Lettre du secrétaire d’État aux Anciens combattants à Bernard Deschamps
Paris, le 22 février 2012
Monsieur le Président,
En ma qualité de Ministre chargé des questions de rapatriés et de harkis, je tiens à vous faire part de ma totale désapprobation concernant l’utilisation abusive du logo du ministère de la culture et de la communication et, donc du Gouvernement, à l’appui de votre prochain colloque de Nîmes sur le thème de « la fédération de France du FLN » alors que cette demande de parrainage ne vous a jamais été accordée ainsi que la demande de subvention adressée. Je laisserai, bien évidemment, le soin à mon collègue Frédéric MITTERRAND de juger de la suite qu’il voudra bien donner à ce détournement mensonger qui laisse supposer un appui officiel de l’État à cette initiative, ce qui n’est aucunement le cas.
J’ajoute qu’en cette période du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie où force est de constater que les mémoires sont loin d’être apaisées, l’organisation de ce colloque vient troubler une communauté nombreuse dans votre département de harkis et de rapatriés encore profondément meurtrie par les crimes et les exactions du FLN commis à leur encontre.
Il ne m’appartient pas au nom de la liberté d’expression de m’opposer à une telle manifestation susceptible de causer des troubles à l’ordre public que les autorités locales devront apprécier le moment venu. En revanche, je condamne cette manifestation qui donne une vision tronquée de cette page douloureuse de l’histoire, celle du FLN. La recherche de la vérité et la démocratie s’en seraient trouvées grandies si la parole avait pu être donnée aux harkis et rapatriés.
Dans l’attente, je vous prie […]
Lettre du Maire de Nice à la section de Nice de la LDH
Nice, le 8 février 2012
Monsieur le Président,
La Ligue des Droits de l’Homme est organisatrice d’un colloque prévu au CLAJ de Cimiez à Nice, les 10 et 11 février prochain, sur le thème du « cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie ».
Devant l’émotion que soulève ce projet au sein de l’ensemble de la communauté rapatriée et Harki, et que je partage entièrement, je juge nécessaire de vous demander de surseoir à la tenue de ce colloque.
Quel que soit le respect que j’éprouve pour votre organisation, je vous précise que la Ville de Nice organise, sur l’ensemble de l’année 2012, une commémoration du Cinquantenaire du Rapatriement, dont je vous transmets le programme. Cette commémoration, placée sous le signe de la Vérité et de l’Objectivité, bénéficie du Haut Patronage de la Présidence de la République.
Le caractère exhaustif de sa programmation rend à mon sens redondant d’autres manifestations qui conduiraient à exposer de manière immanquablement partiale des évènements douloureux, restés à juste titre très présents dans la mémoire de nos compatriotes rapatriés et harkis.
C’est en conséquence dans un esprit d’apaisement et de sagesse que j’en appelle à la maturité de la structure que vous présidez, et vous suggère de déprogrammer le colloque des 10 et 11 février que vous comptez organiser.
Je vous en remercie par avance et vous prie de croire […]
«La recherche doit se développer à l’écart des pressions des gouvernants»
au quotidien algérien El Watan,
publié le 28 février 2012
- Comment expliquez-vous la démarche du maire de Nice, Christian Estrosi, de vouloir faire annuler le colloque organisé le samedi 11 février par la section de la Ligue des droits de l’homme de Nice et auquel vous étiez présent ?
Le maire de Nice a voulu flatter une partie de ses électeurs, ceux qui sont nostalgiques de l’Algérie française et qui ressassent les vieux mythes de la «colonisation positive» et de «l’œuvre civilisatrice» de la France coloniale, en méprisant le travail des historiens qui mettent de plus en plus en lumière les injustices et la violence qui régnaient à l’époque. M. Estrosi, en liaison avec des associations d’anciens de l’OAS qui restent accrochés à leurs certitudes et refusent de s’interroger de manière critique sur ce passé, cherche à instrumentaliser la douleur des pieds-noirs qui ont dû quitter la terre où ils vivaient et ont souffert de cet exil.
Il a prévu une série de manifestations avec ces associations et n’a pas supporté que d’autres associations, dont la Ligue des droits de l’homme, disent, avec le concours de jeunes universitaires, un certain nombre de vérités sur cette histoire. Il a cherché à interdire ce colloque, qui avait lieu pourtant dans l’espace privé des locaux d’une association de jeunesse et de loisirs, ce qui est contraire à tous les principes qui régissent les libertés publiques dans un pays démocratique.
