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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

panser la plaie coloniale

L'éditorial de Noël Bouttier, suivi d'un texte de Fatima Besnaci-Lancou : Loi du 23 février : quand donc finira le mépris pour les harkis ? Articles parus dans Témoignage chrétien le 15 décembre 2005.

Attention, dynamite !

par Noël Bouttier

Dans un pays dont le dernier siècle a connu deux conflits mondiaux, deux guerres de décolonisation (l’Indochine et l’Algérie) et la déportation de dizaines de milliers de personnes, vouloir proposer une lecture unique de l’Histoire est explosif. En ajoutant un article à une loi censée réparer l’injustice faite aux rapatriés d’Algérie (lire ci-dessous le texte de Fatima Besnaci-Lancou), l’Assemblée nationale consacrait les vertus de la colonisation. La gauche, peu vigilante, avait laissé passer l’énormité pour finalement, aiguillée par des historiens, proposer l’abrogation de cet article fin novembre. La tentative a échoué et les passions, parmi les députés comme dans la société, ont été à leur comble. Le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs préféré annuler son voyage aux Antilles, où la réhabilitation de la colonisation ne passe pas. Le président de la République a tenté de calmer le jeu avec cette volonté maladroite – et tardive – de rassemblement. La confusion est à son comble.

Comment en sortir ? D’abord en s’entendant sur des choses simples, comme celle-ci : la colonisation est une entreprise indéfendable. L’idée de dominer une population, même au nom d’un projet « civilisateur », est contraire à toute idée de droit de l’homme. Comment la droite, qui a justement condamné la domination soviétique sur une partie de l’Europe, peut-elle parler du « rôle positif de la présence française outre-mer » ? À ce premier point, ajoutons un second : ceux qui ont contribué à l’entreprise coloniale ont suivi des itinéraires très variés. Pendant que certains profitaient honteusement de leur position dominante pour nier la dignité de l’Autre et accessoirement s’enrichir, d’autres ont voulu aider leur prochain, espérant parfois faire évoluer la « colonisation à la française ». Ils y ont cru, souvent sincèrement, et personne n’entend leur jeter la pierre. Maintenant que la boîte de Pandore est grande ouverte, vouloir la refermer serait aussi vain que dangereux. Dans ce contexte de « défoulement des mémoires », selon l’expression de l’historien Gilles Manceron 1, la voie à suivre est étroite. En laissant travailler les historiens, en leur ouvrant les archives et en faisant tomber le secret-défense, notre passé pourrait être mieux connu. Pas pour proposer une version « officielle », mais pour reconstituer des faits avérés, quitte à faire entendre des lectures subjectives des acteurs.

À côté de cela, un projet politique est nécessaire. La révolte populaire de novembre a été « polluée » par des visions coloniales. Le ministre de l’Intérieur se voyait en pacificateur alors que certains jeunes entendaient laver l’affront subi par leurs ancêtres. Dire cela – au risque de choquer -, ce n’est pas nier la misère sociale et économique des « banlieues » ; c’est simplement restituer le ressenti des acteurs. Scander inlassablement « République, République… » ne sert pas à grand-chose. Partout, dans les administrations, les médias, la vie politique, ouvrons les portes et les fenêtres à tous ceux qui, sans le vouloir, ont un lien avec notre histoire coloniale. Pour que la couleur noire ou le « teint basané » ne soient plus systématiquement associés au souvenir de ce qui fut, quoiqu’en dise une certaine droite, une tache sombre pour notre pays.

Noël Bouttier

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Loi du 23 février : quand donc finira le mépris pour les harkis ?

par Fatima Besnaci-Lancou, présidente de l’association Harkis et droits de l’homme 2


Il n’est pas vrai que la France cherche à réparer les injustices subies par les harkis. À l’heure où les historiens grondent contre l’article 4
3 de la loi du 23 février 2005 4 qu’ils souhaitent voir abroger et où les nostalgiques de l’Algérie française fulminent pour qu’il soit maintenu, une communauté de destin, celle des anciens harkis et de leurs familles, est prise en otage.

Vis-à-vis des harkis, cette loi ne reconnaît ni leur abandon et les crimes subis après le cessez-le-feu de mars 1962, ni la manière dont eux et leurs familles ont été isolés et discriminés en France pendant des décennies, dans la pure tradition coloniale. Tradition qui se poursuit, aujourd’hui, dans les différences d’indemnisation que cette loi prévoit pour eux par rapport aux autres rapatriés.

Ces harkis, aussi, concernés par cette loi, à ce jour sont de nationalité française, mais toujours d’origine arabo-berbère, s’étaient retrouvés, selon les historiens, pendant cette guerre, du côté de l’Etat français, par choix pour un nombre insignifiant, par hasard souvent ou même, par force pour un grand nombre d’entre eux. Voilà peut-être une description somme toute expédiée de ce groupe d’hommes rassemblés jusqu’à ce jour en communauté de destin.

