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L’OAS, Organisation armée secrète, par Sylvie Thénault

L'échec du putsch d'avril 1961 entraine l'émergence d'un mouvement clandestin qui tente, par l'action terroriste, de s'opposer à l'indépendance de l'Algérie. Responsable de plusieurs centaines d'attentats et d'exécutions en Algérie et en France, l'OAS aura tué 2 700 personnes, dont 2 400 Algériens, de mai 1961 à septembre 1962. En 1968, de Gaulle prononcera une amnistie générale, dont bénéficieront les anciens activistes de l'OAS.

Vous trouverez ci-dessous deux textes de Sylvie Thénault extraits de son Histoire de la guerre d’indépendance algérienne 1.

Le premier, intitulé La Cause désespérée de l’OAS, s’arrête aux accords d’Evian (pages 214-218 de l’Histoire de la guerre d’indépendance algérienne).
La seconde partie, Un processus de paix en danger, s’intéresse à l’OAS à partir de février 1962 (pages 249-253).

LA CAUSE DÉSESPÉRÉE DE L’OAS

L’Organisation armée secrète (OAS) naît dans un premier temps à Madrid, fin janvier 1961, dans le cercle des exilés l’Algérie française. Le général Salan et les meneurs des Barricades [janvier 1960] en fuite, Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini, en sont les fondateurs. A une date indéterminée, d’après leurs témoignages respectifs, ils auraient choisi le nom de leur organisation en conciliant le souhait de Susini de faire référence à l’Armée secrète de la Résistance et celui de Lagaillarde, attaché aux mots d' »organisation » et de « clandestine » 2.

Puis elle est refondue sur le sol algérien par ceux qui, passés de Madrid à Alger à l’occasion du putsch, sont entrés dans la clandestinité après son échec. Le colonel Godard la dote alors d’un organigramme jamais pleinement réalisé, mais dont les structures disent le savoir-faire de l’ancien chef de la Sûreté en Algérie et restituent la diversité des hommes, civils et militaires, qui s’y retrouvent : l' »organisation des masses » est confiée au colonel Gardes, l' »action psychologique et propagande » à Jean-Jacques Susini et Georges Ras, ancien journaliste à La Voix du Nord et l' »organisation renseignements-opérations » à Jean-Claude Pérez et au colonel Dufour, dont dépend le « Bureau d’action opérationnelle » du lieutenant Roger Degueldre, déserteur du 1er régiment étranger parachutiste, qui dirigera les commandos Deltas. L’ensemble est chapeauté par un conseil supérieur réunissant les généraux Salan, Jouhaud, Gardy, les colonels Gardes et Godard, ainsi que Jean-Jacques Susini et Jean-Claude Pérez 3.

Cette seconde OAS se manifeste par l’assassinat du commissaire central d’Alger chargé de la combattre, Roger Gavoury, le 31 mai 1961, et par sa première émission de radio pirate le 5 août suivant. Ceux de Madrid, le fondateur Pierre Lagaillarde, allié à Joseph Ortiz, ainsi que les colonels Argoud et Lacheroy qui les ont rejoints depuis le putsch, ne la rallient qu’après une longue période de dissidence, en novembre 1961. L’Organisation possède également une branche métropolitaine, animée par le capitaine Pierre Sergent et le lieutenant Jean-Marie Curutchet, qui contrôlent mal l’industriel André Canal, dit « le monocle », chargé des plasticages symbolisant l’OAS dans la mémoire des Français.

