Dossier : le premier Front populaire et la question coloniale
Au moment où se forme un Nouveau Front populaire, il est important de réfléchir aux compromissions et inconséquences du premier Front populaire sur la question coloniale.
Au moment où se forme un Nouveau Front populaire, il est important de réfléchir aux compromissions et inconséquences du premier Front populaire sur la question coloniale.
Remis le 20 janvier 2021 au président de la République, le rapport de Benjamin Stora sur les questions mémorielles concernant la colonisation et la guerre d’Algérie a suscité de nombreuses réactions, en France comme en Algérie. Ci-dessous, dans l’ordre chronologique de leur publication, les réactions des historiens en France Gilles Manceron, Malika Rahal, Fabrice Riceputi et Alain Ruscio, qui font partie de la rédaction des sites histoirecoloniale.net et 1000autres.org. Nous indiquons également les liens vers les points de vue publiés par Pascal Blanchard, Olivier Le Cour Grandmaison, Sylvie Thénault, Tramor Quemeneur et Saïd Bouamama. Et nous ajoutons celui vers la contribution de l’Association Josette et Maurice Audin ainsi que les articles d’El Watan et du Quotidien d’Oran qui en rendent compte.
Le terme de harki désigne deux réalités : les supplétifs recrutés par l’armée française durant la guerre d’Algérie, sous différents noms qui ont laissé place à la désignation générique de harki ; et le groupe social, dont la plus grande partie était composée de femmes et d’enfants, qui ont été transportés en France en raison des violences qui les menaçaient lors de l’indépendance. De part et d’autre de la Méditerranée, leur histoire complexe n’a cessé de faire l’objet d’instrumentalisations, de mensonges et d’anathèmes. Pour Mediapart Rachida El Azzouzi a abordé la mémoire à vif liée à cette histoire dans une émission réunissant Fatima Besnaci-Lancou – qui a quitté enfant l’Algérie en 1962 et a partagé la relégation scandaleuse de ce groupe social dans la France postcoloniale, et est devenue historienne -, et Gilles Manceron, dont nous reproduisons un article sur le sort de ces Algériens plongés dans la violence de la colonisation et de ses suites.
Un recours a été déposé au Conseil d’Etat le 23 septembre 2020 pour qu’il abroge un texte réglementaire qui contredit la loi en entravant l’accès aux archives, notamment des guerres d’Indochine et d’Algérie. Le 15 novembre 2020, le gouvernement, en contradiction avec les promesses faites par le président de la République en septembre 2018, a publié un arrêté qui confirme ces entraves. L’Association des archivistes français, celle des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’Association Josette et Maurice Audin, qui ont été à l’origine de ce recours, vont en introduire un nouveau. Le 27 mars 2020, une rencontre devait présenter un guide des archives sur les disparus de la guerre d’Algérie résultant des promesses présidentielles. Reportée au 4 décembre en visioconférence, elle semble avoir été l’objet d’une reprise en main par le gouvernement. Elle devrait être l’occasion pour les archivistes et historiens d’exprimer leur protestation contre ces entraves.
A l’occasion d’un hommage à Madeleine Rebérioux (1920-2005), à l’occasion du centenaire de sa naissance, organisé le 12 septembre 2020 par la Ligue des droits de l’Homme, La contemporaine (ex-BDIC) et le Musée de l’histoire vivante, plusieurs interventions ont porté sur les travaux de cette historienne sur l’histoire coloniale. Ci-dessous le texte de celle d’Alain Ruscio, sur « Madeleine Rebérioux, de l’anticolonialisme à l’anti-impérialisme » et, après un interview d’elle, les vidéos de deux autres contributions. Celle du président de la Société d’études jaurésiennes Gilles Candar, qui traite de son intérêt pour Jean Jaurès, en grande partie déterminé, dans les années de la guerre d’Algérie, par l’évolution de celui-ci « vers l’anticolonialisme », et celle de Gilles Manceron, qui présente l’apport de cette historienne engagée à cette association. L’ensemble des films de cet hommage sont visibles sur le site de la LDH.
L’historien arabisant Jean-Pierre Filiu a publié en décembre 2019, aux éditions du Seuil, un essai intitulé « Algérie, la nouvelle indépendance ». Il souligne l’importance du mouvement déclenché en Algérie depuis le 22 février 2019, le hirak, où, dans tout le pays, des foules nombreuses d’hommes et de femmes exigent de reprendre le pouvoir aux mains d’une hiérarchie militaire protégée dans son arbitraire par un pouvoir civil de façade. Nous publions sa présentation par l’éditeur et les réactions à ce livre écrites pour notre site par le juriste Tahar Khalfoune, l’historien Daniel Rivet, spécialiste du Maroc et plus généralement du Maghreb, ainsi que la note de lecture de Gilles Manceron.
