AVIS SUR LE DROIT D’ACCÈS AUX ARCHIVES PUBLIQUES
Source
[/24 juin 2021/]
Adopté à l’unanimité lors de l’Assemblée plénière du 24 juin 2021 de la Commission nationale consultative de droits de l’homme (CNCDH)1.
1. L’accès aux archives publiques a fait l’objet d’une réflexion de fond avec le rapport du président Guy Braibant sur « Les Archives en France ». Répondant à un besoin général de transparence administrative de plus en plus affirmé2, ce rapport, remis il y a 25 ans3, marquait une avancée importante. La triple fonction des archives y était mise en exergue : une fonction d’abord mémorielle car « il n’y a pas d’Histoire sans archives », une fonction administrative car « il n’y a pas d’Administration sans archives », enfin une fonction citoyenne car l’exercice des droits des citoyens implique « la mise à leur disposition des documents administratifs et judiciaires les concernant individuellement ou collectivement ». Ainsi, « il n’y a pas de République sans archives ». Le rapport invitait au-delà à une réforme de la loi sur les archives du 3 janvier 1979, la première en la matière depuis la Révolution, afin d’avoir « des archives plus ouvertes » tout en conciliant toutefois cette plus grande ouverture, notamment en matière de délais et consultation, avec la protection d’intérêts privés, comme le secret de la vie privée, ou publics, comme ceux de la sûreté de l’État et de la défense nationale.
2. Aujourd’hui, l’équilibre défini dans le fil du rapport Braibant par la loi du 15 juillet 2008 relative aux archives, dont les dispositions sont principalement codifiées dans le code du patrimoine4, se voit remis en cause par la multiplication des obstacles réglementaires et administratifs opposés aux historiens, aux chercheurs ou aux simples citoyens, et ce alors même que l’opinion publique est particulièrement sensible aux questions mémorielles. Or, cette situation préoccupante se trouverait consolidée et renforcée par l’article 19 du projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (PATR), actuellement en discussion au Parlement, notamment par les multiples exceptions qu’il apporte au principe de libre communication des archives publiques classées « secret défense » de plus de cinquante ans.
3. La CNCDH s’étonne en premier lieu de l’insertion de cet article 19 relatif à l’accès aux archives dans un projet de loi dont ce n’est pas l’objet puisqu’à visée strictement sécuritaire comme en témoignent non seulement son contenu mais son intitulé même : « loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement ». La Commission ne peut que déplorer un tel cavalier législatif. L’importance du droit d’accès aux archives et la gravité des enjeux qui s’y attachent dans une démocratie exigent une réflexion d’ensemble et une véritable concertation, s’agissant a fortiori d’une disposition qui remet en cause la lettre et l’esprit d’une législation libérale.
4. Au regard de sa mission, la Commission nationale consultative de droits de l’homme (CNCDH) désapprouve, non seulement sur la forme mais aussi sur le fond, cette disposition qui, en entravant l’accès aux archives, menace directement la recherche sur notre histoire contemporaine et, partant, le droit d’accéder à la vérité de cette histoire et de contribuer à la réconciliation des mémoires5. Elle se doit par ailleurs de rappeler que l’accès aux archives est un droit qui, reconnu dès la Révolution à tout citoyen6 et fondé sur l’article 15 de la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen, aux termes duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », a valeur constitutionnelle7. Par ailleurs, l’accès aux archives doit être garanti au nom des principes constitutionnels de libre expression des citoyens et d’indépendance de la recherche8. Certes ce droit d’accès n’est pas absolu et des limitations peuvent lui être apportées. Mais elles doivent répondre, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à une double condition : d’une part, être « liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général » (tel est le cas de la protection de secrets, comme ceux de la défense nationale9 et d’autre part, « qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ». A cet égard elle considère que la proportionnalité est acquise dès lors que la restriction du droit d’accès est « limitée dans le temps ».