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À l’image de son cercle dirigeant, l’OAS recrute en Algérie dans les milieux de l’activisme pied-noir et des militaires sortis du rang. Leur engagement, situé à l’aboutissement des échecs des Barricades et du putsch, est porté par une logique de résistance de plus en plus désespérée pour garder l’Algérie française. Contrainte à la clandestinité, l’OAS n’est d’ailleurs pas une organisation centralisée. Elle se présente comme une constellation d’éléments violents se réclamant d’elle, sans en être forcément maîtrisés, et reste sans projet ni stratégie clairement définis. Elle se construit par la récupération et l’absorption de tous ceux qui, individuellement ou organisés en groupuscules, sont prêts à passer à l’action au nom de l’Algérie française. Ainsi, deux assassinats antérieurs au putsch, qui lui sont imputés, n’ont pas été commis sur ses ordres : celui de l’avocat libéral Me Popie, le 25 janvier 1961, par des hommes d’André Canal, qui, à cette date, n’a pas encore rejoint l’OAS, et celui de Camille Blanc, maire d’Evian, où sont prévues des négociations franco-algériennes, le 31 mars, dont les auteurs n’ont pas été identifiés4.

Par les liens personnels qui unissent ces hommes, l’OAS forme une nébuleuse aux points d’ancrage dispersés sur les territoires métropolitain et algérien. Soudés contre l’indépendance, ils sont toutefois divisés sur le statut de l’Algérie française qu’ils souhaitent – intégrée ? associée ? fédérée ? séparée de la métropole ? – et sur les moyens de s’opposer à une évolution qu’ils sentent inéluctable. Cette impuissance, et la conscience qu’ils ont de s’engager dans une cause condamnée, les pousse à la violence qui finit par devenir plus qu’un simple moyen d’action : leur raison d’être. La haine pour le chef de l’État, cible privilégiée compte tenu de sa politique, en est aussi un moteur. À défaut de proposer une alternative, l’OAS tente de détruire la marche vers l’indépendance en s’en prenant à tous ceux qui en sont les acteurs ou qui la soutiennent.

L’OAS se manifeste en métropole par des lettres de menaces, par des plasticages et par un racket destiné à remplir des caisses qu’alimentent aussi les hold-up. En Algérie, elle opère par une gradation allant de la menace à l’exécution par un commando, en passant par un avis de condamnation à mort et un plasticage d’avertissement. Ses membres se procurent matériel, armes – du simple pistolet au lance-roquettes et au mortier -, voitures, uniformes et faux papiers par complicité dans les forces de l’ordre ou par vol. À Alger, elle mène une action terroriste, mêlant explosions et mitraillage, tandis qu’à Oran les services français comptabilisent aussi, à partir de novembre 1961, des « manifestations de masse » comprenant « grèves, agitation, ratonnades5« , pour mieux rendre compte de ses activités.

L’OAS mobilise les Français d’Algérie par ses mots d’ordre, comme, le 23 septembre 1961, lorsqu’il leur est demandé de manifester bruyamment en tapant sur des casseroles. À ces démonstrations populaires s’ajoute une irruption dans l’espace public par des tracts, une presse clandestine – Appel de la France, Journal de l’OAS tire jusqu’à soixante mille exemplaires fin janvier 19626, des émissions pirates et des inscriptions de slogans sur les murs. Cette présence de l’ OAS signale une stratégie d’affichage et de visibilité autant qu’elle révèle sa popularité. L’OAS exprime en effet, par sa résistance aveugle, un déni de la réalité partagé par tous ceux pour qui l’Algérie française, pourtant en train de disparaître, reste la seule patrie concevable, que ni la métropole ni une Algérie indépendante ne sauraient remplacer. L’Organisation se nourrit ainsi de complicités aux degrés divers, passives, tacites ou franches. Les clandestins trouvent dans la population les conditions de leur survie. Les milieux policiers, en particulier, majoritairement pieds-noirs dans les villes, sont très pénétrés. De leur côté, les militaires, dont les péripéties du putsch ont révélé à la fois la crise morale et l’attentisme face aux risques d’un engagement aventureux, échaudés, en outre, par la répression qui s’en est suivi, répondent moins aux attentes de l’Organisation armée.

