Le 4 juin 1958, devant la foule rassemblée sur le Forum d’Alger, le général de Gaulle prononce sa fameuse déclaration : «Je vous ai compris ! Je sais ce qui s’est passé ici…». Certes l’évocation dans le même discours des dix millions de Français d’Algérie suscite des flottements dans l’assistance, mais l’enthousiasme des pieds-noirs est à son comble quand ils l’entendent s’écrier, deux jours plus tard à Mostaganem : « Vive l’Algérie française ! Vive la République ! Vive la France !».
Les partisans de l’“intégration”, militaires ou civils, vont bientôt s’estimer floués par l’homme qu’ils se flattent d’avoir installé au pouvoir. Le 16 septembre 1959, il garantit le « droit des Algériens à l’autodétermination ». Peu après, en janvier 1960, ses anciens partisans pieds-noirs s’insurgent à Alger au cours de la semaine des barricades.
Le 14 juin 1960, le président de la République fait un pas de plus et annonce une « Algérie algérienne liée à la France ». Et, le 4 novembre 1960, il évoque une Algérie « qui aura son gouvernement, ses institutions et ses lois ». Cette politique est approuvée en métropole par 75 % des votants lors du référendum du 8 janvier 1961.
C’en est trop ! Quelques-unes des plus hautes figures de l’armée française
décident de préparer un putsch.
Dans la nuit du vendred 21 avril 1961, le 1er REP (Régiment étranger de parachutistes) sous les ordres d’Hélie Denoix de Saint-Marc s’empare, à Alger, du gouvernement général , de l’hôtel de ville, de l’aéroport … En trois heures la ville est aux mains des putschistes.
Samedi 22 avril, les Algérois sont réveillés, à 7 heures, par un message lu à la radio :
« L’armée a pris le contrôle de l’Algérie et du Sahara… »
Les trois généraux rebelles, Maurice Challe 1,
Edmond Jouhaud
2,
et André Zeller, en accord avec les colonels Godart, Argoud et Lacheroy, font arrêter le délégué général du gouvernement, Jean Morin, le ministre des transports, Robert Buron, qui se trouvait en voyage, et un certain nombre d’autorités civiles et militaires.
L’ancien commandant en chef peut compter sur quelques régiments qui se mettent sous ses ordres, mais les ralliements se font attendre.
A Paris, la police arrête dans la matinée le général Jacques Faure, six autres officiers et quelques civils.
Conseil des ministres à 17 heures : « Ce qui est grave dans cette affaire, Messieurs, c’est qu’elle n’est pas sérieuse. » L’état d’urgence est décrété. Les partis de gauche et les syndicats, la Ligue des droits de l’Homme, appellent à manifester « l’opposition des travailleurs et des démocrates au coup de force d’Alger ».
Vers 19h, le général Challe s’exprime à la radio d’Alger : » Je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud, et en liaison avec le général Salan pour tenir notre serment, le serment de l’armée de garder l’Algérie pour que nos morts ne soient pas morts pour rien. Un gouvernement d’abandon […] s’apprête aujourd’hui à livrer définitivement l’Algérie à l’organisation extérieure de la rébellion. […] L’armée ne faillira pas à sa mission et les ordres que je vous donnerai n’auront jamais d’autres buts. »
Dimanche 23 avril, le général Salan arrive d’Espagne. Cependant, Challe, de plus en plus isolé, refuse d’armer les activistes civils.
A 20 heures, le général de Gaulle, en uniforme, paraît à la télévision : « Un pouvoir insurrectionnel s’est installé en Algérie par un pronunciamento militaire. Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques. […] Au nom de la France, j’ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour barrer la route de ces hommes-là, en attendant de les réduire. J’interdis à tout Français et, d’abord, à tout soldat d’exécuter aucun de leurs ordres. » Il conclut : » Françaises, Français, aidez-moi ! »
« Cinq cent mille gaillards munis de transistors », comme il dit du contingent, ont entendu cet appel à la désobéissance légitime. Les appelés réclament de leurs chefs qu’ils prennent position pour Paris, et ils refusent souvent d’exécuter leurs ordres. En métropole, (fausse) alerte aux parachutistes : à 0h45, Michel Debré paraît à la télévision et appelle la population à se rendre sur les aéroports » à pied ou en voiture » dès que les sirènes retentiront, pour » convaincre les soldats trompés de leur lourde erreur « . Les syndicats décident pour le lendemain une grève générale d’une heure – elle sera massivement suivie.
