France-Algérie, une histoire d’amour ?
par Solidaires Étudiant-e-s, publié par Mediapart le 26 novembre 2022.
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Soixante ans après, la nostalgie de l’Algérie française fait toujours recette. À l’extrême-droite, bien sûr, qui s’est offert trois jours de célébration de l’OAS et des responsables du putsch d’Alger à Perpignan et a profité de l’ouverture de la session parlementaire pour dispenser le même discours. Mais aussi à la tête de l’État, Macron semblant toujours prêt à donner des gages à sa droite, se demandant si il y avait une nation algérienne avant la colonisation française et qualifiant cette dernière d’« histoire d’amour qui a sa part de tragique ».
Face à cette offensive mémorielle, nous souhaitons donner la parole à celles et ceux qui par leur travail, éclairent ce qu’ont réellement été la colonisation et l’indépendance et les conséquences individuelles, familiales et collectives qu’elles ont suscitées.
Soixante ans après la victoire de la lutte d’indépendance algérienne, il nous semble nécessaire de réfléchir ensemble à celle-ci, de l’aborder avec lucidité, sans escamoter les violences et les souffrances qui l’ont entourée, mais en cherchant aussi à comprendre comment elle peut nous inspirer pour les luttes d’aujourd’hui et de demain.
La projection-débat est ouverte aux membres de Sorbonne Université. Les rencontres à la Sorbonne sont ouvertes à toutes et tous sous réserve d’inscription pour accéder au campus.
Les rencontres sont organisées avec le soutien du FSDIE Sorbonne Université.
Projection-débat autour de « La bataille d’Alger »
Censuré jusqu’en 2004 en France, « La bataille d’Alger » est un film réalisé en 1966 qui se focalise sur la « bataille d’Alger », le soulèvement du peuple algérien uni contre le pouvoir colonial français décrit comme une bataille par les militaires pour justifier la répression. Ce film relate avec justesse les débuts de l’insurrection algérienne, de 1954 à 1957 et en particulier la lutte pour le contrôle de la Casbah d’Alger entre le FLN et les parachutistes. La projection sera suivie d’un débat pour éclairer le film et la période historique qu’il dépeint.
campus Jussieu, Amphi 15
Le débat sera animé par Gilles Manceron, historien spécialiste du colonialisme français et de la guerre d’indépendance algérienne, et Michèle Audin, fille de Maurice Audin, militant pour l’indépendance de l’Algérie enlevé, torturé et assassiné par les parachutistes en 1957.
Table-ronde sur les mémoires de la présence coloniale en Algérie
et de la guerre d’indépendance
Cette table ronde est organisée avec Paul Max Morin, docteur en sciences politiques, co-auteur du podcast « Sauce Algérienne »1 et auteur du livre Les jeunes et la guerre d’Algérie. Il interviendra avec des jeunes descendant.es de l’histoire algérienne de la France, petits-enfants de militant.es pour l’indépendance, de pieds-noirs et de harkis pour comprendre les conséquences de cette histoire pour notre génération et les défis qui sont les nôtres pour dépasser le passé.
7 décembre 18h
Sorbonne mère, Amphi Michelet
La table-ronde rassemblera Paul Max Morin et Justine Pérez, co-auteur.trice.s du podcast « Sauce Algérienne » ainsi qu’une partie des jeunes interviewé.e.s et de participant.es du projet « Regards Croisés ».
Table-ronde sur les luttes actuelles en Algérie et en France
Cette table ronde a pour objectif d’éclairer les luttes qui parcourent l’Algérie et la France et leurs résonances avec la guerre d’indépendance algérienne.
Entre 2019 et 2021, l’Algérie a connu un puissant mouvement social, le Hirak, contre le 5ème mandat de Bouteflika et plus largement contre la dictature mise en place depuis l’indépendance. Cette lutte pour ses participant.e.s s’inscrit dans la continuité de celle pour l’indépendance, sous la même devise que celle-ci « Par le peuple pour le peuple ».
