La biographie de Maryse Condé (1934-2024), publiée par la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME), est suivie d’un l’article que Muriel Steinmetz lui a consacré dans le quotidien L’Humanité et du film que France 5 a diffusé le 7 avril 2024, réalisé par Stéphane Correa et intitulé « Maryse Condé, la liberté d’écrire ».
Maryse Liliane Appoline Boucolon
Née en Guadeloupe en 1934, Maryse Condé est une journaliste, professeure de littérature et écrivaine de renommée mondiale. Elle a travaillé comme journaliste culturelle à la British Broadcasting Corporation (BBC) et à Radio France internationale (RFI). Fondatrice du Centre des études françaises et francophones à l’université Columbia, elle contribue ainsi à faire connaître la littérature francophone aux États-Unis. Elle a publié de nombreux romans ancrés dans la mémoire de l’esclavage et de la colonisation, dont Ségou et Moi Tituba, sorcière…
En 2018, Maryse Condé est consacrée par le prix Nobel « alternatif » de littérature, à l’issue d’une consultation qui a réuni plus de 32 000 contributions du monde entier. Maryse Condé « décrit les ravages du colonialisme et le chaos du post-colonialisme », déclare la Nouvelle Académie mise en place pour attribuer ce prix en l’absence du jury Nobel cette année-là. Maryse Condé dira : « En France, je n’ai jamais eu le sentiment que l’on écoutait vraiment ce que j’avais à dire. Je suis habituée à être un peu marginalisée. Aussi, cela m’étonne que ce soit un pays tel que la Suède, un pays voisin de la France, qui estime que ce que je dis et ce que je suis est important. » (Jeune Afrique).
Maryse Condé est née Maryse Liliane Appoline Boucolon, en février 1934 à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, dans une famille qui l’a toujours poussée à lire et à étudier. A 19 ans, elle rejoint l’hexagone pour réaliser ses études d’hypokhâgne puis d’anglais à la Sorbonne, comme Paulette Nardal trente ans avant elle.
Elle découvre le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, et qu’elle prend conscience de sa condition de « colonisée ». Cette conscience ne l’a jamais quittée. A Paris, elle rencontre aussi le comédien guinéen Mamadou Condé qu’elle épouse. Avec lui, elle part s’installer en Guinée en 1961, puis au Sénégal et au Ghana avec ses quatre enfants à la suite de son divorce.
De retour dans l’hexagone, elle rejoint la rédaction de la revue Présence Africaine et publie son premier roman Hérémakhonon, dans lequel elle revient sur ses désillusions dans la Guinée de Sékou Touré. Elle poursuit ensuite une oeuvre ample pénétrée par l’empreinte du passé, autour de cet « Atlantique noir » qui relie l’Europe, l’Afrique et l’Amérique : Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem ressuscite les Etats-Unis du 17ème siècle, quand son best-seller Ségou (1984) évoque l’Afrique qui bascule dans la colonisation.
Après être retournée un temps sur son île natale en Guadeloupe, elle s’installe aux États-Unis où elle enseigne la littérature à l’université de Columbia. Puis, elle a vécu à Gordes, dans le sud de la France, avec son mari Richard Philcox.
Au cours d’une carrière de près d’un demi-siècle en tant qu’écrivaine, elle a publié une trentaine de romans couronnés par de nombreuses récompenses telles que le grand prix littéraire de la Femme en 1986, celui de l’Académie française en 1988 pour son livre La Vie scélérate, récit autobiographique de son enfance, ou encore le prix Marguerite-Yournecar en 1999. En mars 2020, la romancière guadeloupéenne reçoit la Grand-Croix de l’ordre national du Mérite par le président Emmanuel Macron.
Son dernier livre, le roman L’Evangile du nouveau monde, publié en 2021, transplante le Nouveau Testament dans la Guadeloupe contemporaine.
Militante de la mémoire, engagée contre le colonialisme, elle a été la première présidente du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage ( 2004-2009), qui deviendra le comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage – CNMHE, et sera remplacé par la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage en 2019.
Elle a été depuis membre du conseil scientifique de la FME.
Elle décède le 2 avril 2024 à Gordes.
Maryse Condé (1934 – 2024), plusieurs vies de combat
par Muriel Steinmetz, publié dans L’Humanité le 2 avril 2024.
La grande romancière guadeloupéenne au caractère bien trempé s’est éteinte à l’âge de 90 ans, laissant une somme d’œuvres d’importance, le plus souvent sur l’esclavage, la colonisation et le racisme, contre lesquels elle a lutté sans relâche.
Maryse Condé, la grande romancière née en Guadeloupe, s’est éteinte hier à Apt (Vaucluse), à l’âge de 90 ans. On la savait depuis longtemps atteinte d’une longue maladie dégénérative héréditaire, qu’elle nommait « maladie de Boucolon », du nom de son père. Elle vécut longtemps en Afrique (Côte d’Ivoire, Guinée, Ghana, Sénégal). Elle fut révélée au monde des lettres grâce à Ségou (1984), une saga située au Mali à la fin du XVIIIe siècle, dans le royaume polythéiste et animiste des Bambaras, bientôt touché par l’esclavage et la colonisation.
L’ensemble de son œuvre considérable – romans, essais, pièces de théâtre – constitue un puissant poing levé contre toutes les formes de racisme. Elle a connu les leaders des indépendances, serré la main de Malcom X et a été la première présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage.