Sur le plan politique, au fur et à mesure qu’elle perd du terrain dans la classe politique et dans l’opinion métropolitaine, la défense de l’Algérie française est rejetée à l’extrême droite, où l’OAS se ressource dans trois courants, suivant la distinction de Guy Pervillé7. Le premier d’entre eux, le courant fasciste, autour de l’organisation des frères Sidos, Jeune Nation, est représenté notamment par Jean-Jacques Susini. Peu répandu, ce courant véhicule un discours raciste de défense de l' »ethnie française » ou de la « civilisation blanche » en Algérie. Le deuxième, « traditionaliste et contre-révolutionnaire », rassemble les nostalgiques du pétainisme, comme l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour, et les fondamentalistes catholiques qui, outre Robert Martel ou Jean-Marie Bastien-Thiry, cerveau de l’attentat de Pont-sur-Seine contre le général de Gaulle le 8 septembre 1961, comptent nombre d’officiers : les colonels Lacheroy, Argoud, Gardes… Pour eux, seul un État fort et autoritaire, tel le régime de Vichy ou le régime de Salazar au Portugal, serait capable de garder l’Algérie. Plus largement, enfin, la défense de l’Algérie française puise dans le vivier des nationalistes qui, convaincus du déclin du pays et de l’expansion sournoise du communisme, prônent la défense de l’intégrité du territoire national et la fidélité aux engagements pris auprès des « musulmans » favorables à la France, pour former, dans la fraternité entre les communautés, une Algérie nouvelle. La revue Esprit public, qui s’en fait le porte-parole, étend aux milieux universitaires, avec des hommes comme Raoul Girardet ou François Bluche, le panel des défenseurs de l’Algérie française 8.

Ces valeurs guident également un homme comme Jacques Soustelle. Exclu de l’UNR au printemps 1960, il fonde avec Georges Bidault, que le général Salan désigna comme son successeur potentiel à la tête de l’OAS, le Comité de Vincennes. Ce rassemblement de personnalités très diverses, parmi lesquelles d’anciens ministres, tels Robert Lacoste, André Morice ou Maurice Bourgès-Maunoury, ou encore le bachaga Boualam, est voué à la défense de l’Algérie comme « terre de souveraineté française », « partie intégrante de la République ». Il s’agit de rejeter toute « sécession », de refuser toute négociation y conduisant, et de travailler à « la fraternité de tous les Français au nord et au sud de la Méditerranée à quelque communauté qu’ils appartiennent, au sein d’une seule et même patrie 9.».

Contrairement à ce qu’elle recherche, cependant, l’existence de l’OAS hâte le règlement du conflit. Elle presse les négociateurs français de conclure rapidement la paix, le prolongement de la guerre faisant le lit du radicalisme et de la violence. Et elle a aussi contribué à l’exporter, d’Algérie en métropole.

UN PROCESSUS DE PAIX EN DANGER

[Entré en fonction le 29 mars 1962, l’Exécutif provisoire, dirigé par Abderrahmane Farès, partage la responsabilité du maintien de l’ordre avec le haut-commissaire représentant la France, Christian Fouchet.]

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Les accords d’Evian [19 mars 1962] ont prévu la constitution d’une force locale, composée des « auxiliaires de la gendarmerie et groupes mobiles de sécurité actuellement existant », des « unités constituées par des appelés d’Algérie et, éventuellement, par des cadres pris dans les disponibles10« . Mais les Algériens ainsi armés rejoignent les unités de l’ALN qui, de fait, assurent, comme les forces françaises, patrouilles et contrôles de véhicules ou de papiers aux barrages. Progressivement, la future capitale algérienne est laissée aux hommes du commandant Azzedine, envoyé par le GPRA pour reconstituer la Zone autonome Alger, et dont l’adjoint, Omar Oussedik, souffle à l’Exécutif provisoire des mesures de lutte contre l’OAS. A Oran, en revanche, c’est l’armée française, sous les ordres du général Katz, qui est chargée du maintien de l’ordre. Des auxiliaires sont également embauchés dans les villes, sous l’appellation d’Attachés temporaires occasionnels (ATO).