En France, les luttes antiracistes et anticolonialistes sont intrinsèquement liées. Des « territoires perdus » au supposé « séparatisme islamique » devant faire l’objet d’une « reconquête », autant d’éléments d’une rhétorique coloniale qui perdure dans une partie de la société française.
8 décembre 18h30
Sorbonne mère, Amphi Cauchy
La table-ronde rassemblera Hakim Addad, militant du Hirak et Saphia Aït Ouarabi, vice-présidente de SOS Racisme.
Sur les traces des disparus de la « grande répression d’Alger »
par Adlène Meddi, correspondant à Alger du Point Afrique, publié le 24 novembre 2022.
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Deux historiens ont mené une enquête de terrain à Alger pour compléter la documentation des cas de disparitions forcées lors de la « bataille d’Alger » (1957-1958). Mi-novembre, les historiens Malika Rahal, directrice de l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS), et Fabrice Riceputi, co-animateur notamment du site histoirecoloniale.net, ont mené à Alger une mission d’enquête de terrain dans le cadre de leur projet, « 1 000 autres », consacré aux disparus de la fameuse « bataille d’Alger » (1957-1958).
Soutenu par l’association Josette et Maurice Audin, le site Histoire coloniale, l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS-Paris 8) et par la plateforme Mémoire & Résilience de l’INSHS du CNRS, le projet « 1 000 autres » documente les cas de personnes enlevées par les soldats français de la 10e division parachutiste du général Jacques Massu lors de ce que les deux historiens qualifient de « grande répression d’Alger ».
L’initiative a été lancée par les deux historiens au lendemain de la reconnaissance, en septembre 2018, par le président Emmanuel Macron, de la responsabilité de la France dans l’assassinat du militant communiste Maurice Audin, afin de « savoir ce que [les] personnes enlevées par l’armée étaient devenues, ce que ne dit aucune archive », comme l’explique Fabrice Riceputi dans cet entretien au Point Afrique.
La mission d’enquête à Alger menée par les deux chercheurs les a amenés à rencontrer des descendants de disparus, des témoins directs de la période, mais aussi de poursuivre la conception d’une cartographie, encore provisoire, de la disparition forcée à Alger en 1957-1958, à partir de repérages sur place et d’un premier échantillon de témoignages documentés sur le site « 1 000 autres ». Il s’agit là d’un long travail de localisation des adresses des victimes et des lieux de détention et de torture qu’avait mis en place l’armée française lors de la « bataille d’Alger ». « Une sorte d’archéologie de la terreur », pour reprendre l’historien.
Le Point Afrique : Pourquoi était-il nécessaire de venir à Alger pour les besoins de votre projet de recherche « Projet 1 000 autres » portant sur la disparition forcée durant ce qu’on appelle « la bataille d’Alger » ?
Fabrice Riceputi : Il y a maintenant quatre ans qu’a été lancé sur le Net, fin 2018, notre appel à témoignages aux descendants et proches de ceux qui ont été enlevés par l’armée française en 1957 à Alger. À ce jour, nous avons reçu des centaines de réponses. Mais le site 1000autres.org est surtout en français, il suppose une bonne maîtrise du numérique et tout le monde n’en a évidemment pas entendu parler : l’un des buts de notre mission à Alger était d’élargir notre audience, ce que nous avons fait en passant à la télévision et dans de nombreux médias algériens. Mais il s’agissait aussi de poursuivre ce que Malika Rahal avait commencé dès 2019 et qui avait été interrompu par le hirak, puis par la pandémie : rencontrer physiquement les familles de disparus, pour pouvoir raconter vraiment l’histoire de la disparition forcée. Enfin, nous projetons un livre sur ce qu’on appelle la « bataille d’Alger » et nous souhaitions notamment localiser certains des très nombreux centres de torture mentionnés par les témoins afin de les cartographier.
D’ailleurs, comment est né ce projet ? Quelle serait son ambition ?
