabilitation du site de Thiaroye » et l’érection d’un mémorial, l’inscription de cette histoire dans les programmes scolaires et la diffusion du Livre Blanc sur le massacre réalisé mais toujours non rendu public. Le tout s’inscrivant selon ses termes dans une entreprise de « reconquête mémorielle ». Le dossier de presse diffusé par le gouvernement revient longuement sur les fouilles archéologiques engagées il y a plusieurs mois sur le site du cimetière de Thiaroye dont on lira ici un large extrait. Voir aussi la bonne émission que France Culture a consacré à ces fouilles.

Extraits du dossier de presse du gouvernement sénégalais
« Les résultats des fouilles effectuées par la sous-commission archéologie adossée à la Commission massacre de Thiaroye, sont extrêmement encourageants et méritent d’être approfondis. Premièrement, les fouilles ont enlevé l’hypothèse de cénotaphes. Il existe bel et bien des sépultures dans le lot fouillé. Deuxième élément important découvert, les tombes ne sont pas contemporaines aux sépultures. Elles leur sont postérieures. Les fouilles ont aussi montré que les squelettes ne sont pas à l’intérieur des tombes. Ils sont souvent à l’extérieur du carré. Parfois, la tête est à l’envers de la stèle. Ce qui veut dire que les tombes ne reflètent pas le type d’inhumation. Le troisième élément déterminant, c’est justement qu’il y a maintenant des preuves matérielles que le cimetière de Thiaroye est le réceptacle de plusieurs pratiques d’enterrement. Des pratiques qui peuvent traduire plusieurs types de massacre.
D’autres éléments significatifs ont été révélés par la sous-commission archéologie. C’est le cas, par exemple, de l’existence de Tirailleurs gradés parmi les Africains tués à Thiaroye, le 1er décembre 1944. « Parmi les individus de la première rangée, celui au milieu était enchaîné, ses pieds joints par des restes de fer au niveau du tibia. L’individu 3 n’avait plus de crane. Et à chaque fois, la particularité c’est qu’ils portent tous des insignes militaires. Ce qui veut dire que ce ne sont pas des civiles », a relevé le Pr Moustapha FALL, président de la sous-commission, lors de la présentation du Livre blanc.
Le sondage test réalisé a également permis de découvrir des traces de violence différentes, en plus des différences importantes notées sur les individus. « Ils paraissent tous très atteints. La partie gauche de l’individu 1 était dépourvue de côtes et il avait la bouche ouverte. L’individu 2 n’avait plus rien. Il en est de même pour l’individu 3. » Au sujet du débat sur le lieu du massacre, la sous-commission estime que l’existence de coffrage en bois peut justifier que leurs corps étaient tellement atteints qu’il fallait les mettre dans des outils sommaires pour pouvoir les enterrer. « Donc, à partir de cette petite recherche archéologique, on commence à reposer d’autres problématiques par rapport au massacre, au lieu et aux méthodes utilisées. »
Les résultats des fouilles menées par la sous-commission archéologie ont conduit à plusieurs interprétations et hypothèses préliminaires. Des données intéressantes, qui seront affinées par des analyses complémentaires afin de mieux répondre aux nombreuses interrogations.
Parmi les interprétations, on peut retenir : La réalité de cette postérité des tombes, d’après la sous-commission archéologie, est corroborée par l’incohérence entre la position de la structure tombale et l’emplacement des individus. L’autre incohérence qui renforce la thèse de la postériorité des tombes réside dans le fait que les stèles qui indiquent, en principe, l’orientation de la tête, ne reflètent pas cette réalité. Un décalage qui peut s’interpréter de deux manières :
- Des tombes postérieures aux inhumations dans le cimetière de Thiaroye
▶ Premièrement, il s’agit d’une sépulture collective (les individus sont ensevelis en même temps dans des fosses quadrangulaires sur un même niveau). Ceci veut dire qu’une fosse commune a été ouverte et les corps déposés à même le sol.
▶ Deuxièmement, les 34 tombes ne sont qu’une mise en scène sous-tendue par un
souci de faire correspondre leur nombre à celui des victimes officielles avancées
par l’administration coloniale.
