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Édition du 1er au 15 novembre 2024

Harkis : une mémoire à vif
par Rachida El Azzouzi, Fatima Besnaci-Lancou
et Gilles Manceron

Le terme de harki désigne deux réalités : les supplétifs recrutés par l'armée française durant la guerre d'Algérie, sous différents noms qui ont laissé place à la désignation générique de harki ; et le groupe social, dont la plus grande partie était composée de femmes et d'enfants, qui ont été transportés en France en raison des violences qui les menaçaient lors de l'indépendance. De part et d’autre de la Méditerranée, leur histoire complexe n'a cessé de faire l’objet d’instrumentalisations, de mensonges et d'anathèmes. Pour Mediapart Rachida El Azzouzi a abordé la mémoire à vif liée à cette histoire dans une émission réunissant Fatima Besnaci-Lancou - qui a quitté enfant l'Algérie en 1962 et a partagé la relégation scandaleuse de ce groupe social dans la France postcoloniale, et est devenue historienne -, et Gilles Manceron, dont nous reproduisons un article sur le sort de ces Algériens plongés dans la violence de la colonisation et de ses suites.

Harkis: une mémoire à vif

par Rachida El Azzouzi, dans Mediapart le 11 décembre 2020. Source

« Certains dossiers sont hors de discussion, tels que le sujet des harkis, d’autant que leur départ en France a été un libre choix. » Abdelmadjid Chikhi a douché les espoirs de celles et ceux qui espèrent un jour la fin de l’instrumentalisation de l’histoire en Algérie.

Dans un entretien à la revue de l’armée algérienne El Djeich en novembre, le gardien des archives nationales algériennes explique que les harkis, ces Algériens qui furent recrutés comme auxiliaires de l’armée française pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), sont « un dossier français ».

Si cette déclaration dans la bouche d’un cacique du FLN n’est pas une surprise dans un pays où la manipulation de l’histoire est « dans l’ADN du régime », comme le rappelle ici l’historienne Karima Dirèche, elle n’en demeure pas moins problématique, car elle entache et discrédite la mission confiée à cet homme : Abdelmadjid Chikhi a été mandaté par le président algérien Abdelmadjid Tebboune pour mener la mission mémorielle sur la colonisation et la guerre d’Algérie dans le but de favoriser « une réconciliation franco-algérienne » (tandis qu’en France, c’est l’historien français Benjamin Stora qui a été nommé par l’Élysée).

« L’exil des harkis en 1962 ne fut pas un choix mais une question de survie, “la valise ou le cercueil”… Des charniers existent en Algérie, d’hommes égorgés, dépecés, émasculés, leurs organes génitaux enfoncés dans la bouche. Le travail de l’historien est de rechercher, de connaître et de faire connaître le passé, sans parti pris idéologique ni falsification », n’a pas tardé à lui répondre, mais sans jamais le nommer, le Comité national de liaison des harkis (CNLH), qui œuvre pour que le drame harki soit reconnu en France et « gravé dans le marbre de la loi ».

Cinquante-huit ans après la signature des Accords d’Évian, les harkis continuent de faire l’objet d’instrumentalisations et de polémiques enfiévrées de part et d’autre de la Méditerranée. Érigés au rang de « parias » par le pouvoir FLN algérien, trahis par les Français pour lesquels ils ont risqué leur vie, ces anciens supplétifs de l’armée française subissent encore l’ostracisation.

Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux furent victimes de représailles de la part du pouvoir algérien, emprisonnés, sauvagement torturés et exécutés à la libération de l’Algérie. Ceux qui réussirent à rejoindre la France avec femme et enfants (environ 90 000 personnes) furent, pour plus de la moitié d’entre eux, parqués et oubliés dans des camps misérables pendant des décennies. Ils y seront traités en « réfugiés » à surveiller et non en « rapatriés », contrairement aux Européens qui ont dû fuir comme eux l’Algérie.

L’émission de Mediapart

Mediapart plonge dans cette mémoire toujours à vif avec les historiens Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, invités de notre émission « Écrire l’histoire France-Algérie ».


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Voir l’émission sur Mediapart



Cette émission peut aussi s’écouter en version audio.


Fatima Besnaci-Lancou est l’autrice de nombreux ouvrages consacrés aux harkis. C’est sa propre histoire familiale qui l’a conduite à embrasser cette carrière. Fille de harki (Éditions de l’Atelier, 2003) est d’ailleurs le titre de l’un de ses premiers livres. Elle a vécu quinze ans dans ces camps où la France a relégué les harkis, notamment dans le plus emblématique d’entre eux, Rivesaltes.

Son dernier livre, Harkis au camp de Rivesaltes – La relégation des familles – Septembre 1962-décembre 1964 (Éditions Loubatières, 2019), déploie les témoignages de onze femmes et six hommes relégués, entre quelques mois et deux ans, dans ce camp. Ils y racontent la vie cernée par les barbelés, les pénuries d’eau, les maladies de peau, le manque d’hygiène, les souffrances…

« Les harkis ne sont pas morts de faim. Les militaires qui les encadraient leur faisaient livrer de quoi les nourrir, décrit Fatima Besnaci-Lancou. En revanche, le lieu était inhospitalier, il faisait très froid l’hiver, le vent était glacial. » L’historienne a en tête des récits précis, comme ces femmes accouchant sous les tentes sans eau : « Les enfants allaient chercher de la neige à l’extérieur. La mère la faisait fondre dans sa bouche. Elle attendait que cette neige réchauffe pour nettoyer le bébé. D’autres femmes faisaient les biberons avec l’eau de la neige fondue. Il y a eu beaucoup de morts dans les camps. Celui de Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme) abrite un cimetière d’enfants morts à la naissance ou dans les semaines qui ont suivi. »

En 2004, Fatima Besnaci-Lancou a cofondé l’association Harkis et droits de l’homme, et signé quelques années plus tard Les Harkis dans la colonisation et ses suites (Éditions de l’Atelier, 2008), en collaboration avec Gilles Manceron.

Les deux historiens regrettent que le terme harki soit « devenu un générique désignant tous les supplétifs et au-delà tous ceux qui travaillaient avec les Français », alors que les rôles furent très variés. « Certains étaient maçons, d’autres affectés à différentes tâches matérielles de l’intendance des unités. Il y avait cinq catégories, les mokhaznis, etc. », détaille Gilles Manceron.

Les raisons de l’engagement sous le drapeau français étaient « pratiquement toutes liées à la violence de la guerre », insiste pour sa part Fatima Besnaci-Lancou. C’était une question de salaire, de survie, qui plus est dans une Algérie rurale dévastée par les camps de regroupement de populations, cette tragédie de grande ampleur largement occultée en France, dont les conséquences ravageuses se font encore sentir aujourd’hui : plus de la moitié de la population rurale algérienne a été déplacée de force de son lieu d’habitation d’origine, dans des conditions inhumaines, par l’armée française durant la guerre d’Algérie (voir l’émission de Mediapart).

De multiples mensonges, malentendus et instrumentalisations

Spécialiste du colonialisme français, Gilles Manceron rappelle les multiples instrumentalisations dont ont été victimes et sont encore victimes les harkis, notamment ceux qui ont vécu dans les camps. En France, ce sont les milieux d’extrême droite, nostalgiques de l’Algérie française, qui manipulent leur histoire : « Ils ont fait un parallèle entre l’abandon de l’Algérie par de Gaulle et l’abandon des harkis. Les personnes qui étaient dans la rancœur de manière très logique ont été parfois tentées d’épouser ce discours. »

« Le pouvoir algérien a aussi instrumentalisé cette question en laissant faire des violences et en stigmatisant une catégorie vague baptisée “harkis” », poursuit l’historien. « Si les Harkis ont souffert dans les camps en France, ils ont été mis au ban de la société en Algérie », abonde Fatima Besnaci-Lancou. Elle raconte comment des cercueils de harkis décédés, envoyés au pays car certains demandent à être inhumés dans leur village natal, sont bloqués par les autorités algériennes et renvoyés en France. Malgré des déclarations d’apaisement, comme sous le règne de l’ancien président déchu Abdelaziz Bouteflika, certaines fonctions, notamment politiques, sont toujours interdites aux descendants de harkis.

Gilles Manceron pointe aussi « l’incompréhension et les malentendus de la part de la gauche française dans la perception des harkis » : « Le phénomène qui a joué, ce sont les “harkis de Papon”. Pendant la fin de la guerre d’Algérie, des paysans algériens encasernés et encadrés par des militaires français ont été utilisés pour mener la répression contre l’immigration algérienne en France, car l’immigration soutenait notamment financièrement majoritairement l’indépendance. Cela s’est traduit par des mitraillages de cafés, des descentes dans les bidonvilles. La formation de cette force de police auxiliaire a été appelée de manière courante mais abusive “les harkis”. C’est ainsi que l’opinion française a connu ce terme et l’a généralisé au phénomène des supplétifs dans la guerre, beaucoup plus complexe que ces “calots bleus”, bras armés de Maurice Papon. »


Les publications de Fatima Besnaci-Lancou



Fille de harki, préface de Jean Daniel et Jean Lacouture, postface de Michel Tubiana, Éditions de l’Atelier, 2003.

Nos mères, paroles blessées – Une autre histoire de harkis, préface de Claude Liauzu, Éditions Zellige, 2006.

Treize chibanis harki, préface de Gilles Manceron, postface d’Amar Assas, éd. Tiresias, 2006.

• Avec Gilles Manceron (dir.), Les harkis dans la colonisation et ses suites, préface de Jean Lacouture, Éditions de l’Atelier, 2008.

