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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
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loi sur les archives: l’administration encore plus opaque

Paul Moreira et Luc Hermann sont les initiateurs de la campagne Liberté d’Informer qui réclame plus de transparence dans l’administration française. Dans cet article, initialement publié le 22 avril 2008 sur Rue89, les deux journalistes dénoncent le projet de loi amendé et adopté par le Sénat visant à limiter considérablement l’accès aux archives.

Liberté d’Informer dénonce le projet de loi adopté par le Sénat et visant à considérablement limiter l’accès aux archives. Le 29 avril, les députés examineront à leur tour ce projet.

Encore une fois, un effet d’annonce suivi du contraire absolu de ce qui avait été promis: un Etat plus moderne, plus transparent, plus accessible au citoyen. Voilà ce que semblait afficher Nicolas Sarkozy.

Lors du Grenelle de l’Environnement, une mission d’experts a même été confiée dans ce sens à Corinne Lepage. Un responsable de Liberté d’Informer y a participé. Sa mission était claire: amener les relations entre le citoyen et l’administration vers plus de transparence. En effet, l’administration française, du fait d’une profonde culture d’opacité et de protection excessive du secret, refuse de transmettre des données vitales pour la santé publique.

Une étude de Monsanto tenue secrète en France, accessible en Allemagne

Ainsi, une étude de Monsanto sur les OGM, tenue secrète par le ministère de l’Agriculture et démontrant des problèmes sur des cellules du foie chez les rats, n’a pu être obtenue qu’à travers l’Allemagne, grâce à sa loi plus souple sur l’accès aux documents. Savez-vous qu’il faut attendre plusieurs dizaines d’années pour que l’administration transmette des données aussi simples que le débit des fleuves?

Alors que la mission d’experts Lepage propose un alignement du droit français sur celui des autres grandes démocraties occidentales, les parlementaires de l’UMP rendent de plus en plus difficile l’accès aux archives.

Lancée en 2004, la campagne Liberté d’Informer réclame l’adoption en France d’une loi « Freedom of Information Act »; comme aux Etats-Unis, en Angleterre et dans les pays scandinaves où la transparence fait loi et le secret exception.

En Suède, on obtient en une journée l’itinéraire des convois de matières nucléaires

Ainsi, aux Etats-Unis, des journalistes ont utilisé les possibilités de la loi pour obtenir du Pentagone la déclassification de l’identité de centaines de détenus de Guantanamo et les premières images des cercueils des soldats américains morts en Irak et en Afghanistan, que l’administration Bush cherchait à cacher par crainte d’une réaction négative de l’opinion publique.

En Angleterre, la nouvelle loi a contraint le ministère de la Défense d’exhumer de ses archives des documents qui révèlent que Londres avait organisé et installé un programme de torture secret dans l’Allemagne occupée par les Alliés à l’été 1945.

En Suède, cette transparence permet aux citoyens de contrôler les décisions du gouvernement. On peut obtenir en une journée l’itinéraire précis du transport des matières nucléaires dans le pays ou encore la carte des champs où sont plantées des semences OGM.

En France, secret défense et brimades pour ceux qui dénoncent des crimes d’Etat

Chez nous, en France, ces informations sont classées secret défense. Ce mécanisme d’autoprotection de l’administration française est parfois un mécanisme de protection des crimes d’Etat. Faut-il rappeler le sort kafkaïen subi par deux archivistes de la ville de Paris, Brigitte Lainé et Philippe Grand? Pour avoir osé aller attester devant un tribunal qu’ils avaient vu des documents intransmissibles faisant la preuve du meurtre de dizaines d’algériens le 17 octobre 1961 à Paris, ils furent dégradés, privés d’ordinateurs, d’accès à la salle des archives, de tous moyens de travail pendant sept longues années1.

Malgré les diverses plaintes déposées devant le tribunal administratif et toutes gagnées par eux, ils subirent cet ostracisme sans recevoir d’aide d’un quelconque parti politique. Il fallut attendre l’exposition médiatique de leur cas à la télévision pour que les élus socialistes du conseil de Paris (c’est la mairie de Paris qui contrôle le service des archives) interviennent en leur faveur.

Un droit fait pour couvrir les fonctionnaires compromis sous Pétain ou en Algérie

Que disait la vérité officielle? Il n’y avait eu qu’un mort ce jour-là. Que disaient les documents détenus loin du regard du public? Sous les ordres du préfet Maurice Papon, la répression avait été telle qu’on recensait au moins 89 morts. Et ce n’est pas un hasard que ce soit Maurice Papon qui ait été protégé dans cette histoire. Le droit des archives français est usiné pour couvrir les fonctionnaires qui se sont compromis pendant l’occupation nazie et pendant la guerre d’Algérie.

Lors du 25ème anniversaire de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) en 2004, Antoine Prost, l’un de ses membres, professeur à l’université de Paris-I, le disait très clairement:

L’avis (de la CADA) est généralement négatif quand les dossiers demandés mettent en cause des tiers encore vivants. Le cas n’est pas rare pour les dossiers relatifs à l’Occupation ou à la guerre d’Algérie: permettre d’identifier l’auteur d’une dénonciation qui a envoyé quelqu’un en camp de concentration, ou le chef d’un commando qui a commis plusieurs assassinats n’est pas envisageable si le demandeur est la victime ou l’un de ses descendants, sauf si l’on peut anonymer toutes les indications relatives aux tiers en sorte qu’ils ne puissent être identifiés, ce qui retire à la communication beaucoup de son intérêt."

Quelle part de responsabilité de l’Etat dans la mort de Guy Môquet?

Si au lieu de jouer sur la corde de l’émotion en célébrant Guy Môquet, on s’intéressait à la vérité pour tenter de savoir la part de responsabilité de l’Etat français dans sa mort? Et pour cela, il n’y a qu’une solution: ouvrir les archives. Comme aux Etats-unis ou en Angleterre.

Liberté d’Informer soutient les historiens de l’Association des usagers du service public des Archives nationales (Auspan) et le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) qui dénoncent également ce projet de loi.

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  1. Voir, sur ce site, la rubrique consacrée à Brigitte Lainé et Philippe Grand.
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