À l’origine du projet se trouve une archive de la préfecture d’Alger. Alors que l’armée enlevait par milliers des « suspects » et diffusait une véritable terreur dans la population algérienne, la préfecture collectait les plaintes des familles et envoyait à l’armée des avis de recherche ! Un fichier de plus de 1 000 noms, professions, adresses, circonstances de l’arrestation, etc., qui était soigneusement tenu secret à l’époque, car il documentait les méthodes inavouables de l’armée. Au lendemain de la reconnaissance par le président Macron de la responsabilité de la France dans l’assassinat de Maurice Audin en septembre 2018, nous avons lancé cet appel à témoignages pour savoir ce que ces personnes enlevées par l’armée étaient devenues, ce que ne dit aucune archive. Et sont à ce jour identifiés comme définitivement disparus lors de leur détention 352 d’entre eux, sur un gros millier de noms archivés. Il ne s’agit pas de prétendre dénombrer tous les disparus, ce qui a été rendu impossible par les militaires, mais d’accéder à toute une histoire de la disparition forcée qu’on croyait pouvoir résumer par celle de Maurice Audin. Nous rendons ainsi un visage et une histoire à des colonisés restés anonymes jusque-là. Nous montrons aussi comment les parents, mères et épouses surtout, se sont battus comme des lions pour tenter de les retrouver, toujours en vain. Les familles, qui cherchent toujours la vérité depuis 1957, et surtout l’emplacement du corps de leur père, oncle, frère, grand-père, etc., nous ont très souvent dit l’énorme importance à leurs yeux de ce travail.
Votre collègue Malika Rahal a déclaré : « Où que vous soyez à Alger, vous êtes à 500 mètres d’un lieu de torture. » Quand on parle torture, on pense Casbah, Alger-centre, mais on se rend compte avec la carte que vous avez élaborée que le phénomène était plus étendu…
Nous avons recensé des dizaines de lieux ayant servi de locaux de détention et de torture dans Alger et sa région. Et notre liste n’est pas exhaustive. Casernes, commissariats, villas, stade, écoles, grottes, brasserie, immeubles en chantier, fermes coloniales, il semble que partout où ont cantonné des unités militaires, elles ont détenu et torturé. Cette recherche est aujourd’hui complexe. Certains locaux sont bien connus, tels la Villa Sésini ou l’école Sarouy, d’autres sont plus difficiles à localiser, ont souvent changé de nom ou ont pu disparaître. Mais nous avons pu trouver la sinistre ferme Perrin, une ferme coloniale aujourd’hui habitée par des familles algériennes et où des « suspects », dont l’avocat Ali Boumendjel, furent détenus dans des cuves à vin qui sont toujours présentes… L’élaboration, en cours, d’une carte de la disparition forcée, localisant les adresses des disparus, les lieux d’enlèvement et les centres de torture est un gros travail. Il relativisera en effet la place de la Casbah, qu’on croit souvent unique, alors que la répression a frappé aussi tous les quartiers dits « musulmans » de la ville.
Pourquoi vous réfutez l’expression « la bataille d’Alger » ? Quel enjeu porte cette appellation ?
Cette appellation, que les historiens n’emploient qu’entre guillemets, a été inventée dès avril 1957 par la propagande française. Il s’agissait d’héroïser les parachutistes, dont l’action se serait résumée à traquer les poseurs de bombes du FLN. Le film exceptionnel de Pontecorvo La Bataille d’Alger a ensuite puissamment contribué à accréditer l’idée d’une « bataille » dont le seul objectif aurait été d’arrêter les poseurs de bombe et de l’emploi de la torture dans ce seul but. Des Algériens ont aussi repris à leur compte cette expression, mais pour héroïser la résistance algérienne à la terreur parachutiste.
