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© Pancho - Le Monde du 19 mars 2005

Nouvelles accusations de torture contre le général Schmitt

La septième chambre correctionnelle de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé lundi 20 juin 2005 la peine infligée en première instance, le 2 juillet 2004, à un ancien caporal de l'armée française qui avait accusé le général Maurice Schmitt de faire l'apologie de la torture. Au cours de l'audience du 18 mars 2005, l'ancien chef d'état-major des armées, de 1987 à 1991, avait été mis en cause par des militants FLN arrêtés pendant la bataille d'Alger au cours de l'été 1957. Le général s'est toujours défendu d'avoir participé à des séances de torture. [Première mise en ligne, le 22 mars 2005,
mise à jour, le 20 juin 2005.]
© Pancho - Le Monde du 19 mars 2005
© Pancho – Le Monde du 19 mars 2005

par Florence Beaugé et Philippe Bernard [Le Monde, 19 mars 2005]

« Avez-vous torturé ?« , a demandé une fois un journaliste au général Schmitt. « Je ne répondrai jamais à cette question, avait-il répondu, car je me sens solidaire de tous ceux qui ont été confrontés au dilemme : interroger courtoisement un assassin qui sait où se trouvent des bombes qui peuvent éclater dans l’heure, ou le faire parler. »

Tout en se défendant d’y avoir recouru, l’ancien chef d’état-major des armées avait juste concédé (Le Monde du 29 juin 2001) que l’usage de la torture à l’électricité en Algérie n’était « pas un mythe« .

Un épisode marquant de la guerre d’Algérie refait surface, alors que le 19 mars marque l’anniversaire du cessez-le-feu entre la France et l’Algérie, au lendemain des accords d’Evian, en 1962. Plusieurs anciens combattants indépendantistes témoignent de façon concordante de la participation du lieutenant Maurice Schmitt à des séances de torture, pendant la bataille d’Alger, à l’été 1957.

A cette époque, les parachutistes du général Massu avaient reçu l’ordre du pouvoir politique de démanteler, par tous les moyens, la zone autonome d’Alger, tenue par le Front de libération nationale (FLN), et surtout son « réseau bombes ».

Le général Schmitt, aujourd’hui âgé de 75 ans, a servi en Algérie d’avril 1957 à octobre 1959, en tant que lieutenant au sein du 3e régiment de parachutistes coloniaux (RPC). Il a terminé sa carrière comme numéro un de l’armée – chef d’état-major – de 1987 à 1991.

Ce n’est pas la première fois que le général Schmitt est accusé d’avoir torturé. En juin 2001, sur France 3 et dans Le Monde, trois anciens militants du FLN – des « résistants » en Algérie, des « terroristes », à l’époque, pour l’armée française -, Malika Koriche, Ali Moulaï et Rachid Ferrahi, ont désigné le général comme ayant ordonné et dirigé leurs tortures durant l’été 1957 à l’école Sarouy d’Alger.

Le général Schmitt a récusé ces affirmations, les qualifiant d' »affabulation totale », et n’a admis à aucun moment avoir pratiqué ou fait pratiquer la torture. S’il a reconnu avoir interrogé Ali Moulaï, chef de région du FLN, il a affirmé que ce dernier avait « très rapidement » parlé, « sans subir de pressions physiques » parce qu’il « pétait de trouille ».

Quant aux autres témoins, M. Schmitt a affirmé ne pas s’en souvenir, soutenant que « les détails scabreux de leurs récits démontrent qu’ils sont le fruit de leur imagination » (Le Monde des 29 juin et 10 juillet 2001).

Dans le Livre blanc de l’armée française en Algérie (Contretemps, 2001) et son livre Alger, été 1957, une victoire sur le terrorisme (L’Harmattan, 2002), le général a estimé que les moyens utilisés alors par l’armée relevaient de la « légitime défense » face à des attentats aveugles.

A plusieurs reprises, le général Schmitt s’est exprimé sur la torture, en Algérie ou ailleurs. Dans un entretien au Parisien, le 9 mai 2004, il a qualifié d' »ignoble » le traitement infligé aux détenus irakiens d’Abou Ghraib, n’ayant à ses yeux « aucune justification ni explication, si ce n’est la perversité ». « Je crois qu’il serait dans l’intérêt de Bush que Rumsfeld démissionne », ajoutait-il.

Le général Schmitt est engagé dans deux procédures judiciaires liées à ses interventions médiatiques. Il a été condamné par deux fois pour « diffamation » : pour avoir, lors d’un débat télévisé, qualifié de « tissu d’affabulations, de contrevérités », le livre de Louisette Ighilahriz, Algérienne (Fayard, 2001), décrivant les tortures subies par cette femme en 1957 à Alger1 ; et pour avoir traité de « menteur ou criminel » Henri Pouillot, un appelé témoin d’actes de torture en 1960-19612. Cette dernière condamnation a été confirmée en octobre 2004 par la cour d’appel de Paris, qui doit réexaminer l’autre dossier à l’automne.

