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Perpignan, Toul, un déni des crimes coloniaux

A Perpignan, le maire répète la propagande colonialiste. Celui de Toul projette d'honorer un symbole de la torture en Algérie. Un Appel interpelle le président de la République.

A Perpignan, le maire Rassemblement National, Louis Aliot, s’est livré le 23 mars 2024 à l’une de ces provocations dont l’extrême droite raciste nostalgique de l’époque coloniale a le secret. Ce fut déjà le cas il y a quelques temps lorsqu’il baptisa une esplanade de la ville du nom d’un criminel notoire de l’OAS-métropole et cofondateur du Front National, Pierre Sergent. Cette fois, en collaboration avec une association « nostalgérique » bien connue, le « Cercle Algérianiste », il a inauguré une exposition intitulée « Soixante ans après l’histoire se répète : FLN et Hamas, mêmes méthodes, même stratégie ».

Outre des images d’atrocités commises dans le sud d’Israël par le mouvement islamiste Hamas le 7 octobre 2023 (ou parfois ou supposément commises par lui), y sont exposées des photographies d’« atrocités » attribuées, à tort ou à raison, au FLN, prises et largement diffusées par l’armée françaises en Algérie, notamment dans une brochure de propagande imprimée par le gouvernement de Guy Mollet en 1957 et envoyée à tous les maires de France pour justifier la militarisation à outrance de la répression du nationalisme algérien. Fabrice Riceputi et Alain Ruscio reviennent ci-dessous sur cette lamentable initiative.


Algérie-Palestine : nouvelle provocation raciste de Louis Aliot à Perpignan

par Fabrice Riceputi et Alain Ruscio, historiens (histoirecoloniale.net), publié par Mediapart le 22 mars 2024 dans le Blog de Histoire coloniale et postcoloniale.

Source

Le samedi 23 mars est programmé à Perpignan le vernissage d’une exposition intitulée « Soixante ans après l’histoire se répète : FLN et Hamas, mêmes méthodes, même stratégie ». Les organisateurs en sont le maire RN Louis Aliot et le Cercle algérianiste, un organisme financé sur fonds publics et bien connu pour ses falsifications de l’histoire et son culte de l’Algérie coloniale. Treize organisations locales appellent à une manifestation de protestation contre cette nouvelle provocation de Louis Aliot. Rappelons qu’il avait déjà fait adopter par son conseil municipal un hommage à l’officier putschiste et chef criminel de l’OAS, Pierre Sergent, en attribuant son nom à une esplanade de la ville.

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Toujours soucieux de satisfaire le noyau dur de son électorat nostalgique de l’Algérie coloniale et admirateur des crimes de l’OAS, le maire de Perpignan renoue donc, un demi-siècle après, avec une pratique très répandue durant la guerre d’Algérie : l’exposition d’images d’« atrocités du FLN », réelles ou non, destinées à disqualifier le combat pour l’indépendance d’une grande partie du peuple algérien et à réduire celui-ci au « terrorisme ». En 1957, Jean-Marie Le Pen, tout juste rentré de son séjour de parachutiste tortionnaire, en organisait déjà de semblables lors de sa « caravane pour l’Algérie française ». Le gouvernement de Guy Mollet, qui encourageait la torture à Alger, en fit une brochure de propagande très largement diffusée. Sans doute s’agit-il des mêmes images.

L’amalgame fait à présent par Louis Aliot et son parti entre le FLN algérien et le mouvement islamiste palestinien Hamas au nom d’une permanence « terroriste » arabe et musulmane, comme l’a fait remarquer Nicolas Lebourg dans un article du quotidien L’Indépendant, est ancienne dans la « fachosphère ». Elle se fonde principalement sur un déni, fort répandu bien au-delà du RN, de la nature coloniale tant de l’Algérie française que de la Palestine qui a connu au XXème siècle, dans le contexte de l’expansion générale des empire coloniaux, d’abord l’arrivée de nombreux immigrants juifs fuyant l’Europe, puis une occupation complète par Israël après 1967.

L’histoire de l’Algérie, comme celle de plus de la moitié des pays aujourd’hui représentés à l’ONU, a été marquée par une longue et violente colonisation de 1830 à 1962. Celle de la Palestine depuis 1948 avec la Nakba, l’expulsion violente de 800 000 Palestiniens, a, elle aussi, été bel et bien marquée par un phénomène colonial, même si celui-ci n’a pas pour origine l’expansionnisme d’un État métropolitain mais un mouvement de refuge de personnes fuyants des persécutions racistes.

La guerre menée par la France en Algérie pour maintenir sa domination s’est faite au prix d’innombrables crimes de guerre et crimes contre l’humanité, dont, par exemple, l’institutionnalisation de la torture et la répétition de massacres de civils en guise de représailles collectives. Comme l’a montré Frantz Fanon, la résistance des colonisés a été quant à elle profondément marquée en miroir par cette violence de longue durée. Et la résistance algérienne a parfois dirigé sa violence non seulement contre l’armée d’occupation mais aussi contre certains éléments de la population civile, comme ce fut le cas par exemple en mai 1945 ou en août 1955 dans le Constantinois. Cette terrible dynamique a parfois débouché sur l’acceptation de pratiques arbitraires qui ont obéré le futur de l’émancipation du pays.

