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Édition du 15 au 30 juin 2025

« Sétif, la fosse commune, massacres du 8 mai 1945 » disponible aux éditions du Croquant

Le 8 mai 1945 l’apparition du drapeau algérien aux côtés de ceux des Alliés a mis le feu aux poudres. L’intervention de la police déclenche alors une émeute.

Extraits

Le 8 mai 1945, la planète entière est en liesse. La joie du monde libre est indescriptible en raison de la capitulation de l’armée nazie. La fin d’un cauchemar qui a duré plus de cinq longues années se propage comme une traînée de poudre. En ce jour de libération, l’Algérie, qui a payé un lourd tribut lors des deux guerres mondiales avec 23 900 et 7 500 mobilisés morts pour la France, célèbre cependant un deuil. Portés par l’euphorie de la victoire, des milliers d’Algériens défilent à Sétif, réclamant à leur tour plus de droits et la reconnaissance de leur identité. Ils exigent l’égalité des droits, tout comme il y a eu égalité des devoirs pendant la guerre. Mais cette marche pacifique est réprimée dans le sang. Alors que le monde entier fête la victoire sur le totalitarisme, l’ordre colonial écrase ces revendications dans l’œuf. […]

L’apparition du drapeau algérien aux côtés de ceux des Alliés a mis le feu aux poudres. L’intervention de la police déclenche alors une émeute. En fuyant sous les tirs des policiers, des Algériens se retournent contre les Européens croisés en chemin. Le crépitement des armes précipite une rupture profonde entre les Algériens, appelés « indigènes, » et une partie des colons. Longtemps associé uniquement à Sétif, Guelma et Kherrata, ce drame a endeuillé tout le Nord-Constantinois et une grande partie du territoire, où chaque empan est chargé d’histoire. […]

Pendant des semaines, l’armée française et les colons, regroupés en milices, ont humilié et tué sans distinction d’âge ni de sexe dans plusieurs localités : Ain El Kebira, Beni Bezez, Serdj El-Ghoul, Aokas, Amoucha, Melbou, Beni Fouda, Tizi n’Bechar, Oued El Berd, Aïn Abassa, Bouhira, Maouane, El Kharba, El Eulma, Bordj Bou Arréridj, Beni Aziz, Boudriaa-Beni Yadjis, Ain Roua, El Ouricia, Ziama Mansouriah, Aïn Sebt, Bougaa, Aït Tizi, Bouandas et bien d’autres encore. La colère et la vindicte des populations indigènes, particulièrement dans les zones reculées de Sétif et de Guelma, ont fait 103 victimes européennes (70 à Sétif et 34 à Guelma, selon Annie Rey Goldzeiger). Cette révolte, qui emporta également de nombreux innocents, fut réprimée dans un bain de sang par une répression d’une ampleur inouïe, dépassant toutes les limites de l’entendement. Si le nombre de victimes européennes est précisément établi, le bilan des opérations de « rétablissement de l’ordre » – ayant mobilisé un véritable arsenal de guerre – reste encore méconnu et sujet à une polémique persistante. […]

Des actes barbares et des gestes d’humanité

Le devoir de vérité m’impose de mettre en lumière les gestes d’humanité qui ont émergé des deux communautés durant ces moments tragiques. Parmi eux, l’acte héroïque de Joseph, un coiffeur juif de Sétif, mérite d’être souligné : il a courageusement empêché des soldats français de s’emparer d’un manifestant algérien blessé qu’il avait recueilli dans sa boutique. Je ne peux pas non plus passer sous silence la position admirable d’un fermier européen d’Ouled Adouane (Aïn El-Kebira), ainsi que celle de M. Dillot, directeur de la mine de Kef Semah (Bougaa), lesquels ont protégé des paysans et des ouvriers indigènes menacés d’arrestation ou de liquidation extrajudiciaire. Il convient également de mettre en avant les réactions exemplaires de manifestants algériens, tels ceux qui ont protégé M. Roussin, un cheminot retraité sur le point d’être agressé, ou encore ceux qui ont raccompagné chez elle Mme Occipenti, née Marylise Morlot, une Européenne terrifiée par les violences environnantes. Enfin, je tiens à revenir en détail sur l’intervention courageuse d’Ahmed Mefoued, qui a sauvé d’une mort certaine la famille de Marie Simon Giovanni, une jeune institutrice européenne d’Amoucha. […]

Aujourd’hui, près de quatre-vingts ans après les violences inouïes de mai 1945, amnésie et le déni persistent du côté de la rive nord alors que des conseils municipaux de plusieurs villes françaises, des associations d’anciens appelés du contingent, des collectifs citoyens, des élus et des intellectuels se mobilisent pour rétablir la vérité. J’ai poursuivi mon enquête-cherchant à mettre en lumière l’imposture de la notion de « rétablissement de l’ordre public», devant dissuader les Algériens de revendiquer un minimum de dignité. […]

Le mystère qui entoure le pogrom perpétré à huis clos reste épais. À midi, les forces de l’ordre, par le fer et le feu, reprennent le contrôle de la situation et rétablissent l’ordre à Sétif. Aucune maison n’est incendiée, aucune porte n’est défoncée. Les renseignements généraux, à la fois juges et parties, font état de 21 morts et 35 blessés du côté européen, avec une liste nominative des victimes et des causes de leur décès. En revanche, les « manifestants », frappés par la répression, restent dans l’ombre, leur sort étant couvert par la censure. Une chape de plomb s’abat sur les indigènes blessés ou tués. […]

L’occultation délibérée du nombre de victimes indigènes, tombées ce jour-là ainsi que dans les jours et les semaines qui suivirent, est soigneusement entretenue, provoquant une polémique qui persiste jusqu’à nos jours. Cette controverse porte sur le bilan des victimes d’une répression féroce et disproportionnée. Le supplice des Algériens, dont le seul crime fut de scander des slogans de paix et de liberté, ne s’arrête pas là. […]

Le devoir de vérité m’oblige à évoquer le malheur qui a frappé plusieurs Européens de Sétif. L’assassinat du juge Vaillant et l’agression de Denier (secrétaire général de la section locale du parti communiste à Sétif), un contrôleur des PTT apprécié des autochtones, seront abordés, tout comme l’exécution de Pierre Péguin, directeur d’école, à qui un de ses anciens élèves a rendu hommage. Pour de nombreux témoins et acteurs, notamment Debbah Hebbache, un ancien scout, il est clair que la liquidation extrajudiciaire des frères Hebbache est liée à l’assassinat de Delucca et aux autres crimes commis par des paysans, juste après le début des troubles. […]

Consolidée par de nouveaux témoignages et des faits peu connus, cette seconde édition met en lumière plusieurs aspects de la tragédie, tels que la torture, les disparitions (notamment les corvées de bois ), le nombre d’orphelins, les bavures policières, les plaintes des familles souvent restées sans réponse, la répression administrative et judiciaire, les internements forcés, le nombre exact des disparus et autres victimes de la peine de mort, ainsi que l’ampleur des razzias, etc. Ces éléments m’ont poussé à approfondir mes investigations. De nouveaux documents inédits (ouvrages, rapports de la police, du gouvernement général en Algérie et une partie des archives militaires. […]


Pour commander le livre imprimé : https://editions-croquant.org/hors-collection/1095-setif-la-fosse-commune-massacres-du-8-mai-1945.html

Pour commander le PDF : https://editions-croquant.org/livres-numeriques/1096-setif-la-fosse-commune-massacres-du-8-mai-1945.html


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