• Avec Abderahmen Moumen, Les harkis, Le Cavalier Bleu, collection « idées reçues », 2008.

• (dir.), Des vies – 62 enfants de harkis racontent, éd. de l’Atelier, préface de Boris Cyrulnik, 2010.

• Avec Benoit Falaize, Gilles Manceron (dir.), Les harkis, histoire, mémoire et transmission, préface de Philippe Joutard, Editions de l’Atelier, 2010.

• « Les harkis, une histoire déformée par des récits officiels », in Association des 4ACG (anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre), Guerre d’Algérie, guerre d’indépendance : Paroles d’humanité, Paris, L’Harmattan, 2012.

Des harkis envoyés à la mort. Le sort des prisonniers de l’Algérie indépendante (1962-1969), préface de Todd Shepard, Editions de l’Atelier, 2014.

• « Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) – Un témoin singulier dans la guerre d’Algérie et ses suites », in Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemener (dir.), La guerre d’Algérie revisitée – Nouvelles générations, nouveaux regards, éd. Karthala, 2015.

Prisons et camps d’internement en Algérie : les missions du Comité international de la Croix-Rouge dans la guerre d’indépendance, 1955-1962, préface de Aïssa Kadri, éd. du Croquant, 2018.

• Harkis au camp de Rivesaltes – La relégation des familles – Septembre 1962-décembre 1964, préface de Olivier Dard, Éditions Loubatières, 2019.


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La construction du sort des harkis par les chefs de l’armée française hostiles à l’indépendance
pour en faire un argument politique pour illustrer
« l’abandon de l’Algérie » par la France



par Gilles Manceron, pour histoirecoloniale.net


Dans cette période de l’histoire qu’est la colonisation et la guerre d’Algérie sur laquelle les mythes et les légendes abondent, la question des supplétifs recrutés par l’armée française et de leur sort à la fin du conflit n’a cessé d’être tout particulièrement l’objet d’instrumentalisations politiques tournant le dos aux faits et aux réalités de l’histoire.

C’est le cas en particulier, en France, du récit tissé d’occultations et de mensonges, que les milieux d’extrême droite hostiles à l’indépendance de l’Algérie ont réussi à répandre à leur sujet dans la société française. Et, en Algérie, de celui, schématique et injurieux, imposé à la société de ce pays par les forces au pouvoir depuis l’indépendance.

Mais, dans le contexte du hirak qui aspire à ce que l’Algérie recouvre la véritable histoire de sa guerre d’indépendance et ouvre une nouvelle page dans l’avenir du pays, des voix s’expriment au sein de la société algérienne pour que les mensonges officiels à ce sujet et leurs simplifications abusives soient définitivement abandonnés. Et pour que les atteintes graves aux droits de l’Homme commises au moment de l’indépendance — qui se sont ajoutées aux crimes de guerres massifs perpétrés par l’armée française pendant la période coloniale et la guerre d’indépendance — soient reconnues. En France, les personnes issues du groupe social qualifié de « harki » ont aussi la volonté de comprendre ce qu’a été l’histoire de l’Algérie coloniale et, de plus en plus souvent, de reprendre contact avec le pays de leurs ancêtres.

Une pratique ancienne

La question du recrutement de forces auxiliaires indigènes est aussi ancienne que l’histoire coloniale elle-même. Ce recrutement a été pratiqué dans toutes les colonies. Les partisans de la colonisation ont toujours justifié leur refus de renoncer à certaines conquêtes en invoquant les représailles auxquelles leurs supplétifs seraient exposés en cas d’évacuation de ces colonies. Ce débat était présent en ces termes, dès 1885, au Parlement français à propos de la colonisation de l’Indochine*. En suscitant des recrutements dans les populations locales, ils se fabriquaient un argument en faveur de leur volonté de prolonger la colonisation. Ce à quoi les adversaires de celle-ci leur rétorquaient que c’est précisément leur politique de conquêtes et de recrutement local qui exposait à de futures représailles les personnes dont ils cherchaient à se faire des alliés ; et ils les accusaient, si ces personnes devaient un jour subir des massacres, d’être les responsables du sort qu’ils subiraient.

C’est l’état-major de l’armée française en Algérie qui a choisi (en dehors des besoins pour les guerres en Europe) de n’incorporer que très partiellement les hommes indigènes sous le statut de soldats de l’armée française (dans la catégorie officielle de FSNA, « Français de souche nord-africaine »), et qui a, en particulier sous le commandement en chef des généraux Salan (décembre 1956 à décembre 1958) puis Challe (décembre 1958 à avril 1960) décidé de les recruter massivement sous le statut d’auxiliaires civils totalement précaires et à la merci des chefs d’unités militaires auxquels ils étaient rattachés. Si le statut de militaires leur avait été donné, cela aurait interdit leur abandon. Mais il leur a été refusé afin d’en mieux assurer le contrôle et pour ne pas les laisser détenir des armes — celles-ci devant leur être systématiquement retirées d’après les instructions de l’armée — et ils ne devaient qu’être des instruments utilisables, tout en s’en méfiant, par les officiers français**.

Pour Salan, les harkis devaient être des « accessoires »

Ce sont les officiers de l’armée française en Algérie, au sein de laquelle étaient nombreux les adversaires de la politique de reconnaissance de l’indépendance algérienne à laquelle le général de Gaulle s’est résolu en 1960 et en 1961 — le chef de l’Etat ne pouvait pas, de ce fait, se rendre en Algérie après décembre 1960 sans risquer d’y être assassiné —, qui ont affirmé à ces supplétifs que « la France ne quitterait jamais l’Algérie » ; qui ont saboté leur démobilisation et leur transfert à la « force locale » prévue dans le cadre de l’Exécutif provisoire, et qui ont donc aggravé délibérément leur mise en danger.

C’est une extraordinaire manipulation de la part de l’extrême droite et des nostalgiques de l’Algérie française que d’avoir prétendu par la suite « défendre la cause des harkis » alors que ce sont eux qui ont fabriqué et accentué la mise en danger de ces personnes et de leur famille en leur dissimulant la perspective inévitable et choisie par les autorités de la France concernant l’indépendance de l’Algérie. C’est une manipulation de leur part que d’imputer leur désarmement aux autorités gaullistes alors que celui-ci était une consigne constante de l’armée ; ou de mettre l’accent sur le seul problème de leur protection et de leur transfert en France au moment de l’indépendance, en passant sous silence le fait que ce sont ces responsables de l’armée hostiles à l’indépendance qui ont contribué à construire leur sort tragique afin d’en faire un argument politique pour illustrer « l’abandon de l’Algérie » par la France.

Ci-dessous, un article publié en novembre-décembre 2013 (n°666) par la revue fondée par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Les Temps Modernes, qui avait fermement soutenu la guerre d’indépendance algérienne, dans son numéro intitulé « Harkis 1962-2012, les mythes et les faits ». Il essaie de mettre un peu d’histoire dans une question dont la connaissance a été dissimulée dans les deux pays par des intrumentalisations idéologiques fondées sur des mensonges.


* Voir 1885 : le tournant colonial de la République. Jules Ferry contre Clemenceau et autres affrontements parlementaires sur la conquête coloniale. Introduction de Gilles Manceron (La Découverte, 2006).
** Le général Salan a refusé en août 1957 un « projet de réorganisation des formations supplétives » venant du Gouvernement général, qui constatait que les harkis étaient réduits « à la condition d’accessoires (sic) destinés à renforcer les effectifs des unités régulières » et que « les fonctions d’autorité » leur étaient interdites, et proposant de créer des « formations autonomes, à caractère politico-militaire, offrant de larges responsabilités d’autorité aux éléments musulmans locaux et disposant d’un encadrement militaire européen très réduit (conseillers techniques) ». Salan a inscrit sur la fiche : « Je n’accepterai jamais pareil projet. Telle est ma position. Inutile d’en discuter. 16.08.57. [signé] Salan ». Référence : SHD, 1H 1397-1.  


Un abandon et des massacres aux responsabilités multiples



par Gilles Manceron, publié dans Les Temps Modernes, n°666, de novembre-décembre 2013.

Parler des harkis conduit à rencontrer plusieurs difficultés. D’abord, ce terme renvoie principalement à deux réalités différentes. D’une part, durant la guerre d’Algérie, il s’est imposé parmi d’autres pour désigner les supplétifs autochtones de l’armée française. Et, d’autre part, il a été employé, depuis, pour désigner le groupe de personnes de langue et culture algériennes venues en France à la fin de la guerre pour fuir des massacres, constitué de certains de ces anciens supplétifs menacés pour des raisons diverses, mais surtout, pour plus des deux tiers, de membres de leurs familles1. Ces personnes, du fait de leur relégation en France dans des camps, des hameaux forestiers et des « cités d’accueil », ont constitué, après 1962, un groupe social spécifique2. Et, de la même façon que durant la guerre les supplétifs avaient été utilisés à son gré par l’armée française, cette communauté a eu tendance à l’être, après celle-ci, par des groupes regrettant la fin de l’Algérie française. Parlant en leur nom, ils ont cherché à opérer un amalgame entre la question de l’abandon réel de nombreux harkis menacés à l’indépendance de l’Algérie et l’accusation d’un « abandon de l’Algérie française » dont le général de Gaulle se serait, selon eux, rendu coupable. Jusqu’aux années 1990, les membres de ce « groupe social harki » ont été ainsi systématiquement associés par ces milieux à leurs cérémonies et manifestations, et, encore aujourd’hui, ils tentent de mêler indissolublement « pieds-noirs et harkis » à un discours idéologique de regret de la colonisation.

