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Édition du 1er au 15 décembre 2025

Les Européens d’Algérie et leur exode

Hiver 1960, non loin de Ben S'Rour (©Albert Devaud)
Albert Camus et l'Algérie

Albert Camus et les ambiguïtés

Du fait de ses positions libérales et de sa critique de la politique coloniale française – voir notamment l’épisode de la “trêve civile” –, pendant la guerre d’Algérie Albert Camus était considéré par la droite comme un traître. On peut mesurer par là l’ambiguïté du véritable culte dont il est l’objet de nos jours de la part de très nombreux Pieds-noirs.

On a pu – Mouloud Feraoun le premier – reprocher à Albert Camus d’avoir relégué les Algériens à des rôles de figurants dans leur propre pays. Agnès Spiquel a montré que ce grief était assez largement infondé, mais il a alimenté une critique récurrente de la part d’Algériens qui reprochent à Camus de ne pas avoir perçu la montée du nationalisme algérien. Albert Camus était sans doute prisonnier de stéréotypes coloniaux, car ses reportages en Kabylie, en 1939 et en 1945, dénoncent la misère, sans mentionner la revendication du droit à l’existence, à la souveraineté, d’une partie importante de la population musulmane. Son point de vue est marqué d’une sorte de cécité : sa méconnaissance de la langue arabe et de l’islam, ses préventions grandissantes à l’égard du panarabisme de Nasser, puis sa haine du FLN ont fait que, malgré ses liens avec des amis arabes, il n’a pas saisi l’acuité de ce qui se passait en Algérie.

Albert Camus avait le 23 août 1944 fait l’éloge des Français qui s’étaient levés contre l’occupant allemand : «Un peuple qui veut vivre n’attend pas qu’on lui apporte sa liberté. Il la prend» 1. Mais il s’est toujours refusé à mettre le nationalisme algérien sur un pied d’égalité avec le patriotisme de la Résistance française. Mouloud Feraoun, qui comprenait Albert Camus sans partager ses positions, a écrit dans son Journal le 18 février 1957 : «Camus se refuse à admettre que l’Algérie soit indépendante et qu’il soit obligé d’y rentrer chaque fois avec un passeport d’étranger, lui qui est Algérien et rien d’autre. »

La lecture d’un article repris ci-dessous, et deux petites vidéos dans lesquelles deux écrivains algériens, Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri, évoquent Albert Camus, permettent de mesurer l’ambiguïté du rôle que certains font parfois jouer à Albert Camus.

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“Albert Camus parle des Arabes”, par Agnès Spiquel

Professeur de littérature à Valenciennes et présidente de la Société des études camusiennes, Agnès Spiquel a collaboré à l’édition des oeuvres complètes de Camus dans “La Pléiade” (Gallimard) et elle codirige actuellement, avec Raymond Gay-Crosier, un Cahier de l’Herne consacré à l’écrivain, à paraître courant 2013.

Elle a récemment participé à un ouvrage collectif, Les Ecrivains français et le monde arabe, Ralph Heyndels éd., publié sous la direction de Madeleine Bertaud par l’ADIREL – Association pour la diffusion de la recherche littéraire (éd. Droz, 2010, ISBN : 978-2-9518403-8-6).

Nous remercions Agnès Spiquel et les éditeurs de cet ouvrage de nous avoir autorisés à reprendre sa contribution où elle répond de manière nuancée à l’affirmation rebattue selon laquelle les Arabes seraient “absents de l’oeuvre de Camus”.

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“Albert Camus, ou l’inconscient colonial”, par Edward Saïd

Dans son livre Culture et impérialisme, ( Fayard-Le Monde diplomatique, Paris, 2000), Edward W. Said montre que, dans leurs œuvres, de grands créateurs occidentaux – Joseph Conrad, Rudyard Kipling, Giuseppe Verdi, Charles Dickens, Honoré de Balzac, … – n’échappent pas à la mentalité de leur temps : ils évoquent et admettent calmement l’aventure coloniale, cette formidable entreprise de domination conduite par l’ « homme blanc ». Ci-dessous de larges extraits de Culture et impérialisme consacrés à Albert Camus2.

