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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Nicolas Sarkozy en Algérie : une impression d’ambiguïté et d’inachèvement

Nicolas Sarkozy a fait un nouveau pas vers la reconnaissance de la colonisation française de l'Algérie en prononçant le mercredi 5 décembre à l'université Mentouri de Constantine un discours affirmant notamment que « les fautes et les crimes du passé furent impardonnables » et que « ce système ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation ». Au-delà de certaines ambiguïtés et omissions, il est en contradiction avec l'ensemble des discours de campagne du candidat Sarkozy. A quel Sarkozy se fier, celui de Constantine ou celui de Nice et Toulon ? Pour l'article du journal algérien El Watan du 6 décembre que nous reproduisons ci-dessous, ce déplacement en Algérie du président français laisse une impression d’inachèvement et d’ambiguïté. La LDH n’attend certes pas de Nicolas Sarkozy qu'il revête une robe de bure. Mais elle demande, comme la pétition qu’elle soutient, que les plus hautes autorités de la République française reconnaissent publiquement « l’implication première et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la colonisation en Algérie ». On ne pourra tourner cette page qu’après l’avoir écrite. L'écrire implique aussi, du côté algérien, la levée de nombreux tabous sur la manière dont la guerre d'indépendance a été conduite, en particulier les violences internes au camp nationaliste et à l'encontre de diverses populations civiles – un sujet qui n'est pas abordé dans cet article.

Le début – 3 pages sur 10 – du discours de Nicolas Sarkozy

Discours de M. le Président de la République devant les étudiants de l’Université de Mentouri

Constantine – Mercredi 5 décembre 2007

Monsieur le Président de la République, Cher Abdelaziz, qu’il me soit permit en commençant de vous dire mon amitié, mon respect et mon admiration,

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs,

C’est une immense joie pour moi de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui, et à travers vous à la jeunesse et au peuple algériens.

Si j’ai souhaité le faire ici, à Constantine, ce n’est pas seulement parce que cette ville est, comme tant d’autres villes de la Méditerranée, l’héritière d’une histoire plusieurs fois millénaire qui a mêlé depuis la plus haute Antiquité les destins de tant de peuples. Si j’ai souhaité venir dans cette ville qui porte encore le nom du premier Empereur romain converti au christianisme, ce n’est pas seulement parce que Constantine est depuis si longtemps le symbole de l’identité arabo-musulmane de l’Algérie.

Tout Homme qui vient à elle ne peut s’empêcher, quelles que soient ses croyances, d’éprouver à son contact ce sentiment religieux d’être dans un de ces lieux sacrés où le Ciel paraît si proche et la foi si naturelle.
Combien de visiteurs ont ressenti ce qu’avait ressenti ce voyageur des siècles passés qui, voyant apparaître Constantine au-dessus des brumes matinales, croyait « voir quelque cité fantastique éclose tout à coup des ombres de la nuit et portée dans le ciel par deux oiseaux blancs » ? Cette ville est une ville de foi.
Combien d’Hommes qui n’avaient pas la même religion, qui n’avaient pas la même culture, qui n’avaient pas la même origine, se sont pourtant sentis saisis par la même émotion, celle que j’ai éprouvée tout à l’heure en arrivant devant Constantine que tant de travail, que tant de peine, que tant de volonté farouche ont suspendue au-dessus des ravins comme pour témoigner qu’il n’est rien de plus fort que la volonté humaine lorsqu’elle est soutenue par une foi vivante ? Ainsi est votre ville de Constantine.

J’ai donc souhaité parler dans ce lieu, ce lieu qui appartient à tous les Hommes parce que ce lieu incarne pour tous les Hommes l’esprit de résistance, l’esprit de conquête, l’esprit de dépassement de soi. J’ai souhaité parler dans ce lieu où l’identité et la civilisation musulmanes parlent à tous les Hommes.

Et j’ai souhaité parler à la jeunesse algérienne parce que la jeunesse d’Algérie tient dans ses mains une partie du destin d’une grande civilisation qui a tant apporté à l’Humanité de sagesse, d’art, de culture et de science, et dans laquelle tant d’hommes dans le monde espèrent encore. Jeunes d’Algérie, je suis venu vous dire que vous pouvez être fiers de votre pays parce que l’Algérie est un grand pays. Jeunes d’Algérie, je suis venu vous dire que vous pouvez être fiers d’être des jeunes musulmans parce que la civilisation musulmane est une grande civilisation.

Jeunes d’Algérie, je suis venu vous dire que le peuple français vous aime et que le peuple français vous respecte. Je sais, Cher Abdelaziz, les souffrances du passé, je sais les blessures profondes que les tragédies de l’Histoire ont laissées dans l’âme du peuple algérien. Et dans cette ville de Constantine, je n’ignore nullement que les universités portent les noms de grands résistants qui furent des héros de la cause algérienne. Dans cette ville, que je n’ai pas choisie par hasard, les pierres se souviennent encore de ce jour de 1837 où un peuple libre et fier, exténué après avoir résisté jusqu’à l’extrême limite de ses forces, fut contraint de renoncer à sa liberté. Les pierres de Constantine se souviennent encore de cette journée terrible du 20 août 1955 où chacun fit couler ici le sang, pour la cause qui lui semblait la plus juste et la plus légitime. Ce n’est pas parce que 1955 est l’année de ma naissance que je dois ignorer cette bataille et cette date.