Mais, depuis une vingtaine d’années, une nette évolution s’est produite. Deux phénomènes y ont contribué : d’une part, la nouvelle génération issue de cette communauté a cherché à comprendre l’histoire et s’est affranchie du discours idéologique d’éloge du colonialisme fourni par ces milieux liés à la droite extrême ; d’autre part, des livres, films et travaux d’historiens ont produit un début de connaissance historique de l’enrôlement et de l’utilisation des supplétifs par l’armée française durant la guerre, qui a contredit le discours idéologique simpliste et mensonger des nostalgiques de l’Algérie française. Cette évolution a été catalysée par l’apparition, en 2004, de l’association Harkis et droits de l’Homme, qui s’est distinguée en faisant référence à des principes universels pour dénoncer les injustices commises. Elle a refusé le « prêt à penser » idéologique qu’avait tenté d’imposer pendant quarante ans à leur communauté ces lobbys mémoriels, en cherchant à recueillir la mémoire complexe des ceux qui avaient vécu la guerre et en travaillant avec des historiens et des spécialistes d’autres disciplines, des sociologues, des anthropologues et des psychiatres et psychanalystes comme, par exemple, Boris Cyrulnik.

Ecarter les idées reçues et les instrumentations

Cela a conduit à une remise en cause de la sorte de légende qui avait été construite sur la question des harkis durant la guerre. Celle-ci avait cherché à présenter la formation de leurs unités comme résultant du choix de ceux qui s’y engageaient, à l’instar de celui que faisaient d’autres Algériens en montant au maquis, alors qu’elle résultait principalement d’une offre formulée par l’institution que représentait l’armée française, qui prévoyait leur financement, définissait leur structure, les conditions de leur armement relatif et temporaire, et prévoyait leur stricte subordination à un commandement « français de souche européenne ». L’objectif de l’armée française étant, en tirant parti des contradictions et des particularités de la société rurale algérienne, de contrôler des territoires et de mener efficacement la lutte contre le FLN. Mais, compte tenu de tout ce que vivaient durant la guerre les populations rurales algériennes, ses efforts ont profité d’un ensemble de données : des rivalités locales et familiales ; de la tardive et inégale apparition dans les campagnes d’un sentiment national algérien ; de la volonté de certains villageois de réagir à des méthodes violentes de certains maquisards de l’ALN, qui recouraient parfois au vol, au viol et à l’assassinat ; du besoin de survie économique des populations après la création des « zones interdites » et des « villages de regroupement » qui ont concerné près de deux millions de ruraux algériens ; de l’espoir, pour certains, d’avoir la vie sauve après avoir été accusés d’aider la rébellion. Sans compter les pressions de l’armée française pour compromettre aux yeux des maquisards ceux qu’elle voulait mettre de son côté, afin qu’ils n’aient plus d’autre choix pour sauver leur vie que de s’enrôler comme supplétif. La prise en compte de toutes ces données a conduit à une nette remise en cause de l’idée au cœur du discours traditionnel sur les harkis selon laquelle l’engagement de ces hommes résultait d’un choix politique de leur part en faveur du maintien de l’Algérie française. Une idée qui permettait, en soulignant le fait que les supplétifs ont été plus nombreux durant la guerre que les maquisards, ce qui est exact3, d’y voir la preuve que le peuple algérien ne voulait pas l’indépendance et que celle-ci ne serait due, par conséquent, qu’à la « trahison » des gouvernants français4.

A donc été progressivement remis en cause le discours qui cherchait à exploiter la question des harkis, et plus particulièrement celle de l’absence ou de l’insuffisance de l’aide apportée à la fin du conflit aux anciens supplétifs dont la vie et celle de leur famille était menacée, pour mettre en accusation la politique française de reconnaissance de l’indépendance algérienne. Une politique, qui, pourtant, rappelons-le, au-delà du général de Gaulle, était portée par les institutions républicaines et largement approuvée par le pays, comme elle l’était par l’immense majorité des Algériens chez qui s’est formé progressivement, au fil de la guerre, un sentiment national, y compris chez de nombreux supplétifs qui n’ont été contraint de quitter leur pays qu’en raison des persécutions qui ont menacé leur vie et celle de leur familles.

A été de plus en plus remis en cause, en particulier, le fait de présenter le bachaga Boualam, connu pour ses livres publiés à la fin de la guerre, Mon pays, la France (1962) et Les harkis au service de la France (1963), comme le symbole et le représentant des harkis5. Il représentait, en réalité, le cas très spécifique d’un chef tribal d’une région précise, l’Ouarsenis, dont les ascendants avaient fait de longue date le choix de l’alliance avec la colonisation française. Et il a poussé ce choix à l’extrême en reprenant à son compte tous les mythes du discours colonial sur l’Algérie française. On peut lire, par exemple, dans Mon pays, la France : « Quand les Français débarquèrent sur nos côtes, le mot Algérie n’existait pas. Notre histoire commence en 1845, comme celle de la France, en tant que peuple, a commencé avec les Capétiens. 1830, en cette terre d’Afrique du Nord, c’est le chaos, deux millions d’esclaves rançonnés par les pillards ou les féodaux, rongés par la syphilis, le trachome, le choléra, la malaria6 ». Le cas de la tribu du bachaga Boualam dans son fief de l’Ouarsenis montre bien, d’ailleurs, que les hommes qu’il a armés ne faisaient pas un choix politique quant à l’avenir de l’Algérie. Ils obéissaient essentiellement à une discipline de clan, celui des Beni-Boudouanes, dans le cadre d’une hiérarchie rurale traditionnelle7. Une discipline qui a été utilisée par cette personnalité politique totalement marginale en Algérie, liée au camp des extrémistes de l’OAS, qu’a été le bachaga Boualam. Après avoir été, en juin 1960, le président du Front Algérie française (FAF) créé à Alger pour s’opposer à la politique algérienne du général de Gaulle et dissout en décembre par le gouvernement français, il a, dans les deux dernières années de la guerre d’Algérie, rejoint l’OAS, pour combattre la politique de la France. Après le cessez-le-feu de mars 1962, il a même aidé à la constitution d’un maquis dans l’Ouarsenis pour combattre l’armée française. Cette tentative folle a été défaite sous les coups conjoints de l’armée française et du FLN/ALN, et suivie de son transfert par la France, en mai 1962, avec tous les membres de sa famille et de sa suite, vers le Mas Thibert dans les Bouches-du-Rhône. Jusqu’à sa mort en 1982, l’extrême droite défendant le colonialisme a continué à présenter le bachaga Boualam comme le symbole des harkis, alors que son passé n’était en rien représentatif de l’histoire, de l’état d’esprit ou des motivations de l’immense majorité des anciens supplétifs algériens. Mais cette utilisation a été peu à peu remise en cause par les nouvelles générations au sein même du groupe tribal et familial installé au Mas Thibert et dans sa région8. Malgré cela, ceux qui cherchent à réhabiliter la colonisation tentent d’instrumentaliser l’attachement des membres de ce groupe qui l’ont connu en France durant les vingt dernières années de sa vie, pour demander l’érection de monuments qui lui seraient consacrés. Cent trente lieux portent déjà son nom. Cela relève, comme l’érection de monuments ou stèles vouées à des membres de l’OAS, ou l’attribution du nom de Salan à des rues et autres lieux, d’une stratégie de la droite extrême, à laquelle s’opposent les démocrates, y compris de plus en plus de personnes issues de cette communauté qui refusent le piège qu’on veut à nouveau leur tendre.

L’évolution du « groupe social harki » en France

Car, au sein du « groupe social harki », alors que ceux de la première génération avaient eu tendance à être utilisés, lors de cérémonies militaires, comme des témoins muets, des sortes de pièces à conviction dont la présence était censée prouver que la colonisation était considérée comme positive par les autochtones, les deuxième et troisième générations, scolarisées et davantage informées et insérées dans la société française que leurs parents, qui ont pu s’exprimer par elles-mêmes, remettent nettement en cause ces idées. Ils ont fortement remis en cause le récit légendaire de l’histoire des harkis durant la guerre, qui puisait son origine dans le discours de propagande élaboré par l’armée française pendant le conflit. Ce récit, alimenté après 1962 par les opposants à la politique algérienne du général de Gaulle, s’est concentré sur la question des massacres lors de l’indépendance de l’Algérie. Ces massacres, où d’horribles tortures ont été perpétrées, ont été à l’origine de l’exil en France et de l’existence même du « groupe social harki », et, de ce fait, ils suscitent légitimement l’attention. Mais se limiter à cet épisode tragique, dont on se rend compte, lorsqu’on l’étudie en dehors des instrumentalisations idéologiques, qu’il met en cause de multiples responsabilités, se concentrer sur ce seul moment, en posant la seule question « les harkis pouvaient-ils être sauvés en 1962 ? » fait l’impasse sur le caractère aléatoire et arbitraire de nombre de violences, ne prend pas l’histoire des supplétifs dans sa chronologie et favorise sa reconstitution à partir d’une fin décrite de manière schématique9. Ce qui permet de faire abstraction de toute interrogation sur le recrutement et l’emploi des supplétifs entre 1955 et 1961, sur les débats auxquels leur statut a donné lieu et sur les choix faits finalement par les autorités militaires de l’époque. Des choix ne doivent pas être éludés lorsqu’on pose la question des responsabilités dans le sort de ces hommes et des membres de leur famille qui ont été martyrisés en 1962.