Par ailleurs, en juillet 2004, Maurice Schmitt a obtenu la condamnation du journal L’Humanité par le tribunal de Marseille pour la publication de propos du même Henri Pouillot le présentant comme un défenseur de la torture. L’affaire est pendante devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Sollicité pour un entretien destiné à répondre aux nouvelles accusations portées contre lui, l’ancien chef d’état-major des armées a fait connaître son refus au Monde et conseillé de se référer à ses livres.3
Il fait valoir qu’il est « engagé dans deux procès en appel fixés irrévocablement » au 21 mars (contre L’Humanité) et au 8 septembre (sur plainte de Mme Ighilahriz) et qu’il s’est « fixé comme règle de réserver (ses) déclarations aux juges », acceptant le principe d’un « débat sur la fin de la bataille d’Alger » à l’automne.

Qualifiés publiquement de « terroristes » et d' »assassins » par le général, les anciens militants algériens font part de leur révolte. Les quatre nouveaux témoins qui s’expriment aujourd’hui – parmi d’autres rencontrés par Le Monde – précisent qu’ils le font sans haine. Et que, s’ils sortent du silence, c’est parce qu’ils ne supportent plus les dénégations de l’homme qui, selon eux, a orchestré leurs tortures. Il est temps, estiment-ils, de rétablir la vérité et de la faire connaître. A une exception près, ils ne reprochent pas ce que le lieutenant Schmitt leur a infligé, à eux ou à leurs proches. Tous en sont pourtant restés physiquement et psychologiquement très marqués. Mais « c’était la guerre », concèdent-ils.

En revanche, ils ne pardonnent pas au général de nier ce qu’ils ont, selon eux, enduré en sa présence et sur son ordre. Ils n’admettent pas que l’ex-chef d’état-major des armées traite de « menteurs » ceux d’entre eux qui ont osé s’exprimer publiquement ; enfin, ils ne supportent pas qu’en prétendant qu’ils ont parlé sans violence, il « salisse » la mémoire de plusieurs de leurs « frères » de combat.

Les accusateurs de 2001 maintiennent leurs déclarations4

Rachid Ferrahi, qui a témoigné dans Le Monde en juin 2001, maintient que son père a été torturé, nu, devant lui, à l’école Sarouy et se dit « scandalisé » par les démentis du général Schmitt. « Schmitt dirigeait les interrogatoires. Il jouissait quand l’un de nous était humilié. Il a ainsi fait danser, nu, un des chefs de la résistance. Cet homme s’était déjà complètement vidé de ses tripes. Alors qu’il avait tout déballé, Schmitt s’amusait à lui crier : « Danse ! Danse ! » Et l’autre, brisé, a dû obéir. »

M. Ferrahi estime que le général veut « diffamer les combattants algériens, les rabaisser », alors que la France et l’Algérie sont réconciliées depuis longtemps. « Les tortures, à la limite, je dirais : « C’était de bonne guerre. » Mais affirmer qu’Ali Moulaï a été retourné par l’armée française, alors qu’il a parlé sous l’effet d’épouvantables tortures, je ne peux pas le supporter. » Un autre fait le choque : que le général continue de parler de « terroristes » et d' »assassins » à propos du FLN. « En parlant ainsi, Schmitt salit la Résistance française ! »

Ali Moulaï, mort à l’hôpital en 2003, à Alger, avait adressé au Monde le 8 août 2001 une télécopie qui n’est jamais arrivée à destination et dont le journal n’a eu connaissance qu’en décembre 2003. Ali Moulaï réaffirme qu’il a été « atrocement torturé ». « Le général Schmitt (…) a peur d’affronter la vérité car son passé de tortionnaire le rattrape. Je lui rappelle un seul cas, celui de la jeune martyre Ourida Meddad. Cette adolescente n’était pas une poseuse de bombes, elle était agent de liaison d’un responsable politique. »

Le général Schmitt témoigne au procès Aussaresses, le 27 nov. 2001© Riss - Charlie Hebdo - 5 déc. 2001
Le général Schmitt témoigne au procès Aussaresses, le 27 nov. 2001© Riss – Charlie Hebdo – 5 déc. 2001
  1. Lire 210.
  2. Le général Schmitt a été condamné pour diffamation par la cour d’appel de Paris, pour avoir traité de « menteur » un ancien appelé d’Algérie qui avait témoigné sur la torture durant le conflit.

  3. S’exprimant sur France Inter le samedi 19 mars, le général Schmitt a qualifié de « pure invention » les accusations de torture portées contre lui. « Tout ce qu’ils disent est pure affabulation (…) Il n’y a pas eu de séance de torture », a-t-il insisté, en soulignant que les témoins cités dans le Monde, « arrêtés tous simultanément le 6 août (1957) au matin, auraient été dénoncés par leurs chefs ». Même si « la torture a été employée » en Algérie à d’autres moments, a-t-il expliqué, « en août, nous n’avons pas eu besoin de l’employer ».
  4. Le Monde, 19 mars 2005.
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