5. Par ailleurs, le droit européen, précisément la Convention européenne des droits de l’homme dont l’article 10 consacre la liberté d’expression, invite à travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à la protection du droit d’accès aux archives publiques. Outre qu’elle relève « la valeur éminente de la liberté d’expression, surtout quand il s’agit d’un débat d’intérêt général10 », la CEDH condamne en effet « les obstacles dressés pour restreindre l’accès à des informations d’intérêt public [qui] risquent de décourager ceux qui travaillent dans les médias ou bien dans des domaines connexes de mener des investigations sur des sujets d’intérêt public11 ». Notant que les dispositions du code du patrimoine doivent être « appliquées à la lumière des exigences attachées au respect de [cet] article 10 […] duquel peut résulter, à certaines conditions, un droit d’accès à des informations détenues par l’État », le Conseil d’État a pour sa part enjoint d’autoriser la consultation anticipée des archives présidentielles relatives à la situation au Rwanda entre 1990 et 1995, par un chercheur dont les travaux portaient sur le rôle de la France au Rwanda, au motif notamment que cette demande présentait, « au regard de la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées pour nourrir les recherches historiques et le débat sur une question d’intérêt public, un intérêt légitime12 ».
6. Il faut également rappeler l’importance prise récemment par « le droit à la vérité » dans le droit international des droits de l‘Homme. Cet impératif s’est traduit par l’adoption d’un Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité, dits « principes Louis Joinet13 », qui ont trouvé leur prolongement dans le mandat du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition. Parallèlement, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions, adoptée en 2006, contient des dispositions expresses sur les droits des victimes, entendues comme «la personne disparue et toute personne physique ayant subi un préjudice direct du fait d’une disparition » (article 24 §.1). Ainsi, notamment « toute victime a le droit de savoir la vérité sur les circonstances de la disparition forcée, le déroulement et les résultats de l’enquête et le sort de la personne disparue » (article 24 §.2)14. De son côté le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires a adopté un commentaire général sur le droit à la vérité en relation avec les disparitions forcées15.
7. L’article 19 du projet de loi pèche aussi gravement par son ambivalence. Certes, le texte constitue une avancée par l’abandon de la procédure administrative de « déclassification » formelle par l’apposition d’un tampon avant toute communication d’archives publiques classées « secret défense » à l’expiration d’un délai de cinquante ans. Cette procédure, instituée en novembre 2011 par une instruction interministérielle pour la protection du secret de la défense nationale (IGI 1300)16, a fait l’objet d’une application rigoureuse à la demande du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) à partir de janvier 2020. Elle s’est vue ensuite confortée et renforcée par la révision de cette instruction en novembre 202017. Cette procédure a considérablement ralenti les travaux historiques des chercheurs et donné lieu à de vives protestations, tant au plan national qu’international, de la part des archivistes, historiens et juristes, avec la mobilisation depuis près de deux ans d’un collectif « Accès aux archives publiques »18. Cette mobilisation s’est traduite par deux recours pour excès de pouvoir formés contre les dispositions de l’IGI 1300 devant le Conseil d’Etat en septembre 2020 et janvier 2021 et le second recours a été accompagné en avril 2021 d’une question prioritaire de constitutionalité. Restés pendants depuis, ces recours ont été joints ainsi que la QPC et font l’objet de conclusions communes du rapporteur public qui, lors de l’audience du 16 juin 2021, s’est prononcé en faveur de l’annulation de cette procédure.
8. Si la CNCDH ne peut qu’approuver la substitution par l’article 19 du projet de loi d’une déclassification automatique à l’actuelle procédure administrative de déclassification formelle, elle déplore en revanche que cet article énonce des exceptions au principe de libre communication des archives secret défense de plus de cinquante ans d’une telle ampleur que, sous couvert de réouverture de leur accès, c’est en réalité une fermeture que le projet organise et ce pour la première fois dans l’histoire de la République.