Intellectuel palestinien né à Jérusalem, Edward W. Said (1935-2003) était professeur de littérature comparée à l’université Columbia (Etats-Unis). Parmi ses autres œuvres : L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident (Le Seuil, rééd. 2003).

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Ghislaine Ruvira, juin 1962. (photo : Bayard jeunesse)
Les Européens d'Algérie et leur exode

 1962 : l’exode de Ghislaine, oranaise …

La guerre d’Algérie est un événement historique complexe qui a broyé beaucoup de ceux qui l’ont vécu. En novembre 2004, les éditions Bayard jeunesse ont publié un dossier Okapi réalisé par Antoine d’Abbundo, J’ai vécu la guerre d’Algérie, 1954-1962, comportant les témoignages de quatre protagonistes – un appelé du contingent3, un moudjahid, un harki et une «pied-noire».

Nous avons choisi, avec l’autorisation de l’éditeur, de reprendre le dernier de ces témoignages, celui de Ghislaine Ruvira, pied-noire d’Oran, qui a dû, début juillet 1962, quitter définitivement l’Algérie, «son pays», «le pays où [elle est] née».4.

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Les Européens d'Algérie et leur exode

“Ni valise ni cercueil”, de Pierre Daum

Le 5 juillet 1962, l’Algérie devient indépendante. Six cent mille Pieds-noirs ont déjà pris le chemin de l’exil, mais quatre cent mille ne sont pas partis. Au premier janvier 1963, plus de deux cent mille Européens et Juifs restent dans leur pays, tentant le pari de l’Algérie algérienne. Ceux-là, qui les connaît ? Depuis un demi-siècle, les seules voix audibles sont celles des Rapatriés de 1962. Et parmi eux, qui entend-on le plus souvent ? Les plus nostalgiques de l’Algérie française, ceux qui affirment qu’ils sont “tous partis”, et qu’ils n’avaient le choix qu’entre “la valise ou le cercueil”. Or, ces affirmations sont fausses. La seule présence, attestée par les archives, de ces deux cent mille Pieds-noirs présents en Algérie en 1963, le prouve amplement.

Après Immigrés de force (Actes Sud, 2009), son premier livre sur les travailleurs indochinois de la Seconde Guerre mondiale, Pierre Daum nous propose une nouvelle enquête sur un autre aspect méconnu du passé colonial de la France. Il est parti à la recherche de ces hommes et de ces femmes restés dans leur pays, l’Algérie, après 1962. Ceux et celles qui, au lendemain de l’indépendance, n’ont choisi “ni la valise ni le cercueil”. Certains ont quitté leur pays cinq ans plus tard, ou dix ans, ou vingt ans. De nombreux y sont morts, reposant maintenant dans la terre où ils sont nés. Aujourd’hui, quelques centaines y vivent encore.

« Aucune étude approfondie n’avait jusqu’à présent été entreprise sur le sort des Européens et des Juifs restés en Algérie après 1962. Le livre de Pierre Daum constitue dès lors une grande première », affirme Benjamin Stora dans sa préface reprise ci-dessous.

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L'attentat à la voiture piégée, dans le port d'Alger, a fait 62 morts et 110 blessés, le 2 mai 1962 (photo Fernand Parizot)
Les Européens d'Algérie et leur exode

Alistair Horne: « La terre brulée et l’exode »

La folle semaine qui a suivi l’entrée en vigueur des accords d’Evian, et au cours de laquelle l’OAS a fait la guerre à l’armée française, s’est terminée par la fusillade tragique de la rue d’Isly, le 26 mars 1962. D’avril à juin 1962, en dépit des arrestations de ses chefs (Jouhaud le 25 mars, Degueldre le 7 avril et Salan le 20), l’organisation terroriste a multiplié les violences envers les Algériens, faisant régner un climat de terreur notamment à Alger. Ce qui a contribué à pousser plusieurs centaines de milliers de pieds-noirs à un exode affolé. Alistair Horne dans son Histoire de la guerre d’Algérie en fait la relation reprise ci-dessous5.