- Alors que le colloque, dont vous êtes à l’origine, avait pour objectif d’«en finir avec les silences, les déformations, les tabous et les instrumentalisations de l’histoire», la démonstration n’est-elle pas ainsi faite que cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, le climat n’est pas encore à la sérénité ?
En effet, cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, on voit ressurgir en France des discours d’autrefois, complètement imprégnés de racisme et d’esprit colonial.
Le beau festival de films consacré à la guerre d’indépendance algérienne que le Forum des images a organisé, à Paris, en janvier, avec de multiples conférences et débats, a été l’objet de violentes attaques de la part de la presse d’extrême droite.
Mais un public nombreux y a finalement assisté et les échanges ont été, en réalité, riches et sereins. De même, le colloque de Nice, que le maire voulait empêcher, s’est déroulé devant une salle comble et le groupe de perturbateurs qui étaient venu le matin a dû partir de lui-même, car ces gens n’avaient que des invectives à proférer et aucun argument sérieux à développer. On assiste, cinquante ans plus tard, à la résurgence de haines anciennes, mais ceux qui les expriment ne font pas le poids face à la volonté de comprendre des nouvelles générations, au travail des historiens, aux œuvres des écrivains comme le roman qui a reçu le dernier Prix Goncourt, L’Art français de la guerre d’Alexis Jenni, ou celles des cinéastes comme le film Ici on noie les Algériens de Yasmina Adi, qui est sélectionné parmi les meilleurs documentaires en compétition pour les prochains Césars.
- Pourquoi toutes ces oppositions à un débat serein ?
J’y vois deux raisons essentielles. D’abord, le silence officiel qui a régné pendant cinquante ans sur cette histoire, un silence lié à la volonté de ne pas reconnaître les violations des droits de l’homme commis à l’époque coloniale et aux amnisties et autres mesures de réhabilitation des anciens militaires putschistes et membres de l’OAS, qui ont favorisé une forme d’amnésie collective. Tout cela a laissé intact des discours nostalgiques et revanchards qui ont continué à être tenus dans certains milieux, dans de petits cercles communautaires, et qui étaient prêts à ressortir au grand jour si on leur en donnait l’occasion.
Ensuite, l’occasion leur a été donnée dans les années 2000, où ces discours ont été réactivés dans des buts électoralistes. Certaines forces politiques françaises ont jugé bon, en fonction de leurs calculs électoraux, de rechercher l’appui de cette fraction de l’opinion, ce qui lui a donné l’occasion de faire réapparaître son discours au grand jour. Cela a donné la loi de 2005 sur la «colonisation positive», puis, en 2007, les discours du président Sarkozy sur le «refus de la repentance».
- Qu’est-ce qui fait que certaines mémoires sont toujours à vif ?
La génération des pieds-noirs qui a quitté l’Algérie est restée marquée par cet exil. Ceux qui sont partis lors de l’indépendance l’ont fait dans la précipitation, ils ne s’attendaient pas à devoir le faire. Beaucoup en ont été profondément traumatisés.
Par ailleurs, du fait que la République française n’est jamais revenue sur le discours tenu par tous ses dirigeants sur la nécessité des colonies pour la France et l’idée même qu’elle ne survivrait pas à leur perte, les jusqu’au-boutistes de la colonisation, qui se sont rebellés contre la reconnaissance de l’indépendance, ont continué à avoir le sentiment d’être restés fidèles à ce que les institutions du pays avaient dit pendant des décennies. Ils ont continué à être convaincus qu’ils avaient défendu «l’honneur» de la France contre des dirigeants qui la trahissaient, de s’être légitimement rebellés et d’être devenus les victimes injustes de leur fidélité aux intérêts du pays. Le silence de l’Etat français sur le fait colonial pendant cinquante ans ne les a pas aidés à se défaire de ce sentiment.
- Comment les mettre à plat ?
Il faut remplacer le silence officiel par le débat et la parole. Il faut expliquer en quoi la colonisation tournait le dos aux valeurs mêmes de la République et des droits de l’homme. En quoi les gouvernements français n’ont pas su imposer leur politique à la société européenne d’Algérie, quand les forces politiques, qui la dominaient, faisaient obstacle aux mesures, mêmes timides, qu’ils voulaient prendre en faveur des Algériens. Ils leur ont toujours cédé et n’ont pas su s’en démarquer, contrairement aux Britanniques qui ont su désavouer ouvertement l’apartheid en Afrique du Sud. Il faut qu’on revienne en France sur cette histoire et que l’Etat fasse les mises au point nécessaires.