9. Outre les archives concernant les armes nucléaires, biologiques et chimiques déjà exclues de toute déclassification et auxquelles l’article 19 ajoute les armes radiologiques, le projet de loi autorise l’allongement du délai de cinquante ans pour quatre catégories de documents : ceux relatifs à certains bâtiments (installations militaires, prisons, barrages hydroélectriques…), aux matériels de guerre, aux procédures opérationnelles et capacités techniques des services de renseignement, enfin à la mise en oeuvre et aux moyens de la dissuasion nucléaire.
10. La CNCDH ne peut que partager les préoccupations exprimées par les archivistes, historiens et juristes face à ces exceptions floues et de grande ampleur. Leur définition est imprécise : ainsi en est-il du caractère « opérationnel » ou des « capacités techniques » de certaines procédures des services de renseignement. Sont encore plus imprécis les critères retenus pour mettre un terme à l’allongement du délai de communication (tels que celui de « la fin de l’affectation » d’une infrastructure à un usage donné, ou celui de « la fin de l’usage » d’un matériel ou encore de « la perte de valeur opérationnelle » d’une procédure ou de certains moyens). Toutes ces exceptions laissent un très large pouvoir d’appréciation aux administrations ayant émis ces documents, qui se voient ainsi accorder une compétence quasi discrétionnaire pour fixer le délai de communication des documents en cause.
11. La portée de ces exceptions est de surcroît trop large tant matériellement que temporellement. La protection des archives des services de renseignement concerne ainsi les services « spécialisés de renseignement », services « classiques » dits du premier cercle (DGSI, DGSE, …), mais aussi toute une liste de services en charge de la sécurité19. En outre, la durée d’allongement du délai de cinquante ans reste indéterminée. Ainsi, pour reprendre deux exemples très significatifs donnés par le collectif « Accès aux archives », les archives de la DST qui ont permis de retrouver et juger les collaborateurs pendant la Seconde guerre mondiale, ou encore celles des « détachements opérationnels de protection » connus pour leurs pratiques de torture pendant la guerre d’Algérie, ne seraient pas devenues librement communicables si les alinéas 8 et 9 de l’article 19 du projet de loi avaient existé. Des travaux historiques de première importance des vingt dernières années, dont chacun sait qu’ils ont permis des progrès considérables dans la recherche de la vérité historique, n’auraient pas pu se faire dans les mêmes conditions, ni même être actuellement poursuivis puisque certains documents accessibles jusqu’ici pourraient ne plus l’être20.
12. La CNCDH rappelle avec fermeté le principe de libre communication des archives « secret défense » après cinquante ans. Elle souligne la nécessité d’un strict encadrement des exceptions à ce principe prévues par l’article 19, afin que soit assurée la nécessaire conciliation du droit constitutionnel d’accès aux archives, d’une part, et de la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation d’autre part, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle21. La CNCDH ne méconnait pas ces intérêts mais observe qu’ils sont déjà pris en compte par la loi de 2008 qui subordonne la communication des archives secret défense à un délai de cinquante ans. Aussi, si d’autres restrictions venaient à être prévues, elles devraient en tout état de cause présenter un caractère exceptionnel et être réservées au seul cas où la communication des archives concernées menacerait gravement les intérêts de la sécurité nationale.
13. C’est assez dire que la CNCDH invite le gouvernement à revoir les exceptions prévues à l’article 19 qui, en l’état, ne satisfont pas à cette double exigence.
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Créée en 1947 sous l’impulsion de René Cassin, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) est l’Institution nationale de promotion et de protection des droits de l’homme française, accréditée de statut A par les Nations Unies.
L’action de la CNCDH s’inscrit dans une quadruple mission :
• Conseiller les pouvoirs publics en matière de droits de l’Homme ;
• Contrôler l’effectivité des engagements de la France en matière de droits de l’Homme et de droit international humanitaire ;
• Assurer un suivi de la mise en œuvre par la France des recommandations
formulées par les comités de suivi internationaux et régionaux ;
• Sensibiliser et éduquer aux droits de l’Homme.