Poser cette seule question conduisait à pointer uniquement, comme responsabilités dans ces crimes, celles du FLN-ALN et des autorités politiques françaises au moment du cessez-le-feu. Alors que prendre leur histoire par son début et évoquer leur emploi durant la guerre débouche aussi sur la mise en cause de la responsabilité des autorités militaires françaises qui, sous le commandement en chef des généraux Salan (décembre 1956 à décembre 1958) puis Challe (décembre 1958 à avril 1960), ont voulu mener une guerre à outrance utilisant la population. Celles-ci, outre la création des « zones interdites » et de villages de regroupement, ont décidé un recrutement massif de supplétifs — plutôt que de conscrits ordinaires dans l’armée, dont l’abandon aurait été impossible —, pour lesquels elles ont défini un statut d’auxiliaires « jetables ». Cela n’empêche en rien la responsabilité de l’Etat français dans leur sort, et la nécessité de sa reconnaissance aujourd’hui, mais explique différemment le mécanisme de décisions qui ont conduit à leur drame et contredit le discours construit à leur sujet par les extrémistes de l’Algérie française. Dans cette perspective, le désarmement final des harkis en 1962 apparaît en continuité avec leur utilisation par l’état-major durant la guerre comme auxiliaires objets d’une surveillance constante, dont l’accès à leurs armes devait être interdit hors des opérations, et dont un petit nombre a été assigné aux pires tâches dans les centres de torture.

Le désarmement des harkis : une pratique constante, imposée par l’état-major de l’armée

Depuis le début des années 2000, on a cessé de poser la seule question : les harkis pouvaient-ils être sauvés en 1962 ?, qui avait été au cœur des premières publications sur ce sujet10. Elle supposait aussi de manière implicite que les harkis auraient formé, au moment des Accords d’Evian de mars 1962, un groupe clairement déterminé dont les éléments auraient, soit été ensuite massacrés, soit auraient pu se réfugier en France. Or, c’était là une idée reçue11. Puisque, d’une part, plusieurs centaines de milliers d’Algériens ayant été, à un moment ou un autre du conflit, employés comme supplétifs, le groupe harki n’était pas, en 1962, un ensemble aussi évident et déterminé. Et, d’autre part, c’est une partie de cet ensemble d’hommes qui a été pris pour cible, ainsi que des membres de leur famille, de manière aussi injuste qu’arbitraire, lors des massacres qui se sont produits alors, et qui, lorsqu’ils ont constaté que leur vie était menacée, ont cherché à partir en France. Ce qui n’exonère en aucune façon, bien entendu, la France de ses responsabilités à l’égard de ceux qui se sont trouvé menacés. Mais la grande majorité de ceux qui avaient été, à un moment ou un autre, employés comme supplétifs durant la guerre, ont continué à vivre en Algérie en se fondant dans la vie sociale, en évitant d’être désignés par le terme stigmatisant de harki. Ils ont réussi à éviter l’incarcération dans des prisons algériennes, où certains ont subi des années d’emprisonnement dans des conditions terribles, sans jamais être jugés, jusqu’en 1969. Ainsi que la marginalisation économique et sociale qui a perduré jusqu’à aujourd’hui pour certains anciens harkis et les membres de leur famille, notamment ceux pour lesquels cette fonction avait été mentionnée comme profession sur certains actes d’état-civil12.

Les malentendus de la gauche anticolonialiste

Quant au « groupe social harki » formé par les anciens supplétifs réfugiés en France avec leur famille, il a aussi été l’objet de nombreux malentendus. En particulier, une bonne partie de la gauche anticolonialiste a eu tendance à se méfier d’eux. D’autant que les Français ont rencontré pour la première fois le terme de harki quand il était employé, improprement mais couramment, pour désigner les membres de la Force de police auxiliaire (FPA) installée de 1959 à 1961 dans le département de la Seine par le préfet de police Maurice Papon avec le soutien du Premier ministre de l’époque, Michel Debré. Dans Les Temps modernes, par exemple, il a fait son apparition dans un article accusateur de Claude Lanzmann d’avril 1961, qui a été immédiatement censuré13, puis, au lendemain de la violente répression du 17 octobre 1961, dans un autre intitulé « La “bataille de Paris” », du numéro de novembre, qui a pu, lui, être diffusé, et dénonçait les exactions dans la capitale des « postes et patrouilles de harkis, auteurs, depuis des mois, d’innombrables tortures et assassinats14 ». Or ce dispositif particulier installé dans la région parisienne n’était pas représentatif de l’emploi des supplétifs en Algérie. Cette confusion au sein de la gauche anticolonialiste française explique probablement la trop faible solidarité en son sein vis-à-vis des Algériens qui avaient dû fuir des massacres lors de l’indépendance du pays, malgré les prises de position fortes d’hommes comme Pierre Vidal-Naquet qui avait été à la pointe du combat anticolonial15 ou l’engagement dans les camps comme Rivesaltes des équipes de la Cimade qui avaient été actives, peu avant, auprès des internés du FLN.

Cette assimilation impropre de la FPA de Debré et Papon aux supplétifs en Algérie a aussi été utilisée à plein par le discours officiel des gouvernants de l’Algérie indépendante qui a stigmatisé les harkis en les qualifiant de traitres. Ce qui revenait à reprendre le même thème que les jusqu’au-boutistes de l’Algérie française selon lequel ces hommes avaient fait un choix politique en faveur de l’Algérie française. Mais ces analyses simplistes et abusives ont été de plus en plus critiquées, notamment depuis les déclarations du président algérien Abdelaziz Bouteflika le 16 juin 2000, lors d’un interview donné à la chaîne de télévision France 2 au retour d’une visite officielle en France, où il a comparé les harkis aux « collabos » français lors de la Seconde guerre mondiale. Alors que les supplétifs algériens n’étaient pas un courant politique, ils n’avaient ni partis, ni journaux, ni réunions, ni représentants. L’historien Mohammed Harbi, lui-même ancien responsable du FLN durant la guerre, a montré que la comparaison avec les soutiens en France à l’occupant allemand durant la Seconde guerre mondiale était tout à fait abusive16.

C’est dire que se pencher sur ce phénomène des harkis implique de déconstruire nombre de représentations qui ont longtemps déformé et instrumentalisé les faits. Tentons de le prendre comme un objet d’histoire et non comme un argument dans des affrontements politiques.

Recruter des auxiliaires plutôt que des appelés ordinaires

Le recrutement d’auxiliaires autochtones a commencé, non avec la guerre d’Algérie, mais dès les débuts de la colonisation17. Au Maroc comme en Algérie, on parlait avant 1954 des goums (composés de goumiers), des maghzen (formés de moghaznis) et aussi des harkas (composées de harkis), qui étaient toutes des forces locales composées d’indigènes armés sommairement et commandés par des militaires français pour le contrôle du territoire. Cependant, contrairement au Maroc et à la Tunisie, la conscription existait en Algérie depuis 1912 et elle avait été confirmée par le décret mettant en œuvre le statut de 1947, qui précisait que les habitants de l’Algérie étaient soumis aux mêmes obligations militaires que ceux de métropole. Mais, en réalité, en dehors des deux guerres mondiales, on préférait ne pas faire appel aux « Français de souche nord-africaine » (FSNA) pour le service militaire. Ces militaires étaient comptabilisés par l’armée comme une catégorie particulière18 et directement versés dans la disponibilité, c’est-à-dire considérés comme aptes au service tout en restant dans leurs foyers, y compris, d’ailleurs, ceux qui ne se présentaient pas au conseil de révision, qui étaient néanmoins déclarés « bons absents service armé », « BASA » dans le langage de l’armée, pour qu’elle puisse quand même les appeler si elle avait besoin de le faire. Mais seule une petite minorité de jeunes Algériens était incorporée. La raison invoquée était d’ordre budgétaire, mais la véritable raison était qu’on voulait réserver l’apprentissage des armes aux seuls Européens et éviter de l’étendre aux Algériens, en dehors des moments où on en avait vraiment besoin, comme en 14-18, en 39-40 et en 43-45. Le fait est qu’une grande partie des maquisards du FLN-ALN ont appris à se battre au sein de l’armée française durant la Seconde guerre mondiale. Une fois l’insurrection commencée en 1954, l’armée s’est méfiée encore davantage des appelés FSNA, elle a transféré des unités de tirailleurs hors d’Algérie, notamment en Allemagne, et elle a limité la proportion d’appelés FSNA par rapport aux classes d’âge mobilisables. On craignait « à la fois les trahisons et les désertions avec emport d’armes »19. Non sans raison puisque, d’après les chiffres de l’armée, sur les quelque 60 000 soldats FSNA ayant servi de 1954 à 1962, environ 10 000 ont déserté. On redoutait aussi l’espionnage des opérations que préparaient les unités. Résultat : en 1957, 19% seulement des FSNA convoqués au conseil de révision ont été incorporés, soit 14 000 hommes, et leur nombre n’a pas dépassé 29 000 en 1959, au moment où l’état-major insistait pourtant fortement auprès du gouvernement pour qu’on maintienne les effectifs de l’armée en Algérie.