- Le 19 Mars, date des accords du cessez-le feu, ne fait pas l’unanimité en France pour marquer la fin de la guerre…
L’opposition à la date du 19 Mars comme date de commémoration de la fin de la guerre relève, en réalité, d’un refus de reconnaître l’indépendance du pays, d’un regret que la guerre n’ait pas été poursuivie, de l’idée que la guerre pouvait être gagnée, puisque la supériorité militaire de la France lui avait permis de réduire de nombreux maquis et de mieux contrôler le territoire. Mais ceux qui pensent cela ne comprennent pas que la défaite de la France était inévitable, car c’était une défaite politique, puisque le peuple algérien, au fil de la guerre, avait pris de plus en plus fait et cause pour la lutte du FLN, et une défaite diplomatique, car l’opinion mondiale était majoritairement favorable à l’indépendance de l’Algérie. Ils ne mesurent pas non plus la satisfaction du peuple français lors de la signature des accords d’Evian.
- Permettez-moi de vous poser la question qui était au cœur de votre communication à ce colloque qui s’est tenu malgré tout : Pourquoi une issue comme en Afrique du Sud n’a-t-elle pas été possible ?
D’abord, parce qu’en Afrique du Sud, les institutions favorables à l’apartheid se sont trouvées désavouées par la métropole coloniale, la Grande-Bretagne, alors que jusqu’à la dernière année de la guerre, les gouvernements français n’ont pas su affronter clairement les jusqu’au-boutistes de la colonisation. Ensuite, parce que, parmi les Européens d’Algérie, il n’est pas apparu un courant important en faveur du dialogue et d’une Algérie indépendante. C’est le slogan «Algérie française» qui a prévalu dans cette communauté. Les éléments les plus ouverts, ceux qui acceptaient le principe de l’égalité de tous les habitants du pays, sont restés minoritaires. Ce sont les extrémistes qui l’ont emporté, y compris par la violence contre les Européens démocrates chrétiens, communistes ou libéraux, qui recherchaient le dialogue avec les autres composantes dans la majorité d’Algériens autochtones. Mais les Sud-africains blancs, qui ont suivi Frederik De Klerk et accepté le dialogue avec l’ANC de Nelson Mandela, savaient ce qui s’était passé en Algérie presque trente ans plus tôt et ils étaient en mesure d’en tirer les leçons. Alors que les pieds-noirs n’imaginaient pas ce qu’ils devraient subir comme départ et comme exil s’ils persistaient dans leur refus du dialogue.
- Comment dépasser ces enkystements mémoriels et se projeter dans un avenir plus apaisé ? Est-ce possible alors que le révisionnisme de l’histoire est encouragé par les dirigeants politiques français eux-mêmes ? Révisionnisme matérialisé par la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie contestée par les historiens…
Pour dépasser ce ‘‘ressassement’’ des mémoires meurtries, il faut accepter à la fois la confrontation des mémoires des deux rives et le travail des historiens. Et non pas, selon les mots d’un responsable pied-noir interrogé lors d’un reportage télévisé de France 3 et qui demandait au maire de Nice l’interdiction de la rencontre organisée par la Ligue des droits de l’homme, les qualifier de «pseudo-historiens qui disent des choses qu’ils ne devraient pas dire». C’est par la connaissance des résultats de la libre recherche historique, à l’écart de toutes les instrumentalisations officielles, qu’on pourra progresser vers une perception apaisée du passé. La recherche doit se développer à l’écart des pressions des gouvernants, contrairement à ce qui s’est produit en France dans le cas de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, qui a été mise en place sur la base de l’article 3 de la loi de 2005. Et cette connaissance doit aussi se développer sur la base des regards croisés des historiens des deux pays.
Lettre de Gilbert Meynier au préfet du Gard, en soutien au colloque de Nîmes
Monsieur le Préfet,
J’ai appris avec consternation les attaques dont était l’objet le colloque qui doit se tenir à Nîmes les 10-11 mars prochain sur la fédération de France du FLN (1954-1962) et les menaces qui pesaient sur ce colloque auquel j’ai été invité en tant qu’historien chercheur qui a consacré 45 ans de son existence à l’histoire de l’Algérie (cf. ci-joint mon CV et la liste de mes principales publications, ainsi qu’un article, cosigné par mon ami juriste algéro-lyonnais Tahar Khalfoune et moi-même, paru dans l’hommage à mon collègue Guy Pervillé – dont je ne partage pas les idées politiques, mais qui est un historien vrai–, dans la Revue d’Histoire immédiate (université de Toulouse), N° 40, automne 2011.
