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Quotas d’expulsions et contrôles au faciès

«Il y a lieu de procéder à des contrôles d'identité des ressortissants roumains et bosniaques et, par extension, d'individus originaires des pays de l'Est», voilà ce qu'on pouvait lire en juin 2008 dans une note de service adressée aux commissariats de l'ouest parisien. Cette note révélait également l'existence d'un fichier à base ethnique -- donc totalement illégal en France. jt_fr3_25juin08_2s.gif Pourquoi ces “contrôles au faciès” ? Pour tenter d’atteindre le “quota” assigné par Nicolas Sarkozy de 25 000 reconduites à la frontière par an. Quelques jours plus tard, Audrey Pulvar a demandé à Nicolas Sarkozy en personne «à combien de contrôles d'identité faut-il procéder pour pouvoir expulser 25 000 personnes ?» En l'absence de réponse du président de la République, un article de Laetitia Van Eeckhout repris ci-dessous apporte des éléments d'information.

Consignes écrites de contrôle au faciès dans les commissariats1

Un reportage du 19/20 de France 3, le 25 juin 2008 :

Priorité aux contrôles d’identité des étrangers, telle est la teneur d’une note de service que nous avons pu consulter, document diffusé depuis une semaine à tous les commissariats situés dans les arrondissements de l’ouest parisien. Les consignes données aux forces de l’ordre sont explicites, comme le révèle ce document de la police urbaine de proximité.

« Sur instructions de M. le Directeur, à compter de ce jour et jusqu’à nouvel ordre, il y a lieu de procéder à des contrôles d’identité des ressortissants roumains, bosniaques et par extension d’individus originaires des pays de l’Est. Ces opérations seront consignées par MCI qui mentionneront les identités les plus complètes ainsi que les renseignements de domiciles, ou plus simplement de localisation habituelle des intéressés [souligné par nous]. Ces MCI devront être communiqués quotidiennement […] par fax. Pourriez-vous établir un premier bilan et renseigner le tableau en pièce jointe pour la période du 20 juin au dimanche 22 juin inclus. […] Dans l’avenir, ce tableau sera envoyé chaque lundi et fera le bilan de la semaine.

UASCP 1er SECTEUR »

[Un] policier n’hésite pas à dénoncer des pratiques illégales :

« Très régulièrement, ce type de consignes est donné de manière orale aux collègues, lors des prises de services, cela n’a absolument aucun cadre légal… »

Il y a tout juste une semaine, le ministre de l’immigration Brice Hortefeux se félicitait des résultats obtenus dans la lutte contre l’immigration clandestine avec 14 000 expulsions d’étrangers sur les cinq premiers mois de l’année.

Mais cette note interne, révèle également l’existence d’un fichier secret où seraient consignées les informations sur les personnes contrôlées.

Me Henri Leclerc, Président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme :

«Ben écoutez, ce document est à proprement parlé stupéfiant, c’est à se demander qui a bien pu rédiger un document pareil ! pourquoi ? on va ficher, on va faire un stockage spécial, des données concernant les Roumains, les Bosniaques et les originaires des pays de l’Est , là , il y a, quelque chose qui dépasse l’entendement et c’est, me semble-t-il, une bavure invraisemblable.»

Pour le moment, ces ordres écrits n’ont été affichés que dans les commissariats de cinq arrondissements parisiens qui regroupent 2000 fonctionnaires.

Au 19/20 de France 3, le 25 juin 2008

Expulsions et langue de bois de Nicolas Sarkozy

Le 30 juin 2008, Nicolas Sarkozy est invité par France 3.

Il est notamment interrogé par Audrey Pulvar à propos de sa politique d’immigration. Les questions posées sont simples : «Vous avez fixé à 25 000 par an le nombre de reconduites à la frontière. Je voudrais savoir à combien de contrôles d’identité, à combien d’arrestations il faut procéder pour pouvoir expulser 25 000 personnes.»

Nicolas Sarkozy s’emmêlera un long moment avant de parvenir à esquiver la question en faisant une nouvelle fois appel à tout son talent de spécialiste de la langue de bois.

France 3, le 30 juin 2008

Sans-papiers : des quotas d’expulsions inaccessibles

par Laetitia Van Eeckhout, Le Monde du 5 janvier 2008

S’efforçant d’atteindre l’objectif de 25 000 reconduites « effectives » à la frontière, l’administration multiplie les acrobaties comptables, en incluant dans ses chiffres tous les types de retours, qu’ils soient forcés ou non, et juridiques pour interpeller des sans-papiers.