L’indépendance de la CNCDH est consacrée par la loi. Son fonctionnement s’appuie sur le principe du pluralisme des idées. Ainsi, seule institution assurant un dialogue continue entre la société civile et les experts français en matière de droits de l’Homme et de droit international humanitaire, elle est composée de 64 personnalités qualifiées et représentants d’organisations non gouvernementales issues de la société civile.
La CNCDH est le rapporteur national indépendant sur la lutte contre toutes les formes de racisme depuis 1990, sur la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains depuis 2014, sur la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’Homme depuis 2017, sur la lutte contre la haine et les discriminations anti-LGBTI depuis 2018 et sur les droits des personnes handicapées depuis 2020. La CNCDH est en outre la Commission française de mise en œuvre du droit international humanitaire au sens du Comité international de la Croix-Rouge.
L’accès aux archives publiques est un droit pour les citoyens
Source
[/Le 25 juin 2021/]
Les entraves qui ne cessent de se multiplier dans l’accès aux archives publiques risquent d’être aggravées par le vote du projet de loi « relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » (PATR) actuellement en débat au Parlement.
Alors que le code du patrimoine fixe le délai au terme duquel les archives publiques sont « communicables de plein droit », qui est de cinquante ans pour les documents dont « la communication porte atteinte au secret de la défense nationale », des obstacles administratifs n’ont cessé de se multiplier pour l’accès aux archives publiques. Bien que le président de la République, lors de sa visite à Josette Audin le 13 septembre 2018, s’était déclaré en faveur d’un libre accès aux archives sur les disparus de la guerre d’Algérie, l’application rigoureuse, à partir de janvier 2020, sous l’influence notamment du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), d’une instruction interministérielle de 2011 a limité arbitrairement l’accès aux documents portant des tampons « secret » au-delà du délai légal de 50 ans.
La LDH a apporté son soutien aux recours déposés devant le Conseil d’Etat par le Collectif accès aux archives publiques, qui rassemble l’Association des archivistes français, l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’Association Josette et Maurice Audin.
Le projet de loi « relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » (PATR) qui a été adopté par l’Assemblée nationale le 2 juin 2021 et est en discussion au Sénat, s’il mettrait fin aux pratiques illégales imposées par l’application de cette instruction interministérielle, n’est en rien une loi d’ouverture. Il permettrait de reporter au-delà du délai de cinquante ans la communication d’archives définies de manière vague comme relatives aux « procédures opérationnelles » et aux « capacités techniques » de nombreux services de renseignement ou de sécurité.
Ce texte risque d’entraîner une fermeture massive de nombre d’archives nécessaires à l’écriture de notre histoire contemporaine. La Ligue des droits de l’homme partage l’inquiétude exprimée à ce sujet par le Collectif accès aux archives publiques et ses demandes de ce que l’article 19 de la loi PATR soit amendé afin qu’il ne fasse pas obstacle aux recherches historiques.
Circulez, il n’y a rien à (sa)voir !
par Fabrice Riceputi, historien, chercheur associé à l’Institut d’histoire du temps présent, coanimateur de Histoirecoloniale.net et de 1000autres.org, publié dans Politis du 24 au 30 juin 2021. Source
Alors que la libre consultation des archives avait été conquise de haute lutte, y compris sur les sujets sensibles, leur accès est désormais rendu incertain par de nouvelles dispositions restrictives.
Cette année est celle du 60e anniversaire du massacre colonial et raciste par la police parisienne de manifestants algériens, le 17 octobre 1961 à Paris. J’ai raconté dans un livre bientôt réédité22 comment ce crime d’État fut longtemps nié et occulté. Et quels combats mena Jean-Luc Einaudi pour qu’il soit connu et reconnu. Le moindre ne fut pas d’obtenir l’accès aux archives policières et judiciaires relatives à la guerre d’Algérie. Elles étaient alors verrouillées par une loi votée en 1979, dont l’un des ministres signataires n’était autre que Maurice Papon, qui avait dirigé la répression en 1961.