Or, ce que montrent notamment les archives coloniales ainsi que les témoins, notamment algériens, mais pas seulement, c’est que cette opération militaro-policière visait à « épurer » – c’est le mot employé par les militaires – toute la population algérienne d’Alger, mais aussi des autres villes, de tout nationalisme, dans une grande répression politique sans précédent. Elle a d’abord visé à écraser une grève générale de huit jours lancée par le FLN fin janvier 1957. Débarrassés de toute contrainte légale par Guy Mollet et Robert Lacoste, les « paras » de Massu ont mené une guerre contre-insurrectionnelle alliant l’action psychologique – propagande, censure, manipulation – et la terreur : enlèvements de milliers de « suspects » de nationalisme, interrogatoires sous la torture, « justice parallèle » par exécutions sommaires. Cette opération a d’ailleurs servi ensuite de modèle ailleurs dans le monde, notamment dans les dictatures sud-américaines. À la fin de l’année 1957, ils ont cru avoir gagné. Ils avaient enfermé des dizaines de milliers de « suspects » dans des camps, et éliminé, souvent physiquement, nombre des cadres intellectuels, politiques et syndicaux. Mais trois ans plus tard, les manifestations monstres pour l’indépendance de décembre 1960 ont dissipé cruellement cette illusion.
Quel poids a eu justement la grève des huit jours (28 janvier au 4 février 1957) décidée par le FLN ? Selon vous, son impact a été minoré par le récit colonial de l’époque.
Jusqu’ici, on ne connaissait guère que son prétendu « échec » par le récit de son écrasement à Alger fait fièrement par Massu et ses officiers. Elle n’est mentionnée que comme un épisode parmi d’autres de la « bataille d’Alger ». Or elle est un véritable tournant dans la guerre d’indépendance. Fin 1956, les dirigeants du FLN sont partisans de la « primauté du politique sur le militaire ». Ils décident de faire entrer les masses urbaines, dont ils ne doutent pas du soutien, dans la révolution anticoloniale en cours. Ils appellent à une grève générale de huit jours dans toutes les zones urbaines d’Algérie ainsi qu’en France. Les archives montrent que l’annonce de cette grève provoque la panique dans le gouvernement français et qu’elle précipite la décision de militariser la répression dans les villes, notamment de donner les « pouvoirs de police » à Alger au général Massu. On voit aussi qu’en dépit d’une répression « préventive » hors norme, la grève est massivement suivie dans toute l’Algérie, et plus encore dans l’immigration en France. Mais Robert Lacoste, ministre de l’Algérie, contrôle strictement l’information et parvient à invisibiliser l’ampleur du mouvement. La grève fournit à l’armée un premier « stock » de suspects à interroger et s’enclenche ainsi une répression qui va durer plusieurs mois. Les dirigeants du FLN doivent fuir Alger, Larbi Ben M’hidi est arrêté et exécuté, Abane Ramdane meurt à son tour fin 1957. La ligne politique révolutionnaire et presque marxisante de 1956 est battue et le FLN reste enfermé, du fait de la répression, dans la lutte armée. C’est ce que souhaitait le gouvernement français. J’ajoute qu’après avoir travaillé dans les archives, j’ai pu constater que les témoins rencontrés à Alger disent tous l’importance de ce moment historique bien méconnu en France.
Question difficile : quelle est la rencontre, ou le témoignage, l’endroit, qui vous a le plus marqué lors de votre séjour à Alger ?
Difficile en effet de choisir entre beaucoup de moments très forts dans une mission de recherche très fructueuse et qui devra être poursuivie. Le plus glaçant pour Malika Rahal et moi-même fut sans aucun doute la visite, dans une sorte d’archéologie de la terreur, de la ferme coloniale dont je vous ai parlé.
- « Sauce Algérienne », un podcast Original Spotify, produit en association avec 13 Productions, écrit par Paul Max Morin, Justine Perez et Maxime Ruiz, réalisé par Franck Haderer. Retrouvez le podcast « Sauce algérienne » en exclusivité sur Spotify. Voir la bande annonce sur le site des PUF.