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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
«Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire. Jamais il ne s'élance vers l'avenir, jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin.» Nicolas Sarkozy (Dakar, 26 juillet 2007)[L'Express N° 2926 - 2 août 2007]

le discours de Dakar : un mois plus tard on en parle toujours

«Le discours de Dakar, on en parlera encore dans dix ans». Selon le Canard Enchaîné du 1er août 2007, Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, se serait ainsi vanté du texte de 16 pages rédigé par ses soins, ajoutant «ceux qui ne connaissent pas l’Histoire ne font pas de bons discours». Un mois plus tard, on parle encore beaucoup du discours de Dakar, les commentaires restant très sévères, et pas seulement en Afrique. Il ne reste que Jean-Marie Bockel pour le qualifier de “grand discours”.
[Première mise en ligne le 23 août, mise à jour le 28 août 2007]
«Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire. Jamais il ne s'élance vers l'avenir, jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin.» Nicolas Sarkozy (Dakar, 26 juillet 2007)[L'Express N° 2926 - 2 août 2007]
«Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. Jamais il ne s’élance vers l’avenir, jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin.» Nicolas Sarkozy (Dakar, 26 juillet 2007)[L’Express N° 2926 – 2 août 2007]

Le faux pas africain de Sarkozy

par Philippe Bernard, Le Monde du 24 août 2007

Depuis près d’un mois, Nicolas Sarkozy déclenche en Afrique une vague d’hostilité dont il n’avait sans doute pas anticipé l’ampleur. S’adressant aux « jeunes d’Afrique » dans un amphithéâtre de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar le 26 juillet, le président de la République avait proclamé avec fougue son amour du continent : « J’aime l’Afrique, j’aime et je respecte les Africains », a-t-il lancé devant un parterre d’universitaires triés sur le volet. Les « vrais » étudiants avaient été écartés par crainte de manifestations d’hostilité à l’égard de l’homme de « l’immigration choisie ».

L’assistance aurait pu applaudir à la reconnaissance des « crimes contre l’humanité » liés à l’esclavage et des « effets pervers de la colonisation » exprimée avec un degré d’emphase que n’avait jamais atteint le candidat Sarkozy. Si l’auditoire a finalement réservé un accueil glacial à cette longue « adresse » présentée par l’Elysée comme fondatrice, c’est probablement qu’il n’y a pas trouvé le moindre signe de « repentance ». Pareille absence ne pouvait pourtant guère surprendre de la part d’un président dont le discours décomplexé tourne le dos à une démarche qu’il assimile à une forme de haine de soi et de la France. Fidèle à lui-même, le président a absous les colonisateurs qui, certes, « ont pillé des ressources » et « ont eu tort » de le faire, mais étaient « sincères ».

La stupeur des invités et le torrent de commentaires indignés que suscite jusqu’à aujourd’hui le discours de Dakar parmi les intellectuels africains proviennent surtout des sentences définitives et globalisantes, à forte teneur culturaliste, voire essentialiste, qu’a assénées le président français à propos de « l’homme africain ». Nul ne saurait contester, y compris parmi les élites du continent, que « l’Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur ». Le problème est que M. Sarkozy a présenté les échecs présents du continent comme contrebalançant, voire justifiant, les torts des colonisateurs. Désireux de mettre l’accent sur les responsabilités actuelles, il s’est exprimé comme si la ponction historique de 13 millions d’esclaves et l’exploitation coloniale étaient strictement sans effet sur l’Afrique actuelle. Comme si la mise en place et le soutien par la France, y compris par la violence, de régimes dévoués à ses intérêts n’étaient pour rien dans les errements de la démocratie.

Dans ce texte rédigé par son conseiller spécial Henri Guaino, le président a présenté l’Africain comme un homme prisonnier de sa culture, marqué par l’irrationalité et l’incapacité d’envisager le futur. « Le drame de l’Afrique, a-t-il déclaré, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire (…). Jamais il ne s’élance vers l’avenir (…). Dans cet univers où la nature commande tout (…), il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès. »

Certes, la suite du discours appelait à la « renaissance africaine », un thème cher au président sud-africain Thabo Mbeki, qui a félicité chaleureusement son homologue français dans une lettre rendue publique par l’Elysée le 13 août. M. Sarkozy a aussi magnifié le métissage culturel né de la colonisation qui annonce le « grand destin commun » de « l’Eurafrique », une expression qui date de l’entre-deux-guerres et fleure le colonialisme. Ce « métissage », il n’est d’ailleurs plus question pour le président français de l’honorer dès qu’est abordée la question sensible de l’immigration.

Mais les auditeurs africains de M. Sarkozy ont surtout été choqués par ses généralisations sur l’homme africain, animé par « ce besoin de croire plutôt que de comprendre, de ressentir plutôt que de raisonner, d’être en harmonie plutôt qu’en conquête ».

Sur quel autre continent que l’Afrique un chef d’Etat occidental en visite officielle pourrait-il se permettre de donner pareille leçon, d’instruire des procès en responsabilité historique, de multiplier des clichés dans une enceinte universitaire précisément consacrée à la réflexion critique et à la recherche sur des réalités complexes ?

« NOUS NOUS SENTONS INSULTÉS »

« La recherche sur l’Afrique et ses relations au monde ont fait (…) des progrès considérables, qui interdisent absolument de parler du continent dans les termes qui ont été les vôtres », réplique Ibrahima Thioub, historien à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar dans un texte diffusé sur Internet. L’enseignant, tout en refusant toute comparaison avec le nazisme, appelle à « comprendre que la mémoire africaine de la traite atlantique des esclaves et de la colonisation est à l’Afrique (…) ce que la mémoire de l’Occupation est à la France ».