Les 34 tirailleurs n’ont pas le même traitement ou statut.
Deux modalités d’enterrement ont été identifiées : une en pleine terre (rangées 1 et 3) et une
autre en coffrage de bois (rangée 2).
Dans la rangée 1, les individus sont des soldats comme en attestent les clous de talons et fragments de fer plat de brodequins (généralement disposés en rangs réguliers ou en motifs circulaires selon le modèle), la présence (1) de pattes de collet, (2) d’un anneau reliant les deux parties d’une décoration et (3) de boutons d’épaulettes et de chemises (ou pantalons).
Cette rangée 1, avec les trois sépultures, corrobore l’épisode du massacre de Thiaroye et l’existence d’une fosse commune (les individus étant déposés les uns après les autres).
Dans la rangée 2, les individus ont subi un traitement post mortem car ayant été mis dans un coffrage de bois. Deux hypothèses peuvent être avancées : - La mise en coffrage de bois serait liée à l’état des corps de ces Tirailleurs sénégalais morts ailleurs des suites de leurs blessures et enterrés plus tard sur le site.
Ces individus sont particulièrement caractérisés par un corps incomplet : absence de côtes dans la partie gauche, de clavicule, de la moitié de la colonne vertébrale et du bassin. Leur piteux état justifierait leur mise en coffrage de bois rudimentaire pour assurer leur déplacement et leur enterrement. - Ils seraient des militaires ou civils français. La rangée 2 renfermerait donc les sépultures de français (militaires ou civils ?). Des documents de l’administration militaire évoquent aussi des travaux d’entretien des cimetières du Cap-Vert (Soumbédioune, Bel-Air et Thiaroye), incluant une « reprise des fissures (y compris des croix) » (source : D1S1). Thiaroye semble être l’unique cimetière français sans croix apparentes.
« Ces hypothèses relatives aux identités des individus exhumés ne pourraient être vérifiées que grâce à des études d’anthropologie physique et d’analyses génétiques. Ces dernières, à travers des prélèvements de l’ADN ancien des sépultures, leurs analyses en lien avec les données génétiques de quelques groupes culturels d’origine africaine ou française, permettront de confirmer ou d’infirmer certaines thèses avancées. » - LES RECOMMANDATIONS FORMULÉES
Pour aller au-delà des résultats préliminaires et répondre à toutes les questions soulevées, la sous-commission archéologie a recommandé une série d’actions concrètes à mener à court, moyen et long terme.
Dans le court terme :
▶ Entreprendre des études d’anthropologie physique et des analyses génétiques. Une action jugée urgente, car la question de la gestion de ces restes demeure pour l’heure non résolue.
▶ Approfondir le sondage du Lot 1 à l’aide d’un radar à pénétration du sol (RPS). Il s’agira de vérifier la présence d’autres corps en dessous des sépultures exhumées.
▶ Étendre le sondage aux 27 autres tombes du Lot 1. Cette action permettra de tester l’hypothèse des différences de traitement (enterrement en terre pleine et en coffrage de bois, types de massacre, identités, etc.)
▶ Scanner tout le cimetière. L’échantillonnage devra être étoffé par une extension des fouilles. Il sera question de vérifier certaines hypothèses comme la présence de charniers et le nombre de morts.
▶ Étendre la zone des investigations au-delà du cimetière. Il est préconisé l’extension de la zone des investigations au-delà du cimetière militaire, vers le bâtiment fantôme visible à partir de l’autoroute à péage, le foirail, l’actuel camp militaire, le CEM de Thiaroye et ses alentours. Ces recherches offriront l’occasion d’organiser de grands chantiers-écoles pour des étudiants des pays de provenance des Tirailleurs sénégalais.
Des études pluridisciplinaires et exhaustives seront aussi menées sur le site. »
L’intégralité du dossier de presse du gouvernement sénégalais
Lire aussi : « Décoloniser les “Tirailleurs sénégalais” : 2e commémoration du Massacre de Thiaroye », par Karfa Diallo.