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L’OAS, qui a anticipé le cessez-le-feu en redoublant de violence, s’engouffre dans la brèche. Elle recrute, par contacts suivant des réseaux de sociabilité divers – famille, amis, voisinage, habitués d’un café -, dans la jeunesse masculine des villes à forte concentration française, Alger et Oran, plus particulièrement. À la lisière d’une criminalité de droit commun, ses membres maquillent des 403 volées, dépouillent des gardiens de la paix de leurs armes, se procurent des faux papiers et trouvent refuge chez des particuliers complices, qui tiennent appartement, maison, garage… à leur disposition. En son nom, des commandos de trois ou quatre hommes mitraillent des passants depuis leur voiture, et des jeunes gens, qui ont reçu une arme après un contact, suivi de quelques rencontres, avec un membre de l’Organisation, prennent des Algériens pour cible dans les rues, au hasard. L’OAS dispose aussi d’obus de mortier, tirés sur la place du Gouvernement général, à Alger, le 22 mars, et dans Oran trois jours plus tard. Aux plasticages, spectaculairement mis en scène par l’opération « Rock and Roll », dans la nuit du 5 au 6 mars, avec cent vingt explosions en deux heures, elle ajoute les attentats à la voiture piégée, qui font 25 morts à Oran, le 28 février, et 62 morts, le 2 mai, à Alger. Enfin, elle programme des journées de tueries aveugles, prenant des cibles au hasard, des préparateurs en pharmacie, le 17 mars, ou des femmes de ménage, le 5 mai. Ses commandos deltas procèdent à des assassinats, comme celui, le 15 mars, de six inspecteurs de l’Éducation nationale, dirigeant les Centres sociaux éducatifs, dont Mouloud Feraoun 11.

Cette violence, cependant, n’est pas seulement une fuite en avant désespérée. Elle relève aussi d’une stratégie : torpiller la sortie de guerre prévue, en tentant de provoquer, par les assassinats d’Algériens, une réaction de leur part, propre à rallumer la mèche – ce qui n’aboutit pas, la conscience de l’enjeu et la perspective de l’indépendance l’emportant sur d’éventuelles pulsions vengeresses. Le vocabulaire de l’instruction 29 de Raoul Salan, le 23 février, est significatif de cette stratégie : c’est « l’irréversible » qui « est sur le point d’être commis » ; c’est « l’irréversible », par conséquent, qu’il faut empêcher. Dans cet esprit, l’ex-colonel Gardes tente de constituer un maquis dans l’Ouarsenis, avec l’aide des hommes du bachaga Boualam, mais les maigres troupes activistes sont vite anéanties par les soldats français.

