CHRISTOPHE ARCHAMBAULT (AFP)
Dans une lettre adressée le 30 juillet 2024, à l’occasion de la « Fête du trône », au roi du Maroc, Mohamed VI, Emmanuel Macron a assuré ce dernier au nom de la France que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Il rompait ainsi, soudainement et en l’absence de tout débat politique en France sur cette question, avec la traditionnelle position de « neutralité » française dans une question qui voit s’affronter Alger et Rabat depuis des décennies. Celle-ci était en effet jusque là alignée sur celle de l’ONU, selon laquelle la décolonisation du Sahara Occidental est à réaliser après un référendum d’autodétermination des populations locales.
Comme le dit ci-dessous une tribune parue dans Le Monde de Khadija Mohsen-Finan, spécialiste du Maghreb, ce revirement, dont seuls les milieux patronaux français ont été avertis préalablement, a d’évidentes motivations mercantiles. Dans Le Monde Diplomatique, Akram Belkaïd souligne qu’en « prenant parti pour le Maroc, M. Macron empêche désormais la France de jouer le rôle de conciliateur en cas d’aggravation des tensions entre Alger et Rabat ». Dans Orient XXI, Jean-Pierre Sereni estime que « le président Emmanuel Macron a pris le risque d’une rupture avec l’Algérie, dans le seul but d’amadouer la droite et l’extrême droite françaises », dont les liens avec la monarchie marocaine et l’hostilité à l’égard de l’Algérie sont anciens et connus.
De fait, cette ouverture délibérée d’un casus belli avec le pouvoir algérien pourrait être synonyme d’abandon du processus de « réconciliation » avec l’Algérie engagé lors du premier mandat d’Emmanuel Macron. On peut faire l’hypothèse qu’il affectera notamment les initiatives politico-mémorielles prises dans ce sens, comme la commission mixte franco-algérienne d’historiens créée par les présidents français et algérien, dont la dernière réunion, tenue à Alger, remonte à mai 2024.
« Au Sahara occidental, Paris appuie une initiative marocaine destinée à contourner le droit international »
par Khadija Mohsen-Finan, publié dans Le Monde le 8 août 2024.
En soutenant le plan d’autonomie du Maroc, la France écarte l’option d’un référendum d’autodétermination demandé par la partie adverse et par l’ONU, s’inquiète, dans une tribune au « Monde », la spécialiste du Maghreb, Khadija Mohsen-Finan.
Khadija Mohsen-Finan est politiste à l’université Paris-I, spécialiste du Maghreb. Elle est l’auteur de Sahara occidental. Les enjeux d’un conflit régional (CNRS Histoire, 1997)
Aux yeux de la diplomatie française, les miracles sont possibles et une simple phrase modifiée peut contenter tout le monde, ou presque. Sur le délicat conflit du Sahara occidental, qui oppose, depuis 1975, le Maroc au Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui soutenu par l’Algérie, Paris, qui a toujours estimé que le plan d’autonomie proposé par Rabat en 2007 était « une base de discussion sérieuse et crédible », le considère désormais comme « la seule base ». En considérant l’autonomie comme unique base de discussion, la France écarte le référendum d’autodétermination voulu par le Front Polisario et retenu par les Nations unies. Elle cède ainsi à la pression marocaine et se réfère à une autonomie dont elle sait pertinemment qu’elle ne peut être mise en place.
Si la satisfaction de Rabat est acquise, le cabinet royal s’étant félicité de cette annonce « en soutien à la souveraineté marocaine », la conformité au droit international pose question. En effet, la lettre envoyée par Emmanuel Macron au roi Mohammed VI, rendue publique par l’Elysée le 30 juillet, se réfère à l’autonomie de cette région contestée et précise que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Ce changement de cap s’expliquerait, selon l’exécutif français, par un souci « d’aller de l’avant », puisqu’il est « temps d’avancer ». Alors comment avance-t-on et quelle autonomie s’agit-il de mettre en place ?
L’interrogation est d’autant plus légitime que la France semble être déjà passée à l’étape suivante, considérant le moment venu d’examiner les contrats juteux qui pourraient intéresser les chefs d’entreprise français. Ces derniers ont été informés du nouveau positionnement de la France, avant même l’envoi de cette lettre.
Brassage des populations
Déjà, en avril, et avant même que ce changement ne fût annoncé par le chef de l’Etat, Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, en visite à Rabat, évoquait le financement de plusieurs projets dans cette région, par le biais des banques publiques françaises, et notamment de la ligne électrique à haute tension qui reliera Dakhla, au Sahara occidental, à Casablanca. Deux mois auparavant, le chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné, mentionnait, à Rabat, la nécessité pour la France « d’accompagner [le Maroc], dans la poursuite du développement économique et social de la région », ajoutant, précautionneux, et soucieux du droit, « au bénéfice des populations locales ».
Il est pourtant difficile d’évoquer une autonomie de la région ou encore le bénéfice d’une quelconque population locale. Depuis 1975, le Maroc a annexé ce territoire, administré sa population et en a exploité les ressources. Encouragés par un système de subventions des produits et de salaires majorés mis en place par Hassan II, de nombreux Marocains s’y sont installés, favorisant ainsi le brassage des populations sahraouie et marocaine, de manière à anéantir toute identité sahraouie. Au terme de cinq décennies, il est évidemment difficile de distinguer un Sahraoui d’un habitant venu du Maroc. Considéré comme un succès aux yeux du pouvoir marocain, ce brassage a notamment rendu impossible toute consultation de la population que les textes juridiques désignent comme « locale ».
De la même manière, il est impossible de concevoir la mise en place d’une autonomie qui consisterait à opérer un transfert des pouvoirs et une gestion des finances propre à la région. Comment imaginer que le Maroc, qui se sent aujourd’hui vainqueur et, après avoir exercé, cinq décennies durant, un pouvoir autoritaire sur cette région annexée, exploitant ses ressources naturelles et réprimant les Sahraouis récalcitrants, se sentirait dans l’obligation de confier la gestion politique et financière de cette région à des élus sahraouis ? Pourquoi se priverait-il des nombreuses ressources de cette région particulièrement riche (phosphates, pétrole, poissons, agriculture, tourisme…) et dont l’exploitation s’est faite sans que la population de ce territoire en bénéficie, comme le stipulent les textes juridiques ?
Intérêts économiques et stratégiques
En se référant à l’autonomie et au bénéfice des populations locales, la France paraît afficher son respect pour le droit international, alors qu’elle appuie une initiative marocaine destinée à contourner ce droit, en amenant le plus grand nombre d’États à accepter sa gestion et son administration d’un territoire qui continue d’être considéré comme non autonome par les Nations unies.
En 2020, cette stratégie marocaine a été couronnée de succès quand Donald Trump a reconnu la « marocanité » du Sahara occidental, en contrepartie de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. La France n’a pas suivi, et sa réserve a été jugée sage pour un pays qui a une connaissance fine d’une région dont elle a notamment dessiné les frontières. Ancienne puissance coloniale, la France tentait, tant bien que mal, d’être une puissance d’équilibre entre Alger et Rabat, inscrivant ce conflit de décolonisation dans le temps long.
Aujourd’hui, la diplomatie française semble davantage dictée par des intérêts économiques et stratégiques considérés sur le court terme, et qui conduisent Paris à faire le choix du Maroc, au détriment de l’Algérie. Cette légèreté à consolider un dossier aussi important, dans lequel la France n’a jamais eu de cesse d’être impliquée directement ou indirectement, suscite pour le moins l’étonnement et interroge sérieusement sur la manière dont on écrit les relations internationales.