Au nom de la « sûreté de l’État », il fallait attendre jusqu’à cent ans pour les consulter, et seuls des historiens bien disposés à l’égard du pouvoir se voyaient accorder une précieuse « dérogation ». Pour faire l’histoire de l’affaire Fernand Iveton et celle du 17 octobre 1961, Einaudi dut s’en passer. Deux archivistes, Brigitte Lainé et Philippe Grand, osèrent dire en 1999 dans un prétoire face à Papon que les archives interdites au chercheur prouvaient que la police avait bien commis un massacre. Ils le payèrent d’une longue persécution professionnelle.
L’ouverture des archives fut une revendication majeure à la fin des années 1990. Depuis lors, on croyait cette bataille globalement gagnée. La dernière loi sur les archives, en 2008, avait raccourci le délai de communication de la plupart des archives à cinquante ans, les dérogations étaient accordées en bien plus grand nombre. L’historiographie de la guerre d’Algérie avança ainsi à grands pas.
Or cette relative liberté d’accès durement acquise vient d’être gravement remise en cause. Fin 2019, les chercheurs ont vu avec stupéfaction les millions de documents tamponnés « secret » depuis 1940 et jusqu’alors librement consultables être interdits de communication, au nom de la protection du « secret-défense » et dans l’attente de leur « déclassification », au bon vouloir des administrations concernées. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), dépendant du Premier ministre, avait en effet brusquement décidé d’appliquer avec zèle une instruction prise en 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Devant le tollé provoqué par cette mesure illégale qui interrompait net de nombreuses recherches, sous la menace d’un recours au Conseil d’État, le gouvernement vient de légiférer. Fait révélateur de la paranoïa sécuritaire ambiante, l’accès aux archives publiques est désormais défini à l’article 19 d’une loi sur « la prévention d’actes de terrorisme et (le) renseignement ». Est présenté comme une « avancée » ce qui n’est qu’un retour au libre accès aux documents « secret-défense » après cinquante ans, déjà prévu par la loi de 2008.
Mais des « exceptions » lourdes de conséquences, sont prévues. Des archivistes, des historiens et l’Association Josette-et-Maurice-Audin dénoncent en effet « une refermeture massive des archives de renseignement » : « Rien ne permet de garantir qu’il soit toujours possible demain de travailler sur les archives de la DST ayant permis de retrouver et de juger les collaborateurs de la Seconde Guerre mondiale, sur les archives des réseaux de renseignement et les services secrets de la France libre […], les archives des tristement célèbres “détachements opérationnels de protection” chargés, au cours de la guerre d’Algérie, d’interroger les prisonniers […] . La recherche sur des pans entiers, et essentiels, de notre histoire contemporaine est gravement menacée23. »
Ces dispositions, déjà adoptées par les députés le 2 juin, laissent libre cours à l’arbitraire de la raison d’État. À moins que le Sénat ne tienne compte de l’avis très sévère pour le gouvernement que le rapporteur du Conseil d’État a rendu le 16 juin, il faudra donc ajouter à la liste des reculs démocratiques opérés sous Emmanuel Macron une grave restriction supplémentaire à un droit des citoyens : celui de savoir ce que l’État a fait en leur nom.
Le 2 juillet 2021 : projection-débat au Centre culturel algérien à Paris
[SIGNEZ LA PETITION
POUR L’ACCES AUX ARCHIVES PUBLIQUES
qui s’approche de 20 000 signatures/rouge]
@ArchiCaDebloque @Archivistes_AAF, @ahcesr
- Avis adopté à la suite du courrier adressé au Premier ministre par le Président de la CNCDH le 14 juin 2021. Lire le courrier.
- Voir sur ce point La transparence de la vie juridique et administrative : progrès et limites ; Rapport 1995 du Conseil d’Etat EDCE 1996 ; Pour une meilleure transparence de l’Administration, Doc.fcse. (Etude du Conseil d’Etat), 1998.
- Rapport remis au premier ministre, publié en 1996 à La Documentation française, dans la collection des rapports publics.