Une voix majeure de la littérature des Caraïbes et de l’Afrique
On l’avait rencontrée à Paris, en septembre 2021, escortée de son époux et traducteur, Richard Philcox, à qui elle avait dicté son dernier roman, l’Évangile du Nouveau Monde. Certes diminuée mais toujours en verve, elle nous parlait du héros du livre, un sang-mêlé – métis –, dont elle disait : « Pour éviter qu’il y ait des séquelles des erreurs du passé et du présent, j’ai voulu que Pascal soit métis. Il a toutes les ”races” en lui, d’ailleurs le mot race n’existe pas, et il peut parler avec plus d’autorité. »
En 2018, fort d’un jury populaire de 32 000 personnes appelées à voter dans le monde entier, le prix Nobel alternatif lui était décerné, couronnant en termes choisis cette voix majeure de la littérature des Caraïbes et de l’Afrique : « Avec un langage précis, Maryse Condé décrit les ravages du colonialisme et le chaos du post-colonialisme. » Depuis le village de Gordes, dans le Luberon, où elle résidait, Maryse Condé déclara : « Les Français n’ont jamais voulu entendre la voix de la Guadeloupe. Je suis heureuse qu’enfin cette voix singulière soit reconnue. »
Maryse Liliane Appoline Boucolon naît le 11 février 1934, à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), dans une famille de huit enfants. Sa mère est l’une des premières institutrices noires de l’île. Son père, pupille de la nation, crée une banque locale. « Mes parents ont eu des enfances terribles, nous confiait-elle. Ils ne savaient ni l’un ni l’autre qui était leur père. » Sa grand-mère maternelle « était servante et se louait chez les Blancs créoles et la mère de mon père est morte brûlée vive dans sa case ».
À 12 ans, elle a lu tout Victor Hugo après avoir, deux ans plus tôt, dévoré les Hauts de Hurlevent. « Un jour, disait-elle, j’écrirai des livres aussi beaux. » Elle quitte son île à 16 ans, direction Paris, pour faire hypokhâgne et khâgne à Fénelon, avant la Sorbonne. À 19 ans, l’étudiante se retrouve… fille-mère, escortée d’un fils, fruit de ses amours avec Jean Dominique, un journaliste haïtien qui l’abandonne mais lui ouvre aussi les fenêtres du monde, notamment sur Haïti, l’ancrant dans le monde de la révolte.
C’est en 1959, après s’être mariée à Paris avec le Guinéen Mamadou Condé, qu’elle part en Afrique, en quête de ses racines. Le destin ne la ménage pas. Dans la Vie sans fards, tentative d’autobiographie à la manière de Jean-Jacques Rousseau, elle avouera que sa première rencontre avec le continent de ses ancêtres n’a pas été « un coup de foudre ».
En Guinée, Maryse Condé se politise au contact d’amis marxistes
Elle prend conscience du racisme des Africains envers les Antillais et du repli de ces derniers lorsqu’ils vivent sur place. Elle ne porte ni pagne ni boubou et refuse d’apprendre les langues. On se moque d’elle. « La couleur est un ”épiphénomène” », songe-t-elle, en écho à Frantz Fanon qui, nous confiait-elle encore, « est (s)on maître à tous égards. Sans lui, (elle) ne saurai(t) penser. (Elle) a besoin de lui pour comprendre le monde ». C’est en Guinée, « seul pays d’Afrique francophone à se vanter de sa révolution socialiste », que Maryse Condé s’est politisée, au contact d’amis marxistes. Elle y assiste aussi aux premières purges décrétées par Sékou Touré. Du Ghana, elle est expulsée après la chute de Nkrumah. « La vie, note-t-elle alors, continuait son train de mégère boiteuse. »
Elle obtient un doctorat de littérature comparée sous la direction de René Étiemble. Son sujet : « Le stéréotype du Noir dans la littérature africaine ». En 1976, elle publie son premier roman, Hérémakhonon, ce qui veut dire, en malinké, « le bonheur n’est pas dedans ». Il s’agit du récit de sa vie en Guinée sous Sékou Touré. Après son divorce, elle rencontre Richard Philcox, elle l’épouse. En 1984, avec Ségou, c’est le succès.
Ensuite, ayant payé sa dette intellectuelle envers l’Afrique, très engagée au sein de Présence africaine, elle se rend aux Antilles et aux États-Unis, où elle restera vingt ans. Elle y enseigne à l’université de Columbia, où elle fonde le Centre des études françaises et francophones.
De sa quête des origines naîtront Moi, Tituba sorcière… (1986), un récit d’esclave, dont la version anglaise est accompagnée d’une préface d’Angela Davis. À mentionner aussi, la Vie scélérate (prix de l’Académie française en 1987) et Traversée de la mangrove (1989), la Migration des cœurs (1995), En attendant la montée des eaux (2010), le Fabuleux et Triste Destin d’Ivan et d’Ivana (2017)…
Elle a présidé le Comité pour la mémoire de l’esclavage, créé en janvier 2004. Son rapport sur l’enseignement de ce passé dans les écoles a été déterminant dans l’institution de la date du 10 mai comme journée de commémoration de l’esclavage. Elle se voulait indépendantiste mais, disait-elle, « depuis cinquante ans, on essaie de devenir indépendants, on n’y arrive pas ».