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Édition du 15 janvier au 1er février 2025

Les archives du président Mitterrand autour du génocide au Rwanda vont être accessibles aux chercheurs

Au terme d'une longue bataille administrative, le Conseil d’État vient d’accorder l’ouverture des archives de l’Élysée sur le Rwanda au chercheur François Graner, membre de l’association Survie, co-auteur du livre, L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda. Il a estimé que ses demandes présentent « un intérêt légitime au regard de la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées pour nourrir les recherches historiques et le débat sur une question d’intérêt public ». Le chercheur demandait à accéder notamment aux documents de Bruno Delaye, Hubert Védrine et Dominique Pin. Cette décision créée une jurisprudence, elle pose un point général de droit qui dépasse son cas et va s’imposer pour les demandes futures sur d’autres sujets.

Suite à une décision du Conseil d’Etat, les archives du président Mitterrand vont être accessibles aux chercheurs

Le communiqué du Conseil d’Etat

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Lire la décision du Conseil d’Etat




Le communiqué de l’association Survie

le 12 juin 2020. Source Au terme de cinq ans de bataille administrative, le Conseil d’État vient d’accorder de façon définitive l’ouverture anticipée des archives de l’Élysée sur le Rwanda au chercheur François Graner, membre de l’association Survie, et co-auteur du Dossier noir L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda. C’est une décision historique qui met fin à cinq années de procédures administratives contre le secret d’État. Jusqu’à cette décision, le Code du patrimoine permettait en effet à la mandataire privée de François Mitterrand, l’ancienne ministre Dominique Bertinotti, de décider arbitrairement qui pouvait ou non, consulter toutes les archives des conseillers présidentiels de l’époque, pas ou plus couvertes par le Secret Défense. Cette disposition valable un quart de siècle après la mort de l’ancien président constituait un des nombreux freins à la manifestation de la vérité sur le rôle de la France au Rwanda avant, pendant et après le génocide des Tutsis, ce que le Conseil a jugé contraire notamment aux droits de l’Homme et au droit européen. En 2015, François Hollande avait promis l’ouverture des archives sur le Rwanda, ce sur quoi Emmanuel Macron est revenu l’année dernière en nommant une commission d’historiens, seule habilitée à les consulter intégralement. La décision de ce jour du Conseil d’État constitue donc une avancée importante puisqu’elle stipule que l’accès aux archives doit être ouvert à tous les chercheurs, et pas seulement à ceux accrédités par l’État. Le Conseil d’État, saisi en cassation par M. Graner et réglant l’affaire au fond, estime que « ses demandes présentent, au regard de la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées pour nourrir les recherches historiques et le débat sur une question d’intérêt public, un intérêt légitime ». Précisant que sa démarche ne porte pas atteinte aux intérêts que la loi entend protéger, il conclut « que les refus opposés aux demandes de M. Graner sont entachés d’illégalité ». Ce faisant, il suit les conclusions de la rapporteuse publique, rendues le 5 juin dernier, et confirme que le droit d’accès aux archives publiques et celui d’être informé, priment sur les impératifs de protection des secrets de l’exécutif et plus largement de l’État. Cette décision est un tournant important pour l’accès aux archives et les recherches sur les responsabilités des responsables civils et militaires de l’État concernant les décisions qu’ils ont prises. François Graner insiste sur la jurisprudence que cette décision crée : « Le Conseil d’État a tenu à souligner solennellement que c’est un point général de droit qui dépasse le cas particulier de cette demande. Il va donc s’imposer pour les demandes futures que je vais faire, et que d’autres feront sur le rôle de la France au Rwanda ou sur d’autres sujets ». Pour l’association Survie et les autres membres du collectif « Secret défense – un enjeu démocratique » , cette victoire ouvre donc d’autres perspectives.

Le communiqué du Collectif Secret défense, un enjeu démocratique

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arton5590-62773.pngFrançois Graner est le co-auteur d’un livre sur le rôle de l’Etat français dans le génocide des Tutsis au Rwanda, avant, pendant et après ce génocide. Il revient sur l’ambiguïté de l’opération Turquoise qui a laissé massacrer plus d’un millier de civils sur la colline de Bisesero puis laissé partir les génocidaires vers le Zaïre en contribuant même à les réarmer. La plupart des acteurs politiques français continuent à se taire ou à nier cette implication. Les poursuites contre les Rwandais suspectés de génocide qui ont trouvé refuge en France rencontrent de nombreux blocages, parfois même au cœur de l’État.
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L’interview de François Graner par TV5 Monde, le 20 février 2020.