« Se peut-il que (M. Sarkozy) n’ait pas compris à quel point nous nous sommes sentis insultés ? », interroge Boubacar Boris Diop. Cet écrivain et journaliste sénégalais estime « légitime » le fait d’« instruire le procès des sociétés africaines » à condition qu’une telle démarche ne serve pas uniquement à renforcer les Occidentaux dans leurs préjugés. Il analyse les propos de M. Sarkozy en « une sorte de discours sur l’état de l’Union… française » significatif des « relations de suzerain à vassal que Sarkozy peut entretenir avec ses obligés de la Françafrique ».

Alors que ces intellectuels espéraient prendre au mot M. Sarkozy, chantre de la « rupture », ils ont vu dans son discours la confirmation d’une vision paternaliste et d’un soutien renouvelé à des régimes indéfendables. En faisant ainsi la leçon à des intellectuels dont certains n’ont aucune complaisance à l’égard des régimes africains, le président a affaibli leur position, agissant comme si la critique et les remèdes ne pouvaient venir que des Blancs. « Dans sa « franchise » et sa « sincérité », Nicolas Sarkozy révèle au grand jour ce qui, jusqu’à présent, relevait du non-dit, à savoir que (…) l’armature intellectuelle qui sous-tend la politique africaine de la France date de la fin du XIXe siècle », écrit Achille Mbembe, universitaire camerounais de renom. M. Mbembe raille la vision des « élites dirigeantes françaises » d’une Afrique « mi-bucolique, mi-cauchemardesque », faite d’« une communauté de souffrants prostrés dans un hors-monde ».

Muet à Dakar sur la dérive autoritaire du pouvoir au Sénégal, empressé à honorer de sa visite Omar Bongo, à la tête du Gabon depuis quarante ans, Nicolas Sarkozy n’a pas été jusqu’au bout du discours de vérité qu’il prétend tenir. Son choix de faire étape chez M. Bongo, défenseur des intérêts pétroliers français mais peu soucieux de transformer les richesses de son pays en développement, accrédite le constat d’une certaine inertie de la politique africaine de la France, loin de la rupture revendiquée. Comment, dans ces conditions, le président français aurait-il pu rendre crédible aux yeux des « jeunes d’Afrique » son appel à la « renaissance » solennellement adressé depuis Dakar ?

Philippe Bernard

Dès le lendemain, Konaré avait violemment critiqué le discours de Dakar

Dès le 27 juillet, l’ancien président du Mali, Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’Union africaine (UA), avait jugé dans une interview à Radio France Internationale (RFI) que «ce discours n’est pas le genre de rupture qu’on aurait souhaitée. Ce discours n’est pas neuf dans le fond, il rappelle des déclarations fort anciennes, d’une autre époque, surtout quant à l’appréciation sur les paysans que je n’approuve pas.»

Alpha Oumar Konaré avait également réagi au rejet par Nicolas Sarkozy de toute repentance concernant la colonisation : «Une bonne partie du retard de l’Afrique est liée à cela et cette réalité, je suis sûr que le président le sait, (…) personne n’a le droit de la nier, et cela n’a rien à voir avec la repentance. Cette exigence de mémoire ne peut pas être simplement le fait des Africains».

Un mois plus tard, Achille Mbembe renouvelle ses critiques1

Un mois tout juste après le discours du même président à Dakar, l’historien camerounais Achille MBembe déclare aux Inrockuptibles « Sarkozy invente une Afrique fantôme… Une Afrique imaginaire peuplée de mythes sortis tout droit du bréviaire raciste du XIXème siècle… Nous ne voulons pas revenir à ce genre de vision du monde qui a servi à légitimer la colonisation »… Et ce professeur à l’université de Johannesburg rappelle que « depuis 1960, la France soutient systématiquement en Afrique les régimes les plus corrompus et qui se sont le plus investis dans la destruction de leurs peuples : au Gabon, au Cameroun, au Togo, au Congo et ailleurs »… Et pourtant, « la France est une nation qui a du génie. Elle doit faire preuve de ce génie dans ses rapports avec l’Afrique. Le besoin d’un ‘big bang’  dans les rapports franco-africains n’a jamais été aussi pressant qu’aujourd’hui. Mais ce ‘big bang’, on ne le fera pas sans une véritable révolution intellectuelle, et certainement pas en régurgitant les clichés racistes du XIXème siècle ».

Sévérité du Guardian

Dans son édition du 27 août, le quotidien britannique consacrait un article aux répercussions de ce discours notamment en Afrique du Sud.

Mbeki critiqué pour avoir félicité le “raciste” Sarkozy
2

«Le président de la République sud-africaine, Thabo Mbeki, a été contraint de se justifier pour avoir qualifié Nicolas Sarkozy de « citizen of Africa » après un discours du président français condamné pour racisme par l’ensemble du continent africain.»

Pour en savoir plus sur ce sujet, lire l’article 2217 sur ce site.

Pour Jean-Marie Bockel, c’est «un grand discours»3

« J’étais présent à Dakar. Cela a été un grand discours. Ça reste un grand discours fondateur. Cela change des discours parfois un peu convenus, un peu “planplan”, les discours qu’on a envie d’entendre, qui finalement ne changent rien.»

sarko_dakar_26juil07.jpg

  1. Source : la revue de presse des hebdomadaires de RFI, le 26/8/2007.
  2. Mbeki criticised for praising ‘racist’ Sarkozy
    Guardian du 27 août 2007.
  3. Entretien avec le secrétaire d’Etat chargé de la coopération et de la francophonie (extrait) – RTL, le 24 août 2007
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