Le 1er avril 2020, sur LCI, deux médecins ont évoqué des tests en Afrique pour essayer contre le coronavirus le vaccin BCG contre la tuberculose. Cette idée de prendre les Africains comme cobayes a suscité une vive indignation. Elle rappelle les nombreuses expériences faites tout au long de la période coloniale. Ci-dessous des extraits des travaux à ce sujet des historiens Grégoire Chamayou et Guillaume Lachenal, ainsi qu’un article d’Alain Ruscio sur les vaccins expérimentés durant la Première Guerre mondiale sur les soldats africains au camp du Courneau, près d’Arcachon. Gilles Manceron relève qu’à Fréjus et dans les camps du Midi méditerranéen, leur mortalité a été bien supérieure encore et se demande si ce n’est pas en rapport avec de telles expérimentations.
Les chercheurs usagers des archives publiques françaises, en particulier du Service historique de la Défense, sont depuis peu dans l’impossibilité de consulter des documents postérieurs à 1940 qui devraient être accessibles selon la loi, au prétexte qu’ils ont été tamponnés « secret » lors de leur production, durant les répressions coloniales à Madagascar, en Indochine ou en Algérie. Nous reproduisons les protestations venant d’historiens français et étrangers publiées par le quotidien Le Monde daté du 14 février 2020, ainsi que l’article signé de Gilles Manceron et Fabrice Riceputi paru en même temps dans Mediapart. Une pétition est lancée.
Certains médias algériens portent une grande attention aux demandes des historiens adressées aux autorités françaises pour l’ouverture des archives et la reconnaissance des crimes de l’armée française en Algérie. Ci-dessous l’entretien avec l’historienne Sylvie Thénault publié le 24 décembre 2019 par El Watan et l’émission de la radio Alger Chaîne 3 avec Gilles Manceron à l’occasion de sa venue en 2018 au Salon du livre d’Alger. Cette attention n’est pas toujours partagée, comme on peut le voir dans un article du Quotidien d’Oran du 26 janvier 2020, à propos des nouvelles déclarations d’Emmanuel Macron sur le passé colonial de France et la colonisation de l’Algérie tenues dans l’avion qui le ramenait de Jérusalem à Paris dans la nuit du 23 au 24 janvier 2020.
Le premier des engagements de l’historien Pierre Vidal-Naquet fut son engagement anticolonialiste, qui l’a conduit à publier en 1958 son premier livre, L’Affaire Audin, pour dénoncer, à travers le cas de ce jeune universitaire membre du parti communiste algérien, la torture et les disparitions forcées pratiquées par l’armée française durant la guerre d’Algérie. Ce combat qu’il a continué durant toute sa vie est décrit par François Dosse dans la biographie qu’il lui a consacré aux éditions La Découverte. Nous publions sa présentation par l’éditeur ainsi que l’article de l’historien Gilles Manceron publié à son sujet par le quotidien l’Humanité le 16 janvier 2020.
Les animateurs de ce site, François Gèze, Gilles Manceron, Fabrice Riceputi et Alain Ruscio, ont exprimé le 4 mars 2019 dans « Mediapart » leur inquiétude devant le fait que certains officiers français osent encore défendre la torture, et leur étonnement de ce que personne en France n’ait relevé cette prise de position scandaleuse. Ils demandent, par ailleurs, si la reconnaissance par le président Macron d’un crime d’État dans l’affaire Audin est l’amorce d’une rupture des autorités françaises avec l’incapacité à regarder en face l’histoire coloniale, ou bien un « coup » sans lendemain.
Quand on évoque la pensée de Jaurès sur la question coloniale, on cite immanquablement une conférence qu’il a donnée à l’âge de 24 ans reprenant les idées colonialistes de Jules Ferry. Or, il a évolué de 1898 à sa mort vers un anticolonialisme résolu. La propagande coloniale de la IIIe République l’a soigneusement occulté et les nostalgiques de la colonisation continuent à annexer Jaurès à leur discours. Les légendes à ce sujet sont encore reprises un peu partout au mépris des travaux historiques. Un travail de vérité est nécessaire.