Le colloque de Nîmes sur la Fédération de France du FLN pendant la guerre d’Algérie n’est pas une entreprise idéologique, c’est une entreprise historienne : les historiens spécialistes de l’histoire de l’Algérie, entre autres de la guerre en France, sont majoritaires : 7 sur 10 intervenants – les 3 restants étant la réalisatrice Béatrice Dubell qui doit venir présenter son film El Bi’r sur les solidarités entre chrétiens lyonnais et Algériens –centré sur la personne du Père Albert Carteron, investi par le cardinal Gerliet, archevêque de Lyon et Primat des Gaules, précisément, d’une mission de solidarité et d’entr’aide avec les Algériens immigrés dans la capitale des Gaules. Les deux intervenants restants, Ali Haroun et Ali Boudina, ont été des acteurs et témoins de cette histoire : rien que de plus normal que, les historiens travaillant aussi, parmi d’autres documents, avec des témoignages produits par des témoins, ils aient été invités.
Personnellement je n’ai jamais eu coutume de censurer ce que j’avais à dire. Lors du colloque international que j’ai contribué à organiser sur l’histoire franco-algérienne à l’École Normale Supérieure de Lyon, les 20, 21 et 22 juin 2006, nous avons été attaqués symétriquement par des associations de rapatriés/le Front national et des sous-agents du consulat d’Algérie à Lyon : pour les premiers ce colloque était une entreprise anti-française, pour les seconds une entreprise anti-algérienne…
L’historien n’a pour sûr pas à trier entre les assertions et autres effractions idéologiques de facture analogue, même opposées – pour lui, ce sont, aussi, des documents historiques – qui témoignent de rancœurs et de mal-être résiduels, à l’évidence instrumentalisés de langue date, et toujours encore, dans le champ politique.
Je me permettrai in fine d’évoquer la stature du regretté Jacques Berque (1910-1995) – fils d’un « directeur des Affaires indigènes » au Gouvernement général de l’Algérie : ce grand sociologue et historien, spécialiste de l’Algérie, du Maghreb et du Monde arabe, et traducteur éminent du Coran, avait commencé sa carrière comme administrateur civil au Maroc dans les années trente, et cet authentique savant « pied-noir » fut une des premières personnalités à alerter sur les impasses auxquelles conduisait le système colonial.
L’historien ne pourra à mon sens qu’être au diapason de la formule de Jacques Berque selon laquelle les dogmatiques (ce terme est employé en euphémisme), même ennemis, en l’occurrence tant du côté français qu’algérien, sont symétriquement unis, « comme le sont les nénuphars par leurs racines ». Des nénuphars, il va de soi que je m’autorise à préférer les fleurs.
Sur cet épilogue que j’espère séduisant et prometteur, je vous prie de croire, Monsieur le Préfet, à ma haute considération.
Communiqué de la section de Nice de la LDH
Dans le cadre des commémorations liées au 50e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, la section de Nice de la LDH a organisé, les 10 et 11 février 2012, un colloque intitulé : « Algérie 1962 Pourquoi une fin de guerre si tragique ? » Il s’agissait, pour nous, de tenter de répondre à une question.
Et pourtant, ce simple questionnement a provoqué une réaction haineuse de certaines associations, organisées en lobby, qui prétendent parler au nom de l’ensemble de la communauté pied-noir et être seules détentrices de la vérité historique, associations, au demeurant, épaulées par des élus locaux. En dépit des pressions et des menaces, le colloque a eu lieu.
Aujourd’hui, l’association France-El Djazaïr, coordonnant un collectif d’associations locales et de syndicats, organise à Nîmes un colloque autour de la guerre d’Algérie, déchainant les même réactions haineuses de la part des nostalgiques de la colonisation, cette fois-ci épaulées par les structures de l’État.
La section de Nice de la LDH soutient les organisateurs du colloque de Nîmes et sollicite tous les démocrates, afin qu’ils apportent leur concours au bon déroulement de cette manifestation scientifique.
Nice, le 1er mars 2012