Avec le rappel, en 1956, des disponibles métropolitains et européens d’Algérie qui avaient déjà fait leur service militaire et l’allongement de la durée de celui-ci à vingt-sept mois, ces effectifs de l’armée en Algérie étaient passés de 170 000 hommes en avril 1956 à 450 000 en septembre 1957. Mais, une fois au pouvoir, le général de Gaulle s’est refusé à maintenir un tel sacrifice pour les Français. Dans ces conditions, l’état-major qui demandait le maintien des effectifs a accru légèrement le pourcentage d’Algériens de la classe d’âge incorporés, mais, l’état-major ayant compris que cela risquait d’aboutir, dans les faits, à former des combattants qui informeraient ou rejoindraient le FLN, ce nombre n’a pas dépassé un maximum de 31% en 1958. Sous les commandements en chef des généraux Salan, et surtout de Challe, l’état-major a préféré décider d’accélérer le recrutement d’Algériens au sein d’unités supplétives. Salan explique dans ses Mémoires : « Dans cette forme de lutte subversive d’essence marxiste, avoir la population avec soi devient la condition même du succès. […] Je suis décidé, au-delà des unités régulières, à utiliser les musulmans sous les formes les plus diverses : autodéfense des villages pour s’opposer aux incursions rebelles, harkis jumelés à nos bataillons, moghaznis qui protègent les SAS20 ». Plutôt que d’enrôler les Algériens comme appelés au sein des unités ordinaires de l’armée française, il a préféré créer un statut de supplétif qui offrait différents avantages au commandement quant à leur surveillance et leur emploi et qui ne créait aucune obligation de celle-ci à leur égard.

Le choix du général Salan : recruter des auxiliaires étroitement contrôlés

En juillet 1957, Salan a également écarté l’idée d’unités algériennes autonomes qui seraient armées par la France, car il y voyait l’embryon d’une armée algérienne. Il a choisi de rattacher les harkis et moghaznis à des unités régulières qui devraient les contrôler étroitement et les désarmer en dehors des opérations. Il leur a donné ainsi un statut précaire qui permettait à l’armée d’interrompre à tout moment leur contrat sans aucun engagement de sa part. C’est aussi en référence à ce statut qu’il faut penser la question du désarmement et de l’abandon dans laquelle se sont trouvés certains d’entre eux en 1962. Si la responsabilité de la France est entière dans cette politique, l’historien relève qu’elle reposait sur des choix opérés par ses chefs d’état-major davantage que sur ceux du président de la République qui, depuis son appel à l’autodétermination en septembre 1959 et à une « république algérienne » un an plus tard, voulait réduire les effectifs militaires, diminuer l’enrôlement des Français comme des Algériens, et rechercher une solution politique reconnaissant l’indépendance.

L’idée partout répétée selon laquelle la « première harka » aurait été fondée en 1954 par l’ethnologue Jean Servier relève du mythe plus que de la réalité. Dans les semaines qui ont suivi le début de l’insurrection, l’armée a fait revenir du Maroc des officiers des Affaires indigènes qu’elle a envoyé dans l’Aurès afin de recruter des autochtones pour lutter contre le FLN21. Jean Servier22, qui se trouvait à proximité du lieu de l’attaque qui avait tué l’instituteur Guy Monnerot et blessé sa femme, a participé à la distribution par l’administrateur de cinquante fusils de chasse à des villageois hostiles au FLN. Mais le groupe armé qu’il a contribué à constituer, formé d’hommes non rémunérés, relevait plutôt d’un « groupe d’auto-défense » que des harkas telles qu’elles seront définies trois ans plus tard. Servier a écrit, certes, en 1955, que les hommes d’un clan de Chaouïas ainsi armés allaient « prendre le nom de “Harka de l’Aurès” »23, mais il désigne aussi un peu plus loin ces mêmes hommes comme « mes goumiers »24 et parle de leur groupe comme « du “goum” »25. Et, en 1957, Servier s’opposera à la création par le général Salan des harkis et moghaznis rattachés à des unités régulières et contrôlés étroitement par elles. Selon lui, leur statut relevait d’une certaine discrimination raciale ou ethnique, allusion au fait qu’ils ne devaient pas être commandés par des militaires français FSNA26. Pensant que la France devait armer les populations paysannes algériennes pour qu’elles luttent elles-mêmes contre les rebelles27, Servier a qualifié ces harkis et moghaznis de « sous-armée de mercenaires » et a dit de ceux qui avaient conçu leur statut qu’ils « avaient gardé la nostalgie de l’Armée d’Afrique de leurs vingt ans, résolument attachés aux noms de moghaznis ou de harkis »28. Partisan de « compagnies légères » autonomes composées de « volontaires musulmans », il s’est heurté à un refus : « Le commandement avait décidé : “C’est une vue de l’esprit, jamais nous ne pourrons confier à des unités composées uniquement de volontaires musulmans un rôle opérationnel29.” » Les archives militaires le confirment : en juillet 1957, sous le commandement de Salan, les harkis sont passés sous l’autorité directe de l’armée, et l’état-major confirma en octobre son rejet de toute idée d’une structuration autonome des harkas comme « formations algériennes de contre-guérilla »30, op. cit., p. 37-50.]]. L’opposition de Servier au principe des SAS est confirmée par une note du préfet d’Orléansville, Raymond Chevrier, de décembre 195731. Servier a quitté l’Algérie en mai 1958, en désaccord avec les généraux à la tête de l’armée, et la diffusion de son livre Adieu Djebels, très critique à leur égard, paru à son retour, sera interrompue par l’armée qui en a racheté le stock à son éditeur. Dans ces conditions, répéter que Servier a été « le fondateur de la première harka en novembre 1954 dans l’Aurès », ne fait qu’entretenir la confusion. Le mythe a été d’autant plus facilité que Servier n’a plus jamais reparlé de cette période, plongé dans un silence dont on peut se demander s’il ne correspondait pas à des conseils ou consignes que l’armée lui aurait donnés32.

Avant juillet 1957, il s’agissait davantage de distribution d’armes de chasse à des groupes assez informels, dans la continuité des pratiques coloniales traditionnelles, que de la constitution d’unité organisées rattachées à l’armée. On parlait alors surtout des goums, formés suite à des distributions d’armes à des populations réputées hostiles à la rébellion, et dont on estime le nombre à soixante en février 1955. Le gouverneur général de l’Algérie Jacques Soustelle a créé, en janvier 1955, 34 groupes mobiles de police rurale (GMPR), dépendant théoriquement du ministère de l’Intérieur mais souvent confiés aux militaires33, et, le 26 septembre suivant, l’armée a créé les SAS. Mais au lendemain de l’insurrection du 20 août 1955 dans le Constantinois, qui marquait le vrai début de la guerre en Algérie, quand les effectifs de l’armée française ont été portés à 100 000 hommes, l’état-major a commencé à organiser ces forces auxiliaires : les GMPR ont pris le nom de « Groupes mobiles de sécurité » (GMS) et les « Groupes d’autodéfense » (GAD), une appellation employée dès le lendemain de l’insurrection de 1954, ont été institués officiellement, ainsi que les aassès (du mot gardien en arabe). Le terme de harki était employé, on l’a vu en 1955 sous la plume de Jean Servier, mais une instruction de l’état-major du 11 novembre 1955 en parlait comme de « forces auxiliaires temporaires, de caractère tribal ». La création officielle des harkas par l’armée date de février 1956.

Dès lors, on cesse d’employer le terme de goum, attaché surtout à l’administration des Affaires indigènes du Maroc, qui devient indépendant en mars. Les goums d’Algérie ont été intégrés aux GMS ou bien, placés sous tutelle militaire, ont pris le nom de « maghzens opérationnels ». Jusqu’à la fin de la IVe République, tous ces termes ont été employés de manière assez indistincte, tandis que différentes opérations de distribution d’armes à des villages ou à des tribus supposées hostiles au FLN ont tenté de former des guérillas favorables à la colonisation française34 — vainement, car ces groupes armés par l’armée française ont tous fini par rejoindre l’ALN. Comme, en 1956, lors de l’opération Oiseau bleu, où une tribu de Kabylie, peu après avoir bénéficié d’une distribution d’armes, a rallié les maquisards .

L’essor de l’enrôlement des supplétifs lors du Plan Challe

C’est avec le lancement du Plan Challe en février 1959 que les harkis sont devenus la catégorie de supplétifs la plus nombreuse, au point qu’à la fin de la guerre, le mot harki est devenu un terme générique pour désigner l’ensemble des auxiliaires algériens de l’armée française. L’état-major a décidé d’affecter une harka de 30 hommes à chaque compagnie de 150 hommes. Le Plan Challe reposait sur une stratégie de guerre à outrance contre le FLN-ALN, avec la fermeture des frontières, la création de « zones interdites » et de « villages de regroupement ». Yves Courrière rapporte ces mots de Challe au sujet des harkis : « Il faut développer ce corps. On ne fait bien la guerre qu’avec des autochtones. Ils sont actuellement 26 000. J’en veux au moins 60 00035 ! ». Il a atteint cet objectif en obtenant l’augmentation des crédits permettant leur recrutement, bien que ce choix, d’après le colonel Alain de Boissieu, chef de cabinet et gendre du général de Gaulle, était désapprouvé par le chef de l’Etat, qui demandait au contraire que l’armée n’emploie plus les harkis en opération contre les maquis et qu’on limite leur nombre à 25 00036.

Des régions entières furent vidées de leurs habitants et les déplacements et regroupements de populations bouleversèrent la vie des populations rurales d’Algérie. Le nombre des SAS s’est accru, passant de 641 en décembre 1959 à 697 en mai 1960, nombre restant à peu près stable jusqu’à l’année 1961 qui marquera le début de leur suppression. En plus de leur action éducative, sanitaire, de renseignement, de propagande et de contrôle des populations locales, elles furent souvent chargées de participer à des opérations militaires. Certaines SAS, dites « SAS renforcées », se sont vu confier la responsabilité du maintien de l’ordre, en lien avec des harkas, dans les « quartiers de pacification ».

