Les ratonnades d’octobre – Un meurtre collectif à Paris en 1961, de Michel Levine1
Voici l’avant propos de cette réédition :
En ce froid mois d’octobre, un couvre-feu est promulgué par le préfet de police de Paris, Maurice Papon. Nous ne sommes pas sous l’occupation mais en 1961 et la mesure frappe ceux qui sont désignés comme « Français musulmans d’Algérie », rendant vite leur vie quotidienne intenable. Le 17 octobre, encadrés par le F.L.N.,ils sont des milliers à sortir de leurs banlieues, de leurs bidonvilles, de leurs quartiers, pour venir manifester dans la capitale. La police, chauffée à banc par les exhortations à la « fermeté » du préfet de police, réagit avec une rare brutalité. On matraque, on arrête, on entasse dans des bus à destination des centres de triage où attendent des « comités de réception ». Plus grave, on tire sur la foule, des hommes menottés sont précipités dans la Seine. Le nombre de morts ? On ne le saura jamais exactement. Plus d’une centaine, certainement.
Puis, c’est le silence. Les autorités politiques, après avoir planifié et exécuté le crime, ne s’estiment pas obligées d’en rendre compte. Tous ces évènements entrent dans le cadre de la « lutte contre la subversion algérienne ». La presse en parle, bien entendu, mais la mort de tous ces manifestants pacifiques ne provoque pas l’indignation que suscitera, cinq mois plus tard, le drame de Charonne.
Vingt ans après, quand j’ai entrepris d’écrire ce livre, la chape de plomb pesait toujours – les archives d’État étaient interdites, les rapports administratifs hors de portée, les sources historiques inexistantes. J’ignorais beaucoup de choses, en particulier que les manifestations ne s’étaient pas déroulées seulement le 17 octobre mais qu’il y en avait eu deux autres, dont une regroupait des femmes. J’ai parlé avec des victimes dans des foyers d’immigrés, rencontré des témoins parmi les travailleurs sociaux qui avaient connu les bidonvilles, interrogé des avocats, des policiers, des journalistes…Mon souci n’était pas seulement de faire connaître des faits, d’en retracer les causes et les circonstances : je tenais aussi à restituer cette terreur quotidienne et planifiée qui s’abattait alors sur les » Français musulmans d’Algérie » dans l’indifférence générale.
Cet assassinat collectif demeuré impuni a frappé, il y a cinquante ans, des hommes et des femmes désarmés qui réclamaient simplement leurs droits. Il continue de nous parler à travers le temps et les révoltes soudaines et imprévues de peuples que l’on croyait soumis.