Le déferlement de violence, le déchaînement de haine qui, ce jour-là, submergea Constantine et toute sa région et tua tant d’innocents étaient le produit de l’injustice que depuis plus de cent ans le système colonial avait infligée au peuple algérien. L’injustice attise toujours la violence et la haine. Beaucoup de ceux qui étaient venus s’installer en Algérie, je veux vous le dire, étaient de bonne volonté et de bonne foi. Ils étaient venus pour travailler et pour construire, sans l’intention d’asservir, ni d’exploiter personne. Mais le système colonial était injuste par nature et le système colonial ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation.

De part et d’autre, – et c’est mon devoir de président de la République de le dire –, de part et d’autre, il y a eu des douleurs, il y a eu des souffrances, il y a eu des peines. Ces douleurs, ces souffrances et ces peines, nul en Algérie ni en France ne les a oubliées. Je n’oublie ni ceux qui sont tombés les armes à la main pour que le peuple algérien soit de nouveau un peuple libre, je n’oublie ni les victimes innocentes d’une répression aveugle et brutale, ni ceux ont été tués dans les attentats et qui n’avaient jamais fait de mal à personne, ni ceux qui ont dû tout abandonner : le fruit d’une vie de travail, la terre qu’ils aimaient, la tombe de leurs parents, les lieux familiers de leur enfance.

Mais, jeunes d’Algérie, c’est en regardant ensemble, Algériens et Français, vers l’avenir, que nous serons fidèles aux souvenirs de nos morts, qu’ils soient Algériens ou Français. C’est en tendant l’un vers l’autre une main fraternelle que nos deux peuples comprendront, que tant de fautes, que tant de crimes, que tant de malheurs n’auront pas été vains puisqu’ils nous auront appris à détester la guerre et à rejeter la haine.

Je ne suis pas venu nier le passé. Je suis venu vous dire que le futur est plus important. Ce qui compte c’est ce que nous allons accomplir, et ce que nous allons accomplir ensemble ne dépend que de nous. Ce qui compte c’est que l’Algérie est aujourd’hui un pays libre, un pays moderne. Ce qui compte c’est que l’Algérie et la France ont en commun des valeurs, une culture, des intérêts.
Ce qui compte c’est que la géographie, la mer, la culture, l’héritage des siècles lient à jamais les destinées de l’Algérie et de la France. Ce qui compte c’est que dans tant de cœurs français l’attachement à l’Algérie soit si fort, ce qui compte c’est que tant d’Algériens ne peuvent s’empêcher au fond d’eux-mêmes de considérer la France comme une forme de deuxième patrie.

Ce qui compte c’est que l’Algérie et la France aient la langue française en partage et que tant d’écrivains, tant de savants expriment en Français ce qu’il y a de plus grand et de plus beau dans l’art, dans la sagesse et dans la pensée algérienne. Et je souhaite que davantage de Français prennent en partage la langue arabe par laquelle s’expriment tant de valeurs de civilisation et de valeurs spirituelles. En 2008 j’organiserai en France les Assises de l’enseignement de la langue et de la culture arabes, parce que c’est en apprenant chacun la langue et la culture de l’autre que nos enfants apprendront à se connaître et à se comprendre. Parce que la pluralité des langues et des cultures est une richesse qu’il nous faut à tout prix préserver.

Mes Chers Amis, je vous le dis du fond du cœur, ce qui compte ce n’est pas ce qui a été pris hier, c’est ce qui sera donné demain ; ce n’est pas le mal qui a été fait, c’est le bien qui sera rendu ; ce n’est pas ce qui a été détruit, c’est ce qui sera construit. C’est le message, au nom de la République française, que je voulais dire au peuple d’Algérie et à la jeunesse d’Algérie. Les fautes et les crimes du passé furent impardonnables. Mais c’est sur notre capacité à conjurer l’intolérance, le fanatisme et le racisme qui préparent les crimes et les guerres de demain que nos enfants nous jugerons.

[…]

La suite du discours : sur le site du Président de la République.

Sur un goût d’inachevé…

[par Ahmed Boudraâ & A. Boumaza, El Watan du 6 décembre 2007]

L’argumentation développée par le président français Nicolas Sarkozy, dans son discours prononcé à Constantine hier, est pour le moins étrange, controversée, sinon ambiguë.