Cela étant dit, on oublie trop souvent que ces anciens paysans très pauvres, avant d’être d’anciens harkis, étaient d’abord d’anciens colonisés que l’histoire n’avait pas épargné des tourments et des injustices de la colonisation. S’ensuivra une guerre d’une telle violence qu’elle génèrera une guerre civile qui aura tôt fait de déchirer, sans conteste et durablement, le tissu social et brisera des familles de manière définitive. Ensuite, la fin de la guerre avec l’abandon dramatique de ces populations en Algérie et enfin, pour une grande partie d’entre eux leur relégation dans les camps, en France, souvent derrière des barbelés. Quarante ans après, un retour sur leur terre natale leur est parfois refusé, qu’ils soient vivants ou morts.

Aujourd’hui leur drame continue à cause de :

  •    la surabondance de la parole des nostalgiques du « bon vieux temps des colonies » qui se servent de la tragédie des harkis comme puissant outil de propagande pour prouver que l’Etat français ne se battait pas seulement pour les colons ou les pieds-noirs, mais également pour les musulmans.
  •    l’acharnement d’une certaine presse : dans un article de l’Humanité du 5 avril dernier, le journaliste fait des amalgames iniques, citant au passage la loi du 23 février qui stipule que les programmes scolaires doivent reconnaître « le rôle positif de la colonisation », faisant semblant de croire que les harkis ne peuvent que défendre l’idée de colonisation. Faut-il rappeler que François Liberti, pour le groupe communiste, a déposé un amendement afin que les manifestants réunis à l’appel du commandement de l’OAS le 26 mars 1962 pour protester contre la très récente conclusion des accords d’Evian, puis tombés sous les balles de la police française rue d’Isly à Alger, soient reconnus comme « morts pour la France » ? Jusqu’à preuve du contraire, les harkis, eux, n’ont pas de parlementaires pour les représenter officiellement. Ils ont tout au plus des politiques, à droite souvent ou bien à gauche quelquefois, qui les instrumentalisent, régulièrement, pour des raisons idéologiques.
  •    la loi du 23 février 2005, pour finir, que tout un chacun qualifie de « loi des harkis ». Les voilà, eux, des centaines de milliers de petits « h » comme « harkis » à qui l’on a confisqué l’âme et la parole, investis d’une responsabilité « toute-puissante » d’écrire le grand « H » de l’Histoire.

Portant, dès le 28 février 2005, bien avant la pétition des historiens, bien avant l’appel de la LDH qui a été signée par plusieurs associations de harkis et bien avant la demande de l’abrogation de la loi par le PS, l’association Harkis et droits de l’Homme avait rédigé et envoyé à l’AFP un communiqué de presse 5 pour dénoncer la loi qu’elle a intitulé « la loi geôle ». On peut y lire entre autres : « Les parlementaires associent les harkis, à leur corps défendant, à la promotion du colonialisme. […]. Hélas, seul un journal algérien « Soir d ‘Algérie » a eu la décence de le citer le 3 juillet 2005 dans un article de Arezki Métref. La presse française est restée silencieuse. Pourquoi rapporter des faits qui dérangent et qui rompent avec l’idée reçue selon laquelle un harki est forcément contre l’indépendance, donc forcément colonialiste ?

Toujours dans ce communiqué de presse, l’association Harkis et droits de l’Homme avait dénoncé l’article 13 qui prévoit l’indemnisation des anciens de l’OAS. Des parlementaires n’ont eu aucun scrupule à sceller le destin de ces « français » d’un genre particulier aux détracteurs de l’indépendance de l’Algérie. À ce jour, seule la LDH a également soulevé le problème. Que va-t-il se passer si demain des politiques ou autres s’emparent de la question ? Se souviendraient-ils qu’une association de harkis avait essayé d’attirer leur attention ? Vont-ils encore une fois en faire porter la responsabilité aux boucs émissaires que sont devenus les harkis et leurs familles ? Vont-ils se souvenir que l’abandon des harkis à l’indépendance ainsi que leur enfermement dans des camps est la preuve vivante de l’oeuvre « négative » de la colonisation ?
Le drame de cette population, prise en otage, vient du fait qu’en France, les harkis et leurs familles subissent la sympathie de la droite pour de mauvaises raisons et supportent le rejet de la gauche pour de mauvaises raisons.

Fatima Besnaci-Lancou

  1. Émission « 15 Jours dans le monde », sur Beur FM le 10 /12.
  2. Fatima Besnaci-Lancou est l’auteure de Fille de harki (éd. l’Atelier).
  3. « …Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit… »
  4. Loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.
  5. Voir 572.
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