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L'Echo d'Alger, 24-25 janv. 1960. (Voir la fin de la note [4])
Les Européens d'Algérie et leur exode

Les barricades d’Alger : une déclaration de guerre à l’État et le début d’une guerre civile

Le discours du général de Gaulle annonçant, le 16 septembre 1959, « l’autodétermination » pour l’Algérie avait mis en alerte les partisans de l’Algérie française. Suite à une interview donnée à un journal allemand, le général Massu, commandant du corps d’armée d’Alger, est rappelé à Paris le 22 janvier 1960. A Alger, les activistes s’enflamment, élèvent des barricades… Le 24 janvier, des tirs de fusils-mitrailleurs dirigés contre des gendarmes mobiles font de nombreuses victimes parmi les forces de l’ordre. Un camp retranché est installé au centre d’Alger au nom de l’Algérie française… Mais, n’ayant pas bénéficié du soutien espéré, la rébellion fera long feu7.

A l’heure où la mémoire de la guerre d’Algérie est l’objet de diverses tentatives de récupération politique8, nous reprenons ci-dessous le témoignage de Jean Sprecher qui a vécu ces événements et pour qui «les Barricades de janvier 1960, avec leur bilan tragique, apparaissaient comme la déclaration de guerre à l’Etat, et le début de la guerre civile qui allait couver quelque temps, mûrir dans l’ombre, tenter un nouvel essai en décembre 1960 et éclater enfin quelques mois plus tard, en avril 1961, quand des généraux convaincus de tenir l’armée en main, crurent cette fois le moment venu pour déclencher un putsch, en garder la maîtrise et en assurer le succès.»9

Nous complétons ce document avec un extrait de l’éditorial publié par Le Monde le 26 janvier 1960.

[Mise en ligne le 15 janvier 2010, complétée le 27]

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Albert Camus et l'Algérie

Albert Camus et l’Algérie, par Agnès Spiquel

Le souhait présidentiel de faire entrer Albert Camus au Panthéon n’est évidemment pas dénué d’arrière-pensées10. Rappelons seulement que, en recevant le Prix Nobel de littérature en 1957, Camus avait déclaré que l’écrivain «ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire: il est au service de ceux qui la subissent».

Albert Camus est mort en janvier 1960. On ne peut présumer de ce qu’aurait été sa réaction devant la façon dont la guerre d’Algérie s’est terminée deux ans et demi plus tard. Mais il faut rappeler son humanité et sa lucidité face à un conflit qui le déchirait, et la haine que ses prises de position avaient suscitée chez les partisans de l’Algérie française.

Nous remercions Agnès Spiquel, professeur de Littérature française à l’université du Hainaut-Cambrésis et présidente de la Société des études camusiennes, d’avoir accepté de retracer les positions d’Albert Camus avant, puis pendant, la guerre d’Algérie11, dans un exposé que nous faisons suivre de quelques liens vers des pages complémentaires.

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Les Européens d'Algérie et leur exode

L’arrivée des pieds-noirs en Roussillon en 1962

La fin de la colonisation française de l’Algérie a eu un retentissement important dans les Pyrénées-Orientales. Les polémiques qui ont accompagné la construction, à Perpignan, d’un Centre de documentation sur la présence française en Algérie, montrent que la page n’a pas encore été vraiment tournée dans un département où les rapatriés ont été nombreux à s’installer.

Le livre de Philippe Bouba, fils et petit fils de Pieds-Noirs, L’arrivée des Pieds-Noirs en Roussillon, en 1962, est le fruit d’une initiation à la recherche effectuée dans le cadre du Master Sciences de l’homme et humanités de l’Université de Perpignan Via Domitia.

Philippe Bouba, L’Arrivée des Pieds-Noirs en Roussillon en 1962, éditions Trabucaire, 178 pages. 15€.

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