Le 7 décembre 2007, la Cour d’appel de Rennes a annulé, révèle le site d’information en ligne Rue89, l’interpellation d’un Soudanais en situation irrégulière. Il avait fait l’objet d’un contrôle d’identité au motif qu’il traversait en dehors d’un passage clouté. La Cour estimait qu’« il ne résultait pas de la procédure que les policiers avaient des raisons plausibles de soupçonner que l’intéressé avait commis une infraction ». Elle s’interrogeait aussi, au vu d’autres procès verbaux d’interpellation rédigés « en des termes rigoureusement identiques », sur une pratique de « copié-collé ».

Du côté des syndicats de police, on reconnaît qu’aujourd’hui ce type de dérive est possible, même si, pour Bernard Le Bily, de l’organisation syndicale UNSA-Police, « il ne s’agit pas de généraliser, l’immense majorité des agents faisant leur travail sans faire de zèle ».

Pour lui comme pour Bruno Cailleteau, délégué du Syndicat général de la police Force ouvrière, c’est la politique d’objectif chiffré et la pression qui en découle sur les policiers qui entraînent de telles dérives. « Nous sommes d’accord pour avoir à rendre des comptes, mais nous préférerions avoir les moyens de faire de l’investigation pour mettre à bas les réseaux, relève Bruno Cailleteau. Mais cela est beaucoup plus long et plus lourd. »

Pour M. Cailleteau, « le gouvernement, relayé par les préfectures et les directions départementales, préfère faire de l’affichage et nous fixer des objectifs qui ne correspondent à aucune réalité objective sur le terrain ». Les chiffres pour 2007 ne sont pas encore connus mais à la mi-décembre, le ministre de l’immigration et de l’identité nationale, Brice Hortefeux, révélait qu’entre janvier et fin novembre « 21 000 éloignements avaient été effectués ». Son cabinet pronostiquait alors pour l’année entre 22 000 et 23 000 reconduites. Cette relative « contre-performance » s’explique, selon le ministre, par « la période d’attente liée aux élections présidentielle et législatives » et par « l’évolution concernant le régime juridique des ressortissants bulgares et roumains ».

Devenus ressortissants de l’Union européenne, Bulgares et Roumains, et en particulier les Roms, continuent néanmoins d’être reconduits dans leur pays. Ils font désormais l’objet de « retours humanitaires » en car. Cette pratique, qui se développe depuis cet été, est comptabilisée dans le chiffre de reconduites à la frontière2. Le glissement constaté dans le langage gouvernemental n’est pas fortuit : on préfère désormais parler d’« éloignements » plutôt que de « reconduites à la frontière ».

Dans le suivi de l’objectif annuel sont ainsi comptabilisés non seulement les étrangers en situation irrégulière qui finissent par être expulsés après avoir été interpellés et placés en centre de rétention, mais aussi les personnes bénéficiant d’une aide au retour. Fin octobre, selon l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), 2 614 étrangers étaient repartis dans leur pays dans le cadre d’un tel dispositif, 1 384 avec l’aide au retour volontaire, et 1 230 avec l’aide au retour humanitaire.

Même s’il inclut les retours volontaires et humanitaires, le résultat de 2007 ne sera pas meilleur que celui de 23 831 affiché fin 2006 par Nicolas Sarkozy. Celui-ci s’était déjà fixé, alors qu’il était ministre de l’intérieur, un objectif de 25 000 éloignements.

Le “bleu” budgétaire publié en octobre met encore la barre plus haut pour les trois années à venir : 26 000 en 2008, 28 000 en 2010. A la mi-septembre, Brice Hortefeux réunissait une vingtaine de préfets en dessous de leurs objectifs d’expulsions pour leur demander de se ressaisir. Une mise au pas répercutée sur l’ensemble des services, et avec d’autant plus d’insistance qu’approchait la fin de l’année. Le 20 décembre, le cabinet de la préfecture de Loire-Atlantique, notamment, adressait aux responsables départementaux de la police, de la gendarmerie et de la police aux frontières (PAF) un courrier les sommant de « ne pas relâcher l’effort » et « de poursuivre les interpellations, y compris pendant les dix derniers jours de l’année ». « Pour dix départs effectifs, précisait le courrier, il faut trente interpellations à compter d’aujourd’hui 20 décembre, soient quinze pour la direction départementale de la sécurité publique, dix pour la gendarmerie et cinq pour la direction départementale de la police aux frontières. »

La pression dans l’administration va, dit Bruno Cailleteau (SGP-FO), jusqu’à l’envoi de lettres de mise en garde aux fonctionnaires et au harcèlement moral. « A force d’être sous pression, s’alarme-t-il, les agents finissent par ne plus s’attacher aux conditions dans lesquelles ils interpellent. »

Laetitia Van Eeckhout

  1. A propos de “contrôles au faciès”, voir cette page : 1828.
  2. Lire sur ce site 2116.

    On peut penser que l’auteur de la directive évoquée ci-dessus a confondu la Bosnie et la Bulgarie.

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