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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Sur la chaîne Place Audin : l’assassinat de Chateau-Royal par Jean-Philippe Ould Aoudia

Jean-Philippe Ould Aoudia revient sur l'assassinat de Château-Royal le 15 mars 1962

Le 15 mars 1962 à Alger, six dirigeants et enseignants des Centres Sociaux Éducatifs, créés par Germaine Tillion, sont assassinés par un commando de l’OAS. Le fils d’une des victimes raconte son enquête sur le meurtre de Marcel Basset, Robert Eymard, Mouloud Feraoun, Ali Hammoutène, Max Marchand et Salah Ould Aoudia, trois jours avant la signature des accords d’Evian. Nous complètons cette vidéo de « Place Audin » par la lettre que reçut Jean-Philippe Ould Aoudia de l’historien Pierre Vidal-Naquet à la sortie de son livre L’assassinat de Château-Royal, Alger : 15 mars 1962 (Tirésias, 1992).


Lettre de Pierre Vidal-Naquet à Jean-Philippe Ould Aoudia (14 février 1992)

« À l’heure où ce sont les bourreaux qui accusent …

… Trente ans se sont écoulés depuis cette journée dont vous retracez l’avant, le pendant et l’après. D’un seul coup, vous m’avez replongé dans un monde que, plus ou moins confusément, j’espérais avoir oublié. La guerre d’Algérie n’a pas manqué d’événements horribles. Les deux parties au conflit y ont contribué. Français, j’estime toujours que les crimes français sont plus anciens, plus nombreux et en dernière analyse, plus graves. Les crimes de l’O.A.S. sont aussi nos crimes. Dans un texte que vous citez, François Mauriac écrivait : « Cette boucherie répond à un calcul. Elle a été conçue par une réflexion lucide ». Germaine Tillion, elle, parlait des « calculs imbéciles des singes sanglants qui font la loi à Alger ». Hélas, ces singes, nous ne pouvons pas les désavouer. Vous le montrez admirablement, l’attaque contre les Centres sociaux est venue de l’armée, et notamment du général Massu qui fut en pratique préfet d’Alger pendant un peu plus de trois ans. Cette attaque s’est développée dans les propos des accusés, tous acquittés d’ailleurs, du procès des barricades. Le colonel Gardes, par exemple, avait désigné les hommes des Centres sociaux comme des ennemis à abattre. Quant à Jacques Soustelle, mon ancien collègue des Hautes Etudes en Sciences Sociales, et qui aurait pu tenir à honneur d’avoir fondé ces Centres, il s’est tu. Les tueurs du 15 mars ont agi aussi en son nom.

Parmi ces hommes, il y avait votre père, Salah Ould Aoudia. Vous le décrivez prenant tranquillement ses lunettes, sous l’œil courtois et attentif des tueurs, le lieutenant Degueldre et ses amis. Qu’un homme cherche à savoir comment est mort son père, qu’il cherche à le savoir jusque dans les plus infimes détails, jusque dans le plus minuscule enchaînement des événements, je ne puis que le comprendre, en homme qui voudrait désespérément en savoir autant pour ses propres parents. Vous avez mené l’enquête avec une probité et un sérieux admirables. Vous avez mis le doigt sur l’absence singulière à la réunion de Château-Royal de René Petitbon, directeur du Service de formation de la jeunesse en Algérie et qui était, à l’époque, en négociation avec les tueurs de l’O.A.S. A-t-il été averti ? C’est une question qu’on peut se poser, que vous posez avec discrétion.

Trois jours après le meurtre, Lucien Paye, ministre de l’Éducation nationale, prononçait aux obsèques une allocution. Je viens, grâce à vous, de la relire avec émotion. Parmi les paroles officielles qui ont été prononcées pendant ces longues années de guerre, elle est une des rares qui m’avait ému. Elle sonnait juste au milieu des conventions et des mensonges. Mais il faut bien le dire, ces paroles n’ont pas été suivies d’effets. Personne n’a été inculpé pour avoir tué Max Marchand, Salah Ould Aoudia, Mouloud Feraoun, Robert Aimard, Marcel Basset, Ali Hammoutène. Roger Degueldre a été condamné à mort et exécuté sans que ce crime-là figure à son dossier. Et vous montrez qu’on a pu écrire sans rire que cet assassinat n’a pas été cautionné par le général Salan. A l’heure où ce sont les bourreaux qui accusent et les victimes qui sont passées par profits et pertes, il est bon de rappeler ce que fut l’assassinat de Château-Royal. Merci de l’avoir fait. Merci d’être fidèle.

Croyez à toute mon amicale sympathie.

Pierre Vidal-Naquet

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