Génocide au Rwanda :
« Ce qu’on sait de l’implication de la France est déjà explosif »

Interview de François Graner

dans Libération du 15 juin 2020, propos recueillis par Maria Malagardis Source A la suite de la décision du Conseil d’Etat vendredi, le chercheur François Graner revient sur sa victoire pour obtenir l’accès aux archives sur le rôle de la France au Rwanda en 1994. C’est une victoire historique qu’a obtenue, après cinq ans de combat, le chercheur François Graner. Vendredi, le Conseil d’Etat lui a accordé l’accès aux archives de François Mitterrand sur la politique française au Rwanda, petit pays de l’Afrique des grands lacs où s’est déroulé en 1994 le génocide contre la minorité tutsi, qui fera près d’un million de morts. Alliée du régime génocidaire, la France était alors en première ligne. Egalement membre de l’association Survie, très impliquée dans la lutte contre la Françafrique, et auteur de deux ouvrages sur la France au Rwanda (1), Graner revient sur l’importance et la portée de cette décision. Quelle est l’importance de la décision du Conseil d’Etat ? Les membres de cette juridiction se sont réunis en assemblée solennelle, ce qu’ils ne font qu’une ou deux fois par an, pour affirmer que les citoyens ont le droit de s’informer. Et que ça prime sur la protection, les secrets des gouvernants. Sur le fond, c’est bien plus important que l’accès à ces documents précis. Car désormais, grâce à cette jurisprudence, il sera plus compliqué pour une administration de refuser une demande d’informations, sur ce sujet comme sur un autre. Mais dans le cas précis de l’implication de la France dans cette tragédie, à quoi aurez-vous désormais accès ? Je vais pouvoir avoir accès à onze dossiers qu’on me refusait. En cinq ans de bataille, j’ai déjà pu obtenir cinq dossiers sur les dix-huit que je sollicitais. Ce qu’on vient de m’accorder, c’est l’accès à la totalité des archives sur Bruno Delay, le conseiller Afrique du président. Ainsi que les 800 pages des archives récoltées par Françoise Carle, une enseignante et militante du Parti socialiste qui, de façon informelle, avait pour mission de sélectionner les documents de conseillers de Mitterrand sur ce sujet. Quels éléments nouveaux pouvez-vous espérer y trouver ? On peut espérer avoir plus d’éclaircissements sur le tournant de la politique française au Rwanda en février 1993 : au moment où l’Elysée s’engage réellement aux côtés des extrémistes au sein du régime rwandais. Il est possible également d’avoir plus de précisions sur l’attentat du 6 avril contre l’avion du président Habyarimana, qui sert de déclencheur au génocide. Il y aura peut-être des éléments nouveaux sur l’opération Turquoise [déclenchée au Rwanda par la France fin juin 1994, ndlr] qui, sous couvert d’aide humanitaire, a permis aux responsables du génocide de fuir au Zaïre [aujourd’hui République démocratique du Congo, ndlr]. Et enfin, on en apprendra peut-être plus sur le rôle de la France auprès de l’armée génocidaire en déroute à partir de juillet 1994. On sait déjà qu’elle l’a réarmée, mais on ne sait pas jusqu’où allait ce soutien. Pensez-vous pouvoir trouver quelque chose de réellement inattendu, un scoop ? Ce qu’on sait de l’implication de la France pendant le génocide au Rwanda est déjà explosif ! Pour garder le Rwanda dans la zone d’influence française, une petite poignée de décideurs ont soutenu un régime génocidaire en connaissance de cause. C’est une complicité de génocide, et énoncer une telle accusation c’est déjà vertigineux. Quel est le rôle particulier de Mitterrand dans ce drame ? Pour François Mitterrand, la France ne pouvait être une grande puissance que si elle maintenait une zone d’influence néocoloniale. Quel que soit le prix à payer. Il a donc choisi de soutenir ses alliés, même s’ils préparaient l’extermination des Tutsis. Mais la vraie question, c’est comment les institutions de la Ve République ont permis à un seul homme d’imposer à ce point sa vision, entouré de quelques conseillers comme Hubert Védrine. Il y a eu au moins quinze questions critiques au Parlement, sans jamais de débat. A partir des années 90, certains ministres de la Défense, comme Pierre Joxe, se sont opposés à cette politique, en vain. Et même certains militaires sur place, comme le général Varret, qui a été viré. Voit-on une évolution avec Macron ? Macron a encore plus présidentialisé la fonction à la tête de l’Etat. Il est moins colonialiste, mais peu avant son élection, il a rappelé son attachement à la stabilité des Etats africains « même ceux avec lesquels on ne partage pas les mêmes valeurs ». C’est très mitterrandien, ça ! Et la commission d’archives qu’il a mis en place, sur le rôle de la France au Rwanda ? Hollande avait promis d’ouvrir les archives à tout le monde, sans le faire. Macron a désigné une commission d’historiens présidée par Vincent Duclert. On aurait pu lui faire confiance a priori. Mais la note de mi-parcours délivrée par cette commission en avril est stupéfiante. Elle explique sa méthodologie, puis soudain, voilà qu’elle avance déjà des certitudes. En gros, les détracteurs de la politique française n’ont rien compris. Il y a des phrases hallucinantes sur l’opération Amaryllis [qui a permis l’évacuation des ressortissants français mais aussi de nombreux dignitaires du régime au début des massacres, ndlr]. Et la note reprend les arguments d’Hubert Védrine sur une « politique équilibrée », en dépit de tout ce qu’on sait désormais. Mais s’ils sont déjà si convaincus, que peuvent trouver les membres de la Commission Duclerc dans les archives ? En fait, on se rend compte qu’en France, on a toujours du mal à regarder les pages obscures du passé, c’est presque une spécificité française. (1) Dernier ouvrage paru : L’Etat français et le génocide des Tutsis du Rwanda, avec Raphael Doridant, Editions Agone, 2020.

Photo ci-contre : François Mitterrand et Hubert Védrine.

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