Si un parallèle avec la Palestine existe, il réside en cette violence coloniale subie sans limite et dans des ripostes elles-mêmes criminelles. La « prison à ciel ouvert » de Gaza, on le sait, a nourri des idéologies, des pratiques politiques et un appareil politico-militaire au sein de la résistance palestinienne qui, en prétendant œuvrer à la résistance et à l’émancipation, a commis des actes de nature terroriste. Les massacres du 7 octobre l’ont dramatiquement illustré. Mais ils ne peuvent en aucun cas justifier la véritable guerre à la population palestinienne qu’exerce depuis cinq mois l’État israélien et son armée. Une guerre qui a déjà tué au moins 30 000 civils tout en terrorisant et affamant deux millions et demi de Palestiniens de Gaza, en frappant aussi ceux de Cisjordanie. Tout comme l’assassinat de civils européens lors d’émeutes de colonisés en Algérie ne justifiait pas les massacres aveugles en représailles collectives de milliers de civils algériens par l’armée française.

Louis Aliot et les dirigeants du RN, qui n’ont jamais admis le droit à l’indépendance du peuple algérien, qui vouent un culte aux tortionnaires et assassins ayant sévi au sein de l’armée française, et pour lesquels l’ère coloniale représente un âge d’or dont ils sont nostalgiques, sont totalement disqualifiés pour émettre un tel parallèle historique et se découvrir ainsi soudainement les soutiens des Juifs d’Israël et faire croire qu’ils sont des adversaires de l’antisémitisme.

Cette lamentable exposition à Perpignan confirme que le soutien apporté par le RN à la guerre génocidaire israélienne à Gaza n’a qu’une seule motivation : diffuser le racisme anti-arabe et l’islamophobie dont l’extrême droite a fait en France son fonds de commerce électoral. Comme jadis le suprémacisme blanc du FN le conduisait à admirer et à soutenir l’apartheid sud-africain, et, comme en 1940 l’antisémitisme de certains des fondateurs de ce courant politique les conduisaient à collaborer avec les nazis.


Une statue de Bigeard dans les rues de Toul ?

A Toul, comme nous l’avons rapporté, c’est une municipalité de gauche, dont le maire est un ancien membre du Parti socialiste, qui projette d’ériger dans l’espace public une statue géante du colonel parachutiste Marcel Bigeard en uniforme, l’un des symboles de la torture coloniale durant la « bataille d’Alger ». Ce projet suscite une vive opposition. Une réunion publique où sont intervenus Fabrice Riceputi et Alain Ruscio a réuni 150 personnes dans la petite ville de Toul. Une pétition est en ligne, que nous appelons à signer. La presse nationale, par exemple L’Humanité, a commencé à se saisir de cette affaire.

Réunion publique avec Fabrice Riceputi et Alain Ruscio contre la statue de Bigeard, Toul, 26 mars 2024.

Le point commun entre l’exposition de Perpignan et la statue de Toul est évidemment le déni des crimes du colonialisme. Elles illustrent, dans un cas comme dans l’autre, le véritable négationnisme historique dont on constate une fois de plus qu’il a cours très au-delà des rangs de l’extrême droite. S’agissant de la pratique de la torture en Algérie et de l’implication du colonel Marcel Bigeard, le maire de Toul n’a-t-il pas osé déclarer sur une radio locale qu’il « faudrait un débat entre historiens » pour en discuter ? Et que la statue de Bigeard pouvait être installée dans l’espace public car ce dernier « n’a jamais été condamné, au contraire de Pétain » ? Ces propos ont été tenus successivement sur Radio Déclic et devant une délégation du collectif toulois contre la statue de Bigeard.

Charlie Hebdo, le 3 avril 2024.

Le président de la République et toute la société sont interpelés

Ces propos scandaleux confirment si besoin était la pertinence de l’Appel lancé le 4 mars dernier au président Macron, à l’initiative de l’éditeur anticolonialiste historique Nils Andersson, à reconnaître et à condamner solennellement l’usage criminel de la torture par la France en Algérie. Si l’actuel président a reconnu en septembre 2018 l’instauration en 1957 à Alger d’un « système » de terreur dont Maurice Audin fut victime comme des milliers d’autres Algériens, il ne l’a manifestement pas fait avec la force et la solennité nécessaires et n’a pas été entendu par tout le monde. Cela n’a pas été l’occasion d’une réflexion des plus hautes autorités de l’Etat et des composantes de notre société. Car, dans l’espace colonial, la République française a trahi ses valeurs et cela a été rendu possible par une cécité et une complicité des grandes institutions de l’Etat, de la presque totalité des forces politiques et de la presse de ce pays. Tout n’a pas été dit par le président de la République lors de sa visite à Josette Audin en septembre 2018.

L’absence d’une réflexion collective sur cette période est une des causes, sans être la seule, qui explique l’essor de l’extrême droite en France. Et elle laisse entrevoir la possibilité de la reproduction de mécanismes funestes comparables dans notre futur.


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