Les supplétifs restaient des civils qui faisaient la plupart du temps l’objet d’un contrat journalier souvent uniquement verbal. Comme l’a montré François-Xavier Hautreux37, la seule donnée sur laquelle, à partir des archives de l’armée, on peut se fonder pour approcher leur dénombrement, est celle du montant des crédits militaires destinés à leur rémunération — tout en sachant que ces crédits, dans les faits, ne servaient pas qu’à cela, ce qui laisse une bonne marge d’incertitude. Reste que, de leur montant, on peut déduire un nombre hypothétique d’auxiliaires à un moment donné, Soit environ 14 000 hommes dont 2 200 harkis au début de 1957 ; environ 27 000 auxiliaires dont 10 400 harkis en septembre 1957 ; le nombre de ces derniers augmentant ensuite rapidement pour atteindre 28 000 en septembre 1958 et 60 000 à la fin de l’année 1959, ce nombre restant à peu près stable par la suite, au moins jusqu’au putsch d’Alger d’avril 1961.

En même temps, les notes conservées dans les archives militaires ne cessent d’exprimer des doutes sur la fiabilité des supplétifs. Elles signalent leur absence de motivation politique, leur faible efficacité et le « double jeu » pratiqué par beaucoup d’entre eux. Elles mentionnent aussi un nombre significatif de départs de supplétifs pour les maquis en emportant des armes, au point que, lors du Plan Challe, on a constaté que la majorité des armes saisies sur les rebelles mis hors de combat provenaient de l’armée française. Les archives de l’armée conservent la trace de nombreux ralliements de supplétifs au FLN-ALN, qui renouvelaient l’affaire des Iflissen en Kabylie maritime, où, début octobre 1956, des éléments armés d’un groupe d’autodéfense s’étaient retournés contre les soldats français, tuant plusieurs d’entre eux avant de disparaître avec les armes38 . D’où des instructions répétées demandant que les supplétifs fassent l’objet d’une surveillance constante, qu’ils soient désarmés après chaque opération et que leur commandement fasse enfermer ou enchaîner leurs armes sous bonne garde, hors de leur portée. Des ordres précisent aussi qu’il ne fallait jamais leur confier de garde de nuit sans « doubler » les supplétifs affectés comme sentinelles par un soldat « français de souche européenne » (FSE). Ces consignes de surveillance et de désarmement n’ont pas été appliquées partout, comme le montrent le fait qu’elles ont été sans cesse répétées par le commandement et aussi les témoignages d’anciens responsables de SAS ou de commandos de chasse qui ont rapporté qu’ils refusaient de désarmer leurs hommes. Mais elles suffisent à démontrer l’absence d’autonomie laissée aux harkis et leur situation d’auxiliaires traités comme tels, en dépit des discours qui leur étaient tenus selon lesquels ils étaient des militaires comme les autres, les uniformes qui leur étaient distribués, voire les grades fictifs qui leur étaient parfois donnés, aidant à le leur faire croire. Autre preuve de leur mise sous tutelle, ce n’était pas un grade minimum qui était exigé pour commander une harka, mais le fait d’être un militaire « de souche européenne », ceux d’origine algérienne dits « FSNA », qui pouvaient être sous-officiers ou même officiers, ne pouvant pas être nommés à leur tête.

La méfiance et la surveillance de l’armée

L’armée donnait aussi pour consigne de « tester » la fidélité des supplétifs en leur tendant des pièges comme la visite à leur domicile de faux maquisards blessés demandant de l’aide, ou le fait de laisser une caisse d’armes à leur vue pour surveiller son éventuelle disparition. Ce qui débouchait sur des arrestations : le Journal de marches et opérations de la SAS de Catinat, par exemple, qui est considérée comme une « SAS modèle », signale ainsi l’arrestation en décembre 1959 de sept membres du GAD et de deux harkis, identifiés comme membres du FLN, en réaction à ce qui y est qualifié de « contamination » récurrente des forces supplétives, suite à l’incessante reconstitution de la structure clandestine du FLN-ALN (qui, en l’occurrence, en trois ans, dans le secteur de cette SAS, a été décapitée puis reconstituée à six reprises)39.

Pourtant, le statut des harkis n’était garanti par aucun texte. Il faudra attendre la fin de l’année 1961, c’est-à-dire quand, après l’échec du putsch, le général de Gaulle, soutenu par l’opinion française, a imposer la recherche d’une solution politique impliquant l’indépendance de l’Algérie, et, par conséquent, quand la fin du conflit était à l’horizon, pour que des décrets soient pris « en faveur des personnels servant dans les harkas en Algérie », qui ont précisé leur statut et la durée des contrats (d’un mois, pouvant être portée à trois mois, puis à six).

Lors du plan Challe, des commandos de chasse ont été également formés avec une proportion importante d’anciens maquisards du FLN, faits prisonniers, souvent d’abord torturés, puis à qui on avait proposé de se rallier pour avoir la vie sauve — ceux qu’on appelait les PIM, « prisonniers internés-militaires », d’un sigle qui remontait à la guerre d’Indochine — et qui, tout en restant sous étroite surveillance, étaient chargés de traquer les unités rebelles en servant d’informateurs et de guides. Le cas des harkis enrôlés dans les commandos de chasse n’a concerné que moins de 5% de l’effectif total ; ceux utilisés dans les DOP (« Détachements opérationnel de protection ») chargés de pratiquer les interrogatoires où on recourait à la torture ayant probablement représenté un effectif moindre encore. Contrairement à un thème propagé par la propagande de l’armée, ces commandos de chasse n’ont jamais été « constitués entièrement d’anciens maquisards40 », le nombre de harkis et de soldats FSNA ne devait représenter qu’entre le tiers et la moitié de leur effectif et ceux-ci étaient fortement encadrés et toujours considérés comme des prisonniers en sursis41. Ce dispositif a été critiqué par le général de Gaulle, fin août 1959, quand il a effectué une « tournée des popotes » dans les garnisons d’Algérie. Rendant visite au « commando Georges » créé par le lieutenant Georges Grillot sous l’égide du colonel Bigeard au début de 1959, il a exprimé ses réticences vis-à-vis du retournement de maquisards algériens pour les enrôler dans des unités combattant l’ALN. Mais il était en train d’infléchir sa politique en proclamant le droit des Algériens à l’autodétermination et n’arrivait déjà plus à se faire obéir par l’état-major de l’armée d’Algérie qui désapprouvait sa recherche d’une solution politique et continuait à penser que le problème algérien pouvait se résoudre par une victoire militaire. Le commando Georges a poursuivi ses activités pendant trois ans, jusqu’à sa dissolution en mai 1962, annonçant avoir tué une trentaine d’officiers de l’ALN, dont sept chefs successifs de la Wilaya 6, et « mis hors de combat 1 800 rebelles ». Un tel emploi des PIM, ressenti fortement par les maquisards comme une trahison, a aggravé incontestablement la mise en danger de ces hommes à l’approche de l’indépendance. Sans justifier en quoi que ce soit les massacres et les tortures commises à leur égard, force est de constater que l’utilisation de ces hommes par l’état-major de l’armée sous la promesse d’avoir la vie sauve, les ont mis en péril, d’autant plus qu’il n’a pas tenu les promesse de les protéger. Il refusera au commandant Grillot en 1962 l’engagement de ses hommes avec un contrat régulier dans l’armée et leur rapatriement. Si bien qu’à l’indépendance, l’ancien chef de katiba de l’ALN, Riguel, devenu ensuite l’un des hommes les plus efficaces du commando, sera ébouillanté vif dans une marmite, tandis que d’autres « retournés » qui en faisaient partie subiront également d’atroces tortures.

Mais d’une manière générale, les hommes recrutés comme supplétifs, pour la plupart ruraux et souvent non francophones, animés avant tout par un sentiment d’appartenance familial et local, apparaissent comme ayant été en premier lieu préoccupés par la survie de leurs proches, dans un contexte de guerre et de destruction de leurs moyens de subsistance. Il faut bien mesurer l’émergence inégale d’une conscience nationale en Algérie entre 1954 et 1962, et de la force des sentiments d’appartenances locales qui n’incitaient pas nombre de ruraux algériens à adhérer au discours des nationalistes, surtout présents, au début de la guerre, dans l’immigration en France et dans les milieux urbains42. Dans ces circonstances, dans l’immense majorité des cas, ces hommes, soumis à toutes sortes de pressions, ont répondu à une offre formulée par l’armée française qui leur permettait momentanément de survivre et de nourrir leur famille.

