Nelly Forget est née en 1929 à Paris. Elle est marquée par l’engagement syndical et politique de sa mère, puis, durant l’Occupation, par les persécutions antisémites qui touchent ses camarades de lycée. A 19 ans, elle abandonne ses études et s’engage comme volontaire de longue durée dans le Service Civique International (SCI).
En 1951, elle part en Algérie où, à l’âge de 22 ans, elle prend en charge la branche algérienne du SCI. Lectrice des reportages d’Albert Camus, du journal Combat et de L’Observateur, critique du colonialisme, elle est frappée par « le racisme quotidien et violent » qui règne à Alger. « Une française ne fréquente pas les bicots », lui assène-ton par exemple lors d’un contrôle de police. Elle constate notamment l’impact dans la population algérienne des massacres de mai et juin 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata. Elle est aussi témoin lors d’une élection d’un scrutin « surveillé » par l’administrateur français dans un village. Estimant que son poste doit être occupé par un Algérien, elle obtient la nomination de Mohamed Sahnoun, qui sera après 1962 ambassadeur d’Algérie en France.
Après un chantier « pelle et pioche » en Kabylie, elle travaille auprès de Marie-Renée Chéné, pionnière de l’action sociale en Algérie, dans l’un des très nombreux bidonvilles d’Alger, celui de Berardi-Boubsila, à la limite entre Maison Carrée et Hussein Dey. Là, les 6000 bidonvillois vivent dans des gourbis de cartons et de branchages, ne disposant que de quatre points d’eau, d’aucun dispensaire et d’aucune école. Les Européens du SCI n’y tiennent généralement guère plus que quelques semaines. Une école y est installée par le SCI. Le travail social dans ce bidonville attire alors de nombreux Européens et Algériens.
Nelly Forget rentre alors en France pour faire des études d’assistante sociale. A Paris, elle rencontre en septembre 1955 Germaine Tillion, qui l’intègre à son projet de création de Centres Sociaux, dont Nelly Forget est l’une des fondatrices. Au grand dam de ses amis, elle emménage à Alger dans une cité de recasement où elle est la seule Européenne.
En janvier 1957, commence la « bataille d’Alger ». Le général Massu étend rapidement la répression qui frappe déjà les nationalistes algériens et les communistes aux « chrétiens libéraux » et aux Centres Sociaux, soupçonnés, en raison de leur proximité avec les « musulmans », de complicité avec le FLN. Après la répression de la grève des 8 jours du FLN (28 janvier- 4 février 1957), observée par tous les habitants de sa cité surveillée en permanence par des hélicoptères, Nelly Forget reçoit une première visite de parachutistes à la mi-février 1957. Ils cherchent son amie Chafika Messlem, qu’ils prennent à tort pour l’adjointe du dirigeant du FLN Larbi Ben M’Hidi.
Une semaine plus tard, dans la nuit du 26 au 27 février 1957 à 3 h 30 du matin, Nelly Forget est enlevée par des parachutistes du 1er REP, commandés par le capitaine René Faulques. Ceux-ci découvrent dans son appartement un stock de médicaments et une machine à écrire qu’ils estiment destinés aux maquis du FLN, alors qu’ils doivent servir à un Centre Social. Nelly Forget est conduite cagoulée à la Villa Sésini, centre de torture du 1er REP déjà bien connu comme tel. Après « à peine cinq minutes d’interrogatoire », dans le Café Maure des jardins de la villa, elle est torturée selon les normes en vigueur dans l’armée française : à l’eau et à l’électricité, couchée sur une échelle, les mains trempées dans une bassine. La seule question est « Où est Chafika ? ». On peut lire ici sa déposition. Après environ une heure de supplice, sur le point de perdre connaissance, elle est portée dans une cellule où elle restera quatre semaines, de même qu’une dizaine d’autres femmes, toutes torturées dès leur arrivée, en guise, dit-elle, de « mise en condition ». Elle a connaissance durant sa détention d’une mort sous la torture. L’infirmerie est tenue par un ancien Waffen SS – plusieurs font partie du 1er REP -, dont elle souligne qu’il fut le seul à avoir montré « gentillesse et respect » aux détenues. Comme l’indique une archive conservée par le secrétaire général à la préfecture d’Alger Paul Teitgen, pour masquer sa détention clandestine dans un centre de torture, le lieutenant Brothier a indiqué de façon mensongère à la préfecture que Nelly Forget avait été assignée à résidence au « centre de tri » de Beni Messous.
Nelly Forget est ensuite placée « en convalescence » avec d’autres femmes à la Villa Mireille, puis présentée à un juge d’instruction et incarcérée à la prison de Barberousse. Elle est désormais inculpée d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État, pour avoir hébergé Chafika Messlem et surtout la militante activement recherchée du Parti communiste algérien (PCA) rallié à la lutte armée Raymonde Peschard, à laquelle l’armée française attribue faussement la responsabilité des attentats commis par le FLN. Son procès s’ouvre en juillet 1957. Or, quelques semaines auparavant, Raymonde Peschard a étrangement été acquittée « à titre posthume » par un tribunal et ce, alors qu’elle ne sera tuée au maquis que bien plus tard, en novembre 1957. Sans doute cet acquittement à titre posthume a-t-il servi à maquiller la mort d’une autre suspecte détenue, selon Nelly Forget. Quoiqu’il en soit, il fait tomber la principale accusation à son encontre. Elle est acquittée par le tribunal militaire. Elle rentre en France, où elle est ensuite selon elle ostracisée par la Fédération de France du FLN, en raison de sa proximité avec Germaine Tillion. Le 15 mars 1962, elle apprend l’assassinat à Château-Royal de six inspecteurs des Centres Sociaux par l’OAS.
Fabrice Riceputi
Sources : Grands entretiens « Algérie en guerre(s) », INA ; Notice Nelly Forget du site 1000autres.org ; entretien avec Nelly Forget par Fabrice Riceputi, octobre 2016.