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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
dessin E. Gros - 1906

Marseille, de l’exposition coloniale de 1906 au mémorial de la France outre-mer

Après une première approche du mémorial de Marseille, nous revenons sur ce projet qui soulève bien des interrogations ...

Il y a un siècle, Marseille accueillait la première exposition coloniale française

dessin E. Gros - 1906
dessin E. Gros – 1906

Avec ses colonies d’Ancien Régime et les territoires conquis ou contrôlés entre 1830 et la fin du XIXe siècle, l’Empire français recouvre près de douze millions de km² majoritairement situés en Afrique et en Indochine ; Marseille est alors la « porte de l’Orient », le grand port du commerce colonial.

La ville bénéficie du doublement des échanges intervenu entre 1897 et 1901 ; il sera multiplié par cinq dans la décennie suivante pour atteindre un total dépassant 1 824 millions de francs.

L’exposition coloniale de Marseille illustre le concept de la mission civilisatrice de la France, développé par Jules Ferry. Elle attire, entre avril et novembre, 1 800 000 visiteurs qui admirent une cinquantaine de pavillons, répartis sur 24 hectares, au niveau du rond-point du Prado, entre les boulevards Michelet et Rabatau.

Ce succès est dû en partie à Jules Charles-Roux qui avait dirigé en 1900 la section coloniale de l’Exposition universelle de Paris et était vice-président de la Compagnie universelle de Suez depuis 1896 et président du Comité central des armateurs de Provence.

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Ce succès est dû en partie à Jules Charles-Roux qui avait dirigé en 1900 la section coloniale de l’Exposition universelle de Paris et était vice-président de la Compagnie universelle de Suez depuis 1896 et président du Comité central des armateurs de Provence1.

L’exposition de 1906 fut suivie de deux autres expositions coloniales en France : d’abord à Marseille en 1922, et enfin l’exposition coloniale internationale de Paris en 1931.

Un siècle plus tard, le Mémorial national de la France outre-mer2, dont l’inauguration est prévue pour le printemps 2007, continue de soulever bien des interrogations3
En témoignent les extraits repris ci-dessous d’un article de Rémi Leroux et Benoît Gilles4 :

L’idée d’un « Mémorial de l’oeuvre française outre-mer » est une revendication ancienne des associations de rapatriés. Adjointe au maire UMP en charge des rapatriés, Solange Moll est une des ardentes militantes de cette institution mémorielle. « Nous avons toujours eu au fond du coeur cette mémoire que l’on aimerait faire connaître à nos enfants et petits-enfants nés en métropole, résume-t-elle. Un Mémorial leur permettrait de voir l’oeuvre accomplie par nos aïeux sur cette terre française d’Algérie.» Les associations de rapatriés et l’élue en charge de ces questions ne font pas de nuance quant au rôle positif que la colonisation a joué à leurs yeux, notamment en Algérie. Leur revendication de voir naître un lieu de mémoire dans la première ville qui les a accueillis – non sans difficultés – a fini par aboutir en 2000 sous la forme d’un projet municipal dédié à « l’oeuvre française outre-mer ». Soutenu par le gouvernement, le Mémorial devint même projet national en 2003. Non sans déclencher des débats dignes d’un autre temps au conseil municipal d’octobre de cette même année.

Noms d’oiseaux. Alors qu’Annick Boët, au nom du groupe communiste, interrogeait le maire sur la composition du comité scientifique 5 constitué autour de ce projet, le débat politique tourna à l’empoignade. Titillé par le socialiste Patrick Mennucci sur la définition de « l’œuvre française», Jean-Claude Gaudin s’exclamait même : « L’œuvre française, ce sont des personnes qui ont par leur culture, par leur voix, apporté la civilisation, qui ont soigné des malades, qui ont instruit des gens et qui, quelquefois, ont été tuées dans ces pays. Voilà ce que c’est !»
6.

Ensuite, la passion est quelque peu retombée à Marseille, notamment après que les historiens Jean-Jacques Jordi et Jean-Pierre Rioux – deux historiens reconnus, spécialistes, entre autres, de l’Algérie – ont été nommés respectivement directeur du Mémorial et président de son conseil scientifique. «La position du conseil scientifique est simple, rappelle Jean-Jacques Jordi, nous continuons à faire de l’histoire. Nous sommes des historiens du fait colonial et des décolonisations. Nous comparons pour comprendre, pas pour juger. En aucun cas, le Mémorial ne peut être un instrument de la loi contre l’histoire.»

Mais, depuis un an, le débat national a ranimé les passions. Le Mémorial est pris dans ses remous et provoque tout à la fois attentes et scepticisme. Septicisme que manifestent certains historiens locaux, spécialistes de l’histoire coloniale. « Je ne comprends pas de quoi il s’agit. Un monument aux morts ? ironise Karima Dirèche-Slimani, historienne, chargée de recherche au CNRS qui travaille actuellement à un Cédérom pédagogique sur la colonisation. Je ne sais pas ce que signifie le terme France d’outre-mer. Je ne suis pas contre les commémorations, mais il faut être clair. J’aurais préféré que l’on fasse un musée de la colonisation.» Un sentiment partagé par Emile Temime, spécialiste de l’histoire des migrations à Marseille. «On confond constamment commémoration et travail de l’historien. Or, il ne faut pas que les historiens deviennent la caution qui donne de
la valeur aux mémorialistes.
» D’ores et déjà, le Mémorial apparaît tiraillé entre des intérêts difficiles à concilier.