Pour ce qui est de la grande masse des supplétifs, la reconstitution des itinéraires individuels laisse apparaître une grande diversité dans les circonstances de leur enrôlement. Certains hommes ont réagi délibérément à des violences exercées par des maquisards contre leur village ou des membres de leur famille. D’autres, pas seulement dans les commandos de chasse, étaient d’anciens militants nationalistes qui avaient fui la violence et l’autoritarisme meurtrier de certains chefs de maquis ou qui, faits prisonniers et torturés, avaient été contraints à être « retournés » pour avoir la vie sauve. Certains étaient héritiers d’une tradition familiale d’engagement dans l’armée française. D’autres ont été obligés à s’engager suite à une manipulation de la part de militaires français pour les compromettre, qui, par exemple, pouvait consister simplement de la part d’un officier SAS à faire monter un homme dans sa jeep pour faire le tour du village, ce qui ne lui laissait pas d’autre choix pour éviter d’être tué par le FLN, que de s’engager comme harki. D’autres encore, des paysans peu informés du contexte politique, recherchaient simplement un maigre revenu pour faire vivre leur famille. En même temps, jouait la logique de fidélité à une appartenance clanique, dans un contexte ou des rivalités entre tribus, villages ou familles étaient déterminantes et entrainaient ipso facto qu’on se retrouve dans telle ou telle faction nationaliste ou bien du côté des Français, sans que le choix de les rejoindre ait été premier. Contrairement à un discours rétrospectif repris abondamment, plusieurs décennies plus tard, lors des hommages officiels des autorités françaises aux harkis, le choix politique de la « défense de l’Algérie française » était quasiment absent. Des cas abondent de harkis qui acquittaient leur cotisation au FLN, ou dont l’enrôlement comme supplétifs avait été décidée en famille, parfois en même temps que le départ d’un frère pour le maquis, dans une stratégie de survie du groupe familial.

La question des responsabilités dans les massacres

A partir de la fin de 1961, le nombre des harkis a diminué43. Dans les premiers mois de 1962, quand la perspective de l’indépendance est devenue évidente, un grand nombre de supplétifs et de militaires FSNA ont rejoint les maquis de l’ALN en s’efforçant d’emporter des armes. L’effectif des harkis a baissé en mars et avril 1962 de plus de 70%, passant d’environ 60 000 à quelque 12 000 hommes, dont moins de 20% ont choisi de s’engager dans l’armée française — choix qui n’était pas toujours effectivement proposé et impliquait pour ces hommes d’abandonner leur famille.

C’est dans ces conditions que de nombreux anciens harkis ont été, pendant l’été et l’automne 1962, bien que désarmés, l’objet de violences souvent horribles44. Le nombre de morts, bien que difficile à établir, apparaît considérable. En six mois, peut-être est-il du même ordre de grandeur que le nombre total des militaires français morts en Algérie durant huit ans de guerre, qui est de l’ordre de 25 000. En revanche, le nombre de 150 000 morts, lancé en 1963 par le président de l’Association nationale des familles et amis des anciens parachutistes coloniaux, le général de Saint-Salvy, un proche du colonel Trinquier et du bachaga Boualam, sur la base d’une généralisation hasardeuse de l’estimation de l’ancien sous-préfet de l’arrondissement d’Akbou, Jean-Marie Robert, qui a fait, à cette date, une estimation rétrospective du nombre de victimes dans sa circonscription à l’époque, ne correspond pas à un dénombrement crédible. Bien qu’il ait été souvent repris depuis, il n’est pas davantage digne de foi que le nombre mythique avancé par le FLN, à la même époque, d’un million de martyrs de sa cause.

La question des responsabilités dans leur sort tragique est plus complexe que ne le laissent entendre certains discours qui désignent uniquement celles des autorités politiques algériennes et françaises du moment. Entre le mois d’avril et le mois de juillet, les anciens harkis sont, en général, retournés dans leur village en espérant y vivre enfin tranquillement dans l’Algérie indépendante. Les massacres dont ils ont été victimes, ainsi que des membres de leur famille, ont répondu à des scénarios divers où le rôle des cadres du FLN-ALN n’a pas toujours pesé dans le sens de leur instigation ou de leur encouragement. La volonté de certains éléments ralliés tardivement à la cause de d’indépendance qui cherchaient afficher leur engagement de fraiche date en participant ostensiblement à des lynchages publics s’est mêlée, de la part de ceux qui voulaient devenir les nouveaux maîtres du pays, à des stratégies d’affirmation de leur pouvoir autoritaire, comme le montre la décision d’emprisonnement, de 1962 à 1969, dans des conditions inhumaines, de plusieurs milliers d’anciens harkis, qui émanait bel et bien des nouvelles autorités de l’Algérie indépendante. Mais il faut aussi s’interroger sur la responsabilité des chefs d’état-major de l’armée française, Salan et Challe, qui ont poussé à leur recrutement massif, y compris en contradiction avec les vues sur cette question du général de Gaulle. L’objectif de l’autodétermination ayant été formulé par lui en septembre 1959 et précisé un an plus tard quand il a parlé d’une future République algérienne, le fait de poursuivre le recrutement massif de harkis, comme cela a été fait par le général Challe jusqu’en septembre 1960, et continué par les chefs militaires qui lui ont succédé jusqu’au putsch d’avril 1961, était non seulement en contradiction avec la recherche de solutions politiques, mais mettait en danger l’avenir des hommes recrutés. Cela s’inscrivait dans une volonté de résoudre les problèmes de l’Algérie par une victoire militaire à tout prix, contraire à la politique approuvée par le peuple français, qui faisait fi de la sécurité future des Algériens employés comme harkis, dans la perspective de l’indépendance qui s’imposait à l’horizon.

Le statut assigné aux harkis, qui ne faisaient pas d’eux des militaires mais des civils placés dans une situation informelle et précaire vis-à-vis de l’armée, les privait de la protection que celle-ci assure normalement à ses soldats. Leur absence d’autonomie et d’armement qui leur soit propre les privait fondamentalement des possibilités de se défendre ou de négocier leur sort. Désarmés en 1962, ce qui faisait d’eux une proie facile, les harkis l’étaient par définition dès le départ, en fonction même du statut qui leur avait été défini par le commandement de l’armée. Par ailleurs, sans justifier en aucune façon les affreuses tortures que certains d’entre eux devront eux-mêmes subir, les fonctions qui avaient été imposées à un petit nombre de supplétifs dans les commandos de chasse et dans les DOP, exposaient, de toute évidence, ces hommes à des réflexes de vengeance et on ne peut éluder la responsabilité de ceux qui leur ont assigné ces fonctions.

Il est légitime de s’interroger sur la non assistance à des personnes menacées lorsqu’elles cherchaient refuge auprès des postes militaires français ou voulaient se mettre à l’abri en France, y compris pour ce qui relève de certains ordres donnés par les autorités politiques françaises. Mais tout ceux qui rejetaient leur choix de mettre un terme au conflit armé en recherchant des solutions politiques, qui était le seul qui permettait de sortir d’une guerre affreusement meurtrière, en accusant celles-ci de « trahison », n’ont fait qu’alimenter tous les drames qui ont accompagné l’indépendance de l’Algérie, y compris celui des harkis. Certains de ceux qui ont crié le plus fort pour dénoncer le sort des harkis à l’indépendance sont ceux-là mêmes qui en avaient créé les conditions. Notamment en s’opposant au processus de transition que les autorités françaises cherchaient à promouvoir en mettant sur pieds un Exécutif provisoire algérien doté d’une « force locale », où des appelés FSNA et d’anciens harkis devaient prendre place, tandis que d’autres devaient s’engager dans des Centre d’aide administratives succédant aux SAS. Mais ces structures dont le gouvernement français espérait qu’elles seraient la base du nouveau pouvoir en Algérie se sont complètement effondrées. De l’échec de cette tentative de transition, l’OAS et les opposants à la politique du général de Gaulle dans l’armée française ne sont pas les seuls responsables, car l’aile la plus nationaliste et autoritaire au sein du FLN-ALN, autour de l’alliance de Ben Bella avec l’état-major de l’armée des frontière commandé par Boumediene, qui ont rejeté les Accords d’Evian et pris le pouvoir par la force au GPRA, a également une lourde part de responsabilité.

Si les autorités gouvernementales françaises de l’époque ont un tort particulier dans l’abandon des harkis, c’est probablement avant tout dans leur décision de retrait de la nationalité française aux Algériens autochtones, alors que la Constitution de la Ve République la leur avait explicitement garantie. La récupération de celle-ci n’a été possible que par une procédure effectuée sur le territoire métropolitain, alors que ces mêmes autorités faisaient tout, par ailleurs, pour empêcher ou rendre difficile l’arrivée en France de ces personnes, y compris quand elles étaient menacées. Mais l’hypocrisie des jusqu’au-boutistes de l’Algérie française dans leur manière de se présenter comme les défenseurs des harkis mérite aussi d’être soulignée. Elle revient, pour eux, à se prétendre les sauveurs de gens dont ils étaient en partie responsables des dangers qui les menaçaient.

Quoi qu’il en soit, au-delà des torts politiques des uns et des autres, c’est fondamentalement la responsabilité de la France qui est engagée dans le sort fait aux harkis pendant la guerre et surtout après celle-ci. C’est sa parole qui était engagée. Une responsabilité qu’elle doit reconnaître enfin vis-à-vis des personnes qui en ont été victimes et de leurs descendants. Il est temps que le drame des harkis échappe aux instrumentalisations simplistes et politisées qui ont trop longtemps fait obstacle à sa connaissance et qu’il devienne l’objet d’une réflexion sereine. Il est temps qu’il soit reconnu.