De fait, d’une part, il a fustigé le système colonial à tout bout de champ et, de l’autre, il dit que « beaucoup de ceux qui étaient venus s’installer en Algérie étaient de bonne volonté et de bonne foi, (qu’) ils étaient venus pour travailler et pour construire, sans l’intention d’asservir ni d’exploiter personne, mais (que) le système colonial était injuste par nature et (qu’) il ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation ». Si l’on suit son « raisonnement », ce système colonial n’aurait rien à voir avec la France, et que ce serait une chose abstraite, sinon des extraterrestres qui l’auraient instauré !

En faisant des éloges sur le passé de Constantine, de son cosmopolitisme à travers l’histoire, il en vient à évoquer la résistance de Constantine en 1837, et à relever « cette journée terrible du 20 août 1955 où chacun fit couler le sang pour la cause qui lui semblait la plus juste et la plus légitime ». Nuance, un seul côté a fait couler le sang des Algériens au stade de Skikda (Phillipeville), ce fut le massacre à ciel ouvert ! Il n’oublie pas les martyrs de la Révolution algérienne ni « les victimes innocentes d’une répression aveugle et brutale », et il n’oublie pas non plus « ceux qui ont été tués dans les attentats et qui n’avaient jamais fait de mal à personne, ni ceux qui ont dû tout abandonner : le fruit d’une vie de travail, la terre qu’ils aimaient, la tombe de leurs parents, les lieux familiers de leur enfance ».

Cependant, comme on le voit, est-ce la nostalgie de l’Algérie française qui fait oublier l’histoire et la « nature (même) du système colonial », si on le prend à ses propres mots ? En effet, il aurait carrément pu dire ceci : « Des Français seraient venus en touristes en Algérie ou en investisseurs, ils auraient acheté des terres à des Arabes bien gentils, terres qu’ils auraient travaillées avec leurs propres mains !… Il n’y aurait jamais eu de dépossession, de spoliation de terres, il n’y aurait pas eu d’ouvriers agricoles… et de massacres, d’enfumades, de douleurs et de misère, lot quotidien des « indigènes ». » Un discours qu’il voudrait apaisant pour les uns et les autres, mais dénué de sens, voire truffé de contre-vérités. Donc, point d’excuses pour les crimes et les massacres commis au nom de la France, pas seulement lors de la guerre de libération, mais ceux perpétrés dans les années 1930 et surtout ceux du 8 mai 1945, là où c’étaient les civils constitués en miliciens pour commettre l’innommable…

C’est juste ainsi qu’il fustigera le système colonial, puis comme pour répondre au ministre des Moudjahidine, il le fera aussi pour l’antisémitisme, qui « n’est pas qu’un crime contre les juifs, c’est un crime contre tous les hommes et un crime contre toutes les religions » ! Puis viendront des propositions. Par exemple, « en 2008, j’organiserai en France les assises de l’enseignement de la langue et de la culture arabes », dira-t-il. Il fera le parallèle entre l’amitié franco-allemande et celle espérée avec l’Algérie, mais dans le cadre de l’union de la Méditerranée.

Il dira à ce propos ceci : « Comme la France offrit jadis à l’Allemagne de construire l’union de l’Europe sur l’amitié franco-allemande, elle offre aujourd’hui à l’Algérie de bâtir l’union de la Méditerranée sur l’amitié franco-algérienne. » Mais il a oublié (encore une fois !) qu’Adenauer avait reconnu les crimes du nazisme et, officiellement et solennellement, présenté ses excuses au nom de la nation allemande. Une autre proposition, « l’Algérie et la France se sont mises d’accord pour réfléchir à la mise en œuvre d’une politique d’immigration ».

Encore une autre de Sarkozy, celle de « réfléchir à la création d’une université commune franco-algérienne ». En tout état de cause, le bilan que l’on pourrait tirer du discours et de la visite du président français en Algérie indique clairement, encore une fois, que les deux pays ont raté une occasion sérieuse de dépasser les clivages historiques qui pèsent sur leurs relations et que l’Algérie demeure frustrée du fait que Sarkozy n’a présenté aucune excuse sur les crimes commis par le colonialisme. Au lieu de cela, Nicolas Sarkozy a, dès son retour en France, hier, rendu hommage aux harkis. « Il est légitime et juste que les harkis reçoivent l’hommage solennel de la nation », a déclaré le président français lors d’un discours prononcé devant la présidence des associations d’anciens combattants d’Afrique du nord et de rapatriés harkis. « Car pour les harkis aussi, si les accords d’Evian ont scellé la fin des hostilités militaires, ils n’ont pas marqué la fin des souffrances », a-t-il ajouté à l’occasion de la journée d’hommage annuel aux combattants morts pour la France pendant la guerre d’Algérie. « D’autres épreuves, douloureuses, sont venues s’ajouter aux peines endurées au cours de huit années de guerre », a-t-il dit. « Pour la France, il s’agit aujourd’hui d’une question d’honneur. Il faut réparer les fautes qui ont été commises », a poursuivi M. Sarkozy. A bon entendeur…

Ahmed Boudraâ & A. Boumaza

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