Exclues du comité scientifique, les associations française de rapatriés s’accrochent à la présence de symboles signifiants : la présence du drapeau français, la commémoration de la manifestation du 26 mars au cours de laquelle l’armée française tirait sur une manifestation de Français d’Algérie. Pour ces associations, l’objectif est clair : servir une vérité, exhausser leur mémoire et non pas faire œuvre d’histoire. «De toute façon, les historiens sont tous de gauche. Les colonisateurs qui faisaient suer le burnous toute la journée, c’est une histoire qui plaît à tout le monde, mais ce n’est pas la vérité, lâche Solange Moll. Même le mot de colonisation ne correspond pas à la réalité de ce que nos grands-parents ont édifié. Ils ont construit des routes, des barrages, des dispensaires, des hôpitaux, nous avons enrichi ce pays. C’est cela aussi, notre mémoire. »

« Voilà le genre d’idées reçues qui me font bondir, réagit Karima Direche-Slimani. Les guerres de conquête sont toujours les plus violentes, et celle de l’Algérie fut d’une violence inouïe. Il suffit de relire les mémoires de ses conquérants. De la même façon, à propos des routes et des chemins de fer, on oublie de dire qu’ils servaient avant tout à acheminer les matières premières vers la métropole. On est là dans une mémoire particulière, subjective. C’est un filtre. Le risque c’est qu’une mémoire prenne le pas sur une autre et qu’on réveille l’immense refoulé qui existe. En particulier sur la question algérienne.»

Ecrire l’histoire plurielle. Discours de l’émotion et du vécu contre démarche pointilleuse, exigeante et contradictoire des historiens. Visiblement, l’abrogation attendue de la loi de février 2005 ne calmera pas cette lutte stérile entre mémoire(s) et histoire. Pour Jean-Jacques Jordi, «les différentes mémoires coloniales ont besoin du recours à l’histoire pour être entendues. Certaines sont encore souffrantes. elles se sont élaborées indépendamment les unes des autres et en dehors de tout discours cohérent. Chaque groupe ayant eu tendance à privilégier son histoire et sa mémoire. Chaque mémoire étant devenue « officielle ». Il n y a pas eu en France de lien établi entre la recherche scientifique et les connaissances de monsieur tout le monde. » […]

Depuis le XIXe siècle, le peuplement de la ville est directement lié à l’arrivée de populations immigrées, d’Italie, d’Espagne, d’Arménie mais aussi des colonies. Dès 1905, on fait venir des travailleurs kabyles sur le port pour casser la grève des dockers italiens. Ce recours à la main-d’oeuvre ne va jamais cesser, alimentant l’idée que Marseille est une « ville coloniale » ou plus exactement une ville des colonies en métropole. […]

Le long de l'escalier de la gare Saint-Charles.
Le long de l’escalier de la gare Saint-Charles.

Or, ces Marseillais, arrivés au temps des colonies ou après leur indépendance, sont eux aussi porteurs d’une expérience de la colonisation qui reste encore à recueillir. «Est-ce que la France va continuer à jouer une mémoire contre une autre ou va-t-on enfin permettre qu’une communauté puisse entendre la mémoire et la souffrance de l’autre ?» s’interroge ainsi Jean-Jacques Jordi.
Ce sera tout l’enjeu du Mémorial marseillais : permettre à toutes les mémoires de cette ville d’y trouver leur place. Et malgré toute la bonne volonté des historiens, le risque n’est pas encore totalement levé de voir cet « outil » commun devenir l’instrument d’une mémoire accaparée, écrite au singulier.

Rémi Leroux et Benoît Gilles

  1. Présentation reprise de http://www.culture.fr/Groups/archives_et_histoire/article_78_fr.

    De très nombreuses photos de l’exposition de 1906 sont accessibles à partir de la page suivante http://www.agence-raybaudi.org/photo/expo_1906/imgcol/contact_1.htm.

    Sur Jules Charles-Roux, voir http://www.marseille-innov.org/developpement/archivesmunicipales/roux.html.
  2. Une présentation du mémorial, sur le site de la mairie de Marseille.
  3. Certes l’article 4 de la loi du 23 février 2005 a été amputé de sa partie la plus contestable, mais la participation de l’Etat à la réalisation du Mémorial avait été soulignée lors de la présentation du projet de loi en conseil des ministres le 10 mars 2004 : http://www.premier-ministre.gouv.fr/acteurs/gouvernement/conseils-ministres_35/conseil-ministres-10-mars_340/reconnaissance-nation-contribution-nationale_50710.html .
  4. Extraits de l’article Marseille face à son passé colonial, publié dans Marseille l’Hebdo, le mercredi 18 janvier 2006.

  5. En dehors de Jean-Pierre Roux et de Jean-Jacques Jordi, le conseil scientifique du Mémorial national de l’outre-mer de Marseille comporte notamment : Eric Deroo, Maurice Faivre, Jacques Frémeaux, Guy Pervillé, Jacques Valette (Voir l’arrêté – NOR : PRMX0407185A – du Premier ministre en date du 1er mars 2004).

    On lira avec intérêt la lettre de démission de Daniel Hémery adressée à Jean-Pierre Roux en 2001.
  6. Le groupe des élus communistes devait protester, dans un communiqué de presse du 6 octobre 2003, « devant les propos scandaleux du maire de Marseille [qui a] éclairé le sens profond du mémorial, reprenant la vieille démarche colonialiste : « l’œuvre francaise qui a apporté la civilisation ».» «Et traitant de la libération de ces peuples [du Maghreb] , il a repris à son compte, les propos des tenants de l’Algérie Française et des activistes de l’OAS, traitant les Conseillers Municipaux Communistes et Partenaire de porteurs de valise et d’assasins […]»
    http://www.grand-angle-marseille.com/ga/mainga.php3?type=gc&rub=b&num=15.
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