  1. L’anthropologue Giulia Fabbiano explique, par exemple, que le terme peut, dans une même phrase prononcée par un jeune « harki » des Bouches-du-Rhône, ne pas revêtir le même sens : “Mon père a été harki” renseigne sur un service rendu pendant la guerre d’Algérie, tandis que “je suis un fils de harki” informe sur une assignation identitaire, souvent assumée, voire revendiquée, à l’intérieur de l’espace national français », Giulia Fabbiano, « Devenir-harki : les modes d’énonciation identitaire des descendants des anciens supplétifs de la guerre d’Algérie », Migrations Société, vol. 20, n° 120, novembre-décembre 2008, p. 157 et 165-171.
  2. Tom Charbit, « Les Français musulmans rapatriés et leurs enfants », Migrations Études, n°117, octobre-novembre 2003, 12 p., p. 3.
  3. Le nombre des Algériens ayant été, à un moment ou un autre, supplétifs durant la guerre, pour des rôles et des durées extrêmement divers, a été probablement de 300 000 à 500 000 hommes, dont un maximum, au même moment, de 60 000, entre 1959 et 1961. Alors que l’Office national des moudjahidin a évalué en 1974, sur la base d’une liste nominale, à 336 748 celui des combattants du FLN/ALN, mais celui des maquisards à un moment donné était de l’ordre de dix fois moins. Pour l’historien Jean-Charles Jauffret, à son apogée, en janvier 1958, ce nombre de combattants était entre 60 000 et 90 000, dont 10 000 à 20 000 hommes à l’extérieur, mais celui des combattants de l’intérieur a considérablement baissé ensuite. Jean-Charles Jauffret, « Une armée à deux vitesses en Algérie (1954-1962) : réserves générales et troupes de secteur », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse, Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Complexe, 2001.
  4. Par exemple, Maurice Faivre : « A la fin de 1960, plus de 210 000 musulmans servent sous le drapeau français, alors que l’ALN n’a plus que 5 500 combattants en Algérie. […] Mais cette guerre psychologique […] n’a pas été soutenue par les instances du gouvernement. », Maurice Faivre, « L’Affaire K, comme Kabyle (1956) », dans Revue d’Histoire, Guerres mondiales et conflits contemporains, n°191, 1998, p. 57.
  5. Bachaga Saïd Boualam, Mon pays, la France, éd. France-Empire, 1962, et Les harkis au service de la France, éd. France-Empire, 1963.
  6. Bachaga Saïd Boualam, Mon pays, la France, op. cit., p. 23.
  7. Voir Giulia Fabbiano, « Les harkis du bachaga Boualam. Des Beni-Boudouanes à Mas Thibert », in Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, Les harkis dans la colonisation et ses suites, op. cit.. p. 113-124. Et aussi, Giulia Fabbiano, « Enrôlements en mémoire, mémoires d’enrôlement », in Les harkis, histoire, mémoire et transmission, éditions de l’Atelier, 2010, p. 98-114.
  8. Ibid.
  9. Souvent décrit comme « le massacre des harkis », il conviendrait plutôt de parler « des massacres de harkis ». Sylvie Thénault, « Massacre des harkis ou massacres de harkis ? Qu’en sait-on ? », in Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, Les harkis dans la colonisation et ses suites, préface de Jean Lacouture, Paris, Les éditions de l’Atelier, 2008, p. 81-91.
  10. Voir la thèse puis le livre de Mohand Hamoumou, Et ils sont devenus harkis, préface de Dominique Schnapper, Fayard, Paris, 1993, 364 p. (nouvelle édition 2001).
  11. Fatima Besnaci-Lancou et Abderahmen Moumen, Les Harkis, collection « Idées reçues », éd. Le cavalier bleu, 2008, p. 35-41 et 53-60.
  12. Cette marginalisation a été renforcée et légitimée par un article de la loi sur les moudjahidines du 12 avril 1999, qui a exclu de certains emplois ceux qui n’auraient pas eu une « attitude patriotique » durant la guerre, porte ouverte vers toutes les discriminations.
  13. Claude Lanzmann, « L’humanisme et ses chiens », Les Temps modernes, n° 180, avril 1961, p. 1402-1436 (non diffusé en raison de la censure).
  14. « La “bataille de Paris” », anonyme, Les Temps modernes, n°186, novembre 1961, p. 619.
  15. Pierre Vidal-Naquet « La guerre révolutionnaire et la tragédie des harkis » dans Le Monde des 11 et 12 novembre 1962, p. 11.
  16. Mohammed Harbi, « La comparaison avec la collaboration en France n’est pas pertinente », in Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, Les harkis dans la colonisation et ses suites, op. cit., p. 93-95.
  17. Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées, 1830-1930, T.2, Vincennes, SHAT, 1995.
  18. Charles-Robert Ageron, « Les militaires algériens dans l’armée française de 1954 à 1962 », in Jean-Charles Jauffret, Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie, Paris, Autrement, 2003, p. 342-359.
  19. Stéphanie Chauvin, « Des appelés pas comme les autres ? Les conscrits “Français de souche nord-africaine” pendant la guerre d’Algérie », in Raphaëlle Branche (dir.), La guerre d’indépendance des Algériens (1954-1962), Perrin, coll. Tempus, 2009, p. 173.
  20. Raoul Salan, Mémoires, tome 3, « L’Algérie française », Paris, Presses de la Cité, 1972, p. 61.
  21. Noara Omouri, « Les Sections administratives spécialisées et les sciences sociales », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse, Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, op. cit.
  22. Né à Constantine en 1918, Servier s’était engagé dans l’armée en 1938 avant de la quitter avec un grade d’officier de réserve en 1948. Il avait fait, de 1941 à 1943, des études d’ethnologie à l’Université d’Alger et été, entre 1948 et 1954, stagiaire au CNRS en vue d’un doctorat d’ethnologie.
  23. Jean Servier, Dans l’Aurès sur les pas des rebelles, Paris, éd. France-Empire, 1955, p. 25.
  24. Ibid., p. 27.
  25. Ibid., p. 28.
  26. En s’appuyant sur une note de Servier au ministre résident Robert Lacoste, intitulée « Formation, entretien et emploi des Harkas » du 27 juin 1957, p. 1, in Centre des archives d’Outre-mer-CGA : 12/CAB/107, Fabien Sacriste explique que Servier s’est opposé alors « à la logique qui préside à la formation des harkas, concept qui dégage selon lui une certaine discrimination raciale ou ethnique ». Fabien Sacriste, « Jean Servier et l’Opération “Pilote” dans l’Orléansvillois (1957-1958) : tentative d’application politique d’un savoir ethnologique », in Cahier d’histoire immédiate, n°34, automne 2008, p. 274.
  27. Jean Servier, Adieu Djebels, Paris, éd. France-Empire, 1958, p. 146-147.
  28. Ibid., p. 203.
  29. Ibid., p. 212.
  30. François-Xavier Hautreux « Les supplétifs pendant la guerre d’Algérie », in Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, [[Les harkis dans la colonisation et ses suites
  31. « Du temps où je l’apercevais encore, M. Servier ne m’a pas caché qu’il estimait la formule “SAS” dépassée et que l’institution devait, à son sens disparaître » (Raymond Chevrier, « Note du 5 décembre 1957 sur l’opération “Pilote” », p. 5, in Centre des archives d’Outre-mer-CGA : 12/CAB/107, cité par Fabien Sacriste, art . cit., p. 279.
  32. Il a refusé de revenir sur ces épisodes quand il a été interrogé pour l’émission de France culture, « 500 000 harkis à la recherche de leur histoire », 1er août 1989, entretien avec Françoise Gaspard, ou quand Camille Lacoste-Dujardin a voulu le rencontrer quand elle travaillait à son livre Opération Oiseau bleu…, op. cit.
  33. Service historique de la Défense-Armée de Terre, 1H 1922-6. Alger, le 12 mai 1955 : « Règlement relatif au fonctionnement et à l’emploi des GMPR ». Cité par François-Xavier Hautreux, art. cit.
  34. L’opération Oiseau bleu, de juin à octobre 1956, où un budget de 9 millions d’anciens francs a été consacré à l’armement de la tribu des Iflissen en Kabylie maritime ; l’opération Pilote, de janvier à septembre 1957, dans le région d’Orléansville, où un budget de 600 millions d’anciens francs a été consacré à la formation de « compagnies légères » autochtones qui devaient « pacifier » la région.
  35. Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 1972, tome 3, L’Heure des colonels, p. 368.
  36. Alain de Boissieu, Pour servir le général, Paris, Plon, 1982, p. 151.
  37. François-Xavier Hautreux, Les supplétifs pendant la guerre d’Algérie, thèse de doctorat d’histoire, Université Paris X, 2010.
  38. Voir Camille Lacoste-Dujardin, Opération Oiseau bleu : des kabyles, des ethnologues et la guerre d’Algérie, La Découverte, 1997.
  39. Grégor Mathias, « La SAS de Catinat, entre souvenirs d’un officier et écriture de l’histoire », in La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises. Actes du colloque en l’honneur de Charles-Robert Ageron, Sorbonne, 2000, Société française d’histoire d’outre-mer, p. 555-572.
  40. Ce thème qui est un mensonge de la propagande de l’armée a souvent été encore repris tel quel, par exemple dans le documentaire La Blessure, la tragédie des harkis, de Isabelle Clarke et Daniel Costelle, France 3, 2010. Comme dans le livre qui lui est associé : Isabelle Clarke, Daniel Costelle, avec la collaboration de Mickaël Gamrasni, La Blessure, la tragédie des harkis, Acropole, 2010, p. 224.
  41. Jean-Charles Jauffret, art. cit.
  42. Voir Mohammed Harbi, « L’Algérie en 1954, une nation en formation », in Les harkis, histoire, mémoire et transmission, op. cit., p. 17-21.
  43. Alban Mathieu, « Les effectifs de l’armée française en Algérie (1954-1962) », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse, Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, op. cit. Cet auteur souligne : « Les unités de harkis connaissent un fort développement entre 1959 et 1960, puis une diminution en 1961 ».
  44. Voir, Abderahmen Moumen, « Les violences post-indépendance contre les harkis (1962-1965) », in Les harkis, histoire, mémoire et transmission, op. cit., p. 63-76.
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