Mardi 25 avril, les généraux putschistes se font acclamer une dernière fois.
Mercredi 26 Avril : c’est l’échec du putsch. L’armée n’avait pas « basculé » et ne basculera pas. Les insurgés se retirent avec le 1°REP à Zéralda à 30 km d’Alger. Hélie Denoix de Saint Marc se constitue prisonnier.
Le général Challe se rend aux autorités – il est aussitôt transféré en métropole.
Les partisans acharnés de l’Algérie française entrent dans l’action clandestine de l’OAS – Organisation Armée Secrète – pour poursuivre la lutte contre la politique algérienne du général de Gaulle. Salan et Jouhaud prennent la tête de l’OAS avec Jean-Jacques Susini.
Malgré la folie destructrice et sanglante de l’OAS, la voie était ouverte au général de Gaulle pour le désengagement de la France en Algérie.
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Déclaration du Commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, lors de sa comparution devant le Haut Tribunal Militaire, le 5 Juin 1961. [Extraits]
Monsieur le président, j’ai vécu pas mal d’épreuves, la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez, et puis encore la guerre d’Algérie …
En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l’égalité politique.
On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire. Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes.
Nous y avons gagné l’indifférence, l’incompréhension de beaucoup, les injures de certains. Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission. Des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.
Et puis un jour on nous a expliqué que cette mission était changée. Je ne parlerai pas de cette évolution incompréhensible pour nous. Tout le monde la connait.
Et un soir pas tellement lointain, on nous a dit qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon possible de l’Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d’un coeur léger. Alors nous avons pleuré. L’angoisse a fait place en nos coeurs au désespoir. […]
Alors j’ai suivi le général Challe.
Et aujourd’hui je suis devant vous pour répondre de mes actes et de ceux des officiers du 1er Régiment Etranger de Parachutistes, car ils ont agi sur mes ordres.
Monsieur le Président on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier.
On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer. […]
Le même jour, Hélie Denoix de Saint-Marc fut condamné à dix ans de réclusion criminelle.
Tous les officiers condamnés pour leur participation au putsch et à l’OAS ont été progressivement libérés, puis amnistiés par le général de Gaulle le 7 juin 1968. Le 24 novembre 1982, François Mitterrand les a fait réintégrer avec leur grade dans la réserve. Leur réhabilitation est donc complète.
- MAURICE CHALLE– (1905 – 1979) –
Général d’aviation, il est nommé par de Gaulle à la fin de 1958 pour succéder à Salan comme commandant en chef en Algérie. Il renforce les barrages aux frontières marocaine et tunisienne et balaie l’Algérie d’ouest en est, « cassant » toutes les unités de l’ALN. Rappelé par de Gaulle en avril 1960, il est nommé à un poste en Europe. En janvier 1961, il demande sa retraite par anticipation, et il prend la tête du putsch. Il entendait mener une opération « propre », sans effusion de sang, entre militaires. Le Haut Tribunal militaire le condamnera à quinze ans de détention criminelle. - EDMOND JOUHAUD – (1905 – 1995) –
Né à Bou Sfer (Oranie), le général d’armée aérienne Jouhaud est un partisan passionné de l’intégration de l’Algérie à la France. Après le 13 mai 1958, alors commandant de la région aérienne d’Algérie, il devient vice-président du Comité de salut public. De Gaulle le nomme chef d’état-major, puis inspecteur général de l’armée de l’air. En octobre 1960, il demande sa retraite anticipée. Il fut la cheville ouvrière du putsch d’avril 1961, puis chef de l’OAS en Oranie. Arrêté le 25 mars 1962, il est condamné à mort le 13 avril 1962 ; sa peine est commuée le 28 novembre 1962, en prison à vie, et il est libéré en décembre 1967.