Les archives françaises et les archives du Vatican
Selon l’intersyndicale des Archives de France, la ministre de la culture et de la communication vient d’exprimer sa volonté de réviser la loi sur les archives, votée le 15 juillet 2008, concernant notamment la catégorie des archives dites « incommunicables ». On se souvient de cette surprenante création d’une catégorie de documents dont l’incommunicabilité absolue avait été décrétée au prétexte qu’ils permettraient de fabriquer des armes de destruction massive. Si cette nouvelle disposition parut alors absurde, elle a pris tout sens, en ces jours où l’on commémore l’indépendance de l’Algérie, dès lors qu’on sait qu’il est impossible – et devrait l’être à tout jamais selon la loi – d’accéder aux archives concernant les essais nucléaires de la France dans le Sahara (comme en Polynésie) car ces dernières comprendraient de telles données.
On souhaite donc que la volonté d’Aurélie Filippetti débouche rapidement sur l’abrogation d’une disposition qui distingue la loi française de la plupart des législations des démocraties occidentales. Mais ne conviendrait-il pas de revoir entièrement une loi qui, pour avoir fait un pas en avant (réduction de certains délais), en fit deux en arrière ? Que penser de cette autre disposition concernant les documents relatifs à la sécurité des personnes et la défense nationale dont le délai de communication est de 100 ans ? La sécurité de qui ? Et qu’entend-on par « défense nationale » ?
Le 31 mai dernier, le journaliste David Dufresne, faisait remarquer dans ces mêmes colonnes, que le renseignement français agissait hors contrôle. Relié seulement à l’Elysée, il échappait à la surveillance des citoyens. Lorsqu’on sait que les dossiers personnels sont déjà soumis à un délai de communication de 75 ans (ce qui put apparaître comme un progrès par rapport à la loi précédente dont le délai était de 120 ans), on comprend la surprotection dont jouissent certains serviteurs de l’Etat ! Enfin, la loi de 2008 a renouvelé une disposition particulièrement antidémocratique, celle de la « dérogation », qui permet, après instruction de la demande et quelques mois d’attente, d’obtenir – ou de se voir refusés – des documents dont le délai de communicabilité n’a pas encore expiré.
Cette disposition dissuade des « simples » citoyens et exclut des catégories d’usagers comme les journalistes dont le rapport au temps est souvent différent de celui des chercheurs, alors qu’ils seraient sans doute les plus à même d’exercer le contrôle sur les services mentionnés plus haut. Elle satisfait en revanche les chercheurs institutionnels qui en sont les principaux bénéficiaires. Si le recours à la dérogation peut améliorer leurs conditions de travail, il faut s’interroger sur ce que cela signifie. Et pour cela, la correspondance récente entre le quotidien américain, le New York Times, et l’historien Michael Marrus, bien connu en France pour ses travaux sur le régime de Vichy et les Juifs, nous sera utile.
Le 1er juillet dernier le quotidien new-yorkais annonçait que le musée de Yad Vashem à Jérusalem, consacré à l’holocauste, avait modifié dans son exposition permanente ses propos concernant Pie XII, pape de 1939 à 1958 dont on dit généralement qu’il n’intervint pas autant qu’il aurait pu le faire pour sauver les Juifs. Désormais on ne lira plus que le Pape ne serait pas intervenu lorsque les Juifs ont été déportés de Rome, mais qu’il ne serait pas intervenu « publiquement »… Cette précision, qui relativise le rôle de Pie XII, serait le résultat, dit-on à Yad Vashem, de la prise de connaissance de documents dans les archives du Vatican. Fort bien, a rétorqué, sceptique, l’historien américain, mais pour empêcher que la controverse s’intensifie, il n’y a qu’un seul moyen: c’est que le Vatican ouvre ses archives à tous les chercheurs indépendants !
L’accès sous condition ou privilégié n’appartient pas en effet à la culture nord-américaine. Le Freedom of Information Act (FOIA) garantit l’accès aux archives, dès lors qu’elles ont été déclassifiées, à tous les citoyens sans distinction. Il existe de surcroît aux Etats-Unis un organisme non gouvernemental, le National Security Archive, qui veille à son application. Cela nous semble la voie à suivre.