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Le chef de l’OAS prévoit aussi le déclenchement d’une insurrection des Français d’Algérie. Le 22 mars, des groupes armés s’installent dans le quartier populaire de Bab-el-Oued, voisin de la Casbah à majorité algérienne, à l’ouest d’Alger. Ils tuent 5 jeunes du contingent, en patrouille, provoquant l’encerclement du quartier par les forces françaises, qui l’investissent, faisant 35 morts et 150 blessés, et le coupent de l’extérieur. Le 26 mars, l’OAS appelle les Français d’Algérie en renfort. Venus des quartiers de l’Alger coloniale, à l’est, rassemblés rue Michelet, les manifestants empruntent la rue d’Isly pour rejoindre Bab-el-Oued. Mais ils se heurtent en chemin à un barrage confié à des tirailleurs, qui font feu. Le bilan – 54 morts et 140 blessés – traumatise la communauté européenne, désormais certaine d’avoir perdu, et dont 20 % ont déjà fui au moment des accords d’Évian. L’OAS peut bien interdire les départs, synonymes d’abandon, ceux-ci se multiplient : les Français sont 46 030 à gagner la métropole en avril, 101 250 en mai, 354 914 en juin et 121 020 en juillet, 95 578 en août… Rares sont ceux qui reviennent ou ceux qui restent : en 1963, l’Algérie indépendante ne compte plus que 180 000 Français sur son sol 12.
Ces départs obligent l’ OAS à revenir sur son interdiction ; l’Organisation est définitivement affaiblie, privée qu’elle est de son vivier de recrutement. Maquis et insurrection ont échoué. Fragilisée, elle est d’autant mieux infiltrée, puis décapitée par les services spécialement voués à son éradication : Edmond Jouhaud est arrêté à Oran le 25 mars, Roger Degueldre, chef des commandos Deltas, le 6 avril, puis Raoul Salan le 30 avril. Jean-Jacques Susini et Jean-Claude Pérez portent alors l’Organisation à bout de bras, tandis que dans les rues d’Alger les hommes du commandant Azzedine font la démonstration de leur force. C’est à ce moment que les irréductibles se lancent dans la politique de la terre brûlée, incendiant mairies, écoles et autres bâtiments publics. La bibliothèque de l’université d’Alger brûle ainsi le 7 juin. Mais, à cette date, Jean-Jacques Susini a déjà pris contact avec Abderrahmane Farès, par l’intermédiaire de Jacques Chevallier, pour conclure un accord. Le 17 juin 1962, celui-ci est passé avec le Dr Chawki Mostefaï, membre de l’Exécutif provisoire agréé par le GPRA, même si ce dernier dément avoir cautionné de tels contacts. En échange de l’arrêt des violences, Jean-Jacques Susini a obtenu l’amnistie pour les membres de l’OAS, qui, en fait, quittent le pays, et l’engagement de Français d’Algérie dans la force locale, projet que l’imminence du référendum réduit à néant.

Les attentats cessent alors à Alger puis, progressivement, à Oran, après le baroud d’honneur du 25 juin, lorsque les fumées de l’incendie de dix millions de tonnes de carburant dans le port obscurcissent la ville. Les dirigeants de l’OAS encore en liberté se réfugient en Espagne ou en Italie, où ils retrouvent leurs homologues métropolitains, qui ont subi la même déconfiture. Des réseaux survivant dans l’Hexagone sortira encore, tout de même, l’attentat contre le général de Gaulle, au Petit-Clamart, le 22 août 1962, dont l’initiateur, Jean-Marie Bastien-Thiry, condamné à mort, est fusillé le 11 mars 1963. Roger Degueldre, lui, a été exécuté le 6 juillet 1962, Edmond Jouhaud a été gracié. Raoul Salan a échappé à la peine de mort.

S’ils fuient le climat de violence créé par l’OAS, les Français d’Algérie partent aussi par peur des réactions algériennes. Ils craignent les vengeances, enlèvements et torture, de la part de groupes armés qui agissent en se parant de la lutte contre l’OAS. Leurs actes, cependant, n’atteignent pas l’ampleur de ceux de l’Organisation. A Alger, le 14 mai, lorsque le commandant Azzedine envoie ses hommes, en petits commandos, exercer des représailles dans les quartiers européens, ils font 17 morts, au hasard. Et le bilan officiel, du 19 au 31 décembre 1962, comptabilise 3 018 Français d’Algérie enlevés, dont 1 245 ont été retrouvés, 1 165 sont décédés, et 608 sont restés disparus 13.