- Code du patrimoine, Art. L.213-1 Les archives publiques sont […], communicables de plein droit. […] – Art. L.213-2 : Par dérogation aux dispositions de l’article L. 213-1 :I. – Les archives publiques sont communicables de plein droit à l’expiration d’un délai de [..] : 3° Cinquante ans […] pour les documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l’Etat dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la protection de la vie privée, à l’exception de […].
- C’est dans cet esprit que la CNCDH a apporté son soutien à la journée d’étude organisée, le 20 septembre 2019, à l’Assemblée Nationale, par l’Association Maurice Audin (devenue depuis Association Josette et Maurice Audin) et par l’Association histoire coloniale et postcoloniale sur le thème « Les disparus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre françaises : vérité et justice ? ». Cette journée d›études a été fondatrice pour les actions menées depuis lors en vue d’obtenir un plus large accès aux archives.
- En disposant que « tout citoyen pourra demander dans tous les dépôts, aux jours et heures qui seront fixés, communication des pièces qu’ils renferment », la loi du 7 messidor an II (25 juin 1794) a posé le principe de « libre consultation » des archives.
- CC, Déc. n° 2017-655 QPC du 15 septembre 2017, M. François G., dans laquelle le Conseil constitutionnel juge, pour la première fois, que « Est garanti par cette disposition [l’article 15 de la DDHC] le droit d’accès aux documents
d’archives publiques ». Voir également CE, Ass.12 juin 2020, n°422327, où le CE juge que les dispositions du code du patrimoine « doivent être interprétées conformément à l’article 15 de la Déclaration du 26 août 1789 qui garantit, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel […] le droit d’accès aux documents d’archives publiques ». - Déc. CCn°83-165 DC, 20 janvier 1984, où le Conseil constitutionnel juge que « par leur nature même, les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables ».
- Ou encore du secret des délibérations du pouvoir exécutif, la conduite des relations extérieures et les intérêts fondamentaux de l’Etat dans la conduite de la politique extérieure, en ce sens CE, Ass.12 juin 2020, n°422327.
- CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c/ France.
- CEDH, 14 juillet 2009, Társaság a Szabadságjogokért c/ Hongrie (n° 37374/05).
- CE, Ass.12 juin 2020, n°422327, préc.
- Cet « Ensemble des principes » adopté par la Sous-Commission des droits de l’homme en 1997 (E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1), sur la base des travaux de son rapporteur spécial Louis Joinet, a été actualisé par la Commission des droits de l’homme en 2005 (E/CN.4/2005/102/Add.1).
- La Convention qui a été ratifiée par la France est entrée en vigueur le 23 décembre 2010.
- Cf. site OHCHR.
- IGI N°1300 /SGDSN/PSE/ PSD du 30 novembre 2011.
- IGI n° 1300/SGDSN/PSE/PSD du 13 novembre 2020.
- Ce collectif est composé de trois associations – l’association des archivistes français, l’association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’association Josette et Maurice Audin – ainsi que nombre d’historiens, archivistes et juristes.
- La liste est donnée à l’article R. 811-2 du code de sécurité intérieure.
- En effet, tout ou partie de ces archives pourraient se trouver refermées en conséquence du projet de loi, dans la mesure où la disposition transitoire prévue au II de l’article 19 applique les nouvelles règles de communicabilité à tous les documents de plus de cinquante ans ayant fait l’objet d’une mesure de classification, ce qui est le cas de la grande majorité des documents relevant de ces deux exemples.
- Déc.CC n°2016-738 DC du 10 novembre 2016. Pour le Conseil constitutionnel, la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, à laquelle participe le secret de la défense nationale, résulte d’une interprétation combinée des articles 5, 20 et 21 de la Constitution.
- Ici on noya les Algériens. La bataille de Jean-Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre policier et raciste du 17 octobre 1961. Précédé d’« Une passion décoloniale » par Edwy Plenel, préface de Gilles Manceron, Le Passager clandestin, septembre 2021.
- Communiqué de presse des associations ayant déposé un recours devant le Conseil d’État, 4 juin 2021.