Que s’est-il passé ? Après le cessez-le-feu, les rangs de l’ALN grossissent de combattants de la dernière heure, dont des hommes venus de la force locale, appelés les « marsiens ». Auraient-ils cherché, par des excès de zèle, à racheter un engagement tardif ? Toutes les exactions ne leur sont pas imputables. En réalité, les hommes de l’ALN, ceux qui prennent les armes après le cessez-le-feu comme les autres, sont mus par leur propre interprétation de l’accession à l’indépendance : cette perspective signifie pour eux une réappropriation du pays, synonyme d’un départ des Français et de la possibilité de prendre une revanche sur 132 ans de tutelle coloniale. Outre des violences sur les Français d’Algérie, elle se concrétise, sur le terrain, par la pénétration des quartiers européens, par la prise de possession des boutiques et l’occupation de logements abandonnés. Ils sont loin des accords d’Évian, rédigés par des hommes d’État – ou qui se considéraient comme tels – dont la mission était d’encadrer la marche vers l’indépendance, par un accord bilatéral prévoyant un statut pour les Français d’Algérie restant y vivre, et fixant les conditions de la liquidation de leur patrimoine, pour ceux qui partiraient. Mais le GPRA ne contrôle pas l’ALN intérieure. Et le gouvernement français maintient une ligne de non-intervention, après le cessez-le-feu ; ce serait prendre le risque de le violer et de rallumer la guerre. Cette attitude reste cependant au centre des polémiques sur les responsabilités françaises dans les violences postérieures au cessez-le-feu, voire à l’indépendance.

Le 1er juillet, en effet, à la question « Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant, coopérant avec la France, dans les conditions définies par la déclaration du 19 mars 1962 ? », 99,72 % des votants ont répondu « oui ». Après la reconnaissance de l’indépendance par le général de Gaulle, le GPRA choisit le 5 juillet pour la célébrer. Ce 5 juillet en chasse un autre : c’est ce jour-là, en effet, qu’en 1830, le dey d’Alger a signé l’acte de capitulation conduisant à la conquête française. Mais pour symbolique qu’ils soient, la date et l’événement ne pouvaient enrayer des mécanismes de violences enracinés dans les profondeurs de la société coloniale, dont le dernier accès se produit dans la liesse même des manifestations de la première fête nationale algérienne.


Les victimes de l’OAS14

Le nombre total de victimes de l’OAS s’élèverait en métropole à 71 morts et 394 blessés. C’est dans un attentat contre André Malraux en février 1962 qu’une fillette -Delphine Renard- est gravement blessée aux yeux. En Algérie, 2200 morts au moins au total. Pour la période allant jusqu’à l’arrestation de Salan (le 20 avril 1962), on compterait 12999 explosions au plastic, 2546 attentats individuels et 510 attentats collectifs.

Le 15 mars 1962, 6 dirigeants des centres sociaux éducatifs (Mouloud Feraoun, Ould Aoudia, Max Marchand…) sont tués.

  1. Sylvie Thénault est historienne, chercheuse au CNRS. Outre Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, éd. Flammarion, avril 2005 (21 €), elle a publié Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, éd. La Découverte, Paris, 2001.
  2. Voir Rémi Kauffer, OAS, histoire d’une guerre franco-française, éd. Seuil, 2002 – p. 128.
  3. Anne-Marie Duranton-Crabol, Le temps de l’OAS, éd. Complexe, Bruxelles, 1995 – p. 74.
  4. Voir Rémi Kauffer, op. cit., p. 129 et 132.
  5. Anne-Marie Duranton-Crabol, op. cit., p. 145.
  6. Ibid., p. 83.
  7. Guy Pervillé, « L’Algérie dans la mémoire des droites », in Jean-François Sirinelli (dir.), L’Histoire des droites en France, t. II, Cultures, Gallimard, 1992, p. 621-644.
  8. Anne-Marie Duranton-Crabol, op. cit., p. 103-106.
  9. Manifeste cité par Serge Berstein, « La peau de chagrin de « l’Algérie française » », art. cité, p. 215
  10. Redha Malek, op. cit., p. 326.
  11. Pour tous les événements du printemps 1962, voir Rémi Kauffer, op. cit..
  12. Daniel Lefeuvre, « Les pieds-noirs », in La Guerre d’Algérie, 1954-2004, op. cit., p. 277-278.
  13. Cité par Daniel Lefeuvre, ibid., p. 279.
  14. D’après